lundi 25 novembre 2019

"Une minute quarante-neuf secondes"

Livre coup de poing, livre coup de cœur, Riss, dessinateur de presse et directeur du journal Charlie Hebdo, raconte l'insoutenable attentat du 7 janvier 2015 où sont abattus, par des terroristes islamistes, ses collègues : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad. D'autres victimes tomberont dans la rue et ce 7 janvier 2015 restera à tout jamais dans notre mémoire collective. Ce témoignage d'une force incroyable n'est pas un recueil de pleurs, de regrets, de nostalgie. Bien au contraire, Riss évoque avec une certaine rage, l'aveuglement de notre société, sa légèreté, sa lâcheté, sa vulgarité face à cette guerre larvée et déclarée de la part des fanatiques religieux contre la liberté d'expression. Le titre "Une minute quarante-neuf secondes" résume la tragédie du moment où Riss échappe au massacre et se relève blessé. Il évoque dans le prologue l'inutilité des mots et des dessins pour traduire cette "désagrégation", ce "délitement". Il revient constamment sur la violence qu'ils ont subie et montre un courage inouï en écrivant : "Il ne fallait pas se révolter, ne pas désigner de responsables, ni tendre le doigt en direction des lâches et des coupables. Et encore moins dénoncer le prosélytisme des croyances archaïques, de concepts réactionnaires, afin de ne pas heurter ceux qui les pratiquent". L'obsession du narrateur tourne autour de cette question : "suis-je à la hauteur de ce qui nous est arrivé ?" Il rend hommage à tous les collaborateurs décimés dans l'attentat. Les portraits des dessinateurs sont très émouvants et donnent au récit une densité encore plus grave. Comment vivre dorénavant avec l'absence de tous ces amis disparus ? Riss leur dédie ce livre pour qu'ils restent vivants. Ce récit autobiographique, politique, philosophique raconte aussi l'histoire du journal satirique, Charlie Hebdo, symbole de la liberté d'expression, la liberté totale, le droit de tout caricaturer. Riss analyse les émotions surgies lors de l'attentat (sidération, stupéfaction, culpabilité) et entremêle dans son récit des souvenirs d'enfance et de jeunesse. Il évoque les soins à l'hôpital, la sensation de la peur d'être recherché par les terroristes, la gentillesse des soignants, le retour à Charlie Hebdo, les problèmes de la nouvelle équipe, l'indifférence des médias à leur égard. Cet ouvrage me rappelle évidemment celui de Philippe Lançon, "Le Lambeau", un témoignage extraordinaire sur l'attentat du 7 janvier. L'ouvrage de Riss, "Une minute quarante-neuf secondes", n'est pas comparable à celui de Philippe Lançon. Riss conserve sa colère, à juste titre. Il dénonce le totalitarisme islamique, la lâcheté des politiques, la comédie sociale, la perte irréversible de ses amis, la peur de vivre sous une menace permanente. Ce récit magnifique devrait réveiller les consciences, et se range dans la catégorie de la littérature de combat. Les derniers mots du récit montrent le chagrin définitif et bouleversant du témoin qui reste seul en vie : "Les jours qui s'écoulent m'éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l'accueil qu'ils me feront demain. Un jour, c'est sûr, on se retrouvera tous". 

vendredi 22 novembre 2019

"Encre sympathique"

Quand Patrick Modiano publie un roman, c'est toujours à mes yeux un événement littéraire. Son nouvel opus, "Encre sympathique" ne peut pas se fondre dans la masse des nouveautés de la rentrée. Les grands écrivains commencent, hélas, à disparaître… Mais, Patrick Modiano nous tient heureusement compagnie et je l'espère pour longtemps. Depuis 1968 avec "La Place de l'Etoile", il écrit un roman tous les deux ans avec une fidélité scrupuleuse. Il nous parle toujours des mêmes thèmes récurrents dans ses textes : le souvenir, la mémoire, l'oubli. Certains lecteurs pourraient se lasser de son univers singulier et évanescent. D'autres comme moi ont le bonheur de retrouver la valse nostalgique de ces oeuvres. Dès la première page, l'auteur pose le sujet : "Il y a des blancs dans cette vie, des blancs que l'on devine si l'on ouvre le "dossier" : une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps". Le narrateur, Jean Eyben, examine ce dossier retrouvé par hasard car à l'âge de vingt ans, il travaillait dans une agence de détectives. Une femme disparue sans laisser de traces l'obsède et cette recherche donne le rythme au roman comme une basse continue sur sa mémoire oublieuse. Cette femme fuyante s'appelait Noëlle Lefebvre. Cinquante ans avant, il parvient à fouiller son appartement et découvre un agenda dans un tiroir à double fond. Le narrateur enquête auprès des relations hasardeuses de cette Noëlle énigmatique. Il avoue : "J'avais toujours eu le goût de m'introduire dans la vie des autres, par curiosité, et aussi par un besoin de mieux les comprendre et de démêler les fils embrouillés de leur vie - ce qu'ils étaient souvent incapables de faire eux-mêmes parce qu'ils vivaient leur vie de trop près alors que j'avais l'avantage d'être un simple spectateur, ou plutôt un témoin, comme on aurait dit dans le langage judiciaire". Patrick Modiano, dans cette seule phrase, définit sa mission d'écrivain… Au fil des pages, l'enquête avance à tâtons et s'étoffe de quelques révélations sur cette femme à la vie vaporeuse. Je ne dévoilerai pas le destin de Noëlle Lefebvre. Il vaut mieux découvrir ce texte pour retrouver l'atmosphère romanesque de Patrick Modiano. Il a choisi en exergue une citation de Maurice Blanchot : "Qui veut se souvenir doit se confier à l'oubli, à ce risque qu'est l'oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir". Le narrateur part sur les traces de son "héroïne anonyme" d' Annecy à Rome et parfois, il évoque sa vie comme un double de l'auteur et ses confidences intimes parsèment le texte en contrepoint. Entre cette femme du passé et le narrateur du présent, un lien se crée grâce au jaillissement des souvenirs. Un très beau roman sur le temps qui passe, sur ce vertige existentiel que Patrick Modiano ne cesse d'interroger...

