mercredi 30 juillet 2014

"Contrecoup"

Ce roman de Rachel Cusk porte un sous-titre évocateur  : "Sur le mariage et la séparation". Je le conseillerai à toutes les lectrices qui ont vécu une histoire difficile dans leur vie... Il vient de sortir dans la collection Points au Seuil.  La littérature anglaise possède souvent un charme indéfinissable du côté des femmes. Et Rachel Cusk appartient à cette catégorie d'écrivains sensibles et intimistes. Ce roman ressemble à un journal, un récit autobiographique, tenu par une femme blessée dès les premières lignes : "Mon mari et moi, nous sommes séparés il y a peu, et en quelques semaines, la vie que nous avions construite a été brisée, tel un puzzle réduit à un tas de pièces aux formes irrégulières." La narratrice relate cette rupture avec un florilège de détails, digne d'un traité de sociologie familiale. Le couple se sépare par lassitude et incompréhension. Leurs deux petites filles vont et viennent et chez la mère, et chez le père avec fatalisme et innocence enfantine. Mais ce qui semble vraiment original dans cette histoire éternellement banale d'une famille désunie,  c'est le point de vue de Rachel Cusk sur l'effet "contrecoup" de cette séparation-divorce. Cette faillite morale de deux adultes, pourtant parents responsables de deux adorables fillettes, provoque une marginalisation sociale. La mère évoque ce sentiment de ne "plus appartenir" au mythe social et éminemment conformiste, confortable et réconfortant de la famille "idéale", unie, aimante, solidaire et salutaire.  Les observations sur le quotidien après la rupture sont vraiment pertinentes et Rachel Cusk compare le désordre qu'elle vit avec la vie tumultueuse des figures tourmentées de la mythologie grecque.  Ce livre aborde avec originalité un sujet contemporain : le rapport souvent complexe homme-femme dans une relation égalitaire et solidaire, symbolisé par le mariage et la famille. Mais quand la rupture intervient, Rachel Cusk répond par l'analyse, la lucidité et l'envie de reconstruire une réalité moins conflictuelle... Un bon roman féminin et "féministe", peut-être... Et pas du tout déprimant !

mardi 29 juillet 2014

La librairie d'Emmaüs

Ma passion des livres me pousse à fréquenter tous les lieux où on trouve ces objets en papier si attirants... Je vais régulièrement dans les librairies de Chambéry, de la plus petite à la plus grande et je furète sur les tables pour examiner les nouveautés en littérature, art, sciences humaines et voyages. J'adore cette ambiance feutrée, calme, intelligente de ces "commerces" qui ne sont pas à mes yeux des espaces de vente (et pourtant, il faut bien vivre). Les mairies devraient subventionner ces mètres carrés culturels (cela existe peut-être dans certaines villes...). Comme j'aime tous les livres dans tous les états, je vais aussi farfouiller chez les bouquinistes, souvent d'excellents libraires, cultivés et motivés par leur travail. Je pense à la librairie de Michel Latour, rue Métropole, une institution au sein de la cité savoyarde. Il faut se faufiler entre les étagères et les tables, envahies par des beaux ouvrages, anciens, brochés, cartonnés, reliés. On trouve des piles sur le sol, des murs entiers peuplés de livres dans tous les domaines : littérature, sciences humaines, art, régionalisme, etc. Une caverne, un antre, une niche, un grenier, un petit paradis pour les dénicheurs de raretés. Le bouquiniste dispose d'un site internet, "La Tour infernale", où il dépose une petite partie de son fonds. Il existe aussi un lieu à visiter et assez incontournable pour les passionné(e)s de lecture, je veux parler de l'espace librairie d'Emmaüs à La Motte-Servolex. J'y vais quelques fois pour débusquer des livres d'art, de voyages et surtout des romans. Les "poche" valent 50 centimes d'euros, et les autres formats ne dépassent pas 10 euros ! C'est peut-être une concurrence déloyale pour les libraires et les bouquinistes mais plus il y a des espaces consacrés à la lecture, mieux c'est ! Beaucoup de familles achètent des piles de livres pour la jeunesse à des prix imbattables. J'ai acheté pour 20 euros : un guide sur Prague, un sur Sienne, deux romans de Sébastien Labaque, un ouvrage de philosophie de François Roustang, un Danièle Sallenave, deux plaquettes sur Rome et Florence dans la collection Autrement (je les collectionne), et un guide historique sur le Péloponnèse. Qui dit mieux ? Une mine d'or, cette librairie, par ailleurs, bien aménagée et bien rangée. Une visite s'impose pendant les temps "creux" de l'été...

