vendredi 27 novembre 2015

Hommage aux victimes

J'ai hésité à écrire sur la cérémonie de ce matin où la nation rendait hommage aux 129 victimes du terrorisme islamique. Pourtant, j'ai eu les larmes aux yeux en pensant à tous ces jeunes qui, pour la plupart d'entre eux, avaient la vie devant eux. Sobriété, émotion, chagrin, colère aussi, perte, désillusion. Oui, l'insouciance a quitté nos cœurs même avec la musique, même avec la culture, même avec l'amour, même avec l'amitié. Les mots ont de l'importance, une immense importance. Dans le discours présidentiel, j'ai remarqué l'expression "dureté du monde". Il faut le dire : nous ne vivons plus dans un monde de guimauve, d'optimisme béat, de bisounours. Mais il faut parler, écouter de la musique consolante, se battre contre la stupidité universelle et le fanatisme tueur. Les paroles des chansons de Brel et de Barbara résonnaient juste, résonnaient vrai. Peut-on lutter qu'avec de l'amour ? Comment vivre normalement après tout ce massacre ?  La liberté de nos sociétés est-elle menacée ? Répondons par l'affirmation indéfectible de nos valeurs républicaines et démocratiques, sans trembler de peur et de haine. Que cette cérémonie était poignante et fragile notre démocratie cristalline... Il s'est passé quelque chose d'indicible, d'indescriptible  ce matin. La civilisation française, nous l'aimons tous sans exception et le monde entier l'aime aussi avec admiration. Nos Lumières éclairent notre pays depuis des générations entières. Continuons à les transmettre à la barbe des obscurantistes moyenâgeux. Je ne porterai jamais leur voile de soumission car je suis libre de lire,  d'écouter de la musique si essentielle à la vie, de contempler la beauté des paysages (je vois les montagnes de ma fenêtre). La vie continue comme on le dit souvent mais, pas comme avant le 13 novembre... Hommage aux victimes. 

jeudi 26 novembre 2015

Atelier de lectures, 3

Après Colette en octobre, j'avais envie de présenter Simone de Beauvoir, un écrivain-phare pour moi. J'ai suggéré de lire  "La femme rompue" et "Une mort très douce". Mais le temps a passé trop vite et nous n'avons pas abordé sérieusement les deux ouvrages en question. Pour ma part, j'ai relu "La Femme rompue" et j'avoue que ces trois nouvelles m'ont un peu déroutée car lire à l'âge de trente ans et lire trente cinq ans plus tard,  réservent des surprises. Dans le premier récit, Simone de Beauvoir évoque un couple dans le milieu intellectuel parisien. Le personnage féminin traverse une crise : son mari vit un peu au ralenti et son fils s'éloigne d'elle. Son intransigeance provoque une dispute violente avec ce fils qui renonce à sa thèse alors qu'elle rêvait pour lui d'une carrière de professeur... L'héroïne s'installe dans la "déprime" parce qu'elle n'accepte pas le changement de son fils (qui rejoint tout de même le ministère de la culture)... La déception parents-enfants me semble un peu dépassée de nos jours bien que cela soit un thème universel... La troisième nouvelle concerne l'éclatement d'un couple. Le mari trompe sa femme mais il se sent culpabilisé devant la souffrance de son épouse, délaissée et abandonnée. J'ai aussi trouvé le sujet pas très original... Je me suis rendue compte en relisant ce livre que j'aurais du conseiller les œuvres autobiographiques et en particulier "Les Mémoires d'une jeune fille rangée", "La Force des choses", "La force de l'âge", "Tout compte fait", "La Cérémonie des adieux".  C'était passionnant à l'époque de lire l'ensemble des récits autobiographiques comme un témoignage historique, politique, sociologique sur la vie d'une grande intellectuelle française des années 40 aux années 80. Elle a cultivé le sens de la révolte à tout va : contre la Guerre d'Algérie, la colonisation, l'inégalité homme-femme, le carcan des injustices faites aux femmes. Son alliance originale et égale avec Sartre a servi d'exemple à toutes les femmes du monde entier. Je voulais rendre hommage à cette figure incontournable de la littérature française du XXe siècle en tant que féministe influente. Sa vie se confond avec la littérature, avec les idées au service d'un idéal qu'il ne faut pas oublier surtout en ces temps agités où certains criminels fanatiques veulent détruire tous les délices de la pensée, tous les enchantements de la liberté et tous les bonheurs de l'art et de la littérature...       

