vendredi 24 juillet 2020

"Papa"

Régis Jauffret écrit dès la première page : "19 septembre 2018, j'aperçois dans un documentaire sur la police de Vichy mon père sortant menotté entre deux gestapistes de l'immeuble marseillais où j'ai passé toute mon enfance". Son récit qu'il a nommé "Papa" évoque donc ce père à la façon d'un "conteur, d'un raconteur, d'un inventeur de destinées" et il a conçu son portrait en le traitant comme un personnage de roman. Il raconte sa mort en 1987 à l'âge de 72 ans, d'une rupture de l'aorte et pose la question à sa mère qui, à 102 ans, n'a aucun souvenir de ce film de propagande tourné en 1943. Comme ils se sont mariés en 1953, son père n'a jamais commenté cet événement. L'écrivain s'interroge sur ce mystère qui n'a laissé aucune trace dans la mémoire familiale. Pour tracer le portrait de cet "inconnu" familier, le narrateur décrit un homme dont l'handicap de sa surdité, provoquée par une méningite, et sa bipolarité ont dessiné un destin particulier, nimbé de solitude et d'esseulement.  Il est embauché par un cousin dans une entreprise comme comptable. Au fond, Régis Jauffret ne considère pas son géniteur comme un héros mais il éprouve une immense compassion envers cet homme effacé, souffrant, absent : "J'avais dû me contenter dans mon enfance d'un tout petit bout de papa comme un gosse à qui on jetterait le huitième d'un carré de chocolat pour accompagner le pain de son goûter. Autant manger son pain sec. Même pas un huitième de père, quelques miettes, une pincée de papa". Ce père maladroit, mutique, souvent  indifférent à l'éducation de son fils, vivait très mal sa surdité et il prenait un médicament qui calmait ses angoisses. Cette vidéo, surgie du passé, réhabilite la figure paternelle en héros de roman et le narrateur imagine son pauvre "papa" comme un résistant. Ce récit familial, sous la forme d'une enquête, se lit avec un intérêt très vif et l'humour dévastateur de l'écrivain calfeutre son chagrin d'orphelin en se souvenant avec nostalgie de son enfance malgré tout heureuse même si l'absence paternelle l'a marqué à tout jamais. Ce récit des origines s'offre comme une thérapie salvatrice et c'est aussi un hommage émouvant envers cet homme dont la vie ressemble à une épreuve permanente à cause de sa surdité. Un récit passionnant. 

jeudi 23 juillet 2020

"La vie mensongère des adultes"

Tous les "aficionados(as)" d'Elena Ferrante attendaient avec impatience son nouveau roman. "La vie mensongère des adultes" est enfin sorti chez Gallimard en juin. Evidemment, il faut un peu oublier sa fabuleuse saga en quatre volumes, "L'amie prodigieuse" qui restera un grand souvenir dans mes lectures des années 2010. La série inspirée du roman relance le succès planétaire d'Elena Ferrante. Quand j'ai ouvert la première page, la magie "ferrantaise" a opéré : "Deux ans avant qu'il ne quitte la maison, mon père déclara à ma mère que j'étais très laide". Giovanna entend cette parole paternelle à l'âge de douze ans. Elle vit dans un quartier situé sur les hauteurs de Naples. Ses parents, un couple de professeurs, l'élèvent avec amour, l'éduquent à merveille et la rendent heureuse. Une enfance choyée. Pourtant, un grain de sable va enrayer cette existence pacifique et sereine. Avec cette conversation qu'elle intercepte, il est question d'une tante à la réputation maléfique car son père a osé la comparer à elle. Bouleversée par cette révélation, Giovanna veut connaître cette tante qui est fâchée avec son père. La tante Zia Vittoria, "alliance parfaite de la laideur et du Mal", a toujours provoqué un malaise proche de la peur. Les parents de Giovanna ont rompu tout lien avec elle et sont stupéfaits quand leur fille décide de retrouver cette tante maudite qui habite un des quartiers les plus pauvres de Naples. Dans cette partie de la ville, Giovanna découvre un milieu social bien plus remuant que l'univers feutré de ses parents. Leur rencontre va provoquer quelques belles étincelles entre amour et haine. La petite Giovanna comprend aussi que son père a trompé sa femme avec sa meilleure amie et sa mère finira par se lier avec le mari trompé. Le titre du roman évoque cette dimension mensongère de la vie des adultes et dans le passé, les liens de sa tante et de son père reposent sur une malentendu mensonger. Giovanna observe avec une certaine perversité les relations amoureuses et amicales et elle est même tentée de s'immiscer dans un couple formé par une de ses cousines. Le monde des adultes ne lui semble pas un monde sincère et authentique. L'hypocrisie, la violence et la jalousie détériorent les relations familiales. Elena Ferrante conserve dans son dernier roman sa verve habituelle, son style vivifiant, un talent pour décrire des personnages féminins inénarrables et aussi la présence de Naples, ville volcanique par définition. Un vrai régal de lecture dans ce portrait d'une adolescente incandescente même si les critiques ont émis certaines réserves. J'ai succombé au charme napolitain qui est distillé par toutes les pages de son livre. 