jeudi 21 novembre 2019

"Le ghetto intérieur"

Ce roman, "Le Ghetto intérieur", de l'écrivain Santiago H. Amigorena est publié chez P.O.L., un éditeur à la couverture blanche très reconnaissable. Salué par la critique littéraire de la rentrée, ce livre n'a pas obtenu un prix littéraire. Je l'avais sélectionné pour l'atelier Lectures de novembre et comme le sujet m'intéressait, je l'ai acquis dans la librairie parisienne, "Les Cahiers de Colette", trés bel espace culturel, décoré par des photos d'écrivains. Je m'attendais à une lecture plus intense, plus dense en m'imaginant que l'auteur avait écrit un témoignage sur son grand-père, immigré en Argentine en 1928. Ce récit est bien intitulé "roman" et ce choix romanesque provoque une distance émotionnelle. Vicente Rosenberg vit dans ce pays depuis dix ans. Il a quitté la Pologne, s'est marié avec Rosita et a donné naissance à trois enfants. Son beau-père lui a légué un magasin de meubles prospère. Sa situation familiale pourrait le satisfaire et le rendre même heureux. Mais, il a abandonné sa mère et son frère à Varsovie. Dans ces années 30, l'antisémitisme commence à inquiéter Vicente et il supplie les siens de le rejoindre en Argentine. Au fil du récit, l'auteur raconte la vie matérielle confortable de Vicente en parallèle avec la précarité des siens en Pologne. La presse n'évoque pas l'horreur qui se prépare en Europe avec la mise en place de l'Holocauste. Sa mère, par contre, lui envoie des lettres où elle relate les problèmes des Juifs en Pologne, la création du ghetto, la faim, la misère, la maladie, la terreur, la promiscuité. Les événements de la solution finale ponctuent le récit mais Vicente ignore la dimension tragique de ces faits historiques. La culpabilité finit par l'emporter car au fond, il n'a pas insisté auprès de sa mère pour qu'elle vienne le rejoindre. Il aurait dû même aller la chercher en Europe. Sa vie à Buenos Aires se délite et il s'enfonce dans un silence qui prive sa famille de son amour de père et de mari. Ce mutisme laisse ses amis dans un désarroi incompréhensible. Cet homme heureux s'absente de lui-même : "Il devenait un fugitif, un traître. Un lâche. Il était devenu celui qui n'était pas là où il aurait dû être, celui qui avait fui, celui qui vivait alors que les siens mouraient. A partir de ce moment-là, il a préféré vivre comme un fantôme, silencieux et solitaire". Ce roman grave et sombre évoque l'horreur de la Shoah à travers le personnage de Vicente, le grand-père de Santiago H. Amigorena, rescapé malgré lui. L'auteur a composé un hommage à sa famille, déchirée par l'exil et par la culpabilité. Les mots lui semblent dérisoires face à ces destins tragiques. Pourtant, il prend sa plume pour témoigner. Ce livre, un devoir de mémoire. 

mercredi 20 novembre 2019

Atelier Lectures, 2

Dans le deuxième temps de l'atelier, nous avons abordé les coups de cœur. Mylène a évoqué le roman de Gaëlle Josse, "Une longue impatience" aux Editions Noir sur Blanc en 2018. En Bretagne, une femme perd son mari en mer. Plus tard, elle se remarie mais son fils, issu de son premier mariage, s'intègre mal dans sa nouvelle famille. Il finit aussi par prendre la mer comme son père pêcheur. Comme elle ne revoit pas son fils, une longue attente commence qu'elle va combler par l'écriture de lettres où elle lui raconte les plats qu'elle lui préparera à son retour. Mylène a aimé cette femme à l'amour maternel infini. Comme une folie assumée. Ce récit délicat et intimiste raconte la patience des mères, souvent en première ligne dans les moments difficiles de l'existence. A lire aussi ses précédents romans parus en livre de poche. Mylène a rencontré l'écrivaine, invitée par la bibliothèque municipale de Voglans. Elle nous a bien confirmé que sa personnalité semblait coïncider avec ses livres : la même délicatesse, la même intelligence du cœur. Danièle a présenté "Les Disparus" de Daniel Mendelsohn, paru en 2007 et Prix Médicis du Livre étranger. Entre 2001 et 2005, l'écrivain américain est parti à la recherche de traces laissées par la famille de son grand-oncle maternel disparue pendant la Shoah. Seul membre de la fratrie à être resté en Europe, cet oncle, raconté par son grand-père, fascinait son neveu depuis son enfance. Ce récit extraordinaire nous entraîne en Europe centrale avant 1939. Cette fresque historique poignante se lit avec le cœur serré et pour comprendre le chaos de cette époque, il faut absolument la découvrir. Pour ma part, je l'ai lu à sa sortie et je le relirai certainement car une seule lecture ne suffit pas. Ce classique contemporain, un chef d'œuvre de la littérature du XXIe siècle, reconstitue un monde perdu à la manière de Proust, celui de tous les Juifs de l'Holocauste mais rappelle l'immense culpabilité des frères de son oncle qui n'ont pas su ou pu aider leur famille en Europe. Une lecture incontournable, grave et profonde qui demande une attention certaine. Geneviève a présenté son coup de coeur, "Océan mer" d'Alessandro Baricco. Au bord de l'océan, se croisent sept personnages au destin étrange. Sept naufragés de la vie qui tentent de recoller les morceaux de leur existence. Il est aussi question du naufrage de la Méduse… Un roman à suspense, un roman d'aventures et une méditation philosophique. Pascale a choisi "Rue Darwin" de Boualem Sansal. Le narrateur retourne rue Darwin à Alger après la mort de sa mère. Une figure domine cette histoire, celle de Lalla, toute puissante grand-mère, patronne d'un bordel. Ce récit truculent montre un peuple déchiré entre leur patrie et une France avec qui les comptes n'ont toujours pas été soldés. Nous reparlerons de cet écrivain en janvier où nous lirons quelques auteurs algériens dont Boualem Sansal. Odile a recommandé le livre de Maxim Léo, "Histoire d'un Allemand de l'Est". Ce journaliste berlinois avait vingt ans au moment de la chute du Mur. Il relate l'histoire de sa famille dont le grand-père a contribué à la fondation de la RDA. Son père ne croyait déjà plus à l'idéal communiste. Ce document exceptionnel se déroule sur une soixantaine d'années. A découvrir pour commémorer les trente ans de la chute du Mur et de l'effondrement de la RDA. Voilà pour les coups de cœur de novembre… Des idées de lecture pour passer l'hiver au coin du feu avec un bon livre à la main et un verre de très bon vin blanc (à consommer avec modération)… 