mercredi 25 novembre 2015

Atelier de lectures, 2

Après le coup de cœur de Janine, Nicole s'est enthousiasmée pour "Sapiens" de Yuval Noah Harari. Evidemment, ce document ne se lit pas comme un roman, mais pour un essai, il se lit aussi facilement qu'un roman. Cet ouvrage, véritable phénomène d'édition, a conquis un vaste public qui s'intéresse à l'Histoire de l'homme depuis 100 000 ans... L'historien pose les questions sur la domination de l'humanité sur la planète, sur le rôle de la religion, de l'écriture, de la nation, des lois, etc. Une somme formidable pour se cultiver avec plaisir... Nicole a trouvé ce livre passionnant avec ses 492 pages et nous a communiqué son envie de le découvrir. Elle a aussi mentionné le beau roman de Christophe Ono-dit-Biot, "Plonger", et la relecture d'Hector Malot, "Sans famille", une saga émouvante au parfum d'enfance. Geneviève est revenue à la fiction avec l'hommage formulé à l'égard de Robert Musil pour son roman, "Les Désarrois de l'élève Torless", publié en 1906. Ce livre raconte l'histoire d'un groupe d'adolescents complice de sévices sur un autre garçon de son âge dans une école militaire en Autriche. L'écrivain évoque la violence, le sadomasochisme, les relations homosexuelles, la torture et les sévices qui préfigurent à cette époque la montée du nazisme. Un regard sur l'adolescence qui n'a pas pris une ride selon Geneviève. Mylène a parlé de Jan Christian Grondahl, écrivain danois, et de son roman, "Les Complémentaires" qu'elle a beaucoup aimé. Nous en reparlerons dans l'atelier du 15 décembre car je l'ai choisi pour susciter un débat sur l'identité plurielle. Sylvie a terminé le tour de table en présentant l'ouvrage de Jean-Louis Fournier, "Ma mère du Nord", un beau portrait de sa mère discrète et aimante. Voilà pour la partie "coups de cœur". La suite, demain pour un billet sur Simone de Beauvoir.

mardi 24 novembre 2015

Atelier de lectures, 1

Aujourd'hui, nous nous sommes retrouvées autour des livres et de la lecture. Comme je l'ai écrit ces jours-ci, c'est difficile de vivre comme avant et pourtant il faut poursuivre nos activités même si chacune a exprimé sa peur, son angoisse et ses questions sur les attentats de Paris. J'ai évoqué un document, "Le monde des Livres" de vendredi dernier où des écrivains évoquent leur sidération, leur compassion et leur combat culturel des mots face à la barbarie de ces fous furieux préférant la mort à la vie et la haine à l'amour. J'ai retrouvé dans le Cahier des Livres, le témoignage de Zeruya Shalev, elle-même victime d'un attentat à Jérusalem. Pour démarrer et détendre l'atmosphère attristée de l'atelier, Evelyne a lu un texte teinté d'humour de Bernard Friot, extrait d'un recueil "d'histoires pressées". Nous avons ensuite commencé par débattre des nouveautés de la rentrée et des prix littéraires. J'ai donc noté que personne n'avait encore lu le prix Goncourt ("Boussole" de Mathias Enard)... Mylène a évoqué le roman d'Agnès Desarthe, "Ce cœur changeant", ayant obtenu le prix du journal "Le Monde", très agréable à lire. On a cité le très bon Chalandon, "Profession père", "L'homme de ma vie" de Queffelec, et le très équivoque "D'après une histoire vraie" de Delphine de Vigan, un thriller à la Hitchcock, mêlant le faux et le vrai, la fiction et le réel. Dans la catégorie des coups de cœur, Janine, sur les conseils d'une libraire de Chambéry, a beaucoup aimé "Une vie entière" de Robert Seethaler aux éditions Sabine Wespieser. Cet écrivain autrichien est peu connu du public, mais la critique littéraire l'avait déjà remarqué dans son précédent livre, "Le Tabac Tresniek" sur la montée du nazisme en 1937. Dans "Une vie entière", le héros principal est recueilli dans une famille où il est battu. Sa vie dans les montagnes s'avère rude. Il travaille dans une entreprise de téléphériques et quand il revient de la guerre, les géraniums remplacent les croix gammées. La vie rustique du personnage central fait penser à l'univers d'un Ramuz. Une "vie minuscule" dans une nature grandiose, comme dirait Pierre Michon... La suite, demain.

