dimanche 22 juillet 2018

"Le lambeau", 1

Attention, ce livre ne s'ouvre pas sans risques. En lisant Philippe Lançon, j'ai reçu un coup de poing, un choc émotif, une leçon de vie inoubliable. Ce récit lumineux raconte une renaissance, la reconstruction d'une gueule cassée, à la manière de ces soldats de 14-18, victimes de blessures de guerre. Ce témoignage bouleversant met en scène sous la forme d'un journal intime, Philippe Lançon, tombé sous les balles immondes de deux fanatiques islamistes. Cette guerre d'aujourd'hui n'est pas seulement idéologique. Elle a fracassé une équipe entière d'humoristes, de dessinateurs, de journalistes de Charlie Hebdo.  Philippe Lançon, journaliste littéraire à Libération et chroniqueur dans ce journal satirique, s'est trouvé au mauvais moment, au mauvais endroit alors qu'il assistait à la préparation d'un numéro, ce matin du 7 janvier 2015. Deux guerriers barbares, vêtus de noir et armés de kalachnikov, se sont introduits dans la salle de conférence et ont tiré dans le tas, visant hommes et femmes. Douze personnes furent massacrées. Ces martyrs de la République, (eux devraient se retrouver au Panthéon) ont donné leur vie parce qu'ils ont eu l'audace de se moquer de tous les dieux, de tous les puissants et de la bêtise humaine. La vie intellectuelle française, représentée par ces héros de la pensée libre, de l'esprit voltairien, de l'humour libertaire, a subi une attaque insupportable. L'attentat de janvier a changé le monde occidental et ce récit d'outre-tombe relate ce moment où la réalité dépasse la fiction. Philippe Lançon a vu la mort, a vécu la mort : "Où étais-je à cet instant, un survivant ? Où étaient la mort, la vie ? Que restait-il de moi ?". Le narrateur est très gravement blessé aux bras et au visage. Il se relève comme Lazare et pourtant, malgré les dix sept interventions chirurgicales sur son visage, Philippe Lançon n'éprouve pas de haine, de rancœur, de rage envers ces deux assassins ; "Je n'ai aucune colère contre les frères K., je sais qu'ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer. Tout homme qui tue est résumé par son acte et par les morts qui restent étendus autour de moi". Le narrateur décrit cette attaque avec un détachement stoïque, maîtrisant l'horreur vécue dans un souci d'exactitude. Cette mise à distance du cauchemar permet la lecture de ce témoignage, un témoignage capital sur la France des années 2010...