vendredi 1 mai 2020

"La Forme du monde"

Belinda Cannone, une "émerveilleuse" vibrante, a écrit un essai sur sa passion de la marche en montagne, "La Forme du monde", publié dans la collection, "Versant intime" des Editions Arthaud.  Cette écrivaine, subtile et intimiste, avait déjà composé un hymne à la vie dans son ouvrage, "S'émerveiller" en 2017 chez Stock. En 2019, elle poursuit sa réflexion sur l'expérience esthétique qu'elle a développée dans son œuvre. Sa "rencontre inaugurale avec la montagne" a démarré quand elle avait dix sept ans dans les Hautes Alpes. Quand elle a aperçu pour la première fois les montagnes, elle a ressenti un sentiment "océanique" comme le décrivait Romain Rolland à Freud, un mouvement de communion avec la nature, un partage du sublime : "Ainsi s'exprime le très puissant lien spirituel (parole d'athée) qui m'attache à la montagne". Elle décrit sa fascination pour "la forme du monde" en observant le "chaos pétrifié : strates, plissements, élèvements, fouillis, élongements, hausses, nappes, creusements". Son regard acéré et profond sur la matière élémentaire la rapproche du rêve des origines, des premiers temps de la formation du monde. Elle évoque la naissance des Alpes il y a cent millions d'années quand la collision des plaques africaine et européenne a commencé à bouger. Cette temporalité géologique rend notre histoire humaine un peu courte, un fétu de temps… La marche en montagne lui procure le temps de la durée dans son corps parfois douloureux. Plus elle grimpe, plus "la forme du monde" change comme les perspectives, les paysages, les agencements. Son émerveillement se lit dans toutes les lignes de son texte sans mièvrerie, sans affèterie. La montagne Sainte-Victoire, en particulier, lui fait dire : "La beauté est la forme du monde". Belinda Cannone dont sa famille est originaire de Sicile, perçoit la Méditerranée "sous un jour tragique, tandis que la montagne m'apparaît comme un lieu solaire". Elle reprend la formule de Maurice Merleau-Ponty : "Nous sommes voués au monde". La marche, véritable discipline de vie, l'enchante : "Commencer à marcher, c'est entendre en soi la joie lever". Cet essai ne ressemble pas un livre d'exploits sportifs où le grimpeur se dépasse jusqu'à mettre sa vie en péril. Dans la solitude minérale des montagnes, on ne rencontre que soi-même. Cet essai lumineux conviendra à merveille à tous les amoureux(ses) de nos paysages alpins : "Enfin, je vois vraiment, mon esprit fait silence et j'ai le sentiment de saisir le réel lui-même dans sa forme jaillissante, avant toute configuration par le langage". Belinda Cannone nous rappelle que nous vivons dans un "écrin" de beauté qu'il faut absolument préserver. Il est encore temps... Elle termine son essai avec une évocation de Giono, de Simone de Beauvoir et de Marlen Haushofer. Une écrivaine à découvrir sans modération.