mercredi 22 juillet 2020

Un petit coin de paradis

Cet après-midi, j'ai redécouvert un site à dix kilomètres de chez moi... Je m'imaginais au milieu d'un groupe important de touristes mais à ma grande surprise, je n'ai croisé que deux personnes ! Ce petit coin de paradis se niche au lac du Bourget, dans le village qui porte le même nom. Dans la partie sud du rivage, un espace naturel protégé abrite de nombreux oiseaux et des végétaux en profusion. Ce lieu se nomme l'Observatoire de l'Etang des Aigrettes. J'ai pénétré dans la cabane en bois avec une vue magnifique sur l'étang. Quelques aigrettes paressaient au soleil, avec un héron plus loin et des cormorans zébrant le ciel. Un silence profond régnait dans l'air et cet espace de solitude tranchait avec le bruit de la plage du Bourget. Les oiseaux loin des humains doivent se sentir merveilleusement libres et ce sentiment de liberté s'imprègne dans notre être quand on se retrouve devant ce beau panorama savoyard. J'observais avec admiration les arbres couverts de cormorans, l'eau verte du lac, les roselières, le ciel bleu, les cris des aigrettes, le calme du lieu. En revenant sur le sentier de la forêt vers le lac, j'ai revisité le château de Thomas II et ces ruines moyenâgeuses. Le comte de Savoie, Amédée IV, achète aux moines un terrain en 1248 pour que son frère Thomas se construise un château. Lieu propice à la pêche et à la chasse, la résidence accueille les nombreux évènements familiaux et les réceptions diplomatiques. Après le départ de la cour à Turin en 1563, le château fut abandonné et tombe en ruines au XVIIe siècle. La commune du Bourget-du-Lac se porte propriétaire et il est classé Monument historique en 1983. L'esprit du lieu, cette expression convient parfaitement à cet espace qui dégage une poésie mélancolique, nimbée d'interrogations : comment vivaient ces anciens savoyards ? J'ai pensé aussi à l'ambiance qui se dégage du roman d'Alain-Fournier quand le Grand Meaulnes découvre, lors d'une escapade, un domaine mystérieux où se déroule une fête étrange, pleine d'enfants. La littérature m'a tellement "formatée", influencée qu'un souvenir littéraire furtif peut éclater dans ma mémoire comme une bulle de champagne... Ce sentiment agréable de nostalgie passéiste se révèle et se réveille dans un espace comme celui du Château de Thomas II. Cette balade toute simple réserve de belles surprises entre les aigrettes sereines et les vestiges historiques. A dix kilomètres de Chambéry, le lac du Bourget me console souvent d'être loin de la Côte basque, ma terre natale malheureusement envahie par trop de touristes surtout en ce moment. Je sais bien qu'il faut partager la beauté du monde mais dans la foule, il est difficile de se concentrer... Un petit coin de paradis terrestre, l'observatoire de l'Etang des aigrettes. Thomas II les a certainement contemplées il y a très, très longtemps au bord du lac et peut-être, elles étaient présentes par centaines... 

mardi 21 juillet 2020

Philosophie Magazine

Philosophie Magazine du mois d'août propose plusieurs sujets tous aussi intéressants les uns comme les autres. Le dossier principal aborde la question suivante : "Le bonheur est dans le près. Cet été nous ne partirons pas très loin. Et si on retrouvait la capacité de s'étonner devant ce qui est proche ?". Avec le jeu de mots entre le pré et le près ou proche, la revue analyse notre rapport aux lieux. Les médias mettent à l'honneur les charmes de la France en nous incitant à découvrir ou redécouvrir nos territoires du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. De nombreux reportages télévisuels vantent les mérites de notre beau pays avec ses plages, ses montagnes, ses vallées, ses plaines. Rien de mieux que chez nous. Ce localisme à outrance nous ferait douter de partir en Provence ou en Normandie tellement la publicité devient propagande. Cédric Enjalbert se demande si nous "devons nous réjouir de ce recentrement ou craindre que le rétrécissement de nos perspectives nous conduise au repli ?". Sur les 44% de Français qui partent en vacances, les trois quarts resteront en France selon un sondage. Faut-il choisir l'aventure au coin de la rue ou dans un recoin de la planète ? Pour certains, il faut inventer un "exotisme de proximité", une sorte d'enracinement dans un territoire donné. Au fond, partir loin serait devenu "banal, ordinaire" et le grand ailleurs serait une illusion. L'autre option concerne le sentiment du cosmopolitisme, une manière d'être au monde, une expansion de soi à travers les autres. Bruce Bégout, philosophe du quotidien,  ajoute qu'il faut combiner les deux attitudes : "Toute expérience du monde est un mélange de choses proches et lointaines selon la situation et le moment". Dans la revue, il est aussi question d'une rencontre avec J.M.G. Le Clézio qui relate sa relation avec des Indiens : "Vivre avec les Indiens guérit nos violences intérieures". La revue revient sur le racisme systémique, un débat d'une actualité brûlante. Epicure est raconté par Ilaria Gaspari et j'ai découvert un philosophe australien écologiste, Glenn Albrecht, auteur d'un livre important, "Les émotions de la Terre". J'ai retrouvé avec plaisir les rubriques habituelles et surtout les excellents conseils de lecture partagés en 5 livres pour "reconquérir sa liberté", 10 livres pour "s'immerger dans la nature", 10 livres pour "prendre son temps", 10 livres pour "donner du sens à son travail". Un bon programme pour cet été !

