vendredi 7 mai 2021

"Quand je n'aurai plus d'ombre"

 L'éditeur Actes Sud présente Adriaann van Dis comme "l'auteur d'une œuvre considérable à travers laquelle s'impose une voix majeure de la littérature néerlandaise". J'ai découvert cet écrivain après avoir lu une bonne critique dans le Monde des Livres sur son dernier roman, "Quand je n'aurai plus d'ombre", paru en avril 2020. Une mère très âgée et malade demande à son fils de l'aider, une aide spéciale car elle compte sur lui pour abréger sa vie. Les relations entre cette mère qui cache beaucoup de secrets et ce fils sexagénaire ne semblent pas apaisées, ni franchement aimantes. Il accepte sa demande à une seule condition : la révélation de ses secrets. Alors, s'engage un huis clos et un drôle de duo entre une mère et son fils, entre  un passé trop opaque et un présent trop cruel. A l'âge de seize ans, Le narrateur (double de l'auteur) a tenté de voler la clé d'un coffre où sa mère avait déposé des papiers mystérieux sur sa vie. Mais, elle s'est agrippée comme une désespérée et a repris la clé à son fils après une bataille enragée. Trois mois plus tard, le jeune homme quitte le foyer et ne verra sa mère que trois fois par an avec quelques appels téléphoniques sporadiques. A 90 ans, sa mère se retrouve dans une maison de retraite. Entre temps, elle a perdu ses deux maris, ses deux filles. Sa troisième fille vit en Italie et son fils à Paris. Cette femme âpre, dure et amère est née dans une famille de grands propriétaires terriens. Dans les années 20, Marie a fui cette famille étouffante en épousant un élève officier ("caramel" comme elle le définit) d'une école militaire toute proche. Elle a suivi son mari aux Indes néerlandaises, l'actuelle Indonésie. Il lui donnera ses trois filles, mais la vie dans ces Indes colonisées ne s'avère pas facile : racisme, mépris des uns et des autres, la guerre et le camp japonais des prisonniers. Elle perd son mari, se rapatrie en Hollande avec son deuxième mari. Adriaann, le narrateur, naîtra de cette union. Après la mort de celui-ci, elle se replie sur elle, sur la magie des plantes et sur les livres ésotériques. Le fils découvre cette vie par bribes dans le désordre des souvenirs parfois confus de cette mère en fin de vie. Ce fils si démuni face au caractère invivable de Marie veut absolument découvrir les non-dits de sa vie. Il la prend en charge, veille sur elle, la soigne, la lave même. Il appelle sa sœur qui vient enfin à l'aider à assumer cette fin difficile.  Cette femme rebelle et aventurière s'est enfermée dans une colère sans issue et "vieillir, c'est aussi une guerre", dit-elle à son fils.  Même au seuil de son départ, elle ne lâche pas prise malgré la présence de ses deux enfants. Ce roman original et puissant ne fait aucune concession  à la légende familiale, qui suppose souvent un un amour réciproque entre parents et enfants. Adriaan van Dis offre dans ce texte une analyse subtile, lucide et forte sur une relation chaotique, celle d'un fils mal aimé par une mère cabossée par la vie. La littérature venue du Nord de l'Europe frappe souvent par sa force romanesque... Une lecture un peu rude parfois mais percutante !