mercredi 19 février 2020

Charlotte Delbo, 1

La littérature concentrationnaire est souvent représentée par des hommes comme Primo Lévi, Robert Antelme, Jorge Semprun dont les livres sont connus du grand public. Cela faisait longtemps que je voulais découvrir Charlotte Delbo dont une biographie était sortie récemment en 2016. Par négligence ou par manque de curiosité, je n'avais toujours pas lu la trilogie, "Auschwitz et après". Comme les médias ont rappelé la libération des camps il y a soixante quinze ans, je pensais que le moment était enfin venu de me replonger dans cette période historique plus que tragique. Un documentaire sur Arte concernant le camp d'Auschwitz m'avait aussi frappée. Charlotte Delbo (1913-1985) a commencé à s'engager auprès des communistes et elle travaille avant la guerre comme assistante de Louis Jouvet. En 1941, elle rejoint la Résistance avec son mari, Georges Dudach qui sera arrêté avec elle et sera fusillé en 1942. Déportée à Auschwitz dans "le convoi du 24 janvier 1943", (titre d'un de ses ouvrages), elle deviendra l'une des 49 rescapées de ce convoi sur 230 femmes, prisonnières politiques. Pendant sa déportation, elle décide de témoigner pendant ces deux années d'internement. Revenue des camps, elle écrira sa vie de déportée dès 1946. Elle restera une militante politique de gauche en s'engageant contre le guerre en Algérie. Elle travailla pour l'ONU et à partir des années 60, au CNRS en devenant la collaboratrice d'Henri Lefebvre. Le récit, "Aucun de nous ne reviendra", paru aux Editions de Minuit, en 1970 sera suivi par "Une connaissance inutile" et "Mesure de nos jours" en 1971. Dès les premières lignes de son récit autobiographique, Charlotte Delbo mêle la poésie à la prose en décrivant l'arrivée des déportés : "Ils voudraient savoir où ils sont. Ils ne savent pas que c'est ici le centre du monde. Ils cherchent la plaque de la gare. C'est une gare qui n'a pas de nom. Une gare qui pour eux n'aura jamais de nom". Dans le premier chapitre, tous les paragraphes s'ouvrent avec une formule lancinante comme une mélopée tragique : "Il y a". Elle intègre des poèmes, des dialogues, des aphorismes dans son récit pour montrer sa vérité, son ressenti, son émotion. Ces pauses servent de "respiration", de réflexion, tellement la réalité infernale reprend le dessus avec des récits descriptifs sur la non-vie des camps avec la faim chronique, les mauvais traitements des kapos, la maladie, le froid, la faim, la soif, la mort partout avec la proximité des chambres à gaz. Des passages de son récit sont parfois insoutenables, surtout quand elle perd ses compagnes de captivité. Dans toutes ces scènes hallucinantes, en particulier l'appel à l'aube, Charlotte Delbo évoque aussi la solidarité des femmes entre elles. Une solidarité de combat stoïque, une solidarité de dignité humaine pour survivre dans cet enfer. (La suite, demain)