mardi 30 novembre 2021

Escapade parisienne, 4

 Mercredi matin, je suis passée devant l'Opéra Garnier et j'ai eu envie de visiter cet édifice culturel consacré à la musique classique et à la danse. Je n'avais jamais eu l'idée d'entrer dans ce temple lyrique bien que sa façade spectaculaire attire tous les regards. J'ai découvert l'escalier monumental, le Foyer, véritable galerie de Versailles, la salle magnifique du spectacle avec le plafond de Chagall, les vestibules et la bibliothèque. Un monument exceptionnel érigé par Napoléon III et élaboré par Charles Garnier. Ensuite, j'ai succombé à la société de consommation en pénétrant dans quelques grands magasins parisiens pour retrouver l'univers de Zola du XIXe : les Galeries Lafayette, le Printemps pour voir la décoration flamboyante et kitsch des vitrines et des rayons. Je préfère de très loin la sobriété des musées et des librairies. A midi, j'avais réservé ma visite pour Sandro Botticelli (1445-1510) au Musée Jacquemart-André. Evidemment, je redoutais que ce peintre florentin de la Renaissance allait attirer la foule. Je n'ai pas été déçue par cette prémonition : les salles du musée regorgeaient de monde et voir cette quarantaine de toiles merveilleuses dans la cohue n'était pas une sinécure. Pourtant, le musée imposait des créneaux horaires mais l'exigüité des lieux ne facilitait pas une visite harmonieuse, une harmonie que dégagent les peintures de Botticelli. L'exposition montre aussi l'importance de l'atelier, laboratoire foisonnant d'idées et d'apprentissage. La concentration de ces toiles venues de Londres, d'Amsterdam, de Turin, de Rome, de Berlin, de Munich, de Florence constitue un événement culturel rare et précieux. Vierges à l'enfant, la belle Simonetta, la divine Vénus, la Madone Campana, Judith, mes yeux captaient la beauté de ces œuvres. Botticelli signa les plus grands chefs d'œuvre du Quattrocento. L'artiste par son génie raconte la beauté féminine, l'harmonie terrestre, la foi religieuse. Botticelli comme Léonard de Vinci illustrent à merveille le Beau dans toute sa perfection. Pour comprendre son génie, j'ai préparé ma visite en lisant "Les Primitifs italiens" de Daniel Arasse, un ouvrage essentiel pour saisir au delà des images le sens de la peinture italienne de la Renaissance. Avant de quitter le musée, j'ai revu les autres salles avec un Carpaccio, un Mantegna, un Rembrandt. Les visiteurs se bousculaient à l'étage et semblaient ignorer que ce Musée Jacquemart-André détient des peintures dignes du Louvre. Après ce bain bénéfique dans la Renaissance italienne, j'ai consacré mon après-midi à l'art contemporain. C'est une autre histoire...

lundi 29 novembre 2021

Escapade parisienne, 3

 Je voulais voir l'exposition consacrée à la photographe américaine, Vivian Maier (1926-2009), dans le Palais du Luxembourg. J'ai lu récemment le bel ouvrage de Gaëlle Josse, "Une femme à contre-jour" sur cette photographe, disparue dans la solitude et dans l'anonymat, inconnue de tous. L'écrivaine raconte ce destin "d'une invisible, d'une effacée". Parcourant les rues de New York et de Chicago, elle photographie les plus démunis, les marginaux qui ont été oubliés par le rêve américain. Je vais rarement voir des expositions de ce type mais j'avoue que le roman biographique m'a fortement influencée et je n'ai pas été déçue. La photographe réalise des autoportraits, des scènes de rue cocasses, des enfants joueurs, des hommes lisant le journal mais, son regard "cubiste" change la donne : elle fragmente les corps, se concentre sur des attitudes, dévoile des moments fugaces, montre des mains enlacées, des jambes lourdes, des objets délaissés. Cette belle exposition se tient jusqu'au 16 janvier. J'ai noté la phrase de Pascal Quignard au milieu des photographies exposées : "Le regard dresse le corps et tout regard repose dans le regard de l'autre". Plus tard, j'ai retrouvé avec plaisir le Jardin du Luxembourg, haut lieu historique avec l'édifice qui abrite le Sénat. Se balader dans ce parc demeure une des mes marottes quand je monte à Paris. Avec sa Fontaine de Médicis, ses statues, son bassin, ses fauteuils verts en fer, le parc ressemble à une île verdoyante où les promeneurs se délassent dans cet espace privilégié, conservé, protégé. Un lieu culturel dans un écrin de nature. Revoir ce jardin sous le soleil m'a vraiment procuré un sentiment de sérénité retrouvée. Je ne pouvais pas terminer ma journée sans pénétrer dans la librairie Delamain, l'une des plus anciennes de Paris que Colette et Cocteau fréquentaient. J'aime sentir cette atmosphère autour des livres, de la littérature et de la lecture. Je suis repartie avec un livre de recettes de Marguerite Duras, "Le bateau ivre" de Rimbaud et le prix Médicis de l'essai, "Comme un ciel en nous" de Jakuta Alikavazovic qui raconte sa nuit au Louvre. Le soir, j'ai savouré une bonne soupe traditionnelle avec un plateau de fromage dans un bistrot ancien, "le Ragueneau" et je me suis baladée vers la place Vendôme avec sa célèbre colonne et ses bijouteries de luxe hors de portée pour 99 % de la population... Paris et le luxe, ce n'est pas un mirage et s'offrir une montre à quelques milliers d'euros n'appartient pas à mon imaginaire ! Les illuminations de Noël donnaient une image irréelle au lieu comme si tout ce décor n'était que du cinéma. D'ailleurs, j'ai vu des passants attroupés encadrés par la police : se tournait une scène de la série "Lupin". J'étais vraiment au cinéma ! 