mardi 19 novembre 2019

Atelier Lectures, 1

Ce mardi 12 novembre, nous nous sommes retrouvées dans le cadre de l'atelier lectures à la Maison de quartier. J'ai commencé par les nouveautés de la rentrée car j'avais demandé à chaque lectrice d'acquérir un livre pour ensuite le faire circuler. Danièle a démarré avec le roman de Marie Darrieussecq, "La mer à l'envers", publié chez P.O.L. Rose, la quarantaine, part en croisière en Méditerranée avec ses deux enfants, pour fuir ses problèmes conjugaux. Dans le bateau, elle croise un jeune migrant, Younès, un jeune nigérien, rescapé d'une chaloupe bondée de migrants. Il est recueilli par l'équipage et Rose avec sa compassion habituelle, lui offre le smartphone de son fils ainsi que des vêtements. A partir de ce geste généreux, Rose s'engage à soutenir ce jeune adolescent et un jour, Younès l'appelle. Que va faire Rose ? Il faut lire cet excellent roman d'après Danièle. Mylène avait choisi "Soif" d'Amélie Nothomb. L'écrivaine se met à la place de Jésus lors de la Passion. Ce sujet religieux traité avec son humour traditionnel n'a guère convaincu Mylène, déçue par son achat. Je pense que ce livre a attiré une adhésion immédiate pour les fans inconditionnels, ou au contraire une incompréhension totale. Véronique a bien apprécié "Jour de courage" de Brigitte Giraud, un très bon récit sur un sujet délicat, l'homosexualité. Un jeune lycéen prend le prétexte d'un long exposé sur un médecin juif-allemand, Magnus Hirschfeld, qui lutta pour les droits des femmes et des homosexuels. Avec ce portrait, Livio révèle son identité sexuelle différente en ce "jour de courage". Ce livre aurait mérité un prix littéraire... Janelou a lu "Petit frère" d'Alexandre Seurat. Ce roman évoque la perte d'un frère disparu et de sa culpabilité pour ne pas l'avoir sauvé. Janelou avoue qu'elle n'a pas aimé ce livre… Trop noir, une lecture étouffante. Dommage, car elle avait beaucoup apprécié son précédent "La Maladroite". Agnès et Geneviève ont choisi le même roman, "Eden" de Monica Sabolo. Ce conte poétique et féministe a séduit les deux lectrices. Dans une région reculée, à la lisière d'une forêt menacée de destruction, Nita rêve d'ailleurs. Elle rencontre Lucy, une jeune fille venue de la ville. Des événements tragiques ont lieu dans cette forêt mystérieuse : agressions, choses étranges jusqu'au viol de Lucy. Nita va mener l'enquête et se vengera de ce crime. Ce livre dresse le portrait d'un âge que l'on qualifie de "difficile", une étape majeure sensible et délicate. Monica Sabolo a reçu de bonnes critiques dans la presse dithyrambique à son égard. Mais, elle n'a obtenu aucun prix littéraire. Marie-Christine a beaucoup apprécié le dernier roman de Jeanne Benameur, "Ceux qui partent". Le roman raconte l'histoire de Donato et de sa fille, des Italiens qui immigrent en Amérique en 1910. Autour d'eux, des personnages qui viennent chercher un nouveau départ, une nouvelle vie. L'action se déroule en une journée d'attente à Ellis Island avant que les portes de ce paradis fantasmé s'ouvrent devant eux. Odile et Pascale ont évoqué le beau roman attachant et poétique de Natacha Appanah, "Le ciel par-dessus le toit". Eliette a mis le feu dans la maison de ses parents. Elle se nomme maintenant Phénix et devient mère de deux enfants, Paloma et Loup.  Cette famille en difficultés extrêmes ne tient pas en place…  Annette a terminé la séquence "Nouveautés" de la rentrée avec "Extérieur monde" d'Olivier Rolin. Quelle déception pour elle qui s'attendait à lire un grand livre ! Trop d'érudition pédante, trop d'autosatisfaction, trop de digressions… (La suite pour les coups de cœur demain)

