vendredi 28 juin 2019

"L'emprise"

Parfois, il peut m'arriver de passer à côté d'un écrivain… J'ai enfin ouvert un roman de Marc Dugain. Je l'avais vu dans une émission littéraire sur LCP et il racontait sa carrière de réalisateur (J'avais bien aimé son "Echange des Princesses"). Il a ensuite parlé de son dernier livre, "Transparence" qui m'a semblé très intéressant et que je compte découvrir au plus vite. J'ai donc emprunté le premier tome de sa trilogie, "L'emprise". La politique française sert de cadre romanesque à cette fresque. Philippe Launay, le chef de l'opposition et Lubiak, son rival, au sein du même parti se livrent un duel qui rappelle les grandes heures de certains hommes politiques, vrais coqs de combat. Ces deux fauves passent un compromis. Si Launay devient Président, il s'engage à un seul mandat et nomme son "ennemi", ministre des finances. Les affaires (des incinérateurs de déchets) rattrapent le premier candidat lorsque il était ministre de la santé. Sa fille cadette s'est suicidée et sa femme le rend responsable de cet événement tragique. Le patron du renseignement intérieur aide Launay pour trouver les failles de son concurrent. Les deux hommes politiques ont un ami commun, le directeur de l'énergie qui n'hésite pas à vendre les secrets technologiques aux Chinois. Ce dossier explosif provoque des dégâts chez un syndicaliste trop curieux. Chaque personnage révèle une vulnérabilité fragile et se débat dans une toile d'araignée où chacun essaie de dévorer sa proie. Ce roman à clé démontre l'impuissance politique de nos gouvernants dans le cadre d'une économie mondialisée. Marc Dugain décrit un monde complexe où tous les coups sont permis. Le roman pêche-t-il par exagération ? J'ai bien peur que ces sombres péripéties se révèlent vraisemblables. Les lecteurs(trices) abstentionnistes et les déçus du monde politique seront confortés dans leur méfiance envers nos représentants. Un personnage se détache dans ce thriller politico-social : Gaspard, le fils d'une espionne de la DCRI, atteint du syndrome d'Asperger, le seul qui déteste mentir, le seul jeune homme innocent du roman. Je lirai les deux autres tomes avec un plaisir certain. Je verrais bien cette trilogie adaptée en série télé… Pour se distraite intelligemment cet été, lisez un Marc Dugain… 

jeudi 27 juin 2019

Atelier Lectures, 5

Annette a choisi "Océan mer" de Alessandro Baricco, roman publié chez Albin Michel en 1998. Cet ouvrage l'a enthousiasmée et je reprends ses mots : "Poète à l'imaginaire magnifique, légèreté de la soie du velours de l'enfance, grandeur et noirceur de l'être humain, le rêve et le cauchemar, l'océan mer révèle la vérité insoutenable qui peut tuer ou guérir. Style superbe de cet auteur musicologue". Au bord de l'océan, à la pension Almayer, "posée sur la corniche ultime du monde", sept personnages au destin étrange et romanesque se côtoient et tentent de recoller les morceaux de leur existence fragmentée. Leur séjour est bouleversé par le souvenir d'un naufrage d'un siècle passé. Les critiques littéraires ont qualifié ce texte de roman à suspense, de livre d'aventures, de méditation philosophique et de poème en prose. J'avais lu ce livre à sa sortie et je vais le relire cet été… Le récit autobiographique de Chantal Thomas a été commenté par plusieurs lectrices. L'une n'a pas accroché, d'autres ont apprécié. J'avais sélectionné "Souvenirs de la marée basse" pour le personnage de la mère. Cette femme nage, nage, pour fuir sa vie contrainte, son destin médiocre. Nager, c'est se sentir libre. Jackie est née en 1919, s'est mariée, a quitté Lyon pour Arcachon, puis, devenue veuve, a échangé le cap Ferret pour le cap Ferrat. Cette mère insolite a légué à sa fille écrivaine quelque chose d'indomptable, une force insoumise et une scène du livre symbolise ce caractère : dans les années 30, sa mère avait, en toute innocence, exécuté quelques longueurs dans le Grand Canal du Château de Versailles sous l'œil étonné des jardiniers. Un récit tout en nuances sans complaisance pour une mère distante mais pourtant attachante. Agnès a eu le courage de relire "Le Vieil homme et la mer" d'Ernest Hemingway. Elle en gardé un beau souvenir de jeune lectrice mais, la magie ne s'est pas manifestée, quelques décennies plus tard. Tant pis pour ce classique américain mais, la relecture peut provoquer le désintérêt ou l'adhésion renouvelée… Régine a beaucoup aimé le roman de Léa Mélandri, "Plus haut que la mer". En 1979, Paolo et Luisa ne se connaissent pas. Ils prennent un bateau qui les emmène sur l'île où sont détenus leurs proches. Le fils de Paolo a été condamné pour des actes terroristes. Le mari de Luisa a tué deux hommes. Le mistral les empêche de regagner la côte. Ils passent la nuit sur l'île où ils sont surveillés par un agent pénitentiaire et naîtra entre eux une complicité étrange. Régine a relevé ce passage : "Le vent était moins fort que quelques heures plus tôt, même si les hauts nuages gris étaient toujours tendus et agités. Ils commençaient pourtant à se lacérer d'accrocs d'où tombait la lumière comme par les lucarnes d'un grenier. Là, et seulement là, la mer couleur peau de requin, s'éclairait de tâches bleu turquoise". Un très bon roman à découvrir cet été. La littérature italienne nous offre toujours de très belles œuvres… Voilà pour les ouvrages de la liste de juin. Entre les coups de cœur et les lectures conseillées, se dessine un programme parfait pour l'été, surtout si la canicule persévère. Il vaut mieux rester à l'ombre en compagnie d'un très bon livre... 