vendredi 26 novembre 2021

Escapade parisienne, 2

 Le mardi matin, j'avais rendez-vous à la Fondation Vuitton pour découvrir le bâtiment et la collection Morozov. Ce vaisseau ailé avec ses douze voiles en plein bois de Boulogne a été conçu par Frank Gehry qui définit son geste artistique ainsi : "A l'image du monde qui change en permanence, nous voulions concevoir un bâtiment qui évolue en fonction de l'heure et de la lumière afin de créer une impression d'éphémère et de changement continuel". Sorti de terre en 2014, posé sur un bassin, l'édifice ressemble à un voilier s'insérant parfaitement dans son environnement naturel. J'ai trouvé la file indienne habituelle à toute ouverture de musée avec les contraintes de la sécurité et du passe sanitaire. Malgré une forte fréquentation, les vastes salles permettent une visualisation confortable de tous les tableaux exposés. La collection Morozov constitue un événement majeur avec plus de 200 chefs-d'œuvre d'art moderne français et russe des frères moscovites. J'ai donc parcouru toutes les galeries dans cet espace : Manet, Rodin, Cézanne, Gauguin, Bonnard, Matisse, Van Gogh, Denis, Picasso aux côtés de quelques artistes russes comme Malévitch, Sarian, Répine et d'autres moins connus. Un festival de couleurs, de formes et d'audace artistique. J'ai remarqué le Van Gogh, une marine inconnue et sa toile terrible "La ronde des prisonniers", saisissante de tristesse. J'ai retrouvé avec plaisir les natures mortes de Cézanne, les tableaux sereins de Bonnard, les sculptures de Rodin et de Camille Claudel. J'ai arpenté ensuite les toits terrasses désertés par les visiteurs. La vue époustouflante du Bois de Boulogne et de Paris constitue un des attraits de cette institution ultra moderne. Cette visite s'est terminée au sous-sol labyrinthique où on peut voir une cascade fluide et musicale dévaler depuis l'entrée. Un soleil magnifique illuminait l'édifice et le rendait encore plus majestueux dans toute sa légèreté. Une exposition magnifique et rare, il faut en profiter jusqu'au 22 février 2022. Je suis partie ensuite dans le quartier du Luxembourg que j'aime tout particulièrement. J'avais lu récemment l'ouvrage de Lydia Flem, "Paris Fantasme" où elle évoque la rue Férou dans laquelle j'ai retrouvé le grand poème de Rimbaud, "Le Bateau Ivre", peint sur un mur d'enceinte d'un hôtel des impôts. Cette fresque poétique s'étale sur 300 mètres carrés et a été réalisée par le calligraphe néerlandais, Jan Willem Bruins. J'ai lu à haute voix quelques vers qui me sont si familiers et j'avais l'impression de vivre un moment rimbaldien dans cette rue charmante, proche de la place Saint-Sulpice. Rimbaud avait 17 ans quand il a écrit : "La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon, j'ai dansé sur les flots". Paris et la littérature, un beau couple multiséculaire !

jeudi 25 novembre 2021

Escapade parisienne, 1

 Dès lundi dernier, j'ai pris un TGV pour passer quatre jours à Paris. Avant le grand hiver partout, j'aime bien péleriner à la capitale pour découvrir les dernières expositions, assister à un concert, aller au théâtre, me balader dans les parcs et jardins, flâner dans les passages. Un grand bol d'air culturel bénéfique pour le moral et pour la santé. Il faut marcher beaucoup dans Paris et je n'ai pas manqué de parcourir des kilomètres et des kilomètres, les yeux captivés par la beauté de la cité. J'ai réservé ma première visite au Jardin des Tuileries sous un beau soleil malgré une bise glaciale. Comme Noël est proche, j'ai traversé le Marché de Noël des Tuileries et remarqué la Grande Roue, impressionnante par sa dimension. La balade aux Tuileries se déroule toujours avec un plaisir renouvelé : le Louvre tout près, l'arc du Carrousel,  la rue de Rivoli, la place de la Concorde. La présence des statues (les originaux sont dans les musées),  des  deux bassins, des mouettes, des feuilles mortes, apaise les passants dans ce cadre champêtre, hautement historique. Le cercueil de Jean-Jacques Rousseau aurait été disposé dans le grand bassin, drapé d'un drap étoilé avant d'être porté au Panthéon. Si le mobilier du jardin pouvait parler, on apprendrait des millions de potins sur la vie parisienne depuis des siècles. Cet espace serein fréquenté par les touristes et par les Parisiens possède un charme particulier, un charme incommensurable. J'ai traversé la Place de la Concorde toujours aussi envahie de véhicules, puis, je n'ai pas résisté à l'attraction de la Dame de fer, notre Tour Eiffel nationale, solide sur des quatre pattes, élancée, ferrailleuse et indomptable. Le soir, j'avais réservé une place aux Théâtres des Champs Elysées pour un concert d'Haendel, l'oratorio "Théodora" avec Lisette Oropesa, Joyce DiDonato, Paul-Antoine Bénos-Djian et l'orchestre Il Pomo d'Oro, dirigé par le génial et dynamique, Maxim Emelyanychev. Un spectacle magique, magnifique et inoubliable. Assister "en vrai" à un concert classique, baroque, choral ou instrumental donne une "aura" à l'œuvre chantée en solo, en duo et avec le chœur. La musique et les voix nous enveloppent le corps et l'esprit, ensorcellent nos sens et nous transforment en bulles aériennes loin de la pesanteur ordinaire et quotidienne. Un mirage et un miracle que seule la musique in vivo peut provoquer dans un espace clos et protégé. L'Education nationale devrait recruter des musiciens pour accueillir les élèves et les étudiants. Je suis sûre que l'on verrait des résultats positifs en quelques mois... Je rêve évidemment mais c'est parfois une douceur d'être de penser comme Nietzsche que "vivre sans musique serait une erreur". Une première journée rythmée par les paysages familiers de Paris et par un musicien génial, mon cher Haendel. 