mercredi 23 juillet 2014

Rubrique cinéma

Temps plus que maussade à Chambéry : on se croirait en novembre... Je suis allée au cinéma l'Astrée pour fuir ce ciel gris et pluvieux. Et j'ai vu "Palerme" d'Emma Dante. Ce film est un OVNI dans les productions d'aujourd'hui. Le sujet déroute : un combat mental et cocasse entre deux femmes dans une Sicile traditionnelle et machiste avec des personnages colorés et bruyants. Samira, une vieille femme, habillée de noir, nettoie une tombe et jette des morceaux de pain à des chiens abandonnés. Elle se couche sur le marbre et on apprend que sa fille a disparu à l'âge de 38 ans. Cette scène révèle la nature quelque peu "tragique" de cette mère, broyée par la mort. Elle rejoint sa tribu familiale devant la plage au volant de sa voiture. La deuxième séquence concerne une femme et sa compagne en pleine discussion orageuse. Elles vont peut-être se quitter mais quand elles arrivent dans une rue étroite, elles tombent sur Samira et sa famille. Aucune des deux conductrices ne veut reculer... Et la confrontation démarre dans le tohu-bohu des voisins et des automobilistes. Le duel sans pitié entre les deux femmes dépasse l'entendement.  Il faut dire que Samira appartient à une famille à la réputation douteuse, les Calafiore, qui organisent des paris d'argent sur Samira, la plus têtue des deux. Rosa et Clara, dans ce temps suspendu, vivent un moment capital pour leur couple. Rosa ne parle plus, refuse de boire, observe avec défi le regard haineux de Samira. Sa compagne attend avec patience, puis s'éloigne et elle finit par soutenir la lutte de Rosa contre l'obstination mortifère de la vieille dame. Laquelle des deux va flancher, céder, renoncer ? Ce film recèle des scènes de références dignes d'un western contemporain. Ce duel va finir mal et le message d'Emma Dante est-il dans ce portrait d'une Sicile traditionnelle et tragique, jouée par Samira face à Rosa, une femme moderne, audacieuse, qui ne plie pas devant son droit de "circuler" ou de vivre sa liberté ? Ce très bon film italien pose des questions sans en "avoir l'air", dans une tonalité de comédie tragico-comique... Et quel duo-duel entre femmes !

lundi 21 juillet 2014

"Excursions dans la zone intérieure"

J'avais mentionné dans ce blog, le récit autobiographique de Paul Auster, "Chronique d'hiver", paru en 2013 chez Actes Sud. Il renouvelle cette expérience littéraire particulièrement originale avec son dernier ouvrage, "Excursions dans la zone intérieure". Comment devient-on écrivain ? Quels sont les signes de cette vocation si singulière et si rare ? Comment analyser le changement de personnalité entre l'enfant du passé et l'adulte en devenir ? Paul Auster prend de nouveau sa plume pour la tremper dans sa vie antérieure (son enfance et sa jeunesse) et dans sa vie intérieure (ses rêves, ses phobies) en nous dévoilant sa formation intellectuelle, son environnement culturel, ses influences littéraires, ses passions de cinéphile, ses héritages familiaux.  Je vous cite ce passage : "Il t'est venu à l'esprit que la plupart des gens avaient des secrets, peut-être tout le monde, peut-être  l'univers entier est-il composé de gens qui foulaient le sol de cette terre, avec dans le cœur, des épines de culpabilité et de honte, tous obligés de dissimuler, de présenter un visage qui n'était pas le vrai visage. Qu'est-ce que cela nous disait sur le monde ? (...) Il est pratiquement impossible de connaître quiconque. Tu te demandes maintenant si ce sentiment de connaissance impossible n'a pas été ce qui a nourri ta passion pour les livres - car les secrets des personnages qui vivent dans les romans, finissent toujours par être révélés." Paul Auster fait partie de la génération des années 50 et 60 et il fait œuvre de sociologue en décrivant une Amérique avec ses yeux d'enfant, en intégrant des informations politiques et historiques, des faits sportifs (il adore le base-ball). Un dossier de photographies complète à bon escient ce récit autobiographique, bien loin des textes nombrilistes et linéaires que l'on trouve dans cette catégorie. Paul Auster continue de nous surprendre avec son œuvre, une œuvre d'une importance capitale dans la littérature mondiale. J'apprécie son rapport au monde, teinté de lucidité et de sagesse, et son amour  de l'écriture est contagieux. Quel grand écrivain !   

jeudi 17 juillet 2014

"Au lieu-dit Noir-Etang"