mercredi 26 juin 2019

Atelier Lectures, 4

Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons évoqué les ouvrages sur la mer que j'avais recommandés. Sylvie a démarré avec "En mer" de Toine Heijmans, un écrivain hollandais. A bord de son voilier, Donald écume la mer du Nord dans le silence et la solitude. Maria, sa fille de sept ans le rejoint pour la dernière étape. La traversée s'annonce calme. Mais, rapidement, les nuages noirs s'amoncellent à l'horizon. La tempête éclate et la petite Maria disparaît du bateau. Le roman a reçu le prix Médicis du livre étranger. Sylvie nous a lu quelques phrases de ce roman singulier très bien traduit par ailleurs. La tourmente extérieure correspond bien aux tourments intérieurs du personnage. Danièle a choisi "L'enfant de la haute mer" de Jules Supervielle. Ces huit nouvelles, écrites entre 1924 et 1931, s'adressent aux enfants et aux grands aussi. Dans la première nouvelle, une petite fille vit dans une étrange ville fantôme en équilibre sur la mer. Les personnages dans ces textes sont égarés entre le monde des vivants et celui des morts. Marginalisés, ils attendent des signes qui pourraient les aider. Mais les vivants oublient souvent de leur apporter une solidarité nécessaire. On ne lit plus Jules Supervielle et j'avais envie de l'intégrer dans la liste sur les ouvrages à découvrir… Pari réussi car Danièle a découvert ce grand poète français, né à Montevideo. Pascale a présenté "Le Marin de Gibraltar" de l'immense Marguerite Duras (1952) et résume le roman ainsi :"Ils cherchent le marin de Gibraltar mais que souhaitent-ils trouver ? Chercher n'est-il pas un but en soi, chercher, c'est se trouver et c'est aller à la rencontre de l'autre". Un homme en rupture s'engage dans un voilier car il est fasciné par la propriétaire, femme mystérieuse et veuve richissime. Anna recherche un marin qu'elle a rencontré à Gibraltar et elle éprouve pour cet inconnu un amour incommensurable. J'ai relu le roman trente ans après et je confirme le génie romanesque de Marguerite Duras. Son obsession permanente pour atteindre l'amour absolu semble une quête désespérée pour Anna, la grande sœur de Lol V. Stein. La mer joue le rôle d'un monde libre où tout est possible. L'écriture de Duras, très avant-gardiste à l'époque, n'a pas pris une ride. Je citerai cette phrase durasienne : "Les oiseaux, c'est comme l'amour, ça a toujours existé. Toutes les espèces disparaissent, mais pas les oiseaux. Comme l'amour". Cette écrivaine, éditée dorénavant dans la Pléiade, appartient définitivement à notre patrimoine littéraire français, n'en déplaise à ses nombreux contradicteurs… La suite, demain. 

lundi 24 juin 2019

"Le chagrin d'aimer"

Dès les premières lignes, Geneviève Brisac donne le ton : sa mère, sa drôle de maman, envahit l'espace vital de sa fille écrivaine. Les chapitres s'intitulent "ma mère apprend à conduire, ma mère apprend à nager, ma mère fume, etc.". Comme un livre d'images façon Martine, Geneviève Brisac élabore un puzzle psychologique sur la vie mouvementée de cette femme détonante. Fille d'une mère grecque et danseuse, d'un père arménien, Mélini (surnom de sa mère) est née à Paris,  étudie à la Sorbonne, se marie avec un jeune homme bourgeois, apprend la dactylographie et se met à écrire des feuilletons pour la télévision qu'elle adapte dans les années 60. La narratrice n'occulte pas les défauts maternels comme sa loufoquerie permanente, son peu d'estime pour les femmes, un certain égocentrisme, son indifférence à l'égard des enfants. En fait, Mélini vivait sa vie comme un spectacle en compagnie d'un mari tolérant et aimant. Sa fille éprouve envers elle une fascination ambiguë car elle aime son audace, son ambition, sa singularité atypique pour l'époque malgré un caractère quelque peu difficile… Une scène dans le récit symbolise leur relation complexe lors d'un atelier d'écriture où Mélini qui accompagne sa fille lui prend sa place et se met à diriger la séance. Elle ne se gêne pas pour dispenser des conseils et propose même aux participantes de dresser un portrait d'elle. La narratrice, navrée par le narcissisme de Méline écrit : "Tu n'as pas compris ce que j'ai voulu faire. Nous ne nous comprenons jamais, comme c'est étrange. Et elle plonge le nez dans le livre qu'elle a emporté. Un roman policier, comme d'habitude". La narratrice raconte la fin de vie de sa mère dans sa maison de Bretagne et dans sa dernière demeure, une maison de retraite. L'écrivaine avait évoqué son père, Michel, dans "Une année avec mon père". Le récit autobiographique, "Le chagrin d'aimer" constitue une suite familiale, un ode amoureux et chagriné à sa légendaire mère insaisissable. Un beau récit autobiographique et écrit avec une liberté au diapason de son personnage. 