samedi 20 novembre 2021

Atelier Littérature, 3

 Colette a bien aimé le récit autobiographique d'Assia Djebar, "Nulle part dans la maison de mon père", publié chez Actes Sud en 2010. Cette académicienne, disparue en 2015, raconte son enfance dans une petite ville du littoral algérien. Son père, Tahar, est le seul instituteur indigène de l'école et malgré son idéal républicain, il impose à sa fille une rigueur religieuse qu'il entend lui transmettre. Elle découvre le monde grâce à la lecture et même si elle parvient à s'affranchir de la tutelle paternelle, elle rend hommage à sa culture d'origine arabo-berbère. Ce récit pudique et émouvant révèle aussi le déchirement d'une double appartenance culturelle et une Algérie très vivante des années 50. Il n'est pas facile de vivre dans une société ultra patriarcale symbolisée par le portrait de son père. Le parcours d'Assia Djebar semble exemplaire. Née en Algérie en 1936, elle publie son premier roman en 1957. Elle est entrée à l'Académie française en 2005 grâce à son œuvre imposante (romans, nouvelles, poésies, théâtre et essais). Régine a présenté un roman de Marie Sizun, "Le père de la petite", publié chez Arléa en 2008. A Paris, en 1944, une fillette de 4 ans vit seule avec sa fantasque de mère. Lorsque son père qu'elle n'a jamais vu revient de sa captivité en Allemagne, elle éprouve de la haine envers cet intrus et au fil des jours, commence à l'aimer. Mais un drame familial surgit que l'on devine au tout début de ce roman délicat, fin et sensible. Pour terminer l'évocation de la liste sur le rôle du père dans les romans, Agnès et Danièle ont lu "Le père Goriot" d'Honoré de Balzac. Je l'ai relu aussi avec un très grand plaisir. Autant Agnès n'est pas rentrée dans le roman, autant Danièle a apprécié ce monument de la littérature française. Pour l'une, elle a remarqué trop de descriptions, pas assez d'intrigues, un monde parisien très lointain, des personnages singuliers. Très difficile de lire ce texte du XIXe. Pourtant, quand on se laisse pénétrer par ce monde balzacien, les personnages de la Comédie humaine deviennent familiers comme ce bon Père Goriot, le terrible Vautrin, l'arriviste Eugène de Rastignac, les pensionnaires de la pension Vauquer. Le rôle de l'argent prend une place prépondérante car ce brave Goriot sacrifie sa fortune pour que ses filles mènent une vie de rêve dans la petite noblesse de l'époque. Ses filles l'exploitent honteusement et ne l'intègrent jamais dans leur vie. Cet amour sacrificiel du Père Goriot devient le symbole de l'amour hors du commun d'un père pour ses filles. Au moment de sa mort, Goriot traverse un moment de lucidité : "Depuis le jour où les yeux n'ont plus rayonné sur moi, j'ai toujours été en hiver ici ; je n'ai plus eu que des chagrins à dévorer et je les ai dévorés ! (...) Je leur ai donné ma vie, elles ne me donneront pas une heure de leur vie aujourd'hui !". L'ingratitude des enfants semble parfois sans limite, nous dit notre grand Balzac. Ce roman classique, fort et puissant, se termine par la phrase célèbre de Rastignac : "A nous deux, Paris !". J'ai donc renoué avec la redécouverte des classiques qu'il faut absolument lire et relire. Dans chaque atelier mensuel, j'intégrerai un classique dans ma liste d'ouvrages recommandés. Après Balzac , (quelle chance de le lire dans notre langue !), j'ai choisi un George Sand pour célébrer l'hiver, thème de notre rencontre du 16 décembre. Je remercie toutes les lectrices de l'Atelier toujours aussi motivées pour le partage des émotions littéraires.  