lundi 18 novembre 2019

Escapade à Paris, 7

La veille de mon départ, j'ai profité d'une nocturne au Musée Orsay. La plupart du temps, les musées parisiens ferment à 18h, ce qui est un peu juste pour des provinciaux comme moi qui aiment tout particulièrement ces lieux de culture. Il faut bien noter quelques fermetures tardives et le Musée d'Orsay en propose une le jeudi soir jusqu'à 22h. Cela faisait des décennies que je n'avais pas mis les pieds dans cette gare fantastique, transformée en musée (sur une idée de Giscard d'Estaing) et inaugurée en 1986, située juste à côté de mon hôtel sur la rive gauche de la Seine. Les collections présentent l'art occidental de 1848 à 1914 dans tous ses aspects : peintures, sculptures, arts décoratifs, graphiques, photographies, etc. J'ai tout de suite remarqué une fréquentation importante sans toutefois attendre pour entrer dans cette nef magnifique. Plus de mille tableaux impressionnistes et postimpressionnistes sont disposés dans diverses salles très agréables. Beaucoup d'amateurs se concentrent sur les Gauguin, Van Gogh, Monet, Renoir, Manet, Cézanne, Courbet, etc. On a tellement vu ces peintres qu'ils en deviennent invisibles. Je conserve quand même une certaine tendresse pour le malheureux Van Gogh et pour le lumineux Cézanne. J'ai admiré mes préférés :  Vuillard, Bonnard, Matisse. J'ai déniché dans une aile du bâtiment deux toiles d'un peintre danois, Hammershoi  que j'avais vu à Copenhague et que j'apprécie beaucoup. Ce musée, un des plus grands d'Europe, ne se visite pas en une seule fois. Il faut choisir les étages à visiter et quand on a déjà réalisé le programme de la journée toujours chargé, la fatigue se fait sentir… Je n'ai pas eu le courage de voir toutes les sculptures, ayant opté pour la peinture. L'année prochaine, je retourne à Paris pour Orsay afin de compléter ma visite de ce jeudi soir. Il faut bien aussi se réserver des surprises pour des rencontres futures. Les Parisiens ont bien de la chance pour la culture. Orsay propose aussi des expositions temporaires, des conférences, des concerts, un espace cinéma et même des spectacles… J'ai découvert le restaurant très design, situé derrière l'immense horloge de l'ancienne gare. Et pour retrouver des forces, j'ai dîné dans ce bel espace.  Mon séjour s'est terminé le lendemain à la Gare de Lyon et dans un TGV confortable et silencieux à trois heures de Chambéry. Le bilan de mon séjour parisien s'avère bien positif : mes retrouvailles avec la capitale à travers ses musées passionnants, la Seine, les quais, ses jardins patrimoniaux m'ont permis de comprendre que notre capitale déborde d'énergie, de potentialités, de cultures même si l'on croise dans les rues la misère des SDF et des migrants. J'ai même rencontré des Parisiens charmants, en particulier un chauffeur de bus qui a plaisanté sur la monnaie que je lui tendais. Le personnel de l'hôtel était charmant et on se rend compte que beaucoup de Parisiens ont des attaches en province. Je me suis réconciliée avec Paris que j'ai boudé pendant longtemps… Dorénavant, je monterai une fois par an, promis juré ! 

vendredi 15 novembre 2019

Escapade à Paris, 6

J'ai pris un bus pour me rendre à Beaubourg, le Centre Pompidou car j'avais envie de revoir le musée national d'art moderne. Quand je vivais à Paris, je fréquentais la Bibliothèque (la BPI) en accès libre et des centaines d'étudiants travaillaient en toute liberté dans cet espace non surveillé, convivial et branché. On ne pouvait pas emprunter les livres mais elle était ouverte jusqu'à 22H, une anomalie heureuse dans la France des années 80. Inauguré en 1977, le Centre accueille encore plus de trois millions de visiteurs, mais en forte baisse (plus de huit millions avant). J'ai ressenti la décrue des visiteurs dans les salles peu fréquentées. L'institution polyculturelle est en rénovation car ce bâtiment a mal vieilli. Sa modernité extrême semble aujourd'hui dépassée. Je me suis contentée de revoir l'une des trois collections d'art moderne et contemporain au monde (plus de 100 000 œuvres). Je ne citerai pas tous les artistes que l'on rencontre dans ces salles spacieuses et bien éclairées. J'ai revu avec plaisir tous les mouvements picturaux du XXe siècle, en particulier l'abstraction lyrique, le surréalisme, l'art abstrait. Je reste encore dubitative devant les œuvres contemporains... Pour les amateurs de ces périodes, la visite du MNAM me semble indispensable. Après Beaubourg, j'avais repéré dans le Routard un salon de thé original, La Fourmi ailée, situé dans le 5e, dont l'atmosphère est littéraire… Installée dans une ancienne bibliothèque, des étagères de livres décorent les murs. On se sent bien dans ce lieu intime avec ses tables bistrot en marbre, sa collection de théières dans des niches, l'absence de musique commerciale (un bonheur !). Le patron du salon m'a expliqué que le nom, "la fourmi ailée", venait d'un titre d'une nouvelle de Virginia Woolf... Ce geste ne pouvait que me ravir ! Avant de partir vers le dernier musée de mon séjour parisien, je me suis promenée dans les jardins du Palais-Royal et dans les galeries diverses. Siège d'institutions illustres (Ministère de la Culture, Conseil d'Etat, etc.), Jack Lang imposa en 1986 les colonnes de Buren dans la cour d'honneur et pas mal d'enfants s'approprient cet espace ludique avec joie. Colette et Jean Cocteau vivaient dans ce lieu et la Mairie de Paris propose des fauteuils "littéraires" avec des citations incrustées sur les dossiers écrits par Lorca, Baudelaire, Ritsos, etc. Une très bonne initiative originale. Cette balade de fin d'après-midi s'est poursuivie dans la librairie Delamain, une des plus vieilles librairies de Paris où les écrivains venaient feuilleter les livres dont Colette, évidemment. J'ai ensuite retraversé l'esplanade des Tuileries, l'Arc de triomphe du Carroussel, la Pyramide du Louvre et repris le chemin de l'Hôtel sur le Quai Voltaire. Les touristes se mélangeaient aux Parisiens sans problème et il régnait même une certaine euphorie sur les visages des flâneurs(ses). Le ciel de Paris était particulièrement bleu avec des nuages flottants et les façades du musée reflétaient cette lumière mordorée. La Seine coulait et je pensais à Guillaume Apollinaire… 