lundi 23 novembre 2015

Rubrique cinéma

Vendredi après-midi, je suis allée au cinéma pour reprendre une vie culturelle normale. La Quinzaine du film italien se tient à Chambéry jusqu'à la fin du mois et je sais que les organisateurs proposent souvent des bons films. J'ai choisi "Latin lover" de Cristina Comencini avec Virna Lisi, Marisa Paredes, Valeria Bruni Tedesci et d'autres excellentes actrices. Dès le départ, la comédie explose avec un rythme soutenu et les rires fusent vite dans la salle. Cela semble même surréaliste d'entendre rire ou de sourire, pour ma part. L'histoire se déroule en une journée à la façon d'une pièce de théâtre dans une belle propriété de la campagne italienne au charme évident. La famille d'une star du cinéma se retrouve pour commémorer les dix ans de la disparition de leur mari et père. Car, Saverio Crespo représente l'Amant latin par excellence comme Rudolph Valentino en son temps.  Il s'est marié plusieurs fois, a donné naissance à des filles et n'a jamais su résister à une jolie femme... Les retrouvailles entre ses deux premières veuves révèlent déjà quelques surprises et la comédie s'installe quand les filles de l'acteur rentrent en scène avec leurs manies, leurs frustrations, leurs névroses. L'une vient d'Amérique, l'autre d'Espagne, l'une de Suède, l'autre d'Italie et les coups de théâtre s'enchaînent dans un brouhaha joyeux, délicieusement féminin. Mais, alors que la cérémonie se déroule sur l'écran dans une belle et joyeuse rétrospective qui rend hommage au cinéma, un homme qui était sa doublure, se présente et veut assister à la fête. Et, cet intrus du passé semble considérablement gêner les deux veuves... Je ne dévoilerai pas le secret de Saverio Crespo car ce secret intime pourrait déclencher un scandale. Quand je suis sortie de la salle, je me suis dit que la comédie italienne est loin d'avoir disparu et symbolise des valeurs que personne ne peut nous enlever : l'humour, la légèreté d'être, l'amour tourné en dérision, la famille éclatée, recomposée, libérée... Un petit chef d'œuvre, un film lumineux qui enchantera les amoureux du cinéma.

vendredi 20 novembre 2015

La Grande Librairie

J'ai, comme beaucoup de mes compatriotes, passé beaucoup de temps devant les médias car les images nous captent l'esprit avec une redoutable efficacité. Les faits parlent d'eux-mêmes et Paris, pour des causes atroces, est devenu le centre du monde. J'ai aussi lu la presse quotidienne qui m'informe mieux et approfondit ma vision du réel si complexe à comprendre aujourd'hui. J'ai vu dans Chambéry des témoignages et des bougies sur la Fontaine des Eléphants et ces marques de compassion pour les victimes, assassinées dans leur pleine jeunesse, m'ont impressionnée. Comme j'entendais rire des lycéens, je me suis approchée d'eux pour discuter, une démarche que je n'aurais pas pu entreprendre avant les événements. Ils m'ont dit qu'ils étaient tristes de vivre une époque aussi violente mais ils m'ont bien dit que "ces gens-là ne réussiront pas à les détourner de ce qu'ils aiment vivre" : se retrouver entre eux pour le plaisir, la légèreté, le bien vivre à la française. Ils devaient aller à un rassemblement pour rendre hommage aux victimes. Hier au soir, François Busnel a proposé une rencontre entre écrivains pour réfléchir sur ces tragiques événements. J'ai retrouvé Boualem Sansal qui a écrit un roman d'anticipation sur le totalitarisme djihadiste. Ce roman aurait été même écarté des grands prix littéraires (il a quand même obtenu le Prix de l'Académie française) pour éviter d'alimenter le pessimisme ambiant. Le prix Goncourt en la personne de Mathias Enard porte un message plus "heureux" en ces temps obscurs du terrorisme islamiste. Chaque invité devait choisir un mot pour qualifier les attentats de Paris : l'écrivain algérien a choisi le "silence", Boris Cyrulnik le mot "Un", un autre "cauchemar", une jeune romancière marocaine a pensé à "jeunesse". Cette émission a posé la question : "Que peut la littérature en ces temps sombres ?" Et c'est consolant et rassurant de voir que la fiction nous aide à comprendre la complexité du monde, de l'Autre, de la nuance, de la distance. Ils nous ont bien rappelé que les tueurs haïssent les livres car ils n'en lisent qu'un seul... Cela faisait du bien d'entendre parler de livres, de romans, de contes dans ce monde asphyxié en ce moment par des actualités d'une noirceur inouïe. Je vais suivre le conseil de François Busnel qui a conseillé Albert Camus et son livre d'une valeur universelle : "La Peste". Comment vivre maintenant avec cette peste, cette guerre asymétrique où les assaillants ne voudront jamais signer un traité de paix... Retournons à nos livres, à notre vie d'avant mais avec le cœur-chagrin...