vendredi 19 novembre 2021

Atelier Littérature, 2

Mylène a présenté "L'Africain" de J.M.G. Le Clézio, paru au Mercure de France dans l'excellente collection, "Traits et Portraits". L'écrivain raconte une partie de son enfance à l'âge de 8 ans quand il a rejoint, avec sa mère et son frère, son père, médecin au Nigéria. Ce père s'est montré autoritaire, froid et dur. Mais, ce contact rugueux avec un homme qu'il ne connaît pas est contrebalancé par la présence magique de l'Afrique dans ses dimensions sensorielle et physique. Ce médecin anticolonialiste, de nationalité britannique, né à l'Ile Maurice, est devenu un homme aigri et les retrouvailles familiales ne sont pas passées comme prévu. Cette autobiographie comporte autant de non-dits que de révélations. La fascination du narrateur pour ce continent est née à cette époque-là. J.-M-G. Le Clezio écrit dans ce beau récit : "Ce qui est définitivement absent de mon enfance : avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. Je sais que cela m'a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire". Son talent de conteur et son style poétique ont charmé Mylène et cet ouvrage, paru en 2015, ne peut que plaire aux lectrices de l'Atelier. Sylvie a choisi "La Légende de nos pères" de Sorj Chalandon, publiée chez Grasset en 2011. Cette histoire étrange et originale convoque un biographe professionnel, appelé Frémeaux, sollicité par une femme qui lui demande de rédiger des mémoires de guerre sur son père résistant, nommé Beuzaboc. Le père du narrateur était aussi résistant. Au fil des pages, le biographe a des doutes sur la véracité des faits rapportés par la fille de Beuzaboc. Où finit la vérité et où commence la légende ? Sorj Chalandon possède l'art de raconter des histoires prenantes, percutantes, où le héros n'est pas toujours celui que l'on s'imagine. Sylvie a relevé surtout le style de l'auteur où il sème dans son texte des métaphores parlantes. Dans les nouveautés de la rentrée, Régine avait signalé son dernier roman très fort, "L'enfant de salaud" qui aurait mérité un prix littéraire. Janelou est restée dans la même époque que Sylvie avec "Les lauriers du Lac de Constance" de Marie Chaix (sœur d'Anne Sylvestre), publié en 1978. Ce roman autobiographique évoque le père de l'écrivaine, Albert Beugras, proche du collaborateur Doriot, pendant la guerre. Elle n'idéalise pas ce père hors du commun dans ce portrait et le considère comme un inconnu : "Albert, mon père, collabo, condamné à perpétuité à la Libération. Toi, passionné de l'antibolchevisme, éternel absent, qui étais-tu vraiment ?". Ce récit émouvant montre le poids du mauvais choix sur une famille éclatée. Ce portrait d'un père compromis dans la Collaboration conserve tout son intérêt historique et quand une lectrice de l'atelier remet à l'honneur une écrivaine bien oubliée aujourd'hui, je m'en félicite ! Je relirais ce récit que je n'avais pas oublié car en 1978, j'étais libraire et je me souviens encore du succès et de l'accueil qu'il avait reçu. A redécouvrir. (La suite, demain)

jeudi 18 novembre 2021

Atelier Littérature, 1

Cet après-midi, nous étions presque au complet à l'AQCV pour partager nos lectures dans l'Atelier Littérature. J'ai changé les règles cette année en privilégiant les livres recommandés en première partie et les coups de cœur en deuxième partie. Comme nous étions nombreuses, nous n'avons pas eu le temps d'évoquer les coups de cœur. Pour l'atelier du jeudi 16 décembre, j'ai présenté le thème : l'hiver dans la littérature avec un choix éclectique d'écrivains français et étrangers avec la parité respectée. Dans la seconde heure, les lectrices ont choisi deux ouvrages sérieux sur l'euthanasie, celui de Noëlle Chatelet, "La dernière leçon" et celui d'Emmanuelle Bernheim, "Tout s'est bien passé". Ce n'est pas un sujet "festif" juste avant les fêtes de Noël mais rien ne nous fait peur dans l'Atelier. J'avais donc proposé en octobre une bibliographie sur le rôle du père dans la littérature. Geneviève et Régine ont beaucoup apprécié, "Une année avec mon père", de Geneviève Brisac, publié en 2010 chez l'Olivier. L'écrivaine raconte la dernière année de son père en essayant de l'accompagner au mieux dans son veuvage récent. La relation filiale se tisse au fil des jours avec délicatesse et retenue. Le père s'exaspère de la sollicitude de sa fille et sa fille s'inquiète de la santé de son père. Malgré quelques moments de tension, la tendresse domine dans ce duo émouvant. Ce témoignage sensible sur ces liens particuliers se lit avec un plaisir certain. Pascale a choisi le premier roman d'Anne Berest, "La fille de son père", une histoire qui se présentait bien mais qui a déçu notre lectrice le trouvant trop court, inachevé. Les trois filles de ce père sont-elles sœurs ? Un secret de famille sera dévoilé par la belle-mère, mais Pascale a regretté les conséquences de ce secret sur la vie des personnages. Le père semble absent dans cette famille recomposée. Véronique et Danièle ont lu "L'autographie de son père" de Pierre Pachet, édité en 2006 en livre de poche. L'écrivain utilise la première personne pour raconter la vie de son père, le docteur Simkha Opatchevsky, juif russe né en 1895 et mort à Vichy en 1965. Etudiant exilé en France quand éclate la Première Guerre Mondiale, il fonde sa famille, traverse l'Occupation, change de nom pour échapper aux nazis. Son père n'était pas facile à vivre, selon l'auteur à cause d'une maladie qui perturbe sa vue. Ce portrait sans concession d'un homme complexe relève d'un exercice littéraire de haut vol tellement ce père singulier se livrait peu à son propre fils. Pierre Pachet l'inscrit dans la littérature avec ce portrait d'un homme silencieux, courageux et discret. Odile a beaucoup aimé le récit de Metin Arditi, "Mon père sur les épaules". Vingt ans après la mort de son père, l'écrivain francophone d'origine turque s'interroge sur sa personnalité, un père absent pendant son enfance et fuyant sa responsabilité familiale. L'admiration qu'il éprouve pour ce père tout-puissant se teinte aussi de déceptions envers un homme peu intéressé par sa paternité. Mais, il rend un hommage appuyé à cette figure austère et lointaine sur laquelle sa personnalité s'est construite. (La suite, demain)

mercredi 17 novembre 2021

"L'éternel retour, le grec et le latin"