jeudi 14 novembre 2019

Escapade à Paris, 5

Mon hôtel se trouvait assez près de Notre-Dame-de-Paris et en fin d'après-midi, je voulais voir les dégâts occasionnés par l'incendie de la charpente. Quel désastre patrimonial ! Quand on aperçoit le squelette de la cathédrale, comme un corps blessé, comme une épave millénaire sur cette Ile de la Cité, le cœur se serre à la vue de ce gâchis. Je me suis même demandée si l'édifice n'allait pas s'effondrer dans les mois qui viennent. Pour les croyants ou les non-croyants, la revoir réparée demandera des années et cette immense et magnifique cathédrale redeviendra un édifice sacré de notre histoire nationale. J'ai longé les quais où sont installés les bouquinistes et j'ai remarqué que les livres anciens et d'occasion remplissent encore les caisses en bois vert de ces libraires ambulants. Quelques boutiques remplacent les livres par des objets sur Paris qui plaisent tant aux touristes de passage… J'ai quand même farfouillé dans les bacs et j'ai trouvé un ouvrage sur la philosophie de Jankélévitch, un souvenir de mon escapade. Il vivait Quai des Fleurs sur l'Ile Saint-Louis. Le lendemain, j'avais un programme chargé. J'ai démarré par la visite d'une galerie d'art, celle de Jeanne Bucher Jaeger, située dans le quartier du Marais, où j'ai retrouvé avec bonheur une des mes peintres préférés : Vieira da Silva. Cette femme artiste crée un univers singulier où les lignes, la perspective, les couleurs forment des paysages urbains qui incitent notre esprit au rêve et à la recherche d'une échappée quasi spirituelle. Ces tableaux me fascinent depuis très longtemps et je regrette que cet artiste de génie, discrète et modeste, soit si peu connue et célébrée. La galerie propose une trentaine de toiles fabuleuses et je ne voulais en aucun cas manquer cet événement rare. Cette exposition part à New York après Paris… Je laisse la parole à Vieira : "J'observe les gens qui marchent, chacun avec une apparence différente, chacun avançant à son propre rythme. Je pense aux fils invisibles qui les manipulent… J'essaie de percevoir la mécanique qui les coordonne. Je dirais que, d'une certaine façon, c'est cela que je tente de peindre". Dans ce quartier attachant du Marais, j'ai enfin poussé les portes du Musée Picasso, installé dans l'Hôtel de Salé, un édifice baroque. Ce musée élégant comblera tous les amateurs du peinte espagnol. L'esprit du lieu apporte une touche décalée et la déambulation dans les salles s'effectue dans une fluidité appréciable. J'ai beaucoup apprécié certaines toiles en particulier les Baigneuses à Biarritz… Sa production prolifique et vertigineuse peut dérouter, mais, malgré tout, ce peintre aux périodes diverses ne peut qu'éveiller la curiosité voire l'admiration. Ce musée remarquable ne présente pas seulement Picasso car on peut aussi voir des tableaux de Cézanne, Matisse, Balthus, etc. Une phrase de Michel Leiris résume le projet artistique de Picasso : "L'œuvre d'art n'a d'autre but que l'évocation magique des démons intérieurs". Un visite incontournable à Paris. 

mercredi 13 novembre 2019

Escapade à Paris, 4

Mercredi, direction Saint Germain des Prés, un quartier littéraire mythique. Tout le monde connait les photos de nos intellectuels français sartriens, prises au deux Magots, au Flore, et dans les brasseries parisiennes inimitables. Même soixante ans après, l'air que l'on respire dans ce lieu sent l'amour des idées, des livres, de la littérature. Evidemment, quelques librairies ont disparu mais il en reste encore quelques unes comme Gibert Jeune, La Hune, Compagnie, etc. J'étais heureuse de me retrouver devant l'église de l'abbaye du quartier que j'ai visitée. Les Germanopratins ont bien de la chance de vivre dans ce quartier historique et je n'ose pas imaginer le prix du mètre carré pour se loger… Après cette balade aux accents nostalgiques et en me dirigeant vers le Louvre, j'ai découvert la Sainte Chapelle aux vitraux immenses, construite en sept ans en 1248. Puis, j'ai retrouvé l'odeur des livres à la Bibliothèque Mazarine, la plus ancienne bibliothèque publique de France. Située Quai Conti, elle est rattachée à l'Institut de France. Ses fonds appartenaient au cardinal Mazarin. Il m'a suffi de passer un portique avec un badge visiteur et j'ai ainsi monté le bel escalier qui m'a dirigée dans la salle d'étude. Un silence studieux et religieux régnait dans cet espace occupé par des étudiants et des chercheurs, hommes et femmes. J'ai même eu l'autorisation de prendre quelques photos pour me souvenir de cette bibliothèque de recherche, dotée de 600 000 documents dont des centaines d'incunables. Quand je vois ces murs chargés de livres anciens, ces tables de travail, ces lampes, ces passionné(es) de l'étude, je me dis que notre chère civilisation de l'imprimé n'a pas encore disparu… Dès cet été, j'avais réservé des places pour l'exposition Léonard de Vinci et j'avoue que cette visite m'a laissée sur ma faim. Pourtant, j'avais espéré une belle rencontre avec ce peintre génial. Hormis le fait que je n'ai pas attendu pour pénétrer dans le Louvre, j'ai noté la présence de milliers de touristes  du monde entier en groupe ou en solo. Même convoquée vers midi, je n'étais pas la seule sur ce créneau. Nous étions serrés, débordés, en rang d'oignons devant chaque toile du maître toscan. Je ne comprends pas l'administration du musée : pourquoi accepter tant de visiteurs dans cet espace confiné ? Je n'ai pas eu de réponse. Il faut accepter cet état de fait. Les vitrines où s'exposaient les dessins de Léonard étaient même inaccessibles... Je n'avais pas envie de jouer les coudes comme dans le métro. J'ai quand même vu les toiles les plus célèbres : le Saint Jean Baptiste, la Vierge, Sainte Anne et l'enfant Jésus, la Madone aux fuseaux, la Belle Ferronnière, le Portrait de musicien. Cela m'a quand même émue de voir ces tableaux que Léonard avait touché lui-même. Cinq cents ans après, ce génie continuait à fasciner et à passionner les amateurs d'art. Tant mieux s'il attire des milliers de visiteurs mais l'organisation de la visite s'est avérée décevante. J'ai profité de l'après-midi pour revoir quelques départements : la Grèce antique, les peintures français, italienne, hollandaise, allemande. On peut se perdre facilement dans les ailes du Louvre, un vrai labyrinthe et il faudrait des jours et des jours pour tout voir ! Parfois, je me suis retrouvée seule dans des salles délaissées par les visiteurs comme dans les rues de Venise à côté de la place San Marco. J'ai vérifié que Mona Lisa attirait toujours ses adorateurs asiatiques... Le Louvre, un monde en soi, une planète à explorer en préparant ce tour du monde de l'art. Un musée incontournable et grandiose !

