mardi 29 novembre 2016

"L'autre qu'on adorait"

Catherine Cusset prévient le lecteur dès la première page : son personnage, Thomas, s'est suicidé en 2008 aux Etats Unis. Il a été mêlé à sa vie, dans les années 80, comme amant et ami. Ce roman biographique pose la question de la bipolarité de Thomas dans ses comportements amoureux et professionnels. L'écrivaine prend la liberté de tutoyer son personnage en relatant les divers aspects de la vie de son héros malheureux. Quand il rate le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure, Thomas quitte la France, qui ne reconnaît pas ses mérites, pour les Etats Unis. Cet intellectuel brillant et ambitieux va pourtant sombrer dans une spirale d'échecs et de déceptions. Pourtant, New York l'enchante et le fascine. Il fait la fête avec ses nombreux amis, il tombe souvent amoureux, il mène une vie culturelle intense et passionnante. Mais, son comportement dépressif commence à dégrader ses relations avec la hiérarchie à l'université.  Il n'obtient pas les postes universitaires  qu'il convoitait par manque de travail sérieux sur sa thèse concernant Proust qu'il n'arrive pas à terminer par négligence et dilettantisme. Il met fin à plusieurs conquêtes féminines. Cette vie bouillonnante se déroule dans ses nombreux déplacements entre son pays d'adoption et son pays d'origine. Après toutes ces années où Thomas recherche l'amour total qu'il ne trouve pas et la reconnaissance universitaire qu'il n'obtiendra pas, il s'écroule et s'enferme chez lui jusqu'au geste final irrémédiable. Catherine Cusset écrit un beau témoignage sur un ami perdu à jamais. Elle raconte la vie difficile et handicapante d'un homme atteint de bipolarité, cette maladie mentale que même la famille et des amis ne perçoivent pas dans la personnalité de leur proche. Ce roman autofictionnel était à deux doigts du prix Goncourt mais, les jurés ont préféré la thématique des invisibles dans la société (la nounou meurtrière "d'Une chanson douce") à l'histoire d'un homme, issu de l'élite française, vivant à l'américaine,  mettant fin à ses jours à cause de sa maladie mentale. Un histoire triste mais un bel hommage amical.

lundi 28 novembre 2016

Rubrique Librairies

J'aime décrire les lieux magiques comme toutes les capitales européennes que je visite depuis cinq ans, mais, il existe aussi des endroits qui nous transportent dans un ailleurs bienfaisant,  hors du quotidien et de chez soi. Les librairies, les bibliothèques, les musées participent à cette envie de quitter ses habitudes pour arpenter ces espaces dédiés à l'intelligence, à la culture et à l'art. Samedi, j'étais à Besançon, une des plus belles cités françaises, et je ne peux jamais visiter une ville sans rentrer dans une librairie, une bibliothèque et un musée. Dans la rue des Granges au 59, la libraire l'Intranquille a ouvert ses portes depuis le mois de novembre 2015 dans une ancienne église, celle des dames de Battant, un monument historique, vieux de trois cents ans. Dans cet ancien lieu sacré, les livres profanes se sentent très bien dans un dédale de cinq étages sur 1300 mètres carrés avec plus de cent mille références. Cette librairie générale indépendante est devenue la plus importante de la ville. Au dernier étage, se nichent les livres d'art sous une majestueuse coupole avec ses baies vitrées hautes de six mètres.  Tous les publics se mélangent allègrement et je me suis retrouvée entourée d'enfants, d'adultes et de jeunes assoiffés de connaissances et de culture. Du sous-sol au dernier étage, mes yeux se posaient avec fébrilité sur les livres et avant d'en acquérir quelques uns, il est essentiel de les feuilleter, de vérifier le sommaire pour les essais ou de lire un extrait pour tester le style d'un romancier. Ce samedi soir, à Besançon, les citadins se promenaient dans les rues piétonnes dans une tranquillité et un calme appréciables. Certains d'entre eux choisissaient les boutiques de mode, d'autres pénétraient dans l'Intranquille avec gourmandise. J'ai donc pratiqué cette "saine addiction" sans complexe et le libraire m'a offert un marque-page de Noël avec un âne près d'un sapin et sur ce bandeau, des slogans facétieux proclament une vérité universelle : "Lire contribue grandement au bonheur", "Lire nuit gravement à l'ignorance". Besançon, ville verte, ville culturelle, un modèle de ville moyenne à taille humaine où il fait bon vivre et... lire !  