Je lis peu de romans policiers à part quelques "scandinaves", souvent issus de la collection Noir d'Actes Sud. Dans l'atelier de lectures, une amie-lectrice avait mentionné un bon roman, "Au lieu-dit Noir-Etang" de l'américain Thomas H. Cook. Publié en 1996, il a été édité en 2012 dans la collection Points du Seuil (gage de qualité). Je m'étais donnée une cinquantaine de pages pour passer le cap de la lecture et j'ai lu ce livre avec plaisir dans un moment estival de détente. Je regrette souvent le manque de style dans la littérature policière, et aussi la présence de personnages déjantés, violents, meurtriers et autres. Dans ce policier, pas de faits sordides, pas de disparitions glauques, pas de meurtres horribles, mais une ambiance noire tout à fait prenante. L'action se déroule dans une petite ville américaine de la Nouvelle Angleterre en 1926.  Cette petite ville ennuyeuse abrite une école, dirigée par le père du narrateur. Une jeune enseignante en arts plastiques vient prendre son poste  et elle va loger dans un cottage près de l'Etang-Noir. Le jeune Henry raconte sa fascination pour cette femme qui ne ressemble ni à sa mère, ni aux autres femmes du village. Elle est mystérieuse. Elle a voyagé en Afrique avec son père, et revendique une liberté peu commune à cette époque. Tout est relaté selon la mémoire du jeune narrateur car on sait d'emblée qu'un drame a eu lieu entre Mademoiselle Channing, et Monsieur Reed, tous les deux professeurs dans l'école. Lui est marié, père de famille et tombe amoureux de la nouvelle recrue. Leur relation contrarie l'ambiance stricte du village et leur histoire étrange est reconstruite selon les témoins du drame. Je ne vais pas livrer la fin du roman policier, bien que l'on devine au fil des pages que cette histoire d'amour, impossible, sombre et invivable se termine mal, comme il se doit. Thomas H. Cook est salué comme un des plus grands de sa génération... Un bon roman policier, assez atypique, très fin sur le plan psychologique,  bien écrit (bien traduit)... Un portrait de l' Amérique des années 20 reconstituée à travers les personnages.  A découvrir ainsi que les autres titres de Thomas H. Cook.

mercredi 16 juillet 2014

"Un homme disparaît"

Il m'arrive de "succomber" au charme d'un écrivain et je ressens le besoin de "tout lire" comme un devoir de mémoire et de respect pour ces hommes et ces femmes qui consacrent leur vie à l'écriture. J'ai donc acquis une dizaine de folios de J.-B. Pontalis et ma "mission" de lectrice assidue et motivée consiste à les lire cet été. J'avais beaucoup aimé ces derniers ouvrages, en particulier "Marée haute, marée basse" et "Le dormeur éveillé". que je considère comme des livres "accompagnateurs".  "Un homme disparaît", publié en 1996, a confirmé mon attirance pour cet écrivain-psychanalyste. Il a choisi en exergue un extrait d'un poème de Claude Roy que je vous livre :
 "On ne sait plus qui sont ces passants de l'automne,
Mais sais-tu qui tu es ?  Mais sais-tu d'où tu viens ?
Es-tu vraiment toi-même ? Quelqu'un qui serait toi ?
Es-tu le souvenir d'un autre que tu fus ?
Es-tu sûr d'être là ? Et si tu n'es pas là
qui est cet étranger qui parle avec ta voix ?"
J.-B. Pontalis raconte donc l'histoire d'un inconnu à qui il donne un nom, Julien Beaune, (le double de l'écrivain ?). Son père est mort pendant la guerre de 14, il vit avec sa mère et se lie à un ami, Samuel qui l'initie à la littérature. Il suit des études de philosophie à Paris, vit une histoire d'amour à trois, devient secrétaire d'un écrivain. Mais sa vie bifurque quand il décide de devenir médecin. Il se consacre entièrement à sa nouvelle vocation. J.-B. Pontalis décrit avec un esprit complice le destin de cet homme entre amour et travail. L'auteur et son personnage vont finir par se rencontrer et pratiquement fusionner. Ce récit est parsemé de réflexions sur la vie, sur la perte, sur la mémoire et sur l'éternelle question que pose souvent la littérature : comment vivre ? Que faire de ma vie ? J.-B. Pontalis essaie d'apporter quelques réponses en s'appuyant sur sa double identité d'écrivain et de psychanalyste. Un récit imprégné d'empathie et de philosophie...  

