samedi 14 septembre 2019

"Venise à double tour"

Un nouveau Jean-Paul Kauffmann et sur Venise en plus… Encore un achat coup de cœur deux jours après sa sortie. Pour ouvrir ce délicieux récit, j'ai attendu une plage de temps tranquille et cet été, je l'ai enfin lu avec un plaisir gourmand comme un dessert glacé en pleine canicule. Déjà, j'apprécie de plus en plus cet écrivain reporter, ce journaliste littéraire qui saisit des lieux (Kerguelen, les Landes, la Marne), des moments de la grande Histoire (Napoléon à Saint-Hélène),  un artiste (Delacroix), un écrivain (Raymond Guérin). Sa méthode d'enquêteur se révèle toujours fascinante et éclairante. "Venise à double tour" m'a enchantée car je connais et j'aime cette ville unique au monde même si des centaines de milliers de touristes (dont moi) arpentent ce coin de terre sur la mer, avec son armada de gondoles et de vaporetti, ses vols de pigeons et de mouettes, ses monuments-sculptures, ses musées et ses palais, et je ressens toujours un sentiment océanique de tangage permanent sur les canaux et dans les ruelles. Une cité de pierre et d'eau, fantasmatique et fantomatique. Le récit évoque les ouvrages d'admiration des écrivains-visiteurs : Goethe, Musset, Morand, Lacan, Sartre, et bien d'autres confères. Ses amis lui disent que tout a été dit, écrit sur la cité lacustre. Mais, le narrateur s'obstine et s'installe à Venise pour découvrir les églises fermées depuis des années. Il en compte une quarantaine qui semblent inaccessibles. Hugo Pratt lui confie lors d'un séjour :  "Il ne faut surtout pas les nommer. La Venise fabuleuse est là. Ce sont des lieux d'ombre et de silence. Ils doivent le rester". Ces églises appartiennent à plusieurs institutions :  des ordres religieux, le Grand Vicaire de Venise, des associations caritatives. Il lui faudra des mois pour démêler les ficelles de ce labyrinthe administratif opaque et secret et une patience sans fin pour nouer des relations, des contacts téléphoniques, des rendez-vous rapides, des rencontres. Le narrateur espère enfin que, grâce à ses recherches, telle église va ouvrir ses portes puis, déception, les portes restent closes. Le grand Vicaire se récuse, puis décide de lui accorder la visite de quatre églises. Le récit rebondit sans cesse dans cette quête et cette enquête sur ces espaces spirituels qui gardent leurs secrets : "C'était donc cela, ma quête des églises fermées. Entrevoir un édifice brisé, hors d'état, si affreusement mutilé qu'il était impossible d'imaginer son état d'avant. Une grange, un entrepôt, certainement pas une église". Les Vénitiens possèdent tellement de trésors qu'ils n'ont pas les subventions nécessaires pour rénover ces édifices sacrés. Mais, cette image d'une Venise en décrépitude convient bien à l'auteur : "Le temps a fait son œuvre. Pourquoi tricher ? La ville se laisse envieillir, émouvante dans son délabrement, étalant ses rides, ses pattes d'oie, ses fragrances douteuses". Au bout de quelques mois, plusieurs visites auront lieu et il constatera les dégâts du temps sur ces espaces fragiles. Ce récit d'une érudition passionnante enchantera tous les amoureux(ses) de Venise et dès la dernière page fermée, j'avais envie de repartir sur les traces de Kauffmann, ne serait-ce que pour voir les façades de ces églises oubliées. Lors de mon dernier séjour à Venise, j'avais visité une bonne quinzaine de ces édifices magnifiques, de véritables musées que les touristes de passage n'ont pas le temps de voir… Tant mieux, si ces trésors secrets perdurent ! Un de ses meilleurs livres, ce "Venise à double tour"...