mardi 17 novembre 2015

Au bord du lac

Cette après-midi, j'avais envie de marcher pour prendre l'air, respirer l'odeur du lac du Bourget. Après les moments très pénibles et très tristes du vendredi 13, il faut reprendre le fil de la vie. Et dans ma balade, j'ai croisé des promeneurs solitaires ou en couple. J'avais l'impression que tout avait changé. On se saluait gentiment, poliment, avec une civilité plus appuyée. Le paysage qui s'étalait devant moi m'insufflait une sérénité retrouvée. Tout semblait calme, apaisant : des pêcheurs attendaient patiemment les poissons avec leurs lignes, quelques mouettes virevoltaient dans le ciel gris-bleu, des cyclistes et des jeunes en roller me dépassaient sur la jetée. J'ai observé sur la plage des Mottets dans les roselières, les canards, les cormorans, les cygnes et même ma copine habituelle, l'aigrette. Nous étions quelques promeneurs à savourer ces moments de paix dans une nature préservée. J'ai questionné un amateur-photographe sur la façon de photographier les oiseaux et ce passionné d'ornithologie m'a prêté ses jumelles pour observer les bécassines des marais, un busard, un héron cendré. Deux autres personnes se sont approchées de nous et ont partagé ce moment, un moment de grâce sous un soleil d'automne d'une douceur palpable. Mais, soudain, deux avions chasseurs ont surgi dans un boucan manifeste. Ils nous ont rappelé la situation actuelle et nous avons évoqué la quiétude du lac et notre inquiétude de l'avenir. Les mouettes, les cormorans, l'aigrette, les poules d'eau, les canards, les cygnes, les bécassines m'ont fait du bien cet après-midi et ce petit groupe d'humains se réjouissaient de la beauté du lieu, du pacifisme des volatiles, de la sérénité du lac malgré les avions chasseurs qui partaient peut-être pour nous défendre...

