samedi 5 septembre 2020

"V.W."

 Geneviève Brisac et Agnès Desarthe ont écrit une biographie sur Virginia Woolf, "V.W., le mélange des genres", publié en 2004 aux Editions de l'Olivier. Je l'avais lue à sa sortie mais cet été, j'avais envie de me replonger dans l'univers de cette écrivaine exceptionnelle. Il vaut mieux lire directement sa prose impressionniste et d'une modernité avant-gardiste. J'ouvre de temps en temps son monumental journal pour ressentir l'effet "woolfien". Cet essai biographique se lit avec un bonheur de lecture digne de la Grande Dame anglaise. Sa renommée à l'égal d'un Proust, d'un Joyce  peut effrayer le lecteur qui n'a pas encore eu la curiosité de cheminer dans un roman ou un essai comme "Vers le phare", "Mrs Dalloway" ou "Une chambre à soi" pour citer les titres les plus connus. Les deux complices écrivaines signent une introduction passionnante sur Virginia Woolf et invitent les lecteurs(trices) à flâner dans les milliers de pages de ses œuvres. Des éléments biographiques précis sont illustrés par de nombreuses citations, références, extraits, textes, lettres, journal de l'écrivaine. Ce travail documentaire et sérieux ne distille aucun instant d'ennui. Bien au contraire, Virginia s'est éduquée seule sans aller à l'université, interdite aux femmes (quel scandale !). Née dans une classe sociale intellectuelle, elle s'est cultivée seule dans la bibliothèque de son père, grand érudit de l'époque. Elle dévore les livres et toute sa vie, elle sera une immense lectrice. Pas de création littéraire sans la connaissance de ses prédécesseur(es). Il semble souvent préférable de connaître la vie d'un écrivain pour comprendre son œuvre. Son roman, "Vers le phare", illustre ce postulat car elle raconte ses belles années de sa jeunesse dans la maison de vacances au bord de la mer à St. Ives. Virginia Woolf et l'amour de la littérature dans son expérience d'éditrice, la Hogarth Press, avec son mari, Léonard. Virginia Woolf et l'amour de l'art, de l'amitié, de son couple. Mais aussi, Virginia et sa folie, ses dépressions, ses phobies, sa "bipolarité" et son suicide à l'âge de 58 ans en glissant des cailloux dans sa poche pour se noyer. Les deux auteurs de l'essai communiquent leur passion pour V. W., si révolutionnaire dans son style, dans sa vie de femme intellectuelle. Son féminisme viscéral se vérifie dans "Une chambre à soi" qui n'a pas pris une ride. Je pourrai citer des phrases entières de cette biographie. J'ai retenu celle-ci : "Elle lit comme on parle à plusieurs personnes dans la même journée et cela fait une journée unique, semblable à aucune autre. (...) Il y a une fébrilité de lectures, comme une poursuite inlassable de quelque chose de difficile à nommer, une cueillette qui mêle le hasard et la nécessité, et une confiance superstitieuse dans une divinité distributrice de lectures qui vous amènerait vers les livres qui vont répondre et résonner". Avant d'entrer avec une certaine timidité dans un roman de Virginia Woolf, cet essai biographique permet une très bonne approche et ensuite, la magie opère quand on lit la première phrase de "Vers le phare" : "Oui, bien sûr, s'il fit beau demain, dit Mrs. Ramsay. Mais, ajouta-t-elle, il faudra que tu te lèves à l'aurore."