mercredi 23 novembre 2016

Rubrique cinéma

La Quinzaine du Film italien se poursuit jusqu'à mardi prochain et j'en ai profité pour aller voir "L'ultima Spiaggia" et "Fiore". Le premier raconte l'histoire d'une plage à Trieste qui détient une particularité anachronique : un mur se dresse au milieu et sépare les hommes, des femmes. Ce documentaire montre la vie de ces habitants, leurs traditions et leurs loisirs autour de ce lieu unique et pittoresque. J'avoue que je suis partie au bout d'une heure, la magie du lieu me laissant dans une attente dubitative. Pourtant, ce tableau estival d'une population en maillots, entre jeux de cartes et conversations sur serviettes, entre baignades et bronzages, pouvait devenir une étude ethnologique sur les us et coutumes des Triestins. Mais le rythme trop lent, le manque de dialogues distillaient un certain ennui. Dommage... Le deuxième film, "Fiore" raconte la vie d'une jeune adolescente, Daphné, une délinquante qui, avec violence, dévalise des voyageurs dans le métro pour leur subtiliser leur portable. La police arrête la jeune fille et la conduit dans un établissement pénitentiaire pour mineurs. Dans cette prison, les hommes et les femmes cohabitent dans une aile différente et les relations sont interdites entre eux. Daphné remarque Josh. Ils s'envoient des billets clandestinement, bavardent à travers leurs grilles, deviennent amis. Le père de Daphné, sorti de prison,  lui rend visite et refuse de la prendre en charge car sa compagne ne veut pas l'accueillir dans son petit appartement. Daphné se conduit comme une rebelle, n'accepte pas le règlement et tente toujours de s'affranchir des contraintes de la prison. Le film ressemble à un documentaire sur la vie en prison, les relations entre les filles, leurs rivalités, leurs amitiés, leurs solidarités. Daphné malgré une vie rude et dure, tombe amoureuse de Josh et quand le garçon est libéré, elle se retrouve seule et abandonnée. Son père obtient une permission de sortie pour une fête de famille. Que va faire Daphné lors de ce week-end en bord de mer ? Il faut aller voir ce film pour découvrir cette adolescente en quête d'amour et de liberté malgré un départ difficile dans la vie d'adulte...  

lundi 21 novembre 2016

"L'absente"

Ce roman autofictionnel complète notre connaissance de la galaxie familiale de Lionel Duroy. Cet écrivain prolixe et décapant a investi son imaginaire dans la description impitoyable de sa famille avec laquelle il s'est fâché depuis les premiers titres de son oeuvre. Après "Le chagrin" et "Colères", Lionel  Duroy poursuit sa quête de la vérité sur ses géniteurs, son père au surnom ridicule "Toto" et sa mère, Suzanne, la bourgeoise bordelaise. Le narrateur raconte avec sa manière décomplexée sa vie du moment : il se sépare de sa femme et de sa maison à cause du divorce. Il ne supporte pas ce changement, symbolisé par son déménagement et voilà notre mari esseulé en proie au doute existentiel. Il s'enfuit de la maison en emportant quelques photos, son ordinateur et ses deux vélos d'une marque mythique, Singer. Il traverse la France et vagabonde en rencontrant des inconnus avec lesquels il crée des liens éphémères. Une libraire le poursuit de sa passion d'hôtel en hôtel et Augustin se laisse aimer tout en cultivant l'ironie sur cette aventure douteuse. Comme il vit une rupture avec sa vie d'avant, il pense souvent à sa mère qui a vécu un épisode semblable quand sa famille a été expulsée de leur appartement de Neuilly. Ce traumatisme psychique provoque un retour dans son enfance. Notre écrivain prend une décision incongrue : il se fait embaucher comme homme à tout faire dans le manoir où Suzanne est née. Cette supercherie lui permet de sonder le passé de cette famille qui n'a jamais accepté et compris le mariage déclassé de leur Suzanne qui a gâché sa vie. Peu à peu, il mène son enquête auprès de quelques cousins et approche la vérité sur cette femme si complexe, si malheureuse et si perturbée. Alors que cette mère était décrite comme une folle échevelée dans ses précédents ouvrages, il brosse un portrait plus nuancé, plus empathique de sa mère si mal mariée.  Lionel Duroy pourrait lasser ses lecteurs(trices) tellement il ressasse sa généalogie déficiente. Mais, son humour, son sens de la dérision, son écriture vivante et sans fioriture, ses obsessions familiales entraînent l'adhésion de son public qui aime les histoires de famille, une  véritable série avec plusieurs saisons avec Toto et Suzanne, Augustin et sa fratrie, comme personnages principaux. Un secret de famille se dévoile et termine peut-être la saga "Duroy"...