lundi 16 novembre 2015

Avant et Après

J'ai beaucoup de mal à m'exprimer ce soir car mon dernier billet sur Delphine de Vigan date du vendredi 13 novembre. Cela semble futile de poursuivre mes commentaires sur la littérature, les voyages, le cinéma. J'ai appris la terrible nouvelle que samedi matin quand j'ai ouvert ma tablette. Quand j'ai vu les titres du journal Le Monde, je n'y croyais pas. Pourtant, depuis "Je suis Charlie", la vie a changé dans nos sociétés occidentales. Un sentiment d'insécurité est de plus en plus prégnant dans nos têtes. Comment allons-nous vivre maintenant ? Je pense aux victimes avec une compassion totale. Ces attentats à Paris contre la jeunesse qui aime le rock, contre les Parisiens qui aiment s'attabler dans une terrasse pour partager l'amitié, symbolisent la haine de la liberté, de la culture, de la démocratie, de la convivialité républicaine. Depuis que je suis allée à Berlin, j'ai repensé aux nazis qui ont brûlé les livres des écrivains non conformes à leurs idées en 1933. Un jeudi soir, j'ai écouté Paul Veyne à la télévision qui évoquait la belle cité de Palmyre, un joyau de l'Antiquité, dynamitée par les terroristes islamistes. Cette haine de la liberté, de la culture, de la civilisation occidentale me fait peur et il est temps de dire que notre monde confortable va devenir un monde inconfortable, dangereux surtout pour ceux qui vivent  dans les métropoles    Il faut pourtant continuer notre vie comme avant. Malgré mon effarement, malgré ma sidération devant ces attaques lâches, inhumaines perpétrées par des fanatiques islamistes, il faut continuer à vivre comme avant. Lire, écrire, voyager, rencontrer des amis, aller au restaurant, au concert, au spectacle, au cinéma, sur une terrasse, au musée, tous ces actes ne doivent pas disparaître de notre vie quotidienne. J'ai relu hier l'ouvrage de Primo Levi, "Si c'est un homme" et j'ai vu dans ces bourreaux nazis, le visage hideux des terroristes islamistes. Beaucoup de récits et de romans se saisiront un jour de ces événements tragiques. Primo Levi a décrit la négation de l'humanité, et pourtant il a réussi à se maintenir en vie grâce à quelques compagnons du camp. Je citerai ce passage : "Je crois que, c'est justement grâce à Lorenzo que je dois d'être encore vivant aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et si facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption, ni la barbarie n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant." Primo Levi nous apprend qu'il faut toujours garder un certain espoir, même minime, en l'homme mais, vendredi, ces humains d'apparence n'en étaient pas comme les nazis en leur temps funeste...   

vendredi 13 novembre 2015

"D'après une histoire vraie"

J'ai hésité à lire le dernier roman de Delphine de Vigan, victime de son succès dès la rentrée. Je préfère souvent les écrivains confidentiels, secrets, marginaux, peu aimés du grand public... J'avoue mon "snobisme" intellectuel... J'ai passé outre pour "D'après une histoire vraie" qui vient d'obtenir le prix Renaudot. Son précédent livre, "Rien ne s'oppose à la nuit", sorti en 2011, avait marqué les lecteurs par l'audace du sujet : le portrait sulfureux d'une mère bipolaire en souffrance qui finit par se suicider. Cet ouvrage d'autofiction avait bouleversé des milliers de lecteurs et Delphine de Vigan raconte dans un journal intime, les répercussions de son œuvre précédente. Elle a parcouru les librairies et les bibliothèques pour rencontrer son public, expliquer sa démarche autobiographique. Le succès est dévoreur de temps et l'auteur a mis son écriture entre parenthèses.  Ce rejet obstiné de ne plus pouvoir se mettre devant un ordinateur (ce qu'elle dit elle-même) l'a mise en danger. Or, un jour, elle rencontre une femme, L., une lectrice motivée qui va s'infiltrer dans sa vie. L. file une toile de plus en plus oppressante auprès de l'écrivain, qui se laisse envahir avec un certain sadomasochisme. L. devient le double de la narratrice qui s'isole des amis, de ses grands enfants, partis à l'université. Son compagnon, François, un célèbre journaliste littéraire, ne soupçonne pas l'intrusion de cette amie envahissante. Le roman autofictif prend des allures de thriller car les intentions de L. ne sont pas claires. Cette femme qui ressemble à l'auteur, pratique le métier de "nègre" et elle écrit les mémoires des personnalités médiatiques. Cette disponibilité lui donne toute latitude pour cerner au plus près la vie de plus en plus désertée de Delphine de Vigan. Mais, l'écrivaine parvient peu à peu à comprendre qu'elle sombre dans une dépression sévère par incapacité créative. L. la conseille, la conforte, l'influence, la soumet à écrire un récit vrai, authentique, vécu loin de la fiction futile et inefficace. Je ne donnerai pas la clé du récit-roman car il vaut mieux découvrir un des meilleurs livres de la rentrée sur le thème de la vérité et de l'illusion. L. est-elle le double de l'auteur ? L. existe-t-elle vraiment ?  Au fond, l'existence de L. dans la vie réelle n'a pas d'importance. Il suffit de croire Delphine de Vigan et de saluer sa prouesse littéraire : vérité et fiction se mêlent allègrement dans ce récit haletant...