lundi 14 juillet 2014

Hommage à Nadine Gordimer

Quand j'ai ouvert mon ordinateur pour les infos du jour, j'ai appris le décès de Nadine Gordimer à l'âge de 90 ans. Je reprends sa notice biographique que j'ai trouvée dans Wikipédia. Née en Afrique du Sud dans une famille bourgeoise, anglophone et blanche, elle est révoltée par les inégalités raciales. Proche de Nelson Mandela, elle utilise l'écriture comme une arme politique pour combattre le système de l'apartheid. Elle n'a jamais quitté son pays et son œuvre littéraire est inspirée de la situation complexe de l'Afrique du Sud pendant l'apartheid. Quand son pays devient une démocratie, elle décrit une situation politique chaotique, violente et troublante. Elle a publié treize romans, deux cents nouvelles et plusieurs recueils d'essais et de textes critiques. Je recommande tout particulièrement les romans de la période 1990-2005 : "Personne pour m'accompagner", "L'arme domestique", "Un amant de fortune" et "Bouge-toi". J'ai écrit dans ce blog, un billet sur son dernier roman "Vivre au présent". Il existe pour moi une catégorie d'écrivains majeurs dans le XXème siècle et Nadine Gordimer (prix Nobel de Littérature en 1991) fait partie de cette planète littéraire des "Grands" et elle vient de rejoindre Gabriel Garcia Marquez, disparu récemment. Pour comprendre le passé et le présent de l'Afrique du Sud, il faut lire Nadine Gordimer, André Brink, Coetzee. La littérature permet à ce niveau de réflexion, de création et de témoignage, une approche bien plus profonde que les milliers d'articles de presse sur ce sujet. J'ai vraiment compris la dimension tragique de l'apartheid en lisant cette grande dame de la littérature. Et j'ai toujours été intéressée par les relations ambiguës qu'entretiennent l'Histoire et la Littérature. Quand une voix aussi essentielle s'éteint alors qu'elle avait encore une œuvre à poursuivre, j'éprouve un sentiment de nostalgie et de tristesse. Je savais qu'elle n'était pas immortelle, mais elle manquera beaucoup à ses lecteurs(trices) qui la suivaient depuis les années 80...

vendredi 11 juillet 2014

Coaching en lectures

Je connais une charmante jeune fille que j'ai vu pratiquement naître et elle est aujourd'hui une grande adolescente qui intègre une Première, section grec ancien et option latin. On peut se féliciter que des jeunes de cette génération choisissent cette filière particulièrement "décalée" de nos jours. Elle m'a demandé des conseils de lecture alors que sa mère est aussi dans le métier du livre, mais comme dit ma petite Ida, les conseils sont mieux suivis s'ils viennent de l'extérieur (moi en l'occurrence). Je me suis donc chargée de cette délicate mission : faire lire quelques classiques à une future candidate au Bac de Français en fin de Première. Je me suis même baptisée "coach en lectures". Pourquoi pas ? Les salles de musculation se multiplient pour forger les corps toujours plus beaux, toujours plus souples... Et je songe à l'esprit de nos jeunes. A son âge, j'avais déjà dévoré tout Colette, Martin du Gard, Giono, et je me délectais de Hugo, Balzac, Zola, Maupassant, Sand. Je crois que nos jeunes adolescent(e)s pourtant motivés ne nous ressemblent pas (c'étaient les années 60) et la faim de lire n'existe peut-être plus autant sauf exception. Je lui ai donc communiqué une liste de 10 romans classiques à lire cet été, des romans accessibles et incontournables pour une littéraire basique (qui a le courage d'apprendre le grec et le latin). Voilà ma liste au cas où ces titres se placeraient dans vos piles de livres de l'été : "La Princesse de Clèves", "Candide", "Notre Dame de Paris",  "La cousine Bette", "Madame Bovary", "La Chartreuse de Parme", "La Mare au diable" "Une vie", "Thérèse Raquin", "Les Filles du feu". Je ne précise pas les noms des écrivains car tout le monde connaît ces livres... Ma lycéenne m'a répondu qu'elle en avait lu deux ! Je lui ai proposé aussi une liste de classiques contemporains... pour les vacances de Toussaint et de Noël. Je suis tout de même son coach en lectures ! Et je me suis dit que cela me ferait beaucoup de bien de relire tous ces chefs d'œuvre en péril d'oubli... Heureusement que ma petite Ida va se dévouer pour son devoir de vacances de Première littéraire !

jeudi 10 juillet 2014

"Lettres à Poséidon"