jeudi 17 novembre 2016

Rubrique cinéma

Du 16 au 29 novembre, les cinémas de Chambéry, l'Astrée et le Forum, organisent la traditionnelle Quinzaine du Cinéma italien. J'ai donc assisté au premier film diffusé aujourd'hui : "La ragazza del mondo" du réalisateur Marco Danieli. Giulia, une jeune adolescente de dix sept ans, vit dans un monde clos, figé, étouffant, celui des témoins de Jéhovah. Ses parents, sa petite sœur, son milieu social dépendent de cette religion sectaire. L'adolescente se comporte en disciple exemplaire en prêchant sa foi. Sa différence culturelle la marginalise au lycée et une professeur de mathématiques l'encourage pour passer un concours mais, Giulia décline cette offre, suivant ainsi les préceptes de sa religion intolérante. Pendant une visite chez une adepte, elle croise son fils et apprend qu'il sort de prison. La jeune fille veut aider Libero et demande à son père de l'embaucher dans son entreprise de menuiserie. Les mondes de Giulia et de Libero sont pourtant incompatibles et irréconciliables. Pourtant, ils se rejoignent dans une bulle amoureuse contre l'avis de tous. La jeune fille vit un séisme mental en transgressant la  loi de son milieu en rompant avec sa religion. Elle fuit avec Libero. Mais, le monde de Libero n'est pas réjouissant car le jeune homme s'adonne au trafic de drogue. Giulia découvre la vie réelle, débarrassée du joug familial et religieux. Elle décide de passer le concours de mathématiques qu'elle réussit. Ses parents la renient et l'assemblée l'excommunie... Sa liberté conquise la fragilise et leur idylle amoureuse s'étiole entre la misère sociale et la soumission sectaire. La jeune fille se lance à son tour dans le trafic de drogue avec sa couverture ancienne des témoins de Jéhovah. Cet engrenage dans la spirale infernale de la drogue tue son amour pour Libero. Elle le quitte et rejoint une ancienne témoin, comme elle, excommuniée par la secte. Ce film traite d'une façon très réaliste de l'aliénation mentale dans un groupe sectaire et de la très lente aspiration à la liberté individuelle d'une jeune femme soumise et obéissante. Comme j'ai toujours milité pour l'émancipation des femmes depuis de nombreuses années, je ne pouvais qu'adhérer au message de ce film : rien ne vaut la liberté, loin des dogmes politiques et religieux...

mardi 15 novembre 2016

Apprendre le grec ancien

A l'occasion des 80 ans de mon amie Evelyne, devenue depuis trois ans mon professeur de grec ancien, j'ai décidé de livrer un texte d'hommage qui a été intégré dans un journal que sa famille a composé à son honneur. Voici un extrait de mon texte : "Et puis, a germé dans ma tête un rêve fou et décalé. Comme Evelyne, notre franc-comtoise de choc, possède un art consommé de la générosité, elle a accepté de m'enseigner le grec ancien dans sa maison de Cognin. J'ai donc démarré en apprenant l'alphabet mystérieux de cette langue morte qui ne l'a jamais été à mes yeux tellement le vocabulaire et la grammaire ont fondé notre langue actuelle. Nous avons commencé avec l'ouvrage "Vive le grec" qui m'a lancée dans un éblouissement continuel : la conjugaison étrange, les phrases biscornues, le vocabulaire expressif, les tournures tarabiscotées, les exclamations tonitruantes. Elle m'a tout appris depuis trois ans et je me sens encore plus proche de mes dieux grecs, des héros mythologiques, des philosophes comme Socrate, Platon et Aristote, de mon aède préféré, Homère. Je partage avec elle cet amour de la Grèce antique et elle sait tout sur les contes et légendes de ce pays à qui on doit tant. Si je me décourageais par l'aoriste ou les comparatifs-superlatifs, elle n'insistait pas sur le moment et sa patience me permettait de rebondir plus tard. Pour me distraire des difficultés rencontrées, elle m'a raconté des anecdotes amusantes de sa vie de professeur au collège de Louise de Savoie de Chambéry. Et elle reprenait en douceur les leçons plus complexes telle une accompagnatrice de piano qui aide son élève à jouer juste. Le grec ancien, je continue à l'apprendre une fois par semaine sans interruption à part quelques semaines de voyage que j'entreprends depuis que je suis à la retraite. Evelyne m'a transmis un très beau patrimoine linguistique et j'éprouve pour ma professeur, une gratitude éternelle. Athéna, ma déesse préférée, m'a parlé quand je me trouvais à ses pieds sur une place d'Athènes, et m'a révélé un secret : apprendre le grec ancien rend heureux... J'ai suivi son conseil et Evelyne me procure un grand bonheur une fois par semaine ! 