jeudi 12 novembre 2015

"Ce coeur changeant"

Ce roman d'Agnès Desarthe détone dans la rentrée littéraire. Il a reçu quelques prix dont celui du journal Le Monde et a déjà conquis un large public. Certain(e)s lecteurs(trices), préfèrent encore la tradition romanesque à la littérature d'avant-garde,  une histoire-destin, une fiction-fleuve avec des personnages plutôt sympathiques, des personnages qui occupent largement un espace-temps appréciable. Le livre, "Ce cœur changeant", possède ces critères plaisants et d'une qualité très rare dans ce parti-pris littéraire. L'héroïne se nomme Rose. Elle est le fruit d'un mariage malheureux avec un père militaire français guindé et avec une mère aristocrate danoise, d'une beauté éblouissante. Mais ces parents-là se sont pas doués dans l'éducation de leur fille. Rose, dans son malheur familial, vit une relation réconfortante avec sa nourrice adulée. A 17 ans, elle s'enfuit à Paris, rompt avec sa famille et commence une vraie vie de galère. Elle fait du ménage dans un bar à la réputation douteuse. Elle est sauvée par une femme, Louise, qui lui propose de partager son appartement, lui déniche un travail de couturière à l'Opéra-Comique et lui donne son cœur aussi... Rose traverse le début du XXe siècle dans un Paris festif des années 20 et 30 sans se poser des questions stériles. Elle avance, tête haute et ne se plaint jamais. Quand elle adopte un bébé alors que sa compagne refuse la situation, elle choisit la maternité dans la solitude avec un courage sans fin. Elle renoue avec son père dans des circonstances particulières. Je ne résumerai pas davantage ce roman qui se lit d'une traite avec un plaisir d'adolescente au temps des lectures fiévreuses. Agnès Desarthe embarque son lectorat dans une aventure fictionnelle attachante, vivante et émouvante, sans oublier son immense talent d'écriture. La presse littéraire a salué ce roman généreux, et l'on sait que la générosité ne règne pas beaucoup dans l'espace parisien de la littérature d'aujourd'hui...

mercredi 11 novembre 2015

Escapade à Berlin, 5

J'ai donc feuilleté le livre d'Histoire de Berlin à travers les monuments, les églises dont l'impressionnante cathédrale, Berliner Dom et sa crypte glaçante où sont installées 95 sarcophages de la dynastie des Hohenzollern, les places à l'esprit baroque, l'université de Humboldt, etc. Je n'ai pas encore abordé la peinture et cette ville propose des lieux magnifiques. Dans l'Ile aux Musées, deux musées disposent de collections très importantes  : le Alte Nationalgalerie et le Bode. J'ai vu mes "premiers" peintres allemands que je ne connaissais guère sauf le célèbre romantique Gaspard David Friedrich dont les tableaux dégagent une nostalgie toute nordique. Mais, il ne fallait surtout pas que je contourne un des plus grands musées européens, je veux parler de la Gemaldegalerie, installée dans un bâtiment moderne avec ses 2 700 œuvres exposées. Et quand j'ai pénétré dans les 53 salles, toute la peinture européenne n'attendait que mon admiration et je ne citerai que mes coups de cœur : Cranach, Bosch, Breughel, Rembrandt, Vermeer et encore Bellini, Le Caravage, Guardi, Fra Angelico. Quel festival de beauté ! J'ai aussi découvert deux petits musées qui se font face devant le château de Charlottenburg : le Museum Berggruen et le Sammlung Scharf-Gestenberg. Le premier m'a offert une belle surprise avec 110 œuvres de Picasso (!!) et les sublimes statues de Giacometti que j'aime vraiment beaucoup. Le second proposait une exposition sur le surréalisme avec, en particulier,  des toiles de Magritte et de Ernst. J'ai vu peu d'art contemporain qui n'arrive, décidément pas, à me toucher, mais par curiosité, j'ai visité une ancienne gare transformée en musée et la nef qui recevait des voyageurs était devenue un espace monumental où j'ai déambulé dans un labyrinthe constitué de toiles collées les unes sur les autres et de hauteur différente pour former cette forme géométrique dans laquelle le visiteur s'introduit comme si on pénétrait le point central de l'acte de peindre car sans matériau, pas d'art en vue... J'ai aussi découvert dans un lieu excentré, le Martin-Gropuis-Bau, une œuvre extraordinaire d'Anselm Kiefer, une bibliothèque monumentale avec des livres, réalisée en feuilles de plomb et symbolisant peut-être le rôle majeur des livres, des réceptacles éternels de la mémoire humaine... Quand je découvre une nouvelle capitale, mes yeux dévorent tous les détails du quotidien, aussi bien les plats nationaux (les saucisses-frites au curry) comme les transports, les avenues, les kiosques, les Berlinois, les façons de s'habiller, les musées, les monuments, les scènes de rue... Tout m'intéresse, et pas seulement les lieux incontournables recommandés par les guides (très utile, le Routard !)... Je reprendrai mes pérégrinations au printemps prochain et je vais passer l'hiver à rêver de mes futures destinations !  