lundi 20 juillet 2020

"Quatre amours"

Cristina Comencini, écrivaine italienne et cinéaste, vient de publier chez Stock, "Quatre amours". Après trente ans de vie commune, deux couples d'amis se séparent au même moment. A travers les points de vue de chaque protagoniste, l'écrivaine orchestre avec maestria la mélodie mélancolique de la séparation. Marta et Andréa se quittent, Laura et Piero également. Ces quatre amis décident qu'il est temps de passer à autre chose. Marta, comme son père jadis, décide en une seconde de s'évader de sa cage dorée. Piero, lui aussi, reproche à sa femme Laura de ne pas l'avoir aimé, de ne plus "parler que de choses qui nous sont extérieures". Le temps abîme les désirs et les sentiments, fragilise la stabilité du mariage. L'ennui arrive à petits pas et la liberté commence à devenir un choix réparateur. La soudaineté de leurs décisions mutuelles posent des problèmes pour leurs propres enfants devenus des adultes vivant loin de leurs parents. Leur rupture au fond n'impacte pas la vie de famille. Ils sont libérés de leurs charges familiales. Chacun joue sa partition avec un certain humour sans dramatiser le changement de leurs existences respectives. Cristina Comencini déclarait dans un entretien qu'elle a donné au journal "Le Monde" : "L'intime ne m'intéresse que s'il a des résonances avec ce qui se passe dans le monde. Aujourd'hui, tout le monde se sépare, c'est un drame collectif, si on veut. (...) La question qui est au fond du livre me semble être la question du siècle : peut-on rester ensemble toute la vie sans se perdre soi-même ? Par rapport à la génération de mes parents, tout a changé, c'est une vraie révolution". Ce roman drôle et lucide analyse ce phénomène avec une empathie apaisante. La rancœur ne s'installe pas au sein de ces couples séparés même si leurs chemins ne coïncident plus. Chaque narrateur se fabrique sa propre solution sans trop de fracas même si la nostalgie, le regret et la mélancolie traversent les lignes du roman. Il s'agit de réinventer sa vie après la cinquantaine, voire la soixantaine pour ne pas s'engloutir dans une relation bien usée par les habitudes. Dans un pays aussi attaché à la famille, l'écrivaine constate malgré tout la fragilisation de ces "quatre amours".  Il vaut mieux se séparer que se déchirer dirait Cristina Comencini qui donne dans son roman des perspectives de réinvention de soi pour affronter la solitude et réapprendre le sentiment de liberté... 

vendredi 17 juillet 2020

Visite à la Médiathèque

Cet après-midi, je devais retirer une réservation à la Médiathèque de Chambéry. Quand on arrive devant la porte, une bibliothécaire nous accueille en nous recommandant le lavage des mains au gel et le masque est évidemment obligatoire. J'ai discuté avec le personnel et le rôle de "vigile" à l'entrée ne semble pas approprier. Certaines personnes peu amènes discutent, refusent de respecter les règles, s'insurgent et ne veulent pas se soumettre aux recommandations. J'ai donc pris les escaliers pour atteindre le premier étage et j'ai constaté que le secteur était désert. J'ai même posé la question à l'agent municipal qui m'a répondu que la fréquentation avait considérablement baissé. La Médiathèque est restée très longtemps fermée et cette option choisie par la mairie a découragé un grand nombre de lecteurs(trices). Au fond, l'habitude de ne pas se rendre à la bibliothèque s'est installée dans les pratiques. J'avais rendu des livres et emprunté par le Drive certains titres sans pénétrer dans les lieux. Aujourd'hui, j'ai senti pour la première fois la désertion du lectorat et les conséquences de ce virus sur le comportement du public. On sait que les séniors viennent souvent consulter la presse et certains ont peur d'attraper le Covid-19. Plus personne dans les fauteuils, plus personne dans les espaces de travail. Il faut dire que les lycéens, les étudiants et les citadins en vacances ont regagné leurs résidences principales et secondaires. Un tel bâtiment aussi vaste  me semblait bien triste, bien désolé de ne plus attirer son flux d'amoureux de la lecture, de la musique et de la culture. J'ai déambulé dans un espace à la Chirico et j'ai repris le même cheminement que j'effectue à chaque visite. Les livres attendaient leurs destinataires invisibles, le secteur musical était vraiment désert. Un silence profond régnait dans l'atmosphère et pourtant fort apprécié d'habitude, il pesait davantage. J'ai quitté la Médiathèque en espérant qu'elle attire son lectorat habituel. Avec le virus et les vacances,  la lecture publique vit un moment difficile. La vie dite normale se fait encore timide dans ce secteur culturel.  J'ai fini ma balade en ville chez Garin où j'ai rencontré plus de curieux de nouveautés pour l'été. Tant mieux ! 

jeudi 16 juillet 2020

Pratiques culturelles des Français

Le journal "Le Monde" évoque dans un de ses articles, daté du 11 juillet, une enquête sur les pratiques culturelles. Tous les dix ans, le Ministère de la Culture interroge quelques milliers de Français (9200, exactement), âgés de plus de 15 ans. Quels sont ces hommes et ces femmes qui vont au théâtre, au cinéma, dans les concerts, dans les musées, fréquentent les bibliothèques, écoutent la radio et regardent la télévision, lisent les journaux ? L'enquête des sociologues marque une rupture générationnelle. Une grande fracture s'opère aussi entre la culture dite patrimoniale ou "légitime" selon Bourdieu et la culture numérique, liée à Internet. Ces deux mondes ne se rejoignent pas : la culture classique ou patrimoniale voit son audience baisser ou stagner. Ce public à majorité féminin est souvent composé d'urbains aisés, diplômés, retraités. On parle des baby-boomers nés entre 1945 et 1955. L'autre public plus jeune, plus masculin, issu de tous les milieux, est "en pleine explosion". Ils vivent aussi bien en ville qu'à la campagne, ils "nagent" dans le numérique visuel et sonore. Le paysage culturel longtemps structuré par les gros consommateurs de livres, de cinéma, de concerts et de spectacles commence à s'effriter, les baby-boomers n'ayant pas un contrat avec l'éternité... Les jeunes lisent moins que leurs aînés, vont moins dans les musées et se détournent de la culture dite classique. La survie de ce monde traditionnel pose un problème à l'Etat : faut-il soutenir ce secteur au détriment d'un public plus éclectique, plus populaire ? La démocratisation culturelle se heurte depuis des décennies à une barrière infranchissable. Les nouvelles pratiques culturelles se concentrent sur l'écoute de la musique (8 personnes sur 10), les jeux vidéos (pour ceux qui sont nés après 1975),  les séries et les films sur des plates-formes de streaming comme YouTube et Netflix. Cet univers juvénile va certainement remplacer la planète des amoureux du temps long. Lire un livre, aller au cinéma, visiter un musée, ces actes culturels prennent du temps mais demandent aussi un élan pour sortir de soi et de chez soi. Les jeunes générations vont-elles un jour passer à côté de ces joies de l'être, de ces découvertes permanentes jubilatoires ? Imaginons un instant une ville sans théâtre, sans bibliothèque, sans salle de concert, sans librairie : un monde vide, inodore et sans saveur, un monde virtuel... Il est encore temps de préserver notre culture classique en intégrant la modernité des supports numériques. Les enquêteurs apportent une conclusion originale en ajoutant que les pratiques culturelles dites de tradition et celles du numérique peuvent aussi cohabiter dans une hybridation heureuse : j'en suis l'exemple même : j'aime les livres et aussi Internet, les podcasts, les série, etc... Mais, j'avoue avec humilité que les jeux vidéos ne m'attirent vraiment pas du tout ! Une question d'âge certainement !

mardi 14 juillet 2020

"Le bruit de la mer"

Frank Maubert dialogue dans son nouvel opus, "Le bruit de la mer", avec Pierre Le Tan, son vieil ami très gravement malade. Il lui confie : "Il y a quelque chose d'archaïque à suivre la découpe des côtes. Et sans doute quelque chose d'absurde dans ma course. Incapable de dire à Pierre qu'il est la cause de ce voyage. Je vais à la rencontre d'autres solitudes, sous l'hypnose de la mer, de Bray-Dunes à l'île aux Faisans". Il n'entreprend pas ce voyage pendant l'été mais dans les saisons où la météo semble fluctuante. Cette balade impressionniste sur les côtes françaises s'imprègne de paysages, d'odeurs, d'anecdotes, de rencontres. Le Nord en janvier lui réserve des "brumes lumineuses". Il traverse plusieurs villes comme Dunkerque, Wissant, Calais, Boulogne et se retrouve seul dans les hôtels typiques du pays : "Je suis habité de solitude et j'essaie quelquefois d'échapper à ses étreintes". Il évoque dans chaque halte des anecdotes historiques tout en douceur sans se perdre dans des détails pointus. Il relate avec un talent de géographe-historien, la Normandie, la Gironde et les Landes en février, l'île d'Yeu en mars, la Côte basque en avril, la Bretagne en mai, le Cotentin en juin. Dès qu'il raconte le rapport des écrivains à ces régions, le ton du récit devient plus intime. La figure de Marguerite Duras à Trouville émerge du passé avec une émotion certaine : "S'approprier les Roches noires, un impérieux lieu durassien". Il n'oublie jamais la mer qu'il contemple souvent et qui s'étale, avec son flux permanent, son "bruit", son odeur salé. En filigrane, Frank Maubert s'inquiète de l'état de santé de Pierre, son ami atteint d'un cancer. J'ai particulièrement apprécié évidemment le chapitre sur la Côte basque : "De tous les pays côtiers, je ne cache pas ma préférence et mon estime pour la terre basque. Iparralde, en langue basque. Tout y est vrai et pas encore dénaturé. Entre Bayonne et Hendaye, on y sent, plus qu'ailleurs, un pays résistant qui a su protéger son identité profonde sans excès de folklore". Il cite une des plages les plus insolites du pays, la plage du Cenitz, le fleuve Adour, la présence de Roland Barthes, de Paul-Jean Toulet, Biarritz. Les pages consacrées à mon cher pays natal sonnent vrai, sonnent juste. Les rêveries de ce promeneur des côtes françaises se lisent avec plaisir et donne envie de découvrir ces lieux océaniques d'un charme souvent mélancolique et suranné. Ce voyageur furtif et délicat aime aussi mêler les peintres à l'art des paysages. Cet ouvrage doit se lire avec lenteur, avec attention et dès que j'ai fermé les pages, j'éprouvais une belle et bonne nostalgie de la mer et de ses sortilèges. 