mardi 12 novembre 2019

Escapade à Paris, 3

Le cimetière du Montparnasse se situait prés du musée Zadkine et j'ai saisi l'occasion pour me recueillir (en ce temps de la Toussaint) sur les tombes de Simone de Beauvoir et de Marguerite Duras. Ce lieu incroyable et inspiré accueille les personnalités les plus diverses : artistes, hommes politiques, écrivains, peintres, stars de la télévision, militaires, parisiens et parisiennes anonymes. Les tombes se distinguent les unes des autres par des excentricités : sculptures baroques, décorations loufoques, citations ciselées sur le marbre. Tout est un peu spectaculaire dans cet espace immense. J'avais l'impression de lire un livre d'Histoire de France en remarquant les noms de famille, leur importance sociale liée à la grandeur du caveau. Après quelques minutes hésitantes, j'ai enfin trouvé la tombe de Marguerite Duras dans la division indiquée : j'ai ressenti une émotion devant sa simplicité. Les amoureux(ses) de son œuvre plantent des stylos dans des pots de fleurs. L'écrivaine n'est pas seule car son dernier compagnon, Yann Andréa, l'accompagne dans cette dernière demeure. Je remarque qu'elle n'est pas oubliée et que sa sépulture attire beaucoup de visiteurs. Plus loin, Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre reposent dans une tombe dépouillée et la stèle est décorée par des centaines de traces en forme de baiser. Une classe de lycéens allemands se tenait prés de moi et ils prenaient des notes selon les indications de leur professeur. La notoriété du couple Beauvoir-Sartre dépasse nos frontières et cela me faisait plaisir que ces deux grands écrivains français intéressent encore quelques jeunes européens. Je pensais depuis longtemps rendre un hommage à ces deux écrivaines exceptionnelles qui ont changé la vie des femmes (et la mienne) en France. Ce pélerinage littéraire une fois effectué, j'ai visité l'Institution Giacometti au 5, rue Victor Schoelcher, installée dans l'ancien atelier de l'artiste-décorateur Paul Follot, un hôtel particulier de style Art Déco. L'atelier reconstitué d'Alberto Giacometti, composé de son mobilier, d'objets personnels, de murs peints par l'artiste, permet d'imaginer la vie de cet artiste magnifique. Des expositions temporaires offrent un nouvel éclairage sur l'œuvre de l'artiste. Les sculptures hiératiques habitent le lieu, lui insufflant une atmosphère quasi sacrée, en particulier dans la salle principale, une bibliothèque où livres et statues se mélangent avec bonheur. Comme j'aime beaucoup Giacometti, ces moments passés en sa compagnie virtuelle auprès de ses œuvres m'ont bien convaincue que ce musée particulier magnifiait cet artiste génial. J'ai terminé ma soirée à la Fondation Cartier où j'ai vu une exposition sur les arbres, "Nous, les arbres", leur importance dans les sociétés indiennes et dans les nôtres, imprégnées d'un souci légitime écologique pour leur survie. Encore une journée culturelle intense et épuisante (il faut beaucoup marcher à Paris) mais ô combien enrichissante !   

lundi 11 novembre 2019

Escapade à Paris, 2

J'avais déjà retrouvé dès le lundi un certain goût de Paris en marchant le long des quais… C'est sans doute un endroit privilégié loin des arrondissements dits "populaires" mais pourquoi se priver du cœur historique de la capitale ? Dès mardi, j'ai repris le même chemin que la veille pour atteindre le Petit Palais que je n'avais jamais visité. Devant l'édifice, se tenait le bouquet de tulipes controversé de Jeff Koons, offert par l'artiste. Ce musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, situé dans le 8e, a été construit à l'occasion de l'Exposition universelle de 1900. Ce bijou architectural s'organise autour d'un jardin semi-circulaire, la façade mesurant 150 mètres de long, ornée de colonnes ioniques à volutes. Il abrite une collection permanente qui va de l'Antiquité à la fin du XIXe. Des donateurs ont permis d'enrichir les collections et j'ai surtout apprécié la section Antiquités gréco-romaines avec mes éternels vases, des tableaux du Moyen Age, de la Renaissance, de l'Impressionnisme. Dès que l'on pénètre à l'intérieur, le vestibule décoré de fresques et de sculptures annonce un édifice architectural d'exception. Toutes les salles présentent les collections sur le plan chronologique et des expositions temporaires stimulent encore plus l'intérêt de visiter le Petit Palais. Mon deuxième musée de la journée que je connais bien, le Musée d'art moderne, appartient aussi à la Ville de Paris (gratuité totale…). Installé dans l'aile est du Palais de Tokyo, l'édifice, de style Art déco, fut conçu dans le cadre de l'Exposition internationale des arts et des techniques de 1937. Il a réouvert ses portes en octobre et j'ai donc profité de sa rénovation pour déambuler avec plaisir dans ses salles claires, lumineuses et vastes. J'ai surtout apprécié l'immense fresque de Dufy, "La fée électricité" et ensuite, s'est offert devant mes yeux, un festival d'artistes modernes et contemporains dont Picasso, Braque, Gris, Modigliani, Chirico, Giacometti et tant d'autres peintres qui ont marqué le XXe. Une visite incontournable pour qui aime l'art sous toutes ses formes. Puis, j'ai passé l'après-midi dans le quartier Montparnasse où j'ai déniché deux espaces merveilleux. Le premier se cache dans la rue d'Assas dans la maison où a vécu Ossip Zadkine (1890-1967), un sculpteur cubiste français d'origine russe. Ses sculptures en bronze sont disposées dans le jardin et à l'intérieur, celles en bois frappent par leur épure stylisée. Son œuvre foisonnante et fascinante mériterait d'être encore plus connue et je cite cette phrase de l'artiste : "Les sculpteurs de ma génération et moi-même pouvons être considérés comme les continuateurs de l'antique tradition de ces tailleurs de pierre et de bois qui, partis de la forêt, chantaient librement leurs rêves d'oiseaux fantastiques et de grands fûts d'arbres". Une exposition, "Le Rêveur de la Forêt", enchante les visiteurs de ce petit musée remarquable. Quelquefois, des petites unités artistiques valent bien les très grands espaces labyrinthiques… 