mardi 10 novembre 2015

Escapade à Berlin, 4

Berlin, cette ville chargée d'Histoire, de culture, ville cosmopolite comme toutes les capitales, ne se livre pas facilement. Après avoir vu les restes du Mur, le Musée historique allemand, la Topographie des Terreurs, il me semblait logique de visiter le Musée juif de Berlin et le Mémorial de l'Holocauste. Ces lieux n'attirent pas la foule de touristes et j'ai constaté qu'il fallait une motivation personnelle pour se recueillir dans ces lieux imprégnés de tristesse. Se souvenir, verbe essentiel pour visiter ces espaces poignants et graves où quelques personnes regardent les témoignages avec une gravité inhabituelle et une concentration respectueuse. Aucun portable ne vibre, aucune parole n'est échangée. Chacun se retrouve avec cette catastrophe humaine que représente l'élimination d'hommes, de femmes et d'enfants, au nom d'une idéologie mortifère. Le Mémorial de l'Holocauste comporte un ensemble de 2711 stèles de taille et d'inclinaison différentes, installées près de la Porte de Brandebourg. L'architecte américain, Peter Eisenman, a voulu recréer un vaste cimetière monumental, ouvert à tous et permettant le recueillement à tous moments à la mémoire des six millions de disparus. Cette "vague de pierre et de béton gris", véritable labyrinthe, saisit les visiteurs qui pensent à tous ceux qui ont vécu cette effroyable expérience de l'anéantissement. Un centre d'information propose une exposition sur la Shoah et dispose d'une base de données des victimes de la folie nazie dont on peut entendre les noms des victimes, scandées oralement. Ce Mémorial en plein cœur de Berlin permet une prise de conscience, une conscience douloureuse et inoubliable. Pour me remettre de cette émotion, je me suis replongée dans le monde de l'Art, une grande consolation et une réparation psychologique car l'engagement des artistes dans la création donne une image plus heureuse de la condition humaine... J'ai arpenté d'une façon un peu trop vive beaucoup de salles et de couloirs mais je n'évoquerai que quelques "pièces" de choix que j'ai particulièrement appréciées. Voyager, découvrir une capitale n'est pas  toujours une suite de plaisirs, de joies, de détente. Les heures sombres du nazisme ont laissé trop de traces et on ne peut pas fermer les yeux. Passer à côté de ces lieux du souvenir, sans les visiter, me semblerait d'une légèreté insupportable... La suite, demain.

lundi 9 novembre 2015

Escapade à Berlin, 3

Pour connaître le "roman national" de l'Allemagne, j'ai visité l'un des musées les plus importants de Berlin, le "Deutsches Historisches Museum". Installé dans l'ancien arsenal de la ville, l'architecte Pei (celui du Louvre)  a signé son aile, tout en verre en 2004. Je crois qu'il n'existe pas en France, l'équivalent, un musée consacré à l'Histoire de France. Cet immense bâtiment présente une collection hétéroclite, évoquant le pays du Haut Moyen Age à nos jours. Je me suis arrêtée plus longuement sur la période du XVIIIe siècle en remarquant dans une vitrine, l'Encyclopédie de Diderot, traduite en allemand. Les livres exposés montraient la richesse et l'importance de ce Siècle des Lumières, qui rappelