mercredi 21 novembre 2018

"Idiss"

Je regarde régulièrement la Grande Librairie, émission littéraire de grande qualité, animée par François Busnel. La semaine dernière, il avait invité Robert Badinter, ministre de la justice de 1981 à 1986, et Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995. Tout le monde se souvient de sa plaidoirie pour l'abolition de la peine de mort. Cet homme remarquable, âgé aujourd'hui de 90 ans, était reçu par François Busnel pour évoquer la publication de son ouvrage sur Idiss, sa grand-mère maternelle. Tout au long de l'émission, Robert Badinter a retenu son émotion avec difficulté quand il évoquait la figure émouvante de cette femme, née en Bessarabie en 1863 dans le Yiddishland. Ce monde juif, disparu à tout jamais avec la Shoah, ressurgit dans ce livre intimiste. Sa grand-mère a vécu dans la misère, l'oppression, l'antisémitisme, les pogroms et elle fuit son pays pour s'installer à Paris en 1912. A cette époque, la capitale française représentait le symbole de la liberté, de la culture et surtout de la tolérance. La République offrait un foyer pour tous ces immigrés juifs venus de l'Est. Idiss était analphabète, parlait le yiddish et pourtant, se sentait bien intégrée. Son petit-fils admire profondément cette femme d'une bonté exceptionnelle. Elle se marie avec amour, fait de la contrebande, donne naissance à deux garçons et une fille. Robert Badinter raconte la vie de sa famille : les frasques de ses oncles, le mariage de ses parents, la réussite commerciale dans les fourrures. Les souvenirs de son enfance forment une fresque sociale et historique dans la France des années 30 et 40. Un leitmotiv revient souvent sous la plume de l'auteur : ses grands-parents et ses parents lui ont montré l'exemple, une attitude dans la vie imprégné de courage, du sens de l'effort, de l'amour de la culture. L'auteur a déclaré dans l'émission : "J'ai eu des gens bien comme mes parents".  Alors que la société française leur avait permis de vivre normalement sans subir l'antisémitisme, la guerre de 39 se profile, la famille d'Idiss se sépare de peur des rafles à Paris. Robert Badinter et son frère échapperont à la déportation et c'est à Cognin qu'ils se cacheront. Idiss reste à Paris mais mourra d'un cancer.  A travers Idiss, Robert Badinter rend hommage à ses parents, à sa culture d'origine, (une Atlantide disparue). Malgré l'horreur des événements concernant la situation des Juifs en France, Robert Badinter constate les faits, témoigne sans émotion, décrit son monde familial dans l'univers glaçant du nazisme et du pétainisme. Idiss ne devait pas tomber dans l'oubli et grâce à son petit-fils, elle vivra dans nos mémoires. Un beau portrait émouvant, un témoignage historique, un livre indispensable pour comprendre les dégâts de l'antisémitisme.