samedi 9 novembre 2019

Escapade à Paris, 1

Avant l'hiver, j'aime bien partir en début novembre et j'ai choisi Paris que je n'ai pas fréquenté depuis quelques années. Je ressens un sentiment ambivalent, dubitatif pour notre capitale où j'ai vécu dans les années 80. Je garde un souvenir merveilleux de cette époque où je déambulais sans fin pendant des heures et des heures. Je vivais mon rêve de libraire en découvrant la vie littéraire de Paris. De la librairie des Femmes à Compagnie, de la Hune à la FNAC, de Gibert Jeune à José Corti, je fréquentais ces lieux comme un pélerinage. Ce Paris de Saint-Germain-des-Prés, je l'ai connu encore authentique et je m'imaginais rencontrant Beauvoir et Sartre que je n'ai pas croisés, hélas. Dans mes souvenirs modianesques, ma mémoire conserve des milliers d'images, de moments, de paysages et de rencontres. Cette ville-livre, cette ville-musée, cette ville-jardin, je l'ai retrouvée pendant ces cinq jours. Je suis descendue dans un hôtel, quai Voltaire, entre l'Institut de France et le musée d'Orsay en face du Louvre. Dans cet édifice de la moitié du XIXe, quelques personnalités l'ont fréquenté : Wagner, Sibelius, Baudelaire, Oscar Wilde. De mon balcon, coulait la Seine, et le Louvre s'étalait devant mes yeux dans toute sa munificence. Mon regard émerveillé débusquait tous les monuments qui se profilaient dans un ciel dégagé : les ponts de l'Ile de la Cité, la Coupole de l'Institut, les tours de Notre-Dame, la Tour Eiffel… Dès ma première journée, j'ai visité le musée Jacquemart-André où m'attendait la collection Alana, l'une des plus précieuses et secrètes collections privées d'art de la Renaissance italienne, actuellement conservée aux Etats-Unis. 75 chefs-d'œuvre étaient présentés au public dispersé en fin d'après-midi : Uccello, Bellini, Lippi, Fra Angelico, Carpaccio, Véronèse, Le Tintoret, etc. J'ai remarqué une Annonciation remarquable de Lorenzo Monaco. Je ne connaissais pas ce musée parisien et j'ai découvert un lieu vraiment intéressant. Je craignais une grosse affluence car l'exposition est assez médiatisée, et j'ai eu de la chance de pouvoir admirer ces tableaux inédits, collectionnés par un milliardaire chilien. Comme j'aime l'Italie et tout particulièrement la Renaissance, je ne pouvais que me réjouir d'avoir vu la collection Alana. Je suis repartie vers mon hôtel en traversant la Place de la Concorde, toujours envahie de voitures, et je me suis promenée dans les jardins des Tuileries, inscrits au Patrimoine de l'UNESCO, un espace jardin magique avec ses deux bassins, ses chaises vertes, ses mouettes, ses statues, ses sculptures contemporaines, ses arbres centenaires. Après la pause restaurant (le Café de l'Empire, rue du Bac), je suis repartie voir la Pyramide du Louvre, illuminée face à l'Arc de Triomphe du Carrousel… Un paysage historique et culturel unique ! 

dimanche 3 novembre 2019

"La panthère des neiges"

Le dernier récit de Sylvain Tesson, paru chez Gallimard, n'est pas seulement un livre animalier sur la mythique panthère des neiges que l'on rencontre aux confins du Tibet.  L'écrivain voyageur, géographe et poète, délivre un message à ses lecteurs(trices) fidèles : essayez donc l'affût, l'affût de la beauté du monde. La panthère symbolise cette vision d'une beauté qu'il faut absolument protéger, conserver, préserver, sauver. Notre arpenteur des espaces part en plein hiver sur des sommets enneigés à cinq mille mètres d'altitude avec le photographe Vincent Munier, sur les traces de la panthère. Déjà, le texte prend une certaine hauteur, une dimension indéniable, un air rare, une appréhension palpable. Sylvain Tesson réalise qu'il vit une expérience unique avec son équipe. Lui, l'agité, le fou de vitesse, l'illuminé des toits (il fera une chute qui le blessera gravement), se rend compte que la frénésie, dans laquelle il traversait l'existence, semble dépassée par l'aventure du moment. Pour photographier un animal si furtif, il faut apprendre des vertus qui paraissent démodées, décalées, obsolètes : la lenteur, la patience, le silence, l'attente, l'affût. Ces vertus si exceptionnelles dans nos modes de vie transforment chaque individu quand il les pratique. Il confesse son état d'âme : "L'affût vous mène à une forme de modestie : vous pensiez que la nature vous était donnée et elle recèle de chatoiements dont vous n'aviez pas idée. La patience est la vertu de l'affût. On s'installe dans la géographie au lieu de la parcourir. J'ai été amené à repenser mon usage du monde". Dans ce texte inspiré, Sylvain évoque les paysages du Tibet, le froid pénétrant, les yacks, les loups, les chèvres sauvages, les rapaces, les relations dans le groupe, les contacts avec les habitants. Le moment le plus magique se déroule dans le dernier tiers du récit quand le narrateur aperçoit sa panthère des neiges : "Ce fut une apparition religieuse. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt en moi un caractère sacré". L'écrivain évoque comme à son habitude des poètes, des écrivains et des philosophes qui viennent illustrer ses pensées personnelles. Dans ce cadre naturel originel, Sylvain Tesson n'oublie jamais de parsemer des mots d'humour, d'ironie pour mettre à distance ses chagrins nostalgiques. Il reverra sa panthère une deuxième fois avec la même émotion émerveillée. Un très beau récit à la tonalité nouvelle, teinté de maturité, de gravité joyeuse, un appel pour vivre une vie plus intense dans une sérénité retrouvée. L'agitation du voyageur compulsif se termine et commence pour Sylvain Tesson l'ère d'une certaine contemplation du monde… 

samedi 2 novembre 2019

"Souvenirs de l'avenir"

