jeudi 7 octobre 2021

"Le premier exil"

 Né à Buenos Aires en 1962, Santiago H. Amigorena vient de publier chez P.O.L., "Le premier exil". Ce récit autofictionnel, pourtant baptisé "roman" sur la page de titre, peut déconcerter ou au contraire susciter une admiration véritable sur le plan littéraire. Cet écrivain singulier construit avec une patience toute proustienne, son grand modèle, une saga autobiographique hors norme, commencé en 1998 avec "Une enfance laconique". Un de ses précédents livres, "Le ghetto intérieur" parlait de la vie de son grand-père. Le jeune Santiago quitte l'Argentine en 1966, après un nouveau coup d'état militaire. Ses parents, qui sont psychanalystes, s'expatrient en Uruguay, un des rares pays à ne pas subir une dictature. La famille restera dans ce havre de paix jusqu'en 1973, date de leur exil à Paris. L'écrivain, devenu français, raconte dans "Le premier exil", ces années uruguayennes en recréant une enfance particulièrement intense où il va découvrir sa vocation très précoce pour le langage et pour l'écriture. Il se prénomme le "tétard-scriptor" et se transforme plus tard en "gros crapaud graphomane". Scénariste de métier, le narrateur livre quelques éléments autobiographiques. Il est père de deux enfants d'une femme (Julie Gayet) qui vit avec un ancien président de la république. Il a partagé aussi sa vie avec Juliette Binoche. Mais le sujet essentiel de ce texte repose sur cette enfance fabuleuse en Uruguay. Ses camarades de classe le surnommaient le muet (el mudo) : "J'ai appris à donner à mon silence la forme qu'il a aujourd'hui, une forme littéraire". Il choisit l'écriture entre ses 6 à 12 ans et rédige ses premiers poèmes qu'il intègre dans son livre. Ce petit garçon, déjà fou de mots, décrit son paradis en mettant au centre de l'imaginaire enfantin, un arbre, un immense "gomero" où il creusait des entailles avec un canif pour recueillir la sève laiteuse. Ce roman complexe et audacieux sur le plan littéraire propose une introspection douloureuse sur le deuil, le déracinement, la folie de l'Histoire, la Shoah tout en relatant les moments lumineux d'une enfance en gestation. Dans une démarche de psychanalyste, il décrypte tous les événements qui refont surface dans sa mémoire : ses amitiés, ses premières amours, ses relations avec ses parents, sa langue maternelle. Ce récit halluciné se compose de ses sensations enfantines, de ses obsessions littéraires et philosophiques avec un fil conducteur sur le rôle de la mémoire, de la perte et de la transmission. Ce livre-enquête sur les traces de sa naissance d'écrivain n'est pas toujours facile à suivre mais il faut nager dans ses pages avec lenteur et attention. Je citerai cette phrase emblématique de sa démarche : "Pour faire revivre un être, souvent, il faut ressusciter un monde - un monde qui dira à quel point, cet être était unique, exceptionnel, et, en même temps, semblable à chaque être qui vivait en ces contrées lointaines ou en cet âge évanoui". Un des meilleurs romans de la rentrée littéraire.