mercredi 5 octobre 2022

Paul Veyne chez les dieux

 A l'âge de 92 ans, le grand historien, Paul Veyne, a rejoint les dieux et les déesses de l'Olympe. Sa passion de l'Antiquité m'a contaminée pour mon plus grand bien. J'ai lu avant de partir à Rome son livre sur "la vie privée dans l'Empire romain", très accessible pour les non-spécialistes. Il n'employait pas un jargon universitaire obscur et souvent inaudible par le commun des mortels. L'historien raconte cette passion naissante pour l'archéologie dès l'âge de 8 ans dans sa belle autobiographie, très joliment intitulée, "Et, dans l'Eternité, je ne m'ennuierai pas", paru en 2014 et disponible en livre de poche. Il trébuche sur un bout d'amphore près de Cavaillon et pour ce petit garçon curieux, cette rencontre avec un tesson antique déterminera sa vie de chercheur. Il fait ses études à Paris au lycée Henri-IV, puis à Normal Sup' et l'Ecole pratique des Hautes Etudes sans oublier la prestigieuse Ecole Française de Rome (que j'ai visité dans le Palais Farnèse) pour terminer sa carrière universitaire au Collège de France. Latiniste éclairé, agrégé de grammaire, il cultive sa propre liberté dans le champ des connaissances en étudiant des aspects délaissés par ses confrères comme l'évergétisme à Rome (pratique du don), la sexualité permissive, l'irruption du christianisme dans le monde romain. Il s'intéressait plus aux hommes et aux femmes du peuple qu'aux empereurs. Historien iconoclaste et provocateur, il mettait cette science humaine à la portée de tous et de toutes. Sur le plan politique, il a adhéré brièvement au PCF qu'il a quitté en 1956 après le coup de force de l'URSS en Hongrie. Anticolonial, il militera contre la torture en Algérie. Cet homme d'une culture extraordinaire maniait aussi l'humour et la dérision. Je l'ai écouté dans des émissions de France Culture et sa passion de l'Antiquité restait intacte et enthousiasmante. Pourtant, il a vécu un drame personnel avec le suicide de son fils unique. Affligé d'une malformation au visage, il en parlait presque avec ironie dans son autobiographie. Quand j'ai appris sa disparition, j'ai ressenti une tristesse certaine comme si j'avais perdu un compagnon de voyage dans le temps tellement il m'a fait rêver sur Rome et sur la Grèce. Amoureux fou de l'Italie, il avait publié un très bel ouvrage sur les chefs d'œuvre de la peinture italienne. Et, inlassable intellectuel, il a traduit "l'Enéide" de Virgile en 2013. Dans son livre, "Comment on écrit l'Histoire", il écrit cette phrase prémonitoire : "A vrai dire, il n'y a pas de primitifs, ni d'archaïsme ; aucun fait humain n'a de date absolue et tous peuvent se trouver rappelés à l'existence à n'importe quelle époque". Un grand Historien est parti mais il est toujours avec nous grâce à ses livres. Il va dorénavant distraire les dieux qui vont l'accueillir avec le sourire aux lèvres.