lundi 14 novembre 2016

"Dictionnaire amoureux des Ecrivains et de la Littérature"

Cette collection des dictionnaires amoureux (presque une centaine de titres), publiée chez Plon, s'est bien installée dans la production éditoriale et poursuit son succès sans complexe. Chaque lecteur(trice) peut trouver son dictionnaire préféré selon ses goûts et ses passions. Je ne conseillerai pas pour ma part certains thèmes comme la chasse, le rock, la télévision, la médecine, le Tour de France, etc. Les ouvrages consacrés à la géographie et à l'Histoire dominent la collection et certains titres portent sur des sujets plus spécifiques comme la laïcité, le journalisme,  l'opéra entre autres. J'en possède quelques uns dans ma bibliothèque, ceux de la Grèce antique (évidemment !), de la mythologie (on ne se refait pas), de l'Italie (indispensable)... Je viens donc d'acquérir une nouveauté alléchante : "le dictionnaire amoureux des Ecrivains et de la Littérature", écrit et composé par Pierre Assouline. Dans la préface, l'auteur raconte sa relation passionnelle avec les livres, son exaspération aussi envers ces envahisseurs de papier lors des déménagements. Il propose aux amateurs de littérature un dictionnaire très subjectif qui tient compte de sa propre vision de la littérature. Le lecteur(trice) ne trouvera peut-être pas tous les écrivains la planète, loin de là... Mais, les articles consacrés aux écrivains évoquent les plus importants de nos classiques : de Beckett à Kafka, de Musil à Proust, de Woolf à Zweig, sans oublier nos contemporains vivants : Patrick Modiano, Eri de Luca, Milan Kundera, Pierre Michon, Philip Roth, etc. Quand j'ai lu le billet sur Pascal Quignard, j'ai apprécié son avis très favorable sur l'œuvre de mon écrivain préféré. Les portraits des auteurs côtoient certains titres de romans, des émissions littéraires, d'anecdotes sur la vie littéraire. Ce dictionnaire fourmille d'informations sur le monde de la littérature. Il ne faut pas le lire en continu mais le feuilleter, s'arrêter sur un article, papillonner, fureter, se promener dans ces pages où Pierre Assouline se livre, délivre un message fort et tenace : aimez donc les livres et la littérature !

jeudi 10 novembre 2016

Prix littéraires 2016

La saison des prix littéraires s'est terminée cette semaine. J'ai retenu pour ma part le Goncourt pour la jeune franco-marocaine, Leïla Slimani, journaliste-écrivain, pour son deuxième roman, "Chanson douce", édité chez Gallimard. Son premier titre, "Dans le jardin de l'ogre", avait été remarqué par la critique littéraire. Le sujet très dur de ce roman, une nounou meurtrière, pourrait rebuter un grand nombre de lecteurs mais, il se lit comme un thriller intense en dévoilant une certaine lutte de classes basée sur l'humiliation. Le prix Médicis a été attribué à Yvan Jablonka pour "Laëtitia ou la fin des hommes", édité au Seuil. Tiré d'un fait divers tragique, l'auteur relate la mort atroce de cette jeune adolescente massacrée par un marginal. La violence des hommes est au cœur du récit et l'auteur, sociologue de profession, mélange les frontières de la fiction et de la non fiction.  Dans un article du journal Le Monde, au titre explicite, "Les prix littéraires donnent voix aux sans-voix", les journalistes évoquent le coup de fouet (400 000 exemplaires pour le Goncourt) donné par les prix aux librairies et aux éditeurs. Ils remarquent le peu d'impact des prix sur la littérature contemporaine d'avant-garde à l'exception de quelques écrivains comme Pascal Quignard en 2004. Philippe Claudel, membre de l'Académie Goncourt, interrogé par le Monde, a déclaré : "La littérature n'est pas toujours là pour nous consoler, appliquer un baume ou nous faire voir le monde à travers une vitre opaque. Pour moi, la littérature est un art du dévoilement, y compris le plus amer et le plus difficile". La littérature se mêle du réel le plus cruel et un critique relève que le sujet l'emporte sur le style, une des grandes tendances du moment. Yvan Jablonka rejoint avec cette étude sur Laëtitia, les écrivains, imprégnés de sociologie comme Annie Ernaux et Pierre Michon. J'ajouterai le prix Renaudot pour Yasmina Reza avec "Babylone". J'ai regretté l'absence de Jean-Paul Dubois, Laurent Mauvignier, Luc Lang, Catherine Cusset. J'ai donc un an devant moi pour découvrir ces titres primés en attendant la nouvelle marée annuelle de la rentrée prochaine... Et surtout, de nombreux très bons romans attendent leurs lecteurs en toute discrétion, sans couronne de fleurs et sans réception mondaine...