Atelier Lectures, 3

Janelou a lu un des coups de cœur que Mylène avait présenté dans l'atelier. J'aurais pu  ne pas citer ce livre, "Les Amnésiques" de Géraldine Schwarz mais il faut rappeler la force de ce document exceptionnel qui évoque les "failles mémorielles" de notre pays. Dans la ville de Mannheim, la journaliste découvre que son grand-père a acheté à bas prix une entreprise à des Juifs qui disparaîtront à Auschwitz. Or, un héritier réclame réparation de cette spoliation. La majorité des Allemands ont "marché avec le courant" et Géraldine Schwarz mène une enquête passionnante sur trois générations de sa famille. Un ouvrage indispensable sur le travail de mémoire.  Danièle a choisi "2084" de Boualem Sansal, paru en Folio en 2017. L'auteur algérien démonte un par un les mécanismes qui conduisent au totalitarisme religieux et au néant. Danièle a relevé cette citation : "Ils convinrent honnêtement que le grand malheur de l'Abistan était le Gkabul  (la langue vénérée), il offrait à l'humanité la soumission à l'ignorance sanctifiée comme réponse à la violence intrinsèque du vide, et poussant à la servitude jusqu'à la négation de soi, l'autodestruction pure et simple, il lui refusait la révolte comme moyen de s'inventer un monde à sa mesure, qui à tout le moins viendrait le préserver de la folie ambiante. La religion, c'est vraiment le remède qui tue". Boualem Sansal, dans la filiation d'Orwell, nous met en garde et nous incite à ne pas fermer les yeux sur les dérives qui nous assaillent insidieusement. Un grand roman d'anticipation politique et un avertissement sur les dangers du totalitarisme religieux. Sylvie a retenu un récit d'Adelaide Bon, "La petite fille sur la Banquise", édité chez Grasset en 2018. La petite Adélaïde est violée à l'âge de neuf ans et son agresseur a disparu malgré une plainte au commissariat. Elle grandit comme elle peut dans la souffrance et dans la solitude. Je cite ce passage : "Elle ne sent pas les méduses s'immiscer en elle ce jour-là, elle ne sait pas qu'elles vont la déporter de sa route, l'attirer vers des profondeurs désertes et inhospitalières, entraver jusqu'au moindre de ses pas, la faire douter de ses poings, rétrécir année après année le monde qui l'entoure à une poche d'air sans issue". Vingt-trois ans après, le criminel est arrêté. Comment va réagir Adélaïde ? Pour connaitre la réponse, il faut vite lire ce récit poignant, fort et émouvant.  Voilà les coups de cœur de l'Atelier de juin. Encore des excellentes idées de lecture pour la saison estivale… 

jeudi 20 juin 2019

Atelier Lectures, 2

Régine a démarré les coups de cœur avec le roman d'Ito Ogawa, "La papeterie Tsubaki". Régine nous a prévenues dès sa prise de parole : "Il ne se passe rien dans ce livre, mais il m'a fait du bien"... Ce livre l'a complétement charmée. Hatoko, 25 ans, est de retour à Kamakura dans la petite papeterie que lui a léguée sa grand-mère. Elle devient écrivain public et utilise à merveille le choix des mots, la calligraphie, l'épaisseur du papier, le timbre, l'enveloppe. La jeune papetière répond aux souhaits les plus surprenants. Ce livre feutré, d'une douceur enveloppante est à découvrir cet été, sous l'ombre d'un palmier, pourquoi pas ? Pour se distraire avec un thriller, Régine recommande "Toute la vérité" de Karen Cleveland. En tant qu'analyste du contre-renseignement à la CIA, division Russie, Vivian doit débusquer des agents russes infiltrés. Un jour, elle tombe sur un dossier compromettant son mari. Elle devra faire un choix entre son pays ou sa famille. Un très bon roman policier à découvrir. Dany a proposé un récit de Sue Hubbell, "Une année à la campagne", édité chez Folio en 1994. Le préfacier se nomme Jean-Marie Gustave Le Clezio. "J'ai souvent rêvé d'un livre complet où il y aurait les oiseaux, les insectes volant dans la lumière du matin, les gouttes accrochées dans les toiles des araignées, le ciel changeant selon les saisons". Ce livre idéal correspond à celui de l'écrivaine américaine, que Le Clezio compare à Virgile. Cet ouvrage, teinté de poésie, conviendra parfaitement à tous les amoureux(ses) de la nature, d'une vie simple et sereine au milieu des abeilles dans une ferme américaine. Une envie de paradis terrestre dans un monde dénaturé où la disparition des oiseaux, de nombreuses espèces animales est déjà programmée, hélas… Agnès a changé de registre en présentant un livre de philosophie, celui de Charles Pépin, "Les vertus de l'échec", paru en 2016. Ce traité de sagesse évoque la question de l'échec, source d'angoisse. Mal perçu, l'échec signifie faiblesse, faute, désarroi. Charles Pépin analyse les succès de quelques célébrités comme De Gaulle, Steve Jobs, Barbara et d'autres personnalités qui ont essuyé des accrocs dans leur parcours. Il évoque aussi Marc-Aurèle, Nietzsche, Freud. Chaque épreuve nous confronte au réel, nous rend plus lucide, plus combatif, plus vivant. Agnès a lu avec plaisir cet ouvrage très accessible sans jargon philosophique. La suite, demain. 