J'aime beaucoup découvrir des écrivains et cette année, j'ai approfondi ma connaissance de l'œuvre de Cees Nooteboom, écrivain néerlandais, l'un des plus grands en Europe. J'aime ce nomade du Nord (il vit dans son pays l'hiver) et du Sud (il évoque souvent son île de Minorque). Il voyage beaucoup et ce mode de vie nourrit ses textes. Ces "Lettres à Poséidon" est un recueil autobiographique, édité chez Actes Sud en octobre 2013. Il m'est très difficile de résumer un tel ouvrage composé de méditations, de pensées philosophiques, de références littéraires, artistiques, de sensations, de moments de vie, de descriptions de paysages. Ainsi, il s'adresse à Poséidon et le prend comme témoin. Il raconte dans son premier texte qu'il lui "écrira des lettres, de petites collections de mots qui l'informeront de ma vie. (...) Je n'ai jamais écrit à un dieu. Le soir descend sur l'ile, la mer est toute proche , la mer de Poséidon, les rochers près desquels je vais toujours nager." Cees Nooteboom partage avec ses lecteurs(trices) une attention à la vie et au temps qui passe. Quand il se trouve face à face avec une momie égyptienne, exposée aux visiteurs du musée, il s'imagine à sa place, dans le bruit et la lumière, un dérangement après des siècles de silence et de solitude. Ce texte court illustre la manière originale de voir, de sentir et d'exprimer l'indicible. J'ai vécu la même expérience quand je suis tombée nez à nez avec une de ses momies dans un musée à Amsterdam. Cette momie figée dans le temps semblait me regarder... et me susurrait des histoires sur sa vie de pharaon. J'ai aussi apprécié le goût qu'il manifeste pour les... cailloux qu'il ramasse au gré de ses promenades en bord de mer ou en montagne. Il raconte sa pierre rouge de Montevideo : "Quand j'écris, elle repose à côté de moi. Aujourd'hui je pars en voyage et quand je rentrerai, elle sera là."  Et le souvenir afflue en moi quand j'ai rapporté quelques pierres de lave de l'Etna qui reposent sur une étagère de ma bibliothèque... Lire Nooteboom me rappelle les délicieux textes de Proust sur la nature, la peinture et la musique. Cet écrivain donne envie de voir, de sentir, d'écouter à sa façon, avec une acuité et une empathie rares. Cet ouvrage est tout simplement un beau voyage dans le passé pour ses références culturelles et dans le présent pour les lieux visités.  Un écrivain à découvrir et malheureusement, on ne trouve presque aucun de ses livres dans nos bibliothèques de Chambéry... Bizarre, bizarre...

mardi 8 juillet 2014

"Sur le sable"

J'ai déjà évoqué cette femme écrivain dans ce blog. Il faut retenir son nom, Michèle Lesbre, et tous ses romans sont édités chez l'excellente Sabine Wespieser et dans la collection Folio. J'ai fini de lire "Sur le sable", une histoire en bord de mer, entre un homme en perte de repères et une femme en rupture d'amour. Le charme opère dès la première page : "J'ai soudain vu des flammes au-dessus de la dune que je longeais depuis un moment. Elles s'étiraient sur le ciel sombre, ne laissant rien apercevoir de ce qu'elles dévoraient d'une ardeur sauvage." Cette maison en feu symbolise le besoin qu'éprouvent ces deux personnages de faire table rase du passé, un passé douloureux et qui les empêche de vivre. L'homme raconte son désespoir d'enfant quand une vacancière s'est noyée sur cette plage. Cette maison a abrité sa mère qui venait retrouver son amant et plus tard, cet homme avait rencontré Sandra, une femme italienne, militante d'extrême gauche. La narratrice le relance dans un dialogue à la façon d'un psychanalyste et les confidences affleurent sans cesse au fil de ce récit intimiste. Elle-même traverse une crise amoureuse car son amant ressemble à un personnage ambigu de Modiano, un personnage opaque,  fuyant, mystérieux, indécis. Elle est devenue veilleuse de nuit  dans un hôtel parisien "en attendant de mettre en œuvre un changement radical" dans sa vie. Plus loin, elle écrit : "Le temps était venu de tout bouleverser, de brouiller les pistes, de passer ici et là, toujours ailleurs, de liquider tout le fatras encombrant qui ne parlait plus de moi, de moins en moins en tout cas." La rencontre avec cet homme lui rappelle son propre passé, en particulier avec un militant italien de Bologne. Je ne veux pas en dire plus, car le talent de Michèle Lesbre réside dans la musique des mots, des phrases, des sentiments et des émotions. Elle mentionne au fil des pages les romans de Patrick Modiano et utilise des citations pour illustrer son propre texte. J'aime beaucoup cette évocation de fidélité littéraire, cette influence créatrice. Ce roman ne comporte pas d'intrigue forte, mais ressemble à une sonate interprétée au piano avec des notes mélancoliques sur le passé, l'amour, la littérature. Un roman attachant et vraiment envoûtant...