mercredi 9 novembre 2016

"Les bottes suédoises"

"Les bottes suédoises" d'Henning Mankell est son dernier roman, écrit avant sa mort en 2015. Ce livre fait suite aux "Chaussures italiennes". Le personnage principal, Fredrik Welin, a pris sa retraite après avoir raté une opération chirurgicale avec une de ses patientes. Cet accident professionnel le tourmente toujours alors qu'il est installé sur une île de la Baltique. Dès les premières pages, j'ai retrouvé cet homme blessé qui avait accueilli sa femme Harriet dont il n'avait plus de nouvelles. Quand elle réapparaît dans les "Chaussures italiennes", elle lui annonce qu'il est père d'une grande fille, Louise. Il va prendre soin d'elle car elle va mourir d'un cancer sur cette île. Fredrik vit donc solitaire et déprimé dans sa maison. Une nuit, il est tiré du sommeil par des flammes : sa maison brûle et il ne reste que des cendres. Face à ce désastre,  Fredrik assume cette nouvelle catastrophe. Il se sent pourtant vieillissant, fatigué, mais il trouve des solutions immédiates : commander des "bottes suédoises" de très bonne qualité dans une boutique de l'île et occuper sa caravane dans son jardin, près de la maison détruite. La police intervient sur place et le soupçonne d'avoir mis le feu dans sa maison. Voilà notre héros suédois en prise avec les plus grandes difficultés : il a tout perdu et doit survivre... Les liens avec sa fille sont distendus même si elle lui rend une visite qui s'avère plus perturbante que son absence. Une journaliste s'intéresse à son drame et Fredrick espère une relation amoureuse avec elle. Un voisin lui rend visite souvent et l'aide aussi dans sa survie. Cet homme seul, voire esseulé, se pose la question du vieillissement, de sa propre disparition : peut-il encore aimer et être aimé ? Sa fille va-t-elle se rapprocher de lui alors qu'elle s'en éloigne trop souvent ? Peut-il reconstruire sa maison de famille ? Je ne révèlerai pas les rebondissements dans la vie de Fredrick. Il vaut mieux s'emparer des "bottes suédoises" pour partir sur cette île froide et enneigée et partager la vie rude, courageuse et solitaire de ce personnage qui ressemble beaucoup à son créateur, Henning Mankell. Les lecteurs(trices) qui apprécient Mankell seront heureux(ses) de retrouver l'univers de cet écrivain très attachant.

mardi 8 novembre 2016

Rubrique cinéma

J'ai donc vu "Réparer les vivants" de la réalisatrice Katell Quilléviré et j'ai remarqué une certaine affluence pour ce film en ce début d'après-midi. Comme le roman de Maylis de Kerangal m'avait vraiment impressionnée, j'avais envie de comparer la force du livre avec celle des images. Je n'ai pas été déçue, loin de là. Les premières scènes montrent le jeune homme, Simon, d'une énergie folle, amoureux de sa copine et des vagues océaniques. Les trois amis se rejoignent pour surfer et cette séquence nous enroule littéralement  dans un tourbillon d'écume et de bulles, symbole de la fureur de vivre. Les trois amis repartent en camionnette mais la fatigue arrive après tous les efforts fournis et l'accident a lieu. Simon est transporté à l'hôpital dans un état désespéré. Les parents de Simon se précipitent à son chevet et un médecin les reçoit pour leur annoncer la mort cérébrale de leur fils. La délicate question du don d'organes est posée et les parents, bien que bouleversés par cette mort absurde, acceptent la proposition du médecin. Le personnel hospitalier ultra-compétent et fort empathique sert de lien entre les deux histoires : celle de Simon, le donneur et celle de Claire, la receveuse. Claire vit très mal avec son cœur malade. Elle est soutenue par ses deux fils et avant de se faire opérer, elle va retrouver son amie (trame romanesque inventée par la réalisatrice) pianiste. De la mort à la vie, ce film sensible réussit à émouvoir et à réfléchir aussi sur la fragilité des liens familiaux, sur la détresse des vivants face à la disparition de leurs proches, sur le deuil et sur la dignité. La scène où le jeune médecin met des écouteurs sur les oreilles de Simon alors que l'opération va démarrer pour lui ôter son cœur est bouleversante. Quand les scènes médicales montrent le transfert des organes,  j'ai admiré tous les chirurgiens de la planète qui sauvent tant de vies... Tous les personnages (interprétés par Tahar Rahim, Dominique Blanc, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval sans oublier Alice Taglioni),  forment une communauté solidaire et responsable. J'ai souvent pensé à la prose magnifique de Maylis de Kerangal que les images ne renvoient pas. Mais, le film mérite vraiment d'être vu pour le sujet traité, le don d'organes, et pour la générosité des parents malgré la perte irrémédiable de leur enfant.