mercredi 19 juin 2019

Atelier Lectures, 1

Nous étions une bonne dizaine de lectrices à nous retrouver dans le dernier atelier de la saison. J'avais proposé un pique-nique vers midi et nous avons dégusté les gaufrettes salées de Sylvie, le cake aux courgettes de Pascale, les salades de Dany, la tarte aux pommes de Régine, le vin blanc d'Orvieto d'Annette, la Clairette de Die de Janelou, des tomates cerise et d'autres gourmandises. Ce moment de convivialité clôturait une année fertile en lectures :  coups de cœur de chacune en début de séance et une liste de mon choix. J'ai proposé depuis octobre 2018 jusqu'en juin 2019 : l'écrivain américain Philip Roth, les littératures nordiques, le journal intime, l'écrivaine israélienne Zeruya Shalev, les écrivains, héros de roman, Jean Rouaud, la collection Points, la mer dans la littérature. Les amies de l'atelier ont accompli un parcours sans faute avec une motivation constante, une curiosité vive, une envie de découvrir des chefs d'œuvre littéraires. Mon objectif reste toujours le même durant ces années de lectures partagées : se plonger avec une gourmandise vitale dans les livres, compagnons indispensables pour approfondir les émotions et les connaissances. Lire procure un bonheur sans limites, constitue un loisir gratuit ou peu onéreux, représente une occupation saine pour nos chères neurones, pourrait se définir comme une gymnastique indispensable de l'esprit. J'ai présenté quelques thématiques pour la saison prochaine avec au programme dès octobre les trois déesses de la littérature italienne : Elsa Morante, Goliarda Sapienza, Elena Ferrante. En novembre, je présenterai des romans et des essais sur Berlin dont on va commémorer les trente ans de la Chute du Mur de Berlin. Ainsi, de mois en mois, je prépare une sélection d'ouvrages sur un écrivain, sur un thème, sur une collection, etc. L'animation de l'atelier Lectures a l'immense mérite de prolonger ma carrière de libraire et de bibliothécaire et constitue un lien nécessaire entre ma vie d'avant et celle d'aujourd'hui. Je poursuivrai ce bénévolat "culturel" tant que ma santé me le permettra et surtout tant qu'il y aura des "fidèles" de ma seule église, celle des livres et de la littérature. J'évoquerai les coups de cœur demain, mais je voulais dans ce billet rendre un hommage à toutes ces amoureuses de la lecture et les remercier encore de leur présence au sein de l'Atelier !

mardi 18 juin 2019

"Les Impatients"

"Les Impatients" de l'écrivaine française, Maria Fourchet, se lit avec un plaisir certain. Je ne connaissais pas cette sociologue de formation, née en 1980 qui rencontre un grand succès d'estime avec ses quatre précédents romans dont "Toutes les femmes sauf une". L'histoire commence dans un lycée privé de province où se sont rencontrés Reine et Etienne. Le ton est donné dès les premières lignes : goguenard, ironique, vivant. Reine, dix-huit ans après, travaille après cinq ans d'Hec et des expériences super-performantes dans des entreprises "haut de gamme", dans les "cosmétiques". Etienne est devenu un haut fonctionnaire en attente d'un ministère. Ils ont réussi leur vie, des premiers de cordée, comme le dirait notre Président. Maria Fourchet décrit avec une précision d'un réalisme "entrepreneurial" les réunions de direction, tout en utilisant une distance d'une ironie salutaire. Ce monde d'apparences, de pouvoirs et de leurres existe bel et bien dans notre société où la mondialisation économique fait partie de l'identité de ces cadres dynamiques a l'esprit tueur. Le siège de l'entreprise se trouve évidemment à Paris dans le quartier de la Défense. Reine démissionne de son poste pour lancer sa propre entreprise. Elle partage sa vie avec Pierre, juriste de métier. Ils ont amassé une confortable épargne, acheté des studios pour leurs vieux jours : "Pierre a cryogénisé la perspective sur dix ans, impossible d'avoir peur de quoi que ce soit". On se croirait dans un roman de Georges Perec, "Les choses". La jeune femme remarque dans un ascenseur un homme discret, un chercheur à L'Ifremer, nommé Marin. De leur rencontre, va naître une idée audacieuse : exploiter les algues bretonnes pour fabriquer des crèmes. Reine va donc solliciter des actionnaires pour financer son projet. Les dialogues avec tous ces entrepreneurs sont d'une drôlerie irrésistible. Reine mène tambour battant son entreprise en réunissant les fonds nécessaires. Mais, un grain de sable va enrager la dynamique de la réussite professionnelle et elle va comprendre qu'elle mène une vie sans amour.  Je ne dévoilerai pas la fin de l'intrigue… Maria Fourchet possède un vrai talent pour nous raconter le milieu de l'entreprise d'aujourd'hui, un monde fou, avide et assez inhumain… Un très bon roman et une nouvelle voix dans notre planète de la littérature française. 

vendredi 14 juin 2019

Rubrique cinéma

J'ai vu cet après-midi le film "Un havre de paix" du réalisateur israélien, Yona Rozenkier. En Israël, trois frères se retrouvent dans le kibboutz de leur enfance pour enterrer leur père. Ce "havre de paix" ne ressemble pourtant pas à un îlot serein. Les anciens du kibboutz ne supportent plus les alarmes car ils veulent un sommeil tranquille. Pourtant, tout au long du film, le bruit des bombardements encercle le camp. Nous sommes après la guerre des 6 jours (1967). Avishaï, le cadet, doit rejoindre la frontière libanaise où un nouveau conflit vient d'éclater. Le frère aîné, Itaï, l'encourage à partir et surtout l'entraîne à se défendre lors d'un paintball. L'autre frère, Yoav, revient du front et s'est installé à Tel-Aviv. Il est traumatisé par la guerre et va influencer son jeune frère pour qu'il refuse de partir. Le film dénonce au fil des images cette pesanteur familiale d'autant plus que le père exigeait que ses fils défendent le pays. Yoav est considéré comme un traître par les gens du Kibboutz car le jeune homme s'est volontairement retiré de cette vie familiale étouffante. Il a fui le poids du devoir, le culte de la virilité, l'autoritarisme paternel. La mère bienveillante, d'origine italienne, tente de créer des liens plus harmonieux entre les frères. Mais la présence-absence du père revient sans cesse dans la tête des frères. Il a écrit son testament et désire qu'une partie de son corps qu'il a donné à la science soit déposé dans une grotte. L'enjeu de ce geste va déclencher l'issue des retrouvailles. Le jeune Itaï décide de plonger dans la mer pour accomplir le vœu du défunt. Les deux autres vont eux-aussi plonger pour l'aider mais au moment où ils sont revenus à la surface, Yoav va blesser son frère cadet pour lui éviter son départ au front. Ce premier film évoque le destin de ce pays presque toujours en guerre et les dégâts psychiques que cette insécurité permanente provoque dans la société israélienne. Le réalisateur montre aussi la solidarité générationnelle dans le kibboutz, les difficultés d'une vie en commun, l'ambiance menaçante près des frontières. Un film original et sensible sur le thème de la transmission assumée ou rejetée par ces trois frères perturbés


jeudi 13 juin 2019

"Le Nouveau"

J'ai lu le dernier ouvrage de Philippe Sollers, "Le Nouveau". J'ai retrouvé la patte "sollersienne" : une érudition littéraire fabuleuse, une ironie infinie, des bribes biographiques, une pensée libertaire traditionnelle. Je m'intéresse depuis longtemps à cet écrivain souvent critiqué et comparé au pape de Saint-Germain des Prés par son influence trop médiatique. Mais, je ne le vois pas du tout sous cet angle-là. Philippe Sollers résume son livre ainsi : "Ce livre est un roman. Nous sommes dans le Sud-Ouest de la France, vers Bordeaux et ses grands environs, d'où l'ensemble de l'Histoire, peu à peu se dévoile". Il donne ensuite quatre prénoms, Henri, Edna, Louis, Lena avec leur date de naissance et de mort et il ajoute un invité permanent, William Shakespeare. Les lecteurs qui n'aiment que l'ordre chronologique et une certaine logique dans un texte ne doivent absolument pas lire Sollers. Il faut abandonner ce cadre contraignant et se glisser dans la prose de cet écrivain sans préjugés, sans attente particulière. Dès les premières pages, il évoque les mouettes, la mer, un bateau, celui de son grand-père qui portait le nom "Le Nouveau". Son arrière-grand mère maternelle, Edna, venait d'Irlande. Son grand-père, Louis, était un escrimeur célèbre. L'écrivain revendique avec humour cet héritage : "Voilà ce qui coule dans mes veines : la marine, l'Irlande, les fleurets mouchetés. On ne tue pas, on touche. On n'espère rien, on navigue". Lena, sa mère, est une grande lectrice et grâce à la bibliothèque familiale, Philippe Sollers rencontre Proust à quinze ans en dévorant son œuvre. La structure d'un récit à la Sollers ressemble à des sauts de puce, une méthode basée sur la digression permanente. Il passe par exemple de ses ancêtres à Shakespeare en évoquant son génie littéraire. Parfois, au détour d'un paragraphe, le narrateur commente des faits d'actualité avec un esprit critique très pointu. Le monde se transforme décidément un grand spectacle tragique et parfois comique. Philippe Sollers cultive le doute, l'ironie, la provocation tranquille. Il n'aime au fond que la "littérature", sa véritable religion : "Je vais toucher un mot dans la masse, mon modèle est la mouette rieuse, vol plané, observation prolongée, piqué". Lire Sollers, c'est accepter de vagabonder dans une prose, parsemée de souvenirs, de réflexions philosophiques, d'hommages littéraires. Et oui, j'aime sa liberté de ton, sa passion de la vie et de la littérature. Un grand monsieur qui a atteint ses 80 ans, un éternel jeune homme. Et la maison Gallimard annonce la publication de ses œuvres dans la Pléiade...

mardi 11 juin 2019

"Frantumaglia"