lundi 7 juillet 2014

Revue de presse

J'ai reçu le double numéro du  Magazine littéraire avec un peu de retard et j'ai été un peu déçue par le dossier central : "Comment se détacher du réel (et ne jamais prendre le monde au sérieux) : faites vos jeux !" . Evidemment, en période estivale, il est souhaitable de ne plus penser, de ne pas réfléchir, d'éviter la prise de tête... Je ne suis pas particulièrement attirée par le jeu et je regrette les dossiers d'antan quand un numéro de l'été dernier proposait un dossier sur les 10 grandes voix de la littérature étrangère... Je vais quand même feuilleter les articles sur cet esprit ludique revendiqué par des écrivains comme Rabelais, Montaigne, Caillois, Perec, Queneau et... San-Antonio. Comme le souligne l'éditorialiste, le jeu fait partie de la vie (engouement universel pour les jeux vidéos...) et la rend  plus légère et plus acceptable. La lecture pourrait donc faire partie de la sphère ludique comme une fuite de la réalité, une évasion du quotidien et un voyage initiatique. Mais, au lieu de vider l'esprit, lire le nourrit et l'enrichit avec un plaisir sans fin... On peut aussi découvrir une drôle d'enquête sur les écrivains face à la prostitution, un grand entretien avec Orhan Pamuk, des rubriques sur les nouveautés, des infos sur la rentrée, etc. Le Magazine littéraire a changé avec sa nouvelle maquette, un changement un peu déroutant pour ses lecteurs fidèles... Lire propose les livres de votre été. François Busnel a choisi entre autres,  Maylis de Kerangal, Kundera, Bobin et Philip Roth. On peut lire 15 extraits de la rentrée littéraire (un bon cru d'après la revue). La revue Transfuge dévoile 100 romans cultes en posant la question à un grand nombre d'écrivains et cette tradition revient souvent pour nous donner envie de découvrir des écrivains oubliés et peu connus. On appelle cet exercice, la bibliothèque idéale. Les rubriques sur le cinéma complètent avec intérêt les articles sur la littérature. J'ai aussi acheté Philosophie Magazine pour le livret sur Jankélévitch que j'aime beaucoup, pour les articles sur Régis Debray, sur la génération tatouage, et pour le dossier central sur "Tu veux ou tu ne veux pas ? Comment savoir ce que l'on veut vraiment...". Un numéro vraiment passionnant à lire et ces revues de l'été 2014 me permettent d'attendre les surprises de la rentrée littéraire de septembre !

vendredi 4 juillet 2014

"Un livre peut en cacher un autre"

En fin avril, la librairie Garin m'a offert un cadeau pour fêter la journée mondiale du livre et des droits d'auteur. J'avais acheté quelques livres de poche et je suis repartie avec cet abécédaire illustré par Christian Lacroix. Dans la préface, Marie-Rose Guarnieri, libraire parisienne (et pilote de l'opération de cette fête malheureusement peu connue du public et pas assez soutenue par la presse généraliste), explique la démarche collective de ce cahier alphabétique : "Notre classement alphabétique est la grande loi de l'hospitalité qui permet d'accueillir les lecteurs désireux de se lancer dans l'inconnu. C'est ce jeu-là, correspondant aux 26 lettres de l'alphabet, que nous avons proposé aux 23 écrivains contemporains. L'idée m'est venue de leurs confidences, parfois sur le pas de la porte de la librairie : "ce qui me rend heureux, c'est d'être à côté de..." De là a surgi notre désir de les inviter à écrire sur l'auteur classé en fonds à côté d'eux et avec lequel ils partagent une initiales." Je ne vais pas citer tous les écrivains du recueil mais j'ai choisi quelques affinités : Maylis de Kerangal-Jack Kerouac, Pierre Pachet avec Perros, Pontalis, Pavese, Perec, Wasjbrot-Woolf, Zenati-Zweig. Les textes sont beaux, ainsi que les illustrations à base de lettrines.  Ce petit bijou éditorial deviendra un objet-livre, rare et précieux, et je me réjouis de le glisser dans ma bibliothèque. Rendre hommage à la littérature, aux écrivains et aux libraires devrait se faire tous les jours...  Je cite la dernière phrase mélancolique de Rose-Marie Guarnieri : "Parfois gronde le bruit poignant de la fermeture d'une librairie qui ne s'en sort plus. Entendez et choyez le plus possible celles qui sont encore là. Dans ces lieux de commerce qui ne sont pas comme les autres, les rois, ce sont les livres. Dans la nuit culturelle de plus en plus menaçante, regardez comme brillent ces lucioles que sont vos librairies." Après ce message alarmant, il ne faut pas oublier de se rendre dans une librairie pour remplir les valises et surtout, dès que l'on se rendra dans un coin de France ou d'ailleurs, cherchez donc la librairie pour une visite culturelle... comme un des derniers remparts pour protéger la civilisation du livre et de l'écrit !