 Quand j'ai appris que notre Ministre de l'Education Nationale avait l'intention de promouvoir l'enseignement du grec et du latin, j'ai soupiré : enfin ! Ma pente naturelle glisse souvent vers le pessimisme et j'imaginais leur disparition définitive. Ces langues anciennes dans lesquelles le français s'enracine me semblent pourtant incontournables pour apprendre la grammaire, le vocabulaire, l'étymologie, etc. Dans les années 60, je n'ai pas pu m'inscrire en latin et en grec car j'étais meilleure en mathématiques. Mais que je regrette ce non choix à l'âge de 11 ans ! J'ai eu mon "illumination" de la littérature à la fin de la 3e quand je suis tombée dans les bras de Colette, de George Sand, d'Alain-Fournier, et de tous les auteurs populaires de cette époque : Henri Troyat, Gilbert Cesbron, André Maurois et tant d'autres, oubliés de nos jours. Dès que j'ai passé mon bac L avec l'épreuve du Français à la fin de la Première, j'ai su qu'une licence de Lettres me conviendrait parfaitement. En 1970, il fallait apprendre le latin dans les deux premières années (DUEL) pour obtenir la licence de lettres modernes. J'ai donc été initiée à la langue romaine en laboratoire où il fallait s'exercer en répétant des tas de formules. J'ai appris le vocabulaire et les déclinaisons, mémorisé les conjugaisons, compris la structure linguistique du latin. J'ai compris alors toute la richesse d'assimiler une langue ancienne. J'étais fière d'obtenir mon certificat de latin comme une revanche sociale. Quand j'ai pris ma retraite, il manquait à mon palmarès, le grec ancien et je me suis lancée dans cet apprentissage avec une amie, professeur de français à la retraite, qui m'a donné avec générosité des cours pendant trois ans. Aujourd'hui, j'essaie d'apprendre en solo, l'italien pour mieux comprendre ce pays. Jean-Michel Blanquer a "osé" remettre à sa bonne place ces apprentissages si décriés par des professionnels de la modernité pédagogique, pourfendeur de l'élitisme culturel. Cette initiative européenne concerne aussi l'Italie, la Grèce, Chypre. Ces pays ont signé une déclaration conjointe pour renforcer la coopération autour du latin et du grec lors du colloque "Europe et langues anciennes, nouvelles questions, nouvelles pratiques". Le ministre veut aussi contrer les ravages du "wokisme", une idéologie minoritaire très répandue dans les universités américaine et française qui contestent la domination culturelle des "Blancs"... Ce frémissement pour rétablir la noblesse intellectuelle des langues anciennes accessibles à tous les élèves me semble une belle idée républicaine, un élitisme universel, un hommage à nos antiques ancêtres qui ont inventé notre culture européenne. Je suivrai de près ce retour salutaire à une certaine culture classique, celle des Humanités qui ont formé des générations d'étudiants. Jacqueline de Romilly serait heureuse d'apprendre que ses chères langues anciennes vont peut-être connaître un regain salutaire !  

mardi 16 novembre 2021

"Le voyage dans l'Est"

 Christine Angot a enfin reçu un grand prix littéraire, celui du Médicis, qui couronne une certaine littérature ambitieuse pour son dernier roman, "Le voyage dans l'Est", publié chez Flammarion. J'ai retrouvé dans cet opus le thème récurrent de ses ouvrages précédents, "Une semaine de vacances" ou "Un amour impossible" : l'inceste. La lecture de ce type de récit s'avère parfois dérangeante, désolante et cette écrivaine ne cesse de rappeler la cruauté d'un réel abîmé. Ses lecteurs connaissent son histoire familiale, la rencontre de son père à l'âge de 13 ans, et le naufrage sexuel qu'elle va subir. Elle décrit cette relation avec sa franchise légendaire, sans pathos, sans fard avec une précision clinique et une distance froide : le premier baiser de son père, l'initiation à la sexualité, les gestes amoureux. Ces descriptions crues apportent à la relation incestueuse père-fille un effet d'horreur insupportable. La narratrice subit cette situation et s'enlise dans une acceptation résignée. Sa solitude s'avère terrifiante dans l'épreuve qu'elle vit. Ce père monstrueux n'est pas un homme frustre. Il est cultivé, parle plusieurs langues, occupe un poste important dans l'administration du Conseil de l'Europe. La jeune fille de 13 ans admirait ce père lointain, remarié avec deux enfants. Quand ce père pervers lui impose cette relation, elle se laisse faire. La narratrice évoque ce consentement "non consenti" pour révéler son impuissance. Elle est dévastée, morte à elle-même, perturbée dans sa sexualité, saccagée, fracassée. Personne ne lui vient en aide, ni ses proches, si son mari qui, pourtant, découvrira ce lien incestueux. Christine Angot dénonce dans ce roman autofictionnel le drame de sa vie : comment vivre avec ces souvenirs traumatiques ? Comment vivre avec cette tragédie intime ? Elle écrit : "L'inceste est une mise en esclavage. Vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c'est qui, c'est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de votre mère, le père de votre sœur ? C'est un bannissement l'inceste. C'est un déclassement à l'intérieur de la famille, qui se décline ensuite dans la société". Ce père admiré et honni à la fois lui aurait déclaré : "Tu devrais écrire sur ce que tu as vécu avec moi. C'est une expérience que tout le monde ne vit pas". Ce texte ressemble à un constat sans concession, une reconstitution d'un crime : on ne se remet jamais d'un crime sordide comme celle du viol, de l'inceste. L'écrivaine ne brandit pourtant pas le drapeau de Metoo, ou d'un féminisme agressif revanchard. Elle utilise une écriture "blanche" sans fioritures pour aborder ce tabou universel, l'inceste. Un roman éprouvant, percutant, vrai. Un Médicis bien mérité. 

lundi 15 novembre 2021

"Chevreuse"