Ce roman, "Souvenirs de l'avenir" de l'écrivaine américaine, Siri Hustvedt, réclame un peu d'effort et de patience pour apprécier son projet ambitieux, un patchwork d'histoires qu'il faut saisir d'emblée afin que la lecture soit plus confortable. Le roman est structuré par trois textes différents : un journal intime, l'écriture d'un premier roman, composés en 1978 et le texte de l'écrivaine d'aujourd'hui. HS, la narratrice s'installe à New York dans un immeuble décrépi où les cloisons laissent passer les moindres paroles des voisins. Elle perçoit des propos confus d'une mystérieuse locataire, Lucy. Elle prend des notes sur les monologues de Lucy qui évoque la mort brutale de sa fille et la soif de vengeance qui l'anime. La narratrice entame aussi l'écriture de son propre livre maladroit et inachevé. Quarante ans plus tard, elle retrouve son journal intime, l'ébauche de son premier livre et décrit son présent actuel en analysant la femme qu'elle était à l'époque de sa jeunesse. A partir de cette architecture un peu complexe, il suffit de pénétrer dans l'univers littéraire de Siri Hustvedt et quel univers ! L'écrivaine américaine interroge ses différents "moi" à travers les décennies sans utiliser le jargon de la psychologie, de la psychanalyse et de la philosophie. Son entreprise autobiographique repose sur les textes de sa jeunesse. Le flot des souvenirs inonde son moi actuel et tout ce magma psychique se mélange et aboutit à une identité flottante, chatoyante de réel et de fictions. Il s'agit d'analyser comment on devient Siri Hustvedt, vaste programme… Dans un entretien qu'elle a donné à une journaliste, elle qualifie cette œuvre "d'origami, tant il joue de plis et replis pour finalement former un oiseau de papier, prêt à l'envol, libéré des contraintes, qu'elles soient formelles ou intimes". Dans le journal intime, elle relate son histoire avec un étudiant violent et sûr de lui qui tente de la violer. Sa voisine la sauve de ce désastre et commence alors des relations de SH, la jeune femme, avec le groupe de femmes autour de Lucy, des "femmes sorcières"... Ce roman plonge le lecteur(trice) dans les thèmes chers à l'écrivaine : l'emprise du temps sur le "moi", l'identité fragile, la mémoire défaillante, les rapports de violence, la création littéraire, le rôle de la littérature, de l'écriture. L'écrivaine américaine poursuit livre après livre son rêve de jeunesse : "Je finirais, avec le temps, par m'augmenter moi-même volume après volume, jusqu'à devenir cette géante que je voulais être". Même si ce récit hybride semble un peu complexe à décrypter, lire cette écrivaine fascinante et d'une intelligence fabuleuse procure un plaisir certain. Pour moi, il est temps que le prix Nobel couronne son œuvre, mais je crois que ce jury n'a jamais lu Siri Hustvedt… Une écrivaine américaine majeure, à lire sans modération. 

vendredi 1 novembre 2019

"Par les routes"

Sylvain Prudhomme, jeune écrivain français, compose avec son "Par les routes", une fugue musicale autour de trois personnages : le narrateur, Sacha, Marie et son compagnon, l'autostoppeur. Sacha quitte Paris pour s'installer dans une ville du sud, où vit aussi un ami mythique avec lequel il a parcouru les routes de France quand ils étaient jeunes. Les voilà tous les trois dans la quarantaine et à cet âge-là, tout peut se rejouer. Marie travaille chez elle comme traductrice de l'italien et particulièrement de Marco Lodoli. La jeune femme accepte les lubies de son autostoppeur qui part de temps en temps sur les routes, son métier d'autoentrepreneur lui permettant de s'absenter régulièrement. Sacha traverse une crise existentielle : "A V., je comptais mener une vie plus calme. Ramassée. Studieuse. Je rêvais de repos. De lumière. D'une existence plus vraie. Je rêvais d'élan. De fluidité. D'un livre qui viendrait d'un coup, en quelques semaines à peine". Sacha loue un petit studio comme au temps de ses études. Un redémarrage régénérant. Il retrouve un cousin qui habite la petite ville et surtout il contacte son ancien ami qu'il n'a pas vu depuis vingt ans. Celui-ci lui présente sa compagne, Marie, et son fils Agustin. Tout se passe dans une parfaite harmonie. Son ami lui raconte alors sa quête obsessionnelle de partir sur les routes. Il photographie les hommes et les femmes qui ont la gentillesse de le prendre en autostop. Cette soif de rencontres hasardeuses le passionne et des bouts de vie se déroulent au fil du texte. Peu à peu, des liens affectifs entre Sacha et Marie se tissent à cause des absences répétées de l'autostoppeur (il n'a pas de prénom dans le roman). L'autostoppeur envoie des cartes postales de tous les lieux visités mais, un jour, il ne donne plus de nouvelles. Marie finit par perdre sa sérénité et s'interroge sur ce trio amoureux. L'autostoppeur semble sacrifier sa vie de famille pour sa passion de la liberté qui commence à se conjuguer difficilement avec la patience de Marie et les attentes de son fils. Le narrateur, peu à peu, remplace son ami auprès du petit garçon et surtout auprès de Marie. L'autostoppeur va-t-il revenir au sein de son foyer ?  Je ne dévoilerai pas la fin de ce roman subtil à l'écriture finement ciselée dans une simplicité trompeuse. Le vagabondage sur les routes, loin du confort familial, montre le malaise, le mal être du personnage. L'un se libère des liens pour fuir le réel, l'autre au contraire noue des liens pour s'ancrer dans le réel, des jumeaux complémentaires qui, peut-être, ne sont qu'un seul personnage. Ce très bon roman au charme certain mériterait d'obtenir un prix littéraire, pari tenu…