jeudi 3 juillet 2014

Des livres chez soi

J'ai été une libraire passionnée mais, hélas, je n'ai pas réussi à assurer mon confort matériel (c'était l'époque du prix libre du livre) dans les années 70 à Bayonne et j'ai été dans l'obligation d'arrêter. J'ai même travaillé dans une maison d'éditions à Paris après avoir fermé mon petit commerce livresque. Puis, j'ai bifurqué vers la fonction publique (Ah la sécurité divine de l'emploi à vie...) qui m'a offert plusieurs postes de bibliothécaire en Rhône-Alpes où j'ai donné "naissance" à trois structures (deux bâtiments neufs et une rénovation d'une usine de textile), animé un réseau départemental (en Isère) et terminé ma carrière en bibliothèque universitaire en Savoie. Et j'ai ainsi passé ma vie professionnelle dans les livres et la médiation culturelle... J'ai eu beaucoup de chance de pratiquer ces métiers merveilleux ! Cet objet en papier, rempli de mots et d'idées, est devenu le fil directeur de ma vie professionnelle. J'avoue aussi mon intérêt pour la bibliophilie. Mes revenus ne me permettent pas d'acquérir des livres rares, précieux et uniques. Pourtant, je possède quelques ouvrages anciens, des Pléiades et quelques beaux livres d'art. J'adore les avoir à ma portée, les feuilleter, les dépoussiérer, les caresser comme des plantes vertes dans la maison. Rassurantes présences. Quand je pénètre dans un salon ou une pièce de vie, je remarque tout de suite leur présence ou leur absence sur les murs. J'ai l'impression que les maisons sans livre sont des maisons sans âme. Je ne suis pas une grande collectionneuse, faute de place chez moi, mais,  j'héberge des poches comme des beaux livres d'art : pas de ségrégation, ni d'exclusion. Je pratique le mélange des genres : grand format, minuscules, brochés, reliés, encartonnés, dépareillés, tachés, lus, pas encore lus, soulignés, intacts, abîmés... Ils me plaisent tous... J'ai vu dans un blog d'écrivain, celui de François Bon, (il l'a baptisé le "Tiers livre"), une rubrique sur l'histoire de ses livres. Cette démarche m'a tout de suite séduite et je conseille d'aller voir ces textes qui racontent la vie de François Bon à travers l'objet livre. Cet écrivain que je trouve très original avait écrit une "Autobiographie des objets" paru il y a deux ans (je l'ai commentée dans ce blog) et il vient de paraître en poche. Quand les écrivains citent leurs nourritures spirituelles et leurs préférences littéraires, c'est souvent un dévoilement de leur personnalité profonde, une confidence amicale qu'ils adressent à leurs lecteurs. Cet été, comme les ateliers d'écriture et de lecture sont interrompus à cause des vacances, je vais inaugurer des nouvelles rubriques : histoire de mes livres (en m'inspirant du blog de François Bon), visites de musée, livres d'art, histoires d'éditeurs, portraits d'écrivains... Même en vacances, j'ai envie de poursuivre cette activité d'écriture, ce Marque-Pages que j'ai démarré en 2010 et qui vit encore, je l'espère,  pour longtemps !
 

