mercredi 4 mars 2020

"Avant que j'oublie"

Anne Pauly signe son premier roman, "Avant que j'oublie", édité chez Verdier, une maison littéraire de très grande qualité, installée dans l'Aude à Lagrasse. La narratrice raconte dès la première page la mort de son père et surtout le rangement de ses affaires. Que reste-t-il après la disparition d'un homme ? Des objets usuels, inutiles, fatigués, orphelins de leur propriétaire, un inventaire à la Perec. La liste s'allonge avec une impression nostalgique, liée à l'absence irrémédiable : "des mots fléchés force 4, sa petite Bible, un recueil de haïkus, son livre sur Gandhi, son étui à lunettes mité en skaï bordeaux, trois critériums dont un très ancien, une gomme". Recueillir les traces de ce père atténue la douleur de la perte. Puis, la narratrice et son frère se chargent des obsèques avec le choix du cercueil. L'humour caustique et ravageur d'Anne Pauly s'affirme encore davantage dans cette scène. La comédie sociale éclate dans l'obséquiosité de ces professionnels de la mort, un peu trop préoccupés par la vente de leurs produits. Puis, les relations avec le prêtre pour la cérémonie s'avèrent délicates et hypocrites. Peu à peu, le portrait du père s'affine : il était programmeur informaticien, aimait la nature, lisait de la philosophie orientale, pratiquait le zen. Mais, cet homme était aussi alcoolique et violent. Après sa mort, la narratrice mène donc une enquête sur ce père énigmatique. La maison doit être débarrassée et dans ce lieu, les souvenirs se bousculent dans un désordre anarchique. Qui est donc ce père ? De quoi est faite une vie ? Un homme mosaïque avec une vie décevante, un "gros déglingo", un ours invivable, un inconnu, en fait. A travers mille objets et mille souvenirs entassés dans sa dernière demeure, la narratrice retisse un portrait ambigu et attachant qui va l'aider à "faire son deuil", à atteindre un apaisement nécessaire pour se reconcilier avec l'image paternelle. Le langage du roman évoque une myriade de détails sur la vie quotidienne, drôles comme les repas de famille ou graves, parfois. La narratrice trouve une lettre qui lui révèle une autre face de cet homme si trouble. Ce roman intimiste, un premier roman, à la portée universelle, à l'écriture vivifiante aurait mérité un prix littéraire à la rentrée. Anne Pauly manie l'humour avec maestria, l'émotion avec pudeur et emporte l'adhésion enthousiaste de son lecteur(trice). Quel talent ! J'attends son deuxième roman avec impatience. A lire sans tarder.