lundi 7 novembre 2016

Giorgio Morandi, peintre du silence

J'ai vu les œuvres de Giorgio Morandi (1890-1964) dans plusieurs musées européens dont ceux de Milan et de Bologne. Il est facile de reconnaître un Morandi dès que l'on pénètre dans une salle comme cela m'est arrivé à Lisbonne dans le musée d'art moderne. La nature morte est un genre artistique peu exploité au XXe siècle et pourtant, elle n'a jamais disparu des créations picturales. Giorgio Morandi a voué sa vie d'artiste à la nature morte même s'il a peint aussi quelques paysages. J'ai trouvé en furetant les tables des nouveautés à la librairie Garin un ouvrage sur le peintre de Bologne : "Giorgio Morandi, les jours et les heures" de Bruno Smolarz aux éditions Arléa. Je voulais en savoir plus sur ce peintre que j'ai découvert grâce à Philippe Jaccottet dans son livre "Le bol du pèlerin", édité chez La Dogana en 2001. Il faut parfois des années pour rencontrer un écrivain, un poète, un compositeur, un peintre et quand la découverte a lieu, il reste à approfondir le lien que l'on établit avec l'artiste en question. Bruno Smolarz n'a pas composé une biographie précise, avec des repères chronologiques, des événements, des anecdotes diverses. Il rend un hommage à Giorgio Morandi tout en nuances, tout en douceur, en décrivant la vie du peintre comme il décrirait un tableau. Le critique analyse l'œuvre sans employer un jargon technique. Bien au contraire, il donne à voir la vie simple de ce peintre dans une maison à Bologne, entouré de sa mère et de ses sœurs. Il était tout à son atelier et ne se mêlait ni de politique, ni de la société. Cette discrétion, voire cet effacement, ce retrait se retrouvent dans son art de peindre. Peindre des bouteilles, des pichets, des bols dans une mise en scène d'une sobriété palpable et géométrique parfaite relève d'une ascèse quasi métaphysique. Le critique remarque l'absence d'éléments que l'on trouve dans les natures mortes traditionnelles : des fruits, des légumes, des objets culturels, etc. Je cite Bruno Smolarz : "La peinture de Morandi s'inscrit dans la vibration d'un instant qui a peut-être commencé avec une lenteur d'éternité, il y a longtemps, si longtemps qu'il est difficile de déterminer quand elle a commencé, et l'on sait déjà qu'elle durera, pour nous, autant que l'on contemplera le tableau et, bien sûr, au-delà, tant que le tableau existera". L'observation d'une toile de Morandi ressemble à un acte de méditation silencieuse dans un monde tumultueux et bruyant...  

vendredi 4 novembre 2016

Le jeudi des livres, 2

J'avais proposé aux lectrices, un roman de Pascal Quignard, "Les solidarités mystérieuses" avec un peu d'inquiétude car cet écrivain d'une singularité absolue peut provoquer un rejet immédiat. Le devoir de lecture n'est pas toujours facile à imposer car nous sommes dans le plaisir de lire et non dans la contrainte. Mais, parfois en terre littéraire, il est nécessaire de s'accrocher, de persévérer, d'accepter un certain inconfort de la pensée. J'avais envie comme médiatrice de leur montrer qu'un très grand écrivain, réputé hermétique, comme Pascal Quignard peut être lu sans aucune appréhension.  La majorité des lectrices a accompli ce "devoir" de lecture, une révélation pour certaines d'entre elles. Ce roman détient les clés de l'œuvre "quignardienne" en la personne de Claire, en rupture familiale et revenant dans sa Bretagne natale pour retrouver son amour de jeunesse. Cet homme n'est plus disponible alors qu'il aime toujours Claire. Mais, il est marié et ne peut abandonner son enfant handicapé. Claire ne vit pas une solitude totale même si elle recherche cet état. Elle choisit ses liens, ses "solidarités mystérieuses" : son frère, son professeur de piano, son ancien amour de jeunesse, et surtout, sa fusion "utérine" avec la nature bretonne, la mer, les plantes, les oiseaux, le ciel, les nuages. Ce personnage magnifique ressemble à Anne Hidden, dans "Villa Amalia" comme une sœur jumelle. Pascal Quignard insuffle à ses œuvres diverses (romans, contes, fragments, aphorismes, essais) un halo de mystère, une nébuleuse de pensées profondes et même vertigineuses sur le sens de la vie, du passé, de l'amour, de l'art, de la musique, de la mort. Lire cette œuvre étrange (et je la fréquente depuis trente ans) procure une jubilation intellectuelle car, en tant que lectrice, je préfère "décrypter" les textes qui m'ouvrent sur un monde complexe et mystérieux. Des extraits ont été lus pour savourer la musicalité de la prose de Pascal Quignard, qui, en tant que musicien, connaît le solfège harmonieux de la langue française. Cet écrivain anachronique, atemporel, archéologique, psychanalytique m'enchante depuis des décennies, m'intrigue toujours, me bouscule, me bascule dans le vertige du temps. Pour conclure la séance, j'ai cité cette définition de la lecture selon l'écrivain : "Lire, c'est opérer un écart avec le monde, lire espace la pensée. Vivre dans l'angle mort du social et du temps. Dans l'angle du monde."  A méditer et surtout, ne plus hésiter à se plonger dans l'œuvre immense de Pascal Quignard.

jeudi 3 novembre 2016

Le jeudi des livres, 1

Ce jeudi 3 novembre, nous nous sommes retrouvées à la Maison de quartier du centre ville de Chambéry pour évoquer les coups de cœur et Pascal Quignard. Je préfère démarrer mon compte-rendu par les coups de cœur de mes amies lectrices. Sylvie a beaucoup aimé une trilogie de Philippe Carrèse : "Virtuoso Ostinato", "Retour à San Catello" et "La légende Belonore". Cette saga familiale se déroule au début du XXe siècle dans un petit village lombard. Le patriarche Belonore gère d'une main de fer ses trois fils, sa femme et son village. Sur fond de guerre et du fascisme naissant, le romancier relate l'atmosphère de la paysannerie de cette époque avec des personnages attachants. Sylvie a aussi cité "L'île des oubliés" de Victoria Hislop et "Le CV de Dieu" de Jean-Louis Fournier, ouvrage plein d'humour facétieux. Danielle a lu "Mémoire de fille" d'Annie Ernaux qu'elle a beaucoup appréciée et nous a présenté un essai, "Les lois naturelles de l'enfant" de Céline Alvarez. Cet ouvrage expérimental se base sur les neurosciences et révolutionne l'éducation dans les classes maternelles. Certains chapitres sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture  sont assez techniques mais dans l'ensemble, il se lit avec beaucoup d'intérêt. Dany a choisi le roman de Delphine de Vigan (déjà mentionné dans ce blog). Janelou a bien aimé le roman de Gaël Faye, "Petit pays", un des derniers sur la liste des Goncourt. L'auteur évoque son enfance au Burundi, ses souffrances provoquées par le divorce de ses parents et par le conflit du Rwanda. Véronique a parlé de "Soie" de Barrico et "No et moi" de Delphine de Vigan. Régine a beaucoup appris de l'Iran avec le livre de Delphine Minoui, "Je vous écris de Téhéran". Ce récit  autofictionnel relate dix ans de sa vie en Iran dans les années 90 et l'auteur raconte les dérives religieuses, les interdits détournés par la jeunesse, la complexité du pays de son grand-père. Elle a aussi évoqué un roman policier de Sandrine Colette, "Six fourmis blanches" qui se déroule en Albanie avec un groupe de six jeunes alpinistes et avec la présence d'un sacrificateur de moutons... Elle a ajouté un troisième coup de cœur avec "Un hiver long et rude" de Mary Lawson, une chronique familiale dans un Canada des années 60 avec un personnage attachant, Megan,  qui veut s'émanciper de cet univers étouffant et dépressif. Geneviève a terminé les coups de cœur avec le roman délicieux (selon son vocabulaire), "Les quatres saisons de l'été", de Grégoire Delacourt, l'auteur du populaire "Liste de mes envies". Voilà pour la partie coups de cœur... Des idées de lecture pour les mois d'hiver.

mercredi 2 novembre 2016

"Les vies de papier"

Ce roman de Rabih Alamedinne vient d'obtenir le prix Femina étranger, prix bien mérité pour ce livre original. La narratrice de ce journal intime s'appelle Aaliya Saleh, ancienne libraire et femme insoumise à l'ordre social de son pays, le Liban. Elle vit au rythme des livres et de la littérature et ce personnage inventé par l'écrivain symbolise l'amour fou de Rabih Alemedinne pour ses héritiers littéraires. Aaliya a décidé de traduire un de ses auteurs préférés (Franz Kafka, Walter Benjamin,  Fernando Pessoa) et elle démarre ce rituel le 1er janvier de chaque année en s'adonnant à ce loisir intellectuel tout au long de l'année. Mais, entre les lignes consacrées à la littérature, à ses compagnons de papier, la narratrice raconte sa vie de femme au Liban, son métier de libraire dans un Beyrouth en guerre,  la solidarité avec ses voisines amies, la tradition séculaire des mariages arrangés, le machisme des hommes. Cette femme rebelle préfère la solitude à une mauvaise et illusoire compagnie masculine. Elle évoque souvent sa meilleure amie, Hannah, disparue tôt avec laquelle, elle pouvait se confier en toute sérénité. Mais, cet ouvrage atypique devient au fil des mots un hommage magnifique aux écrivains, à l'amitié et au courage de vivre dans un pays en guerre. Cet extrait résume la narratrice : "Je me suis depuis bien longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l'écrit. La littérature est mon bac à sable. J'y joue, j'y construis mes forts et mes châteaux, j'y passe un temps merveilleux. C'est le monde à l'extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. (...) Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le mode réel est mon sablier - un sablier qui s'écoule grain par gin. La littérature m'apporte la vie, et la vie me tue." Je ne pouvais qu'apprécier "Les vies de papier", car je partage avec Aaliya, deux points communs : le métier de libraire et surtout la passion de la littérature. Elle mentionne plusieurs fois Fernando Pessoa et comme j'étais récemment sur les traces de cet écrivain étrange et merveilleux à Lisbonne, je savourais ses citations avec gourmandise. L'écrivain libano-américain, Rabih Alemedinne, se cache certainement derrière cette libraire, lectrice idéale,  et la renommée du roman s'amplifiera grâce au prix Femina. 

mardi 1 novembre 2016

"L'enfant qui mesurait le monde"

Ce roman de Metin Arditi, "L'enfant qui mesurait le monde", n'obtiendra pas de prix littéraire et pourtant, il aurait, au minimum,  mérité d'apparaître sur les listes de sélection... Cet écrivain suisse d'origine turque creuse son sillon depuis quelques années et la critique avait salué la sortie de son roman, " Le Turquetto". Son dernier livre, publié chez Grasset, évoque la Grèce à travers trois personnages très attachants : un petit garçon autiste, Yannis, sa mère, Maraki et Eliot, un architecte américain, grec d'origine. Ces trois solitaires se retrouvent sur l'île de Kalamaki en proie à la crise économique. Eliot retourne dans son pays pour retrouver les traces de sa fille, étudiante en architecture antique, décédée dans un accident stupide alors qu'elle travaillait dans un chantier de fouilles. Maraki élève son fils seule et elle pêche à la palangre. Le petit garçon vit selon les nombres car il mesure tout ce qui l'entoure : les clients du café, les poissons pêchés, les bateaux, etc. Eliot s'attache à cet enfant si exceptionnel dans sa façon de vivre. Il lui raconte les mythes antiques, s'occupe de lui le plus souvent possible pour aider Maraki. Un projet d'hôtel surgit dans ce monde si calme et toute la population s'affronte sur l'avenir de l'île. Faut-il encourager ce projet, créateur d'emplois ou refuser le tourisme de masse ? Ce microcosme humain préservé va-t-il basculer dans la modernité agressive et enlaidissante ? L'installation de l'hôtel divise la population et la polémique enfle jusqu'à Athènes. Eliot, tout en cultivant la relation quasi paternelle avec Yannis, trouve une solution originale... Ce roman se lit avec un très grand plaisir. Comment ne pas se laisser séduire par cette île, ses habitants, les personnages empathiques, ce petit garçon autiste ? Eliot, l'architecte à la recherche du nombre d'or, symbole de l'harmonie, propose une solution pour contrer le projet de béton : ouvrir une école dans l'île pour les étudiants européens... La naïveté de l'écrivain peut faire sourire mais la littérature peut aussi offrir de belles idées humanistes et cela fait du bien de partir sur cette île enchanteresse...