mercredi 2 juillet 2014

Rubrique cinéma

Beaucoup de monde ce mercredi pour la dernière journée de la Fête du cinéma (place à 3.50 euros) à l'Astrée de Chambéry. J'ai donc vu le dernier film de Ken Loach, "Jimmy's Hall", sélectionné au Festival de Cannes. La générosité de ce cinéaste se manifeste amplement dans le personnage de Jimmy Gralton, interprété par le beau comédien, Barry Ward. Cet homme, militant communiste, s'est exilé pendant dix ans à New York et il revient dans son Irlande natale auprès de sa mère (quelle belle relation mère-fils !) pour reprendre la gestion de la ferme familiale. Nous sommes dans les années 1930 après la guerre civile dans un pays dominé par les forces "conservatrices" : l'Eglise et les propriétaires terriens. Jimmy rencontre un groupe de jeunes qui lui demandent d'ouvrir une salle de danse, le "Hall", un bâtiment désaffecté qui lui appartient. Ce lieu d'échanges, de formation et d'éducation populaire se met à revivre pour le bonheur de la communauté : ils se remettent à danser, à écouter du jazz, à lire à haute voix la poésie de Yeats,  à discuter de politique, à emprunter des livres, clés de la liberté. Ce foyer de vie va fortement déplaire au curé du village qui mène une guerre contre cette musique moderne et ces idées mécréantes. Les scènes de danse montrent l'énergie vivifiante de ces Irlandais(ses) qui subissent la pauvreté, la misère et le manque d'espoir dans une société ancienne liée aux intérêts de l'Eglise et des nantis. Le cinéaste, très engagé, ne cache pas sa sympathie pour Karl Marx, pour la justice sociale et pour un monde meilleur. Quand une famille est expulsée d'une ferme qu'un propriétaire veut récupérer, les amis de Jimmy se révoltent et la situation va dégénérer dans la violence avec l'incendie du Hall et l'arrestation du militant qui sera exilé aux Etats Unis. Ce film, teinté de nostalgie militante, met en valeur la solidarité et l'égalité, la justice et la liberté et apporte un vent de fraîcheur dans l'ambiance un peu morose et décourageante d'aujourd'hui. Dans cet Irlande archaïque, ces hommes et ces femmes  poursuivent leur rêve de progrès et de partage sans complexe et nous communiquent leur espérance d'un monde meilleur. Un beau film avec une mise en scène classique et un personnage masculin fort "sympathique"... Un grand régal si on aime l'Irlande, la danse, le militantisme et surtout la solidarité des "perdants" face aux puissants (religieux et capitalistes)...  

mardi 1 juillet 2014

"Ceux du Nord Ouest"

Après le pavé de Donna Tart, assez lourd à digérer, j'ai suivi les conseils des "grands connaisseurs" de la littérature (les journalistes littéraires) qui avaient beaucoup mis en avant le dernier roman de Zadie Smith, "Ceux du Nord Ouest", publié chez Gallimard en 2013. Evidemment, j'ai trouvé ce roman intéressant mais j'étais un peu déroutée par la construction du texte, la traduction et les personnages un peu trop éloignés de mon univers personnel (la présence des joints et de la drogue semble banale, incontournable et vraiment symbolique d'une nouvelle façon de vivre... Je vais peut-être m'y mettre...). Si j'ai à peu près compris cet univers citadin, Zadie Smith veut nous faire partager la vie de quatre personnages dans un quartier multiculturel de Londres. Leah est une femme mariée à un coiffeur d'origine algérienne, et elle ne veut pas d'enfant. Elle est l'amie de Nathalie, avocate et qui a changé de prénom pour masquer ses origines. On rencontre aussi Félix et Nathan, hommes en difficultés, perdants, traficoteurs et instables. Ce roman peut convaincre peut-être des lecteurs plus jeunes, habitués à ce style haché, familier, court et parlé (comme des suites de mots, façon textos)... Par curiosité et par devoir, j'ai quand même lu plus de deux cents pages. J'ai trouvé un commentaire sur Amazon qui correspond bien à l'impression que je ressentais en le lisant : un fourre-tout farfelu de dialogues, monologues et descriptions lapidaires sur un monde social difficile à appréhender. Ce roman en forme de "chant choral" m'a peu convaincue et j'ai décroché après avoir lu les trois-quarts du livre. Certains critiques évoquent le "génie" créateur de Zadie Smith, la comparant à une Virginia Woolf du XXIème siècle... La critique littéraire se lance dans des éloges exagérés, excessifs. Je n'ai peut-être rien compris à ce roman qui va marquer la littérature anglaise, dans la lignée de James Joyce ! J'ai remarqué aussi que, de temps en temps, soit par paresse d'esprit, soit par manque d'énergie, un roman peut rebuter un lecteur(trice) et ce n'est pas la peine de s'obstiner pour en comprendre les clés de lecture. La virtuosité de Zadie Smith diminue l'efficacité romanesque et le côté labyrinthique de la construction du texte empêche une lecture linéaire et claire. C'est vraiment dommage car c'est une voix qui demeure originale et surtout ultramoderne dans la description d'un monde urbain, métissé et euphorisant.  Je crois que ces romans antérieurs me semblent plus "lisibles". Je n'aime pas, en général, partager mes déceptions littéraires mais pourquoi les cacher ? Un coup de griffe à la place d'un coup de cœur...