lundi 13 juillet 2020

"Nuits d'été à Brooklyn"

Le dernier roman de Colombe Schneck, "Nuits d'été à Brooklyn", publié chez Stock, est sorti en mars, date fatidique pour les nouveautés à cause de la crise sanitaire. Les librairies et les bibliothèques ont été fermées et cet empêchement pour découvrir les nouveautés du début de l'année a bien nui à la création littéraire. Le sujet que l'écrivaine a choisi de traiter est d'une actualité brûlante. Une jeune française, Esther, journaliste stagiaire, rencontre Frédérick, un professeur de littérature française, spécialiste de Flaubert. Elle est de confession juive et lui est noir. Leur "petite" histoire d'amour reflète la grande Histoire dans ces années 90 : "C'est ce qui nous lie, juifs et noirs. La même peur. Celle de mourir en raison de ce que nous sommes". Esther vient de Paris. Elle a grandi sans problème particulier dans une ville tolérante et cosmopolite malgré l'histoire familiale, remplie de trous mémoriels. En arrivant à New York, elle constate que les communautés cohabitent pacifiquement. Mais, en août 91, éclate une émeute à Brooklyn, provoquée par le décès accidentel d'un jeune enfant noir, écrasé par une voiture conduite par un jeune juif. Les deux communautés s'affrontent et un jeune homme de la communauté juive est lynché. Ce fait divers montre bien que la cohabitation reste fragile et même impossible. Le racisme, l'antisémitisme et l'incompréhension font apparaître la face la plus sombre des humains. L'histoire amoureuse essaie d'alléger la noirceur de cet événement. Frédérick est marié avec une militante des droits civiques et père de famille. Il entame une relation avec la jeune Esther qui le plonge, malgré tout, dans une culpabilité paralysante. La famille d'Esther rêve pour leur fille d'un partenaire de la même confession. Leur couple semble donc voué à l'échec. Beaucoup de barrières les séparent : leur âge, leurs origines, leur nationalité, leur culture. Frédérik se fait arrêter par la police lors d'un contrôle et il ne survivra pas à cet événement injustifié et violent. Esther quittera New York sans avoir revu son amant. La jeune femme naïve et légère va découvrir avec effroi les réalités de la condition noire aux Etats-Unis. Frederick, issu de la bourgeoisie noire, subit aussi les discriminations : "Ne pas parler trop fort, ne pas courir dans la rue sous peine d'être en danger, s'écarter quand in voyait une femme blanche devant lui pour ne pas l'effrayer (…) il était désormais constamment, quoiqu'il fasse, suspect". Esther entendra aussi les cris de haine des manifestants fustigeant les juifs "riches et impunis"... Son expérience américaine la marquera à tout jamais. Le roman peut tout de même dérouter par sa construction chronologique, l'évènement historique devenant le repère temporel. Les deux protagonistes manquent un peu de profondeur psychologique et le style journalistique qui pourtant donne du rythme au récit m'a laissée sur ma faim. Je préfère une langue plus travaillée, plus élaborée. Dommage…


Article 


jeudi 9 juillet 2020

"Remonter la Marne"

Tous les trois ans, depuis 2010, Jean-Paul Kauffmann devient régulier en publiant un récit de voyage. En 2019, je suis repartie à Venise grâce à son texte, "Venise à double tour", bientôt disponible en Folio, une lecture délicieuse. En 2016, il publie "Outre-terre", pas encore découvert et en 2013, "Remonter la Marne". Pourtant, j'avoue que je n'étais pas du tout attirée par cette région française. Pour cet amateur de cigares, de vignobles bordelais, des Landes, la Marne me semblait un choix hasardeux. Mais, il avait bien raison, Jean-Paul Kauffmann, de vagabonder ainsi et remonter le fleuve à pied depuis son embouchure jusqu'à sa source. Cette randonnée ressemble à un exploit sportif avec ces 500 kilomètres. La modestie du narrateur se décèle au fil des pages : il rassure son lecteur(trice) en annonçant qu'il va prendre son temps (13 kms par jour) pour parcourir les berges comme s'il préférait la flânerie, le vagabondage, la promenade à un marathon. Il évoque évidemment la Marne et ses reflets, ses tourbillons, ses couleurs selon la météo, sa végétation et sa faune. Dans son périple, il rencontre des gens, des habitants du coin : un nautonier de l'île des loups comparé à Charon qui conduisait les morts sur l'Achéron, son amie Jeanne, plasticienne et sculptrice, la seule habitante de cet espace isolé. Il nous parle aussi d'une journaliste parisienne imbue d'elle-même, qui se moque de sa nostalgie du passé. Il lui répond ainsi : "Mais, ce passé ne cesse de me demander des comptes. J'ai besoin de cet air, de sentir le fluide impalpable qui nous constitue, de recevoir sur mon visage cette ventilation. (…) Je ne possède d'autre existence que cette vie, certes arc-boutée au passé, mais cet appui, je le vois surtout comme un moyen d'exercer une poussée, une résistance contre le temps présent".  Sur son chemin, il partage une coupe de Champagne avec un japonais. Il discute avec des propriétaires soupçonneux mais aussi avec des hôteliers charmants. Toute une population résistante selon la formule du narrateur. Après sept semaines et un arrêt à Joinville où les ducs de Guise ont édifié un château à l'italienne, il parvient enfin au but : sa découverte de la source de la rivière qui émane d'un bloc détaché de la falaise. Jean-Paul Kauffmann n'oublie jamais de citer les écrivains nés sur cette terre attachante comme Gaston Bachelard. Sa culture littéraire, sa passion des livres se manifestent souvent dans ce récit de voyage. Il remarque aussi la laideur des zones commerciales, la désertion des villages, la solitude des habitants, les églises fermées, les magasins en faillite, des communes "démeublées". Cette Odyssée dans les bords de la Marne se lit avec un plaisir certain et à l'heure où la France revient à la mode après le confinement, pourquoi aller si loin quand on peut découvrir ce coin de France trop délaissé par nos contemporains ?  

mercredi 8 juillet 2020

De Lire au Magazine Littéraire

Pendant des décennies, j'ai lu avec un immense intérêt les deux mensuels littéraires français de bonne qualité. Lire était plus accessible, plus éclectique, plus "grand public". Bernard Pivot a longtemps dirigé le mensuel. La revue proposait toujours un portrait d'écrivain classique, un entretien, des critiques diverses et des extraits de livres à paraître. Le Magazine Littéraire, née en 1966, s'adressait plus à des passionnés de littérature et j'ai conservé une grande partie de tous les numéros depuis sa création. La grande originalité de la revue concernait le dossier central d'une trentaine de pages sur des écrivains majeurs : de Milan Kundera à Virginia Woolf en passant par les classiques. Des sujets aussi étaient traités en profondeur comme la solitude, la folie, l'attente, etc. La revue a très longtemps conservé cette structure sérieuse et documentée. Au fil des années, les responsables éditoriaux se sont succédé avec une perte de repères évidents : changement de format, de maquette, de sommaire. J'étais déjà un peu perturbée d'avoir perdu mon magazine traditionnel. Il faut bien s'adapter, les jeunes arrivent, bousculent les anciens et inaugurent de nouvelles formules. Mais, j'ai tenu bon, restant fidèle au contenu littéraire. J'ai un goût certain pour la vie littéraire, les nouvelles parutions, les voix à découvrir, les littératures étrangères, les mouvements novateurs. Avec ces deux revues, je me sentais bien informée. Ce mois-ci, branle-bas de combat : les deux publications ont fusionné en une seule ! J'étais vraiment étonnée de cette décision : le mariage a eu lieu sous les yeux médusés des lecteurs(trices). J'interprète cette fusion comme un constat d'échec même si la nouvelle revue reprend les meilleurs journalistes, les meilleures rubriques, des reportages, des critiques, etc. La nouvelle revue offre donc une bonne synthèse du monde des livres. Le lectorat a certainement diminué, Internet a certainement privé les deux revues de nouveaux passionnés de littérature. L'équipe reconstituée nous promet des hors-séries consacrés à des grands écrivains, à la philosophie, à la culture pop (?)… Je me sens un peu nostalgique des numéros d'avant mais j'attends aussi de bonnes surprises. Heureusement, les hebdos parlent toujours des livres et des écrivains sans oublier les blogs de grande qualité comme celui de la République des Lettres de Pierre Assouline, le blog de Michel Crépu de la Nouvelle Revue Française de Gallimard. La littérature résiste et résistera toujours : on a tous besoin de rêver, de rencontrer l'Autre, de découvrir le monde, la vie, la société et la pensée. Bonne route à Lire Magazine littéraire ! Et pour le numéro de juillet-août, une sélection de 60 livres pour l'été, un dossier sur Alexandre Dumas, un entretien avec Jean-Christophe Rufin, et beaucoup d'informations de la planète littérature… 

mardi 7 juillet 2020

"Heureuse fin"