 Le dernier roman de Patrick Modiano, "Chevreuse", publié chez Gallimard, appartient à sa propre "recherche du temps perdu" où le passé prend une ampleur toute proustienne. Déjà en 1991, l'auteur racontait son enfance dans "Remise de peine", une enfance errante avec son jeune frère quand leurs parents avaient confié les deux garçons à des amies dans une maison de Jouy-en-Josas. Des gens peu recommandables entouraient ces enfants qui ne comprenaient rien à leur manège improbable. Dans son récit, "Un pedigre" en 2005, Patrick Modiano revenait sur son enfance et évoquait des personnages que l'on retrouve dans "Chevreuse". L'intrigue se situe en 1966 et le narrateur, Jean Bosmans, fait la connaissance d'un trio douteux, Michel de Gama, Guy Vincent et René-Marco Heriford dans ses jeunes années. Dans ce milieu glauque, le narrateur, quinze ans plus tard, mène son enquête pour retrouver le fil d'Ariane de sa mémoire nébuleuse. Il rencontre Camille, une jeune femme, qui a travaillé avec ces hommes opaques. Elle sait que Jean Bosmans est traqué par ce trio dont le secret ne sera dévoilé qu'à la fin du roman. L'art de Modiano réside dans ce flou du temps, dans l'impossibilité de retracer avec précision les souvenirs de l'enfance. Peine perdue pour le narrateur qui, pourtant, sème dans son récit des madeleines proustiennes comme la présence d'un briquet en or, une montre, une boussole, un agenda en cuir vert, des objets matériels qui déclenchent la mémoire involontaire du narrateur. Ce texte subtil et nostalgique se perd parfois dans une brume textuelle où le fil du récit s'égare dans un labyrinthe. Mais, lire Modiano, c'est accepter ce mélange entre le réel et la fiction, le présent et le passé en mettant en scène des personnages qu'il effleure sans les approfondir. Jean Bosmans se débat avec ses êtres fantomatiques qui auront, malgré eux, marqué à tout jamais la personnalité du narrateur. La matrice de ses rêveries n'a qu'un seul but : écrire un roman sur cette histoire d'enfance assombrie par des adultes menaçants. L'écrivain utilise en fait la géographie, la mémoire des lieux comme cette maison de son enfance, des appartements parisiens, des rues, des hôtels pour raviver sa mémoire enfouie : "La topographie vous aide aussi à réveiller les souvenirs les plus lointains". Ce roman relève d'un rêve intime sur un secret d'enfance et sur sa façon d'être : "A plusieurs reprises, on l'avait traité de "somnambule", et le mot lui avait semblé, dans une certaine mesure, un compliment. Jadis, on consultait des somnambules pour leur don de voyance. Il ne se sentait pas si différent d'eux. Le tout était de ne pas glisser de la ligne de crête et de savoir jusqu'à quelle limite on peut rêver sa vie". Cette "frontière étroite entre la réalité et le rêve", Patrick Modiano la franchit sans cesse dans son dernier roman tout imprégné de sa magie d'écriture. 

vendredi 12 novembre 2021

"Bellissima"

Simonetta Greggio avait écrit un joli récit biographique sur une écrivaine mythique, Elsa Morante, en 2018. Cette autrice française mais italienne de culture avant tout, poursuit un projet autobiographique de l'Italie après les publications de "Dolce Vita 1959-1979" et "Les Nouveaux Monstres 1978-2014" . Dans ce troisième volume, "Bellissima", la narratrice raconte l'histoire de sa famille, de ses parents et de la sienne. Elle avoue dès les premières pages : "Qu'est-ce qui m'a poussée, jeune fille, à abandonner mes proches, ma maison, ma langue maternelle ? Pourquoi ai-je laissé derrière moi mes amis, mes petits frères, ma mère, mon pays ? Qu'est-ce qui fait qu'un homme tendre comme mon père est devenu un monstre, à un moment donné ? Quel est ce mal qui m'a rongée jusqu'à presque en crever ? Cela s'appelle Italie : ma douleur, mon amour, ma patrie". Née à Robino en 1961, près de Padoue, Simonetta Greggio se souvient de son enfance et de sa crise existentielle avec ce pays : "Pendant longtemps, j'ai refoulé - vomi  - mon Italie". Elle mêle à ses souvenirs intimes les événements tragiques de son pays, rongé dans les années 70 par les extrémistes de la Brigade rouge. En 1960, son père se met au service de "l'Ingénieur", un promoteur corrompu, issu de la Mafia. Sa mère, surnommée "Bellessima", pour sa beauté, tient un rôle principal dans cette famille qui cache bien des secrets indicibles que la narratrice dévoile au fil du récit : la violence d'un père monstrueux en particulier qualifiée de "fasciste". Elle évoque le poète et cinéaste, Pasolini, dont l'assassinat sur une plage près de Rome n'a toujours pas été élucidé : "Un monde qui écrase le cœur de ses écrivains n'est pas un monde qui les mérite". De chapitre en chapitre, elle fouille le passé opaque de sa famille en révélant l'origine juive de sa mère longtemps occultée. Mais un événement traumatique dans l'enfance de la narratrice donne une clé de son projet littéraire. A huit ans, la petite Simonetta a réussi à échapper à un prédateur sexuel dans une forêt et ce souvenir la hante pour jeter une "ombre infinie" sur sa vie. Son arrachement à sa famille et à ce milieu nocif constituait la seule issue pour sortir de ce cauchemar récurrent. Les chapitres courts se succèdent sans souci de chronologie revenant sur des anecdotes significatives de sa vie privée et de l'histoire de l'Italie. Ce récit romanesque fourmille de nombreuses allusions sur les figures marquantes de la vie intellectuelle italienne. La colère, le dépit, la rancœur pèsent dans les mots de Simonetta Greggio mais aussi l'amour, la passion et une fidélité radicale dans le bon sens du terme pour son identité première, l'italienne... Pour tous les amoureux et toutes les amoureuses de ce pays si attachant, il faut lire Simonetta Greggio. 

