jeudi 16 novembre 2017

"Une odyssée, un père, un fils, une épopée"

En 2007, Daniel Mendelsohn avait reçu le Prix Médicis étranger pour son récit magnifique, "Les Disparus", une enquête d'une dimension universelle sur l'insupportable élimination des membres de sa famille lors de la Shoah. En tant qu'écrivain, il redonnait vie à tous ces Disparus, gravés dans les pages de l'ouvrage, tel une stèle du souvenir. Dans "Une Odyssée, un père, un fils, une épopée", l'écrivain américain renoue avec le thème de la famille en évoquant Homère. Professeur de littérature classique, latiniste, helléniste, il consacre un séminaire à l'Odyssée et parmi ses étudiants, il accepte la présence de son père, âgé de quatre-vingt et un ans. Leur périple démarre dans les cours à la faculté et se termine dans une croisière en Méditerranée sur les traces d'Ulysse. L'histoire se tisse sur deux niveaux : l'histoire d'Ulysse et de son fils Télémaque, celle du narrateur et de son père. Le récit unifie ces deux sujets entrelacés en posant la question essentielle : la relation père-fils. De l'Antiquité à nos jours, le mystère de la filiation demeure et l'écrivain traite ce thème d'une façon géniale. J'ose employer ce terme car ce récit autobiographique, doublé d'une analyse littéraire magistrale sur l'Odysssée, se lit avec un intérêt croissant au fil des pages. Ce père un peu grincheux d'après son fils (il déteste les embouteillages) donne du fil à retordre à son fils et surtout devant les étudiants, car il n'admire pas Ulysse, trop aidé selon lui par Athéna. Il prend souvent la parole pour contrer les avis de son professeur de fils, d'une patience infinie envers lui. Ce jeu psychologique père-fils ressemble à la relation d'Ulysse envers son père Laërte et de son fils, Télémaque. Après le séminaire, ils partent donc en croisière pour se retrouver enfin et vivre une relation apaisée. Une scène émouvante scelle leur entente quand le père prend la main de son fils, sujet à la claustrophobie en visitant une grotte. Ils ne verront pas Ithaque pour cause de grève dans le canal de Corinthe... Daniel Mendelsohn raconte la fin de vie de son père, mort après une chute dans un parking. Ce très beau récit, un des meilleurs de l'année 2017,  entremêle deux histoires passionnantes, celle d'Ulysse, le fils modèle et celle d'un écrivain américain, le fils moderne, pétri de culture classique. Le recours à Homère le rapproche enfin d'un père complexe et seule la littérature a des pouvoirs merveilleux comme les dieux de l'Olympe...