Ce roman ambitieux d'Isaac Rosa, "Heureuse fin", publié chez Christian Bourgois, pose la question de l'amour dans la société contemporaine. Antonio, le narrateur, et sa femme, Angela, évoquent à tour de rôle leur histoire d'amour, une belle histoire qui pourtant se termine par un divorce. Les premiers mots résument la situation : "Nous, nous allions vieillir ensemble". Mais, ce projet tombe à l'eau après treize ans de mariage et la naissance de deux petites filles. Le narrateur se retrouve dans l'appartement vidé de ces années de souvenirs où les objets se sont accumulés : "Dans toutes les pièces, j'identifie taches, traits de crayon-feutre d'enfant, rayures sur les lames du parquet, traces noirâtres autour des interrupteurs, une poignée cassée à coups de marteau pour ouvrir une porte bloquée". Ces "marques de vie" affligent Antonio qui ressent une nostalgie d'avoir perdu cet espace-temps amoureux et familial. Chaque protagoniste de l'histoire se relaie pour dévoiler leur propre vérité sur leur première rencontre, leur mariage, les enfants et leur vie professionnelle. Antonio se bat dans son travail de journaliste et ses revenus n'atteignent pas ses espérances. Ces inventaires de regrets, de ressentiments, de rancœurs d'un couple en instance creusent à vif leurs relations. Quelles sont les raisons de leur échec ? Antonio et Angela donnent leur version respective et ces tentatives d'explication se heurtent à la réalité objective. Le regard acéré de l'écrivain n'épargne aucun détail, du plus cru sur le plan sexuel comme sur leur vie de parent. Le roman s'appuie sur un dispositif romanesque très habile et décrit l'entropie au sein d'un couple : l'usure du désir, la fatigue perpétuelle pour élever les enfants, les périodes stressantes du travail, les trahisons, les désillusions. L'incompréhension s'installe entre eux et Isaac Rosa écrit : "Plus je vis avec toi, moins je te connais". Antonio a quitté sa femme quand il a rencontré une jeune femme avec qui il refait sa vie. Le texte se transforme parfois en traité d'autopsie sur le couple : "Le couple idéal n'existe pas, n'importe quelle personne dont on tombe amoureux, finira par devenir avec les ans, un mauvais choix". Ce roman psychologique, sociologique, littéraire dénonce souvent la comédie de l'amour passion, vouée à l'erreur dans un contexte où l'argent manque, où le temps doit se gérer en permanence contre soi-même. Ce roman baroque analyse avec lucidité la formation d'un couple et aussi sa démolition. Ce texte dense et construit avec originalité se lit avec intérêt malgré quelques passages trop bavards… 

vendredi 3 juillet 2020

"La vie ordinaire"

Adèle Van Reeth, l'animatrice des Chemins de la philosophie sur France Culture, se pose une question essentielle : que signifie "la vie ordinaire ? "  dans son premier essai autofictionnel, publié chez Gallimard. Comme je l'écoute souvent dans son émission culte, j'avais envie de découvrir sa personnalité au bout de sa plume. Elle déclare souvent qu'elle ressent un problème avec la vie ordinaire. Peut-on associer à cette expression courante les mots commun, banal, familier, quotidien, routinier, habituel ? En fait, les choses d'un quotidien ordinaire la rebutent, l'ennuient et on est loin de la "première gorgée de bière" de Philippe Delerm, le chantre des plaisirs minuscules. Adèle Van Reeth dénonce cet état d'esprit : "La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de très près, de beaucoup trop près, ça colle, on s'englue, et on finit par ne plus bouger". Pointe déjà dans le fil du récit son "intranquillité" existentielle, "un doute indéracinable et profond, une authentique incrédulité quant aux liens entre le monde, les autres et moi". Les gestes du quotidien ne l'enchantent guère et même si ces moments de vie semblent incontournables, elle se refuse à se satisfaire du "sachet de thé qui s'égoutte sur la toile cirée ou de la ratatouille qui mijote". Ce "degré zéro de l'existence", elle veut l'exorciser, le comprendre, l'appréhender dans sa complexité : "La vie ordinaire est un voile de politesse déposé sur le gouffre pour nous aider à vivre". Un autre thème émerge de ces pages : elle raconte sa grossesse et s'adresse directement à cet enfant qui va naître en se séparant d'elle. Cette expérience à la fois commune et à la fois unique n'a jamais été pensée comme un acte philosophique car ce monde-là est majoritairement masculin. Elle évoque son compagnon, père de trois garçons, la famille recomposée, les tensions inhérentes au statut de belle-mère. Sur le plan théorique, elle s'appuie sur Emerson, un philosophe américain du XIXe prônant le pragmatisme familier loin du romantisme européen. Elle cite aussi Stanley Cavell qu'elle découvre lors de ses études universitaires à Chicago et surtout se réfère à Clément Rosset, un philosophe qu'elle apprécie beaucoup. La vie ordinaire serait donc un réel accepté, un réel unique et non double, une joie d'exister tout simplement. Mais, la pensée méandreuse de la philosophe entraîne le lecteur(trice) sur des sommets d'altitude comme sur des plaines plates, une vie prosaïque nimbée d'un ailleurs philosophique.  Ce texte parfois surprenant sur le dévoilement de sa vie privée (sa vie de famille, la mort de son père, sa jeunesse) se lit avec beaucoup d'intérêt mais peut aussi dérouter par son projet de définir la notion de "l'ordinaire", un défi pour la jeune philosophe médiatisée. 

jeudi 2 juillet 2020

"Les femmes de"

