mardi 6 août 2019

"La nuit, j'écrirai des soleils"

Boris Cyrulnik a écrit de nombreux ouvrages qui ont rencontré un immense succès. Dès qu'un de ses livres paraît, ce neuropsychiatre de renom est invité sur tous les plateaux de télévision. Je l'ai vu à la Grande Librairie et j'ai donc lu son dernier opus, "La nuit, j'écrirai des soleils", paru aux éditions Odile Jacob. Cet ouvrage scientifique pourrait sembler difficile à lire, mais, l'auteur s'ingénie à faciliter la tâche de son lecteur(trice). Il emploie un vocabulaire simple, accessible et quand il part sur le terrain de la neuropsychiatrie, les explications scientifiques se comprennent sans aucune difficulté. Dans cet ouvrage très documenté, la littérature est mise à l'honneur. J'avais envie de découvrir ses théories sur certains écrivains comme Jean Genet, Romain Gary, Jean-Paul Sartre, Georges Perec, Charles Juliet. Le livre commence ainsi : "On parle pour tisser un lien, on écrit pour donner forme à un monde incertain, pour sortir de la brume en éclairant un coin de notre monde mental. Quand un mot parlé est une interaction réelle, un mot écrit modifie l'imaginaire". Il évoque souvent son enfance qu'il a raconté dans "Sauve-toi, la vie t'appelle" pour illustrer la force des mots dans le phénomène de la résilience. Un nouveau-né ne survit pas sans la présence de sa mère (et de son père). Le neuropsychiatre parle de "niche sensorielle" sans laquelle l'enfant ne naît pas à la vie. Il appelle les enfants en carence affective les "mal partis dans l'existence" comme le sulfureux Jean Genet, abandonné à sa naissance. Souvent, il rappelle le rôle du cerveau et de la neuro-imagerie dans les comportements de ces enfants non accueillis. Pour les écrivains qui ont eu une enfance blessée, la lecture leur a permis de s'évader de ce réel difficile : "la lecture ouvre sur un continent protecteur". Les chapitres s'enchaînent avec un intérêt toujours renouvelé et je cite quelques titres : "Tracer des mots pour supporter la perte", "L'empreinte du passé donne un goût au présent", "La mort donne sens à la vie", "Après la fin, le renouveau", "Le gavage affectif éteint l'attachement", "Ecrire pour sortir du tombeau", "Littérature de la trace". Cet ouvrage ne se résume pas facilement et comme je ne suis pas une spécialiste de la neuropsychiatrie, je veux éviter d'écrire des erreurs d'interprétation. J'ai beaucoup apprécié les anecdotes éclairantes sur des écrivains orphelins qui ont surmonté ce handicap avec la force de l'écriture. Cet ode aux mots, aux livres et la littérature ne pouvait que me passionner et Boris Cyrulnik possède cet art de la médiation pour un public non spécialisé. Il a le mérite de conserver son langage scientifique tout en illustrant ses théories avec des figures littéraires de légende. Sa dernière phrase emblématique : "Je ne suis plus seul au monde, les autres savent, je leur ai fait savoir. En écrivant j'ai raccommodé mon moi déchiré ; dans la nuit, j'ai écrit des soleils".