Ce drôle de mot italien, "Frantumaglia" signifie fourre-tout, fragments, morceaux, et Elena Ferrante se livre enfin dans cet ouvrage complet paru chez Gallimard en 2019. Ce recueil de lettres, d'interviews, de réflexions sur la fiction forme un formidable matériau littéraire composite où l'écrivaine révèle quelques vérités sur sa personnalité. Elena Ferrante a longtemps refusé tout passage médiatique, tout entretien, toute confession même écrite. On la lit sans la connaître, on ne l'a jamais vue en photo, et même certains milieux de l'édition ont évoqué plusieurs plumes pour la saga "L'amie prodigieuse". Je cite un passage : "Je ne crois pas que les livres aient besoin des auteurs, une fois qu'ils sont écrits. S'ils ont quelque chose à raconter, ils finiront tôt ou tard par trouver des lecteurs". Pour elle, l'anonymat est un respect de sa vie privée. Seule, compte l'écriture. La connaissance de l'auteur n'apporte rien à la compréhension de l'œuvre. Ce principe d'effacement appartient à une grande tradition littéraire comme l'a vécue Julien Gracq exécrant les médias. Quand on parcourt cet ouvrage si éclairant sur elle, ses admirations littéraires vont à Jane Austen, Virginia Woolf, Anna Maria Ortese, Alice Munro et surtout la géniale italienne Elsa Morante dont elle a reçu un prix. Elena Ferrante écrit évidemment mais quelle grande lectrice ! Elle évoque les héroïnes de ses romans composés avant sa tétralogie mythique : "Poupée volée", "Les jours de mon abandon", "L'amour harcelant". Le rôle de l'écriture met en ordre une "intériorité morcelée", l'univers si complexe des relations femmes-hommes, le rapport aux enfants, Naples. Ce livre se lit avec un plaisir certain à condition d'avoir découvert toute son œuvre. Quand une journaliste lui demande d'expliciter le titre "Frantumaglia", l'écrivaine répond : "la frantumaglia est cette partie de nous-mêmes qui échappe à la verbalisation ou à d'autres formes de réduction et qui, dans les moments de crise, réduit à elle-même, anéantit l'ordre à l'intérieur duquel, nous pensions être stablement insérés. Toute intériorité, au fond, est un magma qui se heurte à la maîtrise de soi et c'est ce magma qu'il faut tenter de raconter, si nous voulons que la page possède de la force". Elena Ferrante raconte avec un charme discret et modeste son métier : fabriquer des histoires qui résonnent et qui résonnent si bien que ses lecteurs et ses lectrices lui vouent une admiration sans fin.  Un ouvrage indispensable pour rencontrer une très belle personne des lettres italiennes. 

lundi 10 juin 2019

"L'enfant perdue"

J'ai terminé la saga d'Elena Ferrante avec "L'enfant perdue", le quatrième tome paru chez Gallimard en janvier 2018. J'ai quitté mes deux héroïnes avec nostalgie tellement elles étaient presque devenues des amies familières depuis 2014. Les quatre volumes ont paru dans la collection Folio et on peut donc les acquérir pour une somme modique. Je demande parfois à des amies : "As-tu lu Ferrante ?" A mon grand étonnement, quand le non l'emporte, je commence à réunir les arguments pour qu'elles se plongent enfin dans cette suite romanesque. Tout d'abord, la description d'une amitié entre deux adolescentes se poursuit sur soixante ans entre admiration, jalousie, amour et haine. Le cadre de la saga ne peut que fasciner les lecteurs(trices) : Naples et son chaos, Naples et sa misère sociale mais aussi sa vitalité fiévreuse, sa lumière merveilleuse, sa beauté culturelle. En filigrane, l'Italie au XXe siècle avec ses soubresauts politiques et sociaux, la présence insidieuse de la mafia, la débrouillardise légendaire des Italiens, la solidarité familiale. Sur le plan littéraire, la présence de la narratrice, une écrivaine, le double d'Elena Ferrante, et sa vie entre amours contrariés et projets d'édition. Et autour de ces deux femmes, une myriade de personnages hauts en couleurs, qui entourent les deux héroïnes napolitaines. J'ai donc retrouvé Lénu et Lila dans leur maturité et dans leur vie quelque peu chaotique. Lila a monté une affaire d'informatique avec son nouveau mari, Enzo et Lénu a enfin réalisé son rêve d'adolescente : aimer et vivre avec son grand amour, Nino. Mais, son amant ne renonce pas à sa femme et à ses enfants, proposant même à Lila une solution proche de la bigamie. Malgré ses engagements féministes, elle accepte ce mode de vivre tellement elle est aveuglée par cet homme. Lila, toujours intuitive et instinctive, mène tout son petit monde avec une autorité indéniable, aidant les uns, rejetant les autres. Sa combattivité contre les Solara s'avère toujours aussi vive et elle défend son territoire avec une détermination farouche. Lénu quitte son mari et s'installe à Naples pour se rapprocher de son amie d'enfance et de sa famille. La vie avec Nino se complique et finit par se déliter malgré la naissance d'une petite fille. Lila, elle aussi, donne naissance à une petite fille et voila nos deux héroïnes élevant leurs deux filles quasiment ensemble.  Je ne dévoilerai en aucun cas la fin du roman car le titre indique déjà un drame. Le quatrième tome de la saga me semble bien plus sombre que les précédents mais toujours aussi passionnant que les trois premiers tomes. La magie Ferrante opère toujours : le brassage des vies, le poids des années, les leçons de vie, la maturité assumée, la difficulté d'aimer, les illusions perdues, la condition humaine en fait vue par une femme. Elena Ferrante, chamane littéraire et héritière d'Elsa Morante, qui aurait pu écrire cette suite romanesque, a inventé ces deux héroïnes magnifiques, suivies par des millions de lecteurs à travers le monde. "L'amie prodigieuse" a été adaptée en série. J'ai vu la saison 1 et même si je préfère les livres, la série me semble très fidèle à l'esprit de la saga. Elena Ferrante, une conteuse née, mais le monde qu'elle décrit avec un réalisme critique est loin de ressembler à un conte de fées…  

