lundi 8 octobre 2018

"La chance de leur vie"

Dès la première phrase du livre, "Hector avait une femme.", Agnès Desarthe invite son lecteur(trice) à suivre Hector, professeur universitaire, Sylvie, femme au foyer et Lester, leur adolescent de fils dans leur nouvelle vie en Caroline du nord, Etats-Unis. Cette famille française franchit un grand saut en s'installant en Amérique… Une aventure, un renouveau, une espérance selon les trois personnages du roman. Hector, philosophe et poète, a accepté cette proposition pour conforter sa position au sein de l'université. Sa réputation lui attire la bienveillance très rapprochée de ses collègues femmes américaines. Sylvie cultive avec son flegme habituel l'art de ne rien faire, un art de vivre, basé sur son choix initial : prendre soin de son mari et de son fils. Lester comme beaucoup d'adolescents se cherche et son intégration dans le lycée de la ville va lui donner l'opportunité de se trouver une nouvelle tribu amicale. Ils ont accepté de partir dans cette ville américaine pour fuir une atmosphère pesante, étouffante et triste qui règne à Paris après les attentats de 2015. Rejoindre une société apaisée (C'est le temps d'Obama), leur semble une bonne solution. Lester décide de changer de prénom : il veut qu'on l'appelle Absalom, Absalom en hommage à Faulkner. Hector saisit sa chance pour séduire et il entame une double liaison avec la directrice de son département et avec une jeune professeure. Sylvie prend conscience de la métamorphose maritale mais elle se tait et laisse faire. Elle s'inscrit à un cours de poterie animé par une femme artiste. Lester se transforme en petit gourou d'un groupe d'ados, leur imposant une vision sectaire de la vie. Il veut lutter contre l'influence d'internet et des réseaux et finit par confisquer les téléphones dans son groupe. "La chance de leur vie", Agnès Desarthe évoque ce nouveau départ pour ces trois personnages tout en démythifiant ces changements provoqués par leur vie américaine. Je ne dévoilerai pas la fin du roman, un roman qui se lit d'une traite, tant le style de l'écrivaine sautille avec une allégresse communicative. Le donjuanisme tardif et ridicule d'Hector met la famille en danger.  La crise mystique de Lester fragilise les relations parentales. Sylvie cherche toujours sa voie et la découvre peut-être dans cet atelier de poterie. Chacun chemine à sa façon. Agnès Desarthe manie l'ironie avec une intelligence redoutable et elle nous  rappelle qu'il n'est nul besoin de partir pour changer, la métamorphose peut naître à tous moments de l'existence et dans tous les lieux possibles et imaginables… Un roman français excellent, qui se lit comme un "roman américain", un compliment pour cette écrivaine subtile, profonde et originale.