jeudi 11 novembre 2021

Mon escapade basque

 Pendant une semaine, je suis retournée dans mon pays basque à l'identité bien affirmée. Je n'avais qu'une envie : voir l'océan, humer l'iode, marcher sur le sable, le long des plages immenses d'Anglet et de Biarritz. Quand j'ai mis les pieds sur la promenade de la Chambre d'amour, j'ai tout de suite entendu la musique des vagues, ces rouleaux qui ne cessent de se former au loin et se déroulent puissamment pour les surfeurs qui saisissent le meilleur moment pour se lever sur la planche et tenir sur une vague quelques secondes, parfois une minute. Les plus téméraires tiennent bon sur la crête comme un symbole d'abnégation et de courage. Il leur faut une certaine insouciance pour vaincre ces montagnes furieuses d'eau et d'écume. D'Anglet à la Barre, le long de la forêt de Chiberta, je me balade le nez à l'air et les yeux braqués sur les plages qui défilent : les Sables d'or, la Madrague, les Cavaliers, les Corsaires. Au bout de la dernière plage avant l'embouchure de l'Adour, une sculpture en bois en forme d'échafaudage rappelle le drame vécu par cette région en 2020 où plus de 170 hectares de pins ont brûlé à cause d'un adolescent pyromane. Cette œuvre de Séverine Hubard, constituée de morceaux de pins calcinés,  intégrée dans la Biennale de l'Art contemporain d'Anglet symbolise le principe de "faire plus avec moins" de l'écologiste Buckminster. Baptisé "Portrait de famille", cette pyramide, parsemée de têtes en bois, rend hommage à la "plage comme lieu fantasmé où viennent s'échouer les vagues du New Age, loin du béton et de l'architecture fonctionnaliste". Sur cette promenade de front de mer, entre le terrain de golf et l'océan, aucun bâtiment en vue ne donne directement sur l'horizon. La protection du littoral a bien été respectée sur Anglet. Partir en novembre sous un soleil automnal assez exceptionnel m'a permis d'assister à des couchers de soleil magiques où les rayons de soleil filtraient les nuages et se jetaient dans la mer comme des lances de lumière. J'étais heureuse que "mon" golfe de Gascogne m'offre un tel spectacle. A Biarritz, en fin de journée, les surfeurs quittent leurs appartements pieds nus et vêtus d'une combinaison, traversent les feux rouges et se précipitent dans les vagues de la Grande Plage. On se croirait en Californie. Cette jeunesse sportive et dynamique a bien de la chance de vivre dans ce pays de cocagne où la pratique du surf est loin d'être marginale. Me replonger dans cette ambiance océanique m'apporte toujours une énergie renouvelée. Mes batteries mentales donnaient des signes de faiblesse avant de partir. Je les ai rechargées en Côte basque durant ce séjour de novembre. Une excellente opération pour traverser les mois hivernaux. Je garde dans ma tête la musique wagnérienne des vagues basques, toniques et tonitruantes et j'ai emmagasiné les images des plages d'Anglet, de Biarritz, de Bidart et de Guéthary, une bonne récolte de noisettes océaniques pour survivre à l'hiver savoyard. Une escapade revigorante à l'image des vagues bondissantes de l'océan atlantique. 

jeudi 4 novembre 2021

Prix littéraires 2021

 Le verdict est tombé depuis hier pour le Prix Goncourt, l'Himalaya des lettres françaises beaucoup plus important que le prix Nobel de littérature. Obtenir ce prix représente pour l'auteur et autrice une rente à vie. Le roman de l'année dernière, "L'anomalie", de Hervé Le Bel a atteint un chiffre astronomique avec plus d'un million d'exemplaires. Le lauréat de novembre, Mohamed Mbougar Sarr, né en 1990 au Sénégal, était le favori depuis des semaines avec "La plus secrète mémoire des hommes", publié chez Philippe Rey. D'après la critique du Monde, ce texte ne se présente pas comme le plus facile d'accès. Mais, beaucoup de critiques positives relèvent "l'impressionnante ambition et l'étourdissante énergie narrative" du roman. Un jeune écrivain sénégalais mène une enquête sur un certain T. C. Elimane qui fut un poète maudit dans les années 30. Accusé de plagiat, ce Rimbaud noir a disparu et le narrateur part sur ses traces en France, au Sénégal, à Amsterdam et en Argentine. L'écrivain mélange les genres littéraires, évoque la période colonialiste dans la France des années 30, des révoltes contemporaines à Dakar. Ce roman met à l'honneur la puissance de la littérature : "La littérature ; il ne restait et ne resterait jamais que la littérature ; l'indécente littérature, comme réponse, comme problème, comme foi, comme orgueil, comme vie". Je ne manquerai pas de lire ce prix Goncourt qui couronne pour la première fois un si jeune écrivain francophone. Le Prix Médicis est revenu à Christine Angot pour "Voyage dans l'Est". Elle revient sur son drame personnel, une relation incestueuse qu'elle a souvent évoquée dans ses récits précédents. Le Prix Renaudot a été obtenu par la célébrissime Amélie Nothomb qui brosse un beau portrait de son père pour "Premier sang".  Clara Dupond-Monod a emporté le Prix Fémina  pour "S'adapter". Jean-Baptiste Del Amo a reçu le prix du roman Fnac pour "Les fils de l'homme". François-Henri Désérable a été choisi par l'éminente Académie française pour 'Mon maître et mon vainqueur". Je regrette que certains ont été écartés de ces récompenses littéraires comme celui d'Agnès Desarthe pour "L'éternel fiancé" ou celui de Chalandon pour "Enfant de salaud". Il suffit maintenant d'ouvrir ces romans distingués sans oublier tous ceux qui méritent autant notre attention. Je n'ai mentionné que les romans français car les prix distinguent aussi les romans étrangers et des essais. Ce phénomène éditorial a un mérite certain : donner envie de lire, promouvoir la lecture, découvrir des écrivains et surtout le plus important, mettre la littérature à l'honneur !

mercredi 3 novembre 2021

"Une année avec mon père"

 Geneviève Brisac raconte dans un récit autobiographique, "Une année avec mon père", la perte de ses parents. Paru en 2013 chez l'Olivier, ce texte émouvant, percutant et intimiste rappelle ces moments de deuil quand la vie bascule dans l'irrémédiable. Ses parents ont pris leur voiture pour rejoindre leur résidence secondaire. Un automobiliste les percute et la mère de l'écrivaine, gravement accidentée, perd la vie. Son père se retrouve seul et il doit tout réapprendre. Sa fille, la narratrice, va l'accompagner et l'aider à surmonter cette épreuve de deuil. Son père, juif laïque et républicain, né dans les années 20, a traversé le XXe siècle avec un cran infini. Il n'a jamais confié à sa famille les événements de sa vie mouvementée. Dans ce drame, la relation père-fille se joue à cache-cache, tout en délicatesse. La narratrice se sent investie d'une mission de protection envers ce père discret et indépendant qui n'en demande pas tant. Quand son père était hospitalisé après l'accident mortel, Geneviève Brisac écrit : "La semaine défile dans un non-temps, dans un hors-temps, où plus rien n'existe que ces trajets, ces appels, ces listes, ces tâches". Une fois remis sur pieds, son père veut retrouver son chez-soi malgré ses problèmes de santé: "Il veut me montrer comme il est autonome. Un homme libre qui a envie qu'on le laisse vivre en paix. Un homme. Pas un animal domestique. Ou un vieillard infantilisé". Ce souhait légitime embarrasse ses filles mais elles ne peuvent pas s'opposer à cette décision. Heureusement, la concierge de son immeuble s'occupe de lui, de ses repas, de son linge et du ménage. Les rapports entre père et fille sont tissés de délicatesse, de respect et d'amour même si l'écrivaine ne connaît pas vraiment les secrets de cet homme discret et secret. Il a toujours caché aux siens sa double vie avec une autre femme. Ils partagent ensemble des promenades dans Paris, vont au théâtre, dans les librairies et les restaurants. Ces moments d'intimité familiale ressemblent à un "tableau de mémoire" que la narratrice consultera plus tard dans une nostalgie heureuse. Son père survivra un an à sa femme : "L'ancre était levée, le bateau a dérivé lentement, en se cognant souvent à la douleur, mourir fait autant mal que vivre. Et c'est aussi long". Ce récit lumineux, souvent cocasse, évoque la mort des proches, mais, toute imprégnée d'un ode à la vie grâce à une écriture subtile et sensible.  

lundi 1 novembre 2021

Les Pléiades fêtent leurs 90 ans !

 J'ai lu un bon article sur la prestigieuse collection de la Pléiade dans la revue Lire-Magazine littéraire du mois de novembre. Née en 1931 à l'initiative de Jacques Schiffrin, la collection a poursuivi son destin sous l'égide de Gallimard dix ans plus tard. Le premier volume édité concernait Baudelaire et depuis ces décennies, il se vend encore quelques milliers d'exemplaires par an malgré une baisse depuis vingt ans. Les écrivains les plus "rentables" s'appellent Saint-Exupéry, Proust, Camus, Rimbaud, Montaigne et Verlaine... Aucune écrivaine, hélas, malgré les présences de George Sand, Simone de Beauvoir, Colette, Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras. Le profil des acquéreurs varie selon les avis des libraires : du collectionneur compulsif à l'étudiant sérieux, du passionné de littérature au snob, du bibliophile érudit au voyageur cultivé. Chacun constitue sa collection au fil des années. Pour un prix raisonnable, une Pléiade contient souvent de cinq à dix romans ou essais. Son format de poche, ses reliures en cuir d'ovin de Nouvelle-Zélande, le papier bible très fin caractérisent le support matériel. On peut emporter sa Pléiade préférée dans ses bagages pour ne plus craindre un manque de lecture dans un pays étranger. J'ai commencé à collectionner mes Pléiades lors de mes études de lettres. L'appareil critique dans chaque volume apporte des informations complémentaires précieuses quand on étudie l'œuvre d'un écrivain. Je me souviens de mon coffret de Proust que j'ai toujours dans ma bibliothèque, très utile pour suivre les nombreux personnages de la Recherche. J'ai augmenté ma collection grâce à la générosité sans limite de ma mère qui m'offrait souvent un volume lors de mon anniversaire : Flaubert, Stendhal, Nerval, Julien Gracq, Yourcenar, Camus, Larbaud. Comme elle aimait lire, je lui ai conseillé tout Colette, Giono, Marcel Aymé. Elle aimait les conserver dans une bibliothèque vitrée et ces Pléiades ont rejoint les miennes à sa disparition. Cet héritage maternel littéraire me semble plus important qu'un bijou de famille. Toutes ces reliures de couleurs différentes pour signifier les siècles me tiennent compagnie depuis cinquante ans et quand je les regarde souvent, je ressens une paix intérieure devant tant d'heures de lecture qui m'attendent. Je ne possède pas les 566 volumes de la collection me limitant à mes écrivains préférés. Je peux ouvrir avec plaisir un roman de Duras ou de Perec, de Zweig ou de Virginia Woolf, de Kundera ou de Philip Roth quand l'envie me prend de lire un classique. Il semble que ce type de collection n'existe qu'en France, encore une exception culturelle à préserver. Je surveille les auteurs publiés chaque année et j'ai remarqué la publication récente de récits sur l'expérience concentrationnaire, "L'espèce humaine et autres autres récits sur les camps", une anthologie essentielle pour éviter que cette catastrophe humaine ne sombre dans l'oubli. Une collection incontournable !