mercredi 1 juin 2022

Atelier Littérature, 2

 Janelou a poursuivi l'évocation de la rupture dans le récit poignant de Georges Perec, "Ellis Island". Il en fallait du courage pour quitter son pays natal et pour se retrouver sur cet îlot inhospitalier à des milliers de kilomètres de chez soi. L'écrivain décrit avec une précision de chirurgien la matérialité du lieu en mettant aussi l'accent sur les immigrants, leur nombre, leur pays d'origine, le nom des bateaux sur lesquels ils franchissaient l'océan. Cette description clinique, austère, quantitative va crescendo pour aboutir à ses questions sur ses origines juives : "Ce que moi, Georges Perec, je suis venu questionner ici, c'est l'errance, la dispersion, la diaspora. Ellis Island est pour moi le lieu même de l'exil, c'est-à-dire le lieu de l'absence de lieu, le non-lieu, le nulle part, c'est en ce sens que ces images me concernent, me fascinent, m'impliquent, comme si la recherche de mon identité passait par l'appropriation de ce lieu-dépotoir où des fonctionnaires harassés baptisaient des Américains à la pelle". Janelou a beaucoup apprécié ce texte court, fulgurant, émouvant que Perec a composé en même temps que son récit intime, "W ou le souvenir d'enfance", un de ses chefs d'œuvre. Une rupture absolue pour des millions d'Européens au début du XXe siècle venus pour une meilleure vie dans ce Nouveau Monde impitoyable, une Terre promise pour fuir la misère, la pauvreté et le désespoir. Un récit magnifique à lire, à relire. Pascale et Colette ont choisi "La Femme rompue" de Simone de Beauvoir. Les deux lectrices ont bien aimé les nouvelles les plus longues et n'ont pas compris la plus courte, "Monologue", un récit enragé d'une femme déprimée. Le mal être des femmes en crise n'a pas pris une ride et conserve une actualité permanente. Le premier texte évoque une intellectuelle intransigeante qui ne supporte pas la trahison de son fils (il quitte l'enseignement pour un poste au ministère de la culture), l'éloignement de son mari et son propre vieillissement. La nouvelle qui porte le nom du recueil, "Le femme rompue"  a gardé sa tonalité moderne. L'écrivaine raconte les moments de rupture dans une vie de femme au foyer : son mari la trompe et ses enfants quittent le nid familial. Pour cette femme qui a sacrifié sa vie à sa famille, ces ruptures fondamentales la basculent dans une dépression dévastatrice. Comment supporter sa nouvelle liberté ? Simone de Beauvoir avec sa philosophie de l'existentialisme et sans un dogmatisme démodé, propose la volonté, le sursaut, la prise de risque, le goût de la vie, malgré des failles et des échecs intimes. Un recueil de nouvelles à découvrir.