jeudi 6 juin 2019

Rubrique cinéma

Cet après-midi, le temps s'est mis au gris-bleu incertain et j'ai profité de ce ciel mi-figue, mi-raisin pour aller au cinéma. J'ai vue "Sybil", un film de Justine Triet avec Virginie Efira dans le rôle principal. Elle campe un personnage déjà romanesque dans sa fonction : psychanalyste et écrivain. Dès les premières images, Sybil déjeune avec son éditeur qui lui donne des conseils pour se remettre à écrire un roman. Elle décide de se consacrer à ce nouveau projet en interrompant son métier de psychanalyste. Au fil du récit, on apprend que Sybil n'a pas mené une vie tranquille. Elle a rompu avec sa mère alcoolique, a connu une passion dévorante avec un amant, a sombré elle-même dans l'alcool. Sybil est entourée de son mari et de ses deux enfants. Quand elle démarre son roman, elle manque d'inspiration. Hors, un soir, une comédienne en détresse (jouée par Adèle Exarchopoulos) l'appelle au téléphone pour lui demander de l'aide. Cette Margot est enceinte d'un acteur qui joue dans le même film que lui. Mais, cet homme est marié à la réalisatrice. Sybil fait une exception en acceptant de la soutenir. Elle enregistre les entrevues, violant les règles déontologiques. A partir de ce moment-clé, le film s'accélère pour montrer le désordre chaotique des décisions humaines… Tout ce petit monde cultive la manipulation : Margot supplie Sybil de la rejoindre dans l'île de Stromboli (très beau décor, par ailleurs). Sybil commence à se prendre pour Margot qu'elle protège tout en la pillant pour l'utiliser dans son futur roman. L'ambiguïté des sentiments règne chez tous les personnages. Elle succombe même au charme séduisant de l'acteur en se substituant à Margot. Les scènes sur le monde du cinéma montrent un milieu un peu délirant, excessif, burlesque. La réalisatrice brosse un portrait complexe d'une femme écartelée par des désirs contraires : entre deux amours, entre deux métiers, avec une addiction à l'alcool qui menace son équilibre. A la fin du film, elle a enfin écrit son livre, retrouvé son mari et ses enfants et son métier, un retour à la réalité après une incursion dans la fiction… Un très bon film. 

mercredi 5 juin 2019

Michel Serres

J'ai consacré un billet à un Michel récemment mais un Michel nocturne, torturé, cynique et négatif. Aujourd'hui, j'évoque un Michel solaire, optimiste, sincère et positif. L'un s'appelle Houellebecq, l'autre Michel Serres. Ce philosophe médiatique vient de mourir à 88 ans. Je l'ai vu souvent à la télévision et en particulier lors d'un débat passionnant entre lui et Alain Finkielkraut, deux philosophes les plus antinomiques à souhait. Mon tempérament pencherait plutôt vers le pessimisme malheureux de Finkielkraut mais j'aimais bien que Michel Serres me remonte le moral en nous confirmant le bonheur de vivre au XXIe siècle. Sa grande thèse du "C'était mieux avant" repose sur le constat de la paix qui règne en Europe depuis 7O ans et que nous ne sommes plus sous la férule des dictateurs comme Hitler, Staline, Franco, Mussolini et Mao. On vit beaucoup plus longtemps grâce à la science et la vie quotidienne semble bien plus facile qu'avant. Comment donc faisions nous sans smartphone et ordinateur portable ? Les années avant l'invention d'Internet : des temps obscurs, dinosauriens, diluviens… Les jeunes d'aujourd'hui ne peuvent même pas imaginer ce drôle de Moyen Age. Michel Serres a développé avant son succès médiatique une œuvre assez hermétique et difficile à lire. Il a surtout parlé avant tout le monde dans le "contrat naturel" de notre Terre en danger de mort qu'il faut protéger et respecter. Un écologiste avant l'heure. Fils de marinier, gascon à l'accent conservé, amateur de rugby, historien des sciences, académicien, professeur aux Etats Unis, grand voyageur, ce philosophe éclectique, encyclopédique, inclassable ressemblait à son mentor, Gaston Bachelard sans la barbe longue. Son esprit scientifique lui a permis de voir venir les grandes mutations de notre temps : la communication mondialisée, la place du corps, la crise écologique, la numérisation triomphante. Son œuvre foisonnante (plus de 60 livres) cherche à décloisonner le savoir et à lancer un pont entre les sciences et les humanités. Il a même participé à l'élaboration de France 5, a animé des émissions à la radio, donné des conférences dans le monde entier. Même si on ne connaissait pas ses livres savants, beaucoup de lecteurs(trices) ont lu "Petite poucette", un best-seller inédit vendu à des milliers d'exemplaire où il rend hommage à la jeunesse qui vit à ses yeux une révolution technologique sans précédent à l'égal de la révolution de l'imprimé. Michel Serres donnait envie "d'y croire", de penser que l'avenir sera encore mieux que le passé, un optimiste né, qui lui venait peut-être de sa douce et belle Aquitaine… Pour le connaître mieux, de nombreux articles ont paru sur lui et sur ses prises de position philosophique. Comme je m'intéresse beaucoup à la philosophie, j'ai mis Michel Serres dans mon programme estival de mes nombreuses lectures… 

mardi 4 juin 2019

"Trois étages"

Je ne connaissais pas cet écrivain israélien, Eshkol Nevo et grâce aux coups de cœur de l'atelier Lectures de mai, j'ai lu "Trois étages", publié en 2018 dans la collection "Du Monde entier" chez Gallimard. Dans cet immeuble de Tel Aviv, au premier étage, un ancien officier de l'armée soupçonne un voisin d'actes pédophiles sur sa fille. Pourtant, lui et sa femme ont souvent confié leur fille à ce couple de retraités si gentils, toujours disponibles pour leur rendre service. Lors d'une garde de leur fille Ophri, Hermann, le voisin, part en balade et comme il commence à perdre la mémoire, il s'égare dans un petit bois que la petite fille connaissait. Arnon, le père,  retrouve sa fille et aperçoit la tête de son voisin sur les genoux de sa fille. A partir de cet image qui le rend fou, il devient obsédé par ce geste. Sa petite fille le rassure en lui disant qu'il ne s'est rien passé entre eux. La police lui confirme ce fait mais, lui continue à soupçonner l'agression sexuelle. Cette obsession se transforme en agressivité physique à l'égard d'Hermann quand il lui rend visite à l'hôpital. Il tente de l'étrangler pour qu'il avoue son méfait. Heureusement, le personnel médical intervient et stoppe le geste. Sa femme, Ayelet, doute alors de son mari qu'elle qualifie d'obsédé sexuel. La crise couve dans le couple… Dans le deuxième étage, Hani, dite la veuve, s'ennuie car son mari se déplace très souvent. Elle se sent délaissée. Un jour, débarque son beau-frère, un escroc, recherché par la police pour des arnaques à l'assurance-vie de nombreux retraités ruinés. Elle accepte d'héberger cet homme aux abois pendant quelques jours. Ce beau-frère séduit Hani qui, par dépit, craque devant cet homme qui a besoin d'elle. Elle le cache dans un appartement de voisins absents. En fait, son beau-frère fâché depuis longtemps avec son frère, incarne le mari idéal qu'elle aurait aimé avoir… Au troisième étage, vit une juge d'instruction à la retraite. Elle s'adresse à son mari défunt pour lui raconter sa nouvelle vie. Elle rejoint des jeunes qui manifestent pour des logements moins chers. Sa vie toute tracée prend une direction opposée… L'écrivain conte avec une verve sans pareille trois vies qui se dérèglent sous la pression familiale et sociale. Cette fresque douce-amère décrit la société israélienne, traversée par des tensions et des crises. Chaque protagoniste éprouve un sentiment de solitude et de frustration qui brouille leur communication avec autrui. Le style ironique et alerte de l'auteur apporte à ce roman à trois nouvelles une touche originale. Il est aussi question d'un message psychanalytique avec les trois étages de notre identité : le ça, le moi, le surmoi… Un très bon roman qui m'a donné envie de lire l'ensemble de son œuvre. La littérature israélienne se porte décidément très bien… 

lundi 3 juin 2019

Michel Houellebecq

La semaine dernière, j'ai assisté à une conférence donnée par un professeur émérite de l'Université de Savoie, Michael Kohlhauer. Je connaissais la réputation excellente de ce spécialiste de la littérature comparée, du XIXe siècle au XXe. Il a introduit sa conférence avec une présentation de l'écrivain dans la sphère des "réacs", honnis de la gauche bien pensante et fière de ses valeurs humanistes et progressistes. Evidemment, le public (une petite trentaine de seniors, pas un seul jeune...) s'était déplacé pour comprendre cet écrivain "sulfureux", dérangeant mais pourtant adulé par ailleurs par des millions de lecteurs à travers le monde entier. J'ai savouré la conférence car je considère Michel Houellebecq comme l'un des meilleurs écrivains français du siècle. Son esprit antimoderne malheureux, sa méfiance délectable du monde, son humour ironique, sa critique sociale constituent son identité littéraire, un "mécontemporain" selon une expression de Finkielkraut. Car, il ne faut pas nier la détestation qu'Houellebecq provoque. Certains le qualifient de raciste, d'islamophobe, de misogyne et j'en passe. Tous les traits négatifs de ce "réactionnaire" infréquentable alimentent les scandales récurrents que l'on peut lire dans la presse. Le conférencier a abordé cette identité médiatique mouvementée et a replacé ses œuvres dans le domaine strictement littéraire. Sinon, on ne lirait plus George Sand (anti-Communarde), Céline (antisémite), Camus (qui préfère sa mère à l'Algérie indépendante) et bien d'autres écrivains politiquement incorrects. Pour apprécier les romans de Houellebecq, il faut donc se débarrasser d'un certain moralisme prudent, renoncer à vivre dans un monde de bisounours bienveillants et naïfs. Les scènes de misère sexuelle peuvent lasser le lecteur, il suffit de les zapper… La prose houellebecquienne frappe fort, bouscule le politiquement correct. Pourtant, il suffit de s'appuyer sur la tradition littéraire qu'il revendique : le naturalisme social, la critique sociétale, le constat des faits, la réalité crue, le réel non maquillé. En fait, notre écrivain visionnaire peut revendiquer l'héritage de Balzac, de Zola, de Maupassant. Dans chaque roman, il développe une problématique sensible comme dans son "Extension du domaine de la lutte" où il dénonce les méfaits catastrophiques d'un libéralisme effréné. "Soumission" abordait la très délicate question de l'islamisation de la société française où la religion prend la place de la démocratie laïque. Quel écrivain français provoque des discussions passionnées ? Aucun… Monsieur Houellebecq est unique dans le panorama de la littérature. Certains détracteurs attaquent aussi son style soi-disant pauvre, banal, sans charme. Michael Kolhauer a prouvé le contraire en lisant des passages significatifs de son style hybride, original, élaboré. Le conférencier a bien rappelé que cet écrivain passait son temps à tout simplement lire, lire et lire encore. Quand je suis sortie de la conférence, j'avais envie de découvrir "La possibilité d'une île" et de relire "Extension du domaine de la lutte"... Michael Kohlhauer a réussi son pari : le public présent est peut-être reparti avec un peu moins de préjugés négatifs sur Michel Houellebecq.