mercredi 1 janvier 2020

"La part du fils"

Jean-Luc Coatalem s'est longtemps penché dans ses livres sur les destins dits exotiques. Gauguin et Segalen le fascinent car ces artistes sont "dévorés par l'inconnu". Dans sa propre vie, l'ombre de son grand-père a surgi dans sa vie et il raconte cette histoire familiale dans "La part du fils" qui a obtenu le prix Giono. Son récit évoque Paol, cet aïeul disparu sous l'Occupation. Il a été arrêté dans son travail et déporté aussitôt sans motif apparent. Son père, ses oncles et sa famille ne parlaient jamais de cet homme, installant un creux, un vide, un manque. Paol, né en 1894, héros de la Première Guerre Mondiale et ancien officier colonial, s'est installé en Bretagne dans un petit village du Finistère. Son petit-fils mène une enquête exhaustive sur cet homme fantôme et cette absence le hante : "Je ne l'ai pas connu. Parti trop tôt, trop vite, comme si le destin l'avait pressé. Mais il nous reste sa Bretagne à lui qui est devenue la nôtre". Son père, Pierre, avait douze ans quand Paol a été arrêté en 1943. L'écrivain imagine la vie de son grand-père emprisonné à Brest. Il comprend mieux son propre père, tétanisé par cette disparition brutale : "Je comprenais la peine énorme de mon père. Il s'était forgé avec elle, il avait dû composer avec cette déflagration originelle". Cette souffrance paternelle a rebondi sur celle de l'auteur et cette tentative d'éclaircissement devient une thérapie : "Ce poids de mémoire close était devenu le mien. J'en restais meurtri, dépossédé de ma propre histoire. Qu'aurais-je pu faire sinon la remonter, l'éclaircir et la raconter ? Ecrire comme un travail de deuil. Une effraction et une floraison. Une respiration entre deux apnées". Jean-Luc Coatalem reconstruit la vie de son grand-père en Indochine, se demande quels étaient ses goûts, ses lectures, ses rêves. Il est ce petit-fils transformé en "archéologue". Ce défi biographique s'installe dans le récit au fil de son enquête, submergée par l'émotion. Il part à la recherche de la moindre trace que son grand-père a laissée dans le passé. Son enquête minutieuse, obsessionnelle, précise l'emmène dans les Archives départementales où l'arrestation est bien consignée au motif "inconnu". Il s'intéresse à son oncle, Ronan, un résistant de la première heure et au passé sulfureux dans le contre-espionnage. Le narrateur ne néglige aucune piste, recherche des témoins, se rend dans la caserne qui a servi de camp, part en Allemagne visiter le camp de Dora. Ce récit autobiographique redonne vie à ce grand-père magnifique. Le petit-fils découvre la raison de son arrestation et je n'en dévoilerai pas le contenu pour garder le mystère de sa disparition. Dans chaque famille, plane souvent un aïeul injustement inconnu, oublié, mort trop jeune. Jean-Luc Coatalem a offert à cet homme une deuxième vie, littéraire évidemment, mais essentielle pour rendre justice.