Catarina Bonvicini vient de publier son quatrième roman, "Les femmes de" chez Gallimard dans la collection "Du Monde entier". Sept femmes de 16 à 89 ans se réunissent pour le repas de Noël. Elles attendent leur Vittorio qui tarde à venir. Le repas démarre sans lui. Toutes ces femmes aiment cet homme invisible : sa mère, sa sœur, ses deux femmes (l'ancienne et l'actuelle), ses deux filles (des deux mères différentes), sa toute dernière jeune maîtresse. Un message arrive sur le portable de la grand-mère : "Excusez-moi. J'ai besoin de prendre une année sabbatique loin de mon travail et de ma vie". Sa disparition subite et brutale reste incompréhensible aux yeux de ces femmes qui l'adulent peut-être un peu trop. Les sept protagonistes se relaient pour raconter leur lien avec Vittorio. Ses deux filles très différentes règlent leurs comptes. L'une est chauffeur de taxi et vit une existence marginale. La cadette ne pense qu'à flirter avec ses copains. La sœur de Vittorio se plaint sans cesse car son mari s'est suicidé. L'ex-femme, romancière comme lui, tient un journal. C'est grâce à elle qu'il a connu le succès littéraire. La mère de Vittorio monologue à voix haute pour critiquer ses belles-filles. Elle est elle-même une architecte d'intérieur et crée des meubles très design. La jeune maîtresse se demande ce qu'elle fait dans cette réunion familiale. Elle résume la situation des conquêtes féminines de Vittorio : "Ada l'a épousé quand il n'était qu'un étudiant, Cristina le lui a volé dès qu'il est devenu célèbre et tu l'as récupéré quand il est tombé en disgrâce". Une année passe après cette soirée de Noël et revoilà notre Vittorio qui prend enfin la parole pour dévoiler sa vérité. Cette comédie bourgeoise, italienne et milanaise se lit avec un grand plaisir. L'écrivaine travaille chaque point de vue des personnages et ce roman choral donne une image ironique d'une société soumise aux clichés. Chacune d'entre elles retrouve une certaine autonomie et Vittorio va pouvoir enfin vivre librement. Je ne dévoilerai pas la raison de son escapade… Ce roman élégant, d'une italianité délicieuse, se joue de l'hypocrisie et du mensonge… Une comédie mordante à découvrir.


mercredi 1 juillet 2020

Rencontre aux Charmettes

Deux ateliers dynamisent fortement ma retraite : l'atelier Lectures, une fois par mois que j'anime avec beaucoup de plaisir et l'atelier philo, ou Partage des Idées, tous les quinze jours et animé par Agnès. Littérature et Philosophie, deux moments importants pour garder sa forme intellectuelle. A mon âge, la mémoire a besoin de stimulation et ces trois rencontres par mois se sont évanouies depuis le mois de mars à cause de cette épidémie sanitaire nous confinant dans nos domiciles respectifs. J'ai donc ressenti un plaisir certain de retrouver ce mardi 30 juin quelques "aficionados" de la philosophie aux Charmettes chez notre Jean-Jacques Rousseau savoyard. Le musée était fermé et n'ouvre qu'à partir du 1er juillet. Mais, nous avions la possibilité d'occuper un espace dans le parc, entourant la maison ancienne. Il faisait très chaud mais nous nous sommes installés sous les tilleuls pour pique-niquer. Après ces semaines de "distanciation sociale", ces retrouvailles donnaient un semblant de vie normale. Nous ne portions pas de masque mais nous avons respecté les sacro-saints gestes "barrière"... Beaucoup de participants n'étaient pas au rendez-vous car chacun(e) avait déjà pris le large, été oblige. Je tenais vraiment à revoir Agnès, Mylène et d'autres personnes du groupe. Nous avons fait le point sur la période du confinement. Comment avons-nous traversé ce tunnel temporel en restant sagement chez soi ? Les mêmes réactions que l'on entend souvent s'exprimaient : peur du virus, de la contamination, souci de soi et de sa famille, prendre l'air une fois par jour, se sentir solidaire en fabriquant des masques, lire, écrire, écouter de la musique. Geneviève, venue tout droit de Tain-L'Hermitage, nous racontait les nombreux contacts téléphoniques qu'elle recevait et elle constatait qu'à partir du 11 mai, les communications s'étaient bien calmées. Nous avons fait le bilan de l'année avec un regret concernant l'annulation des ateliers dès mars. Les thèmes abordés depuis octobre 2019 concernaient la Mort, la Phénoménologie et le Réel. Agnès devait nous parler de la démocratie qu'elle réserve pour la rentrée de septembre. Nous avons une chance inouïe de participer à cet atelier au sein de la Maison de Quartier. L'initiation au monde de la philosophie nécessite une médiation car, même si je m'intéresse depuis longtemps à cette discipline, les explications de notre professeur m'éclairent et m'influencent pour aller encore plus loin dans mes réflexions. Cette rencontre conviviale et amicale nous a permis de reprendre le fil de nos activités même si l'été les suspend pendant deux mois et demi. Les Charmettes, ce lieu champêtre, conservait sa patine ancienne du XVIIIe et je voyais le fantôme de Jean-Jacques, homme solitaire et heureux, qui herborisait, écrivait, lisait, jouait du clavecin et évidemment, aimait Madame de Warens… Et il a fini par partager notre pique-nique ! Sacré Jean-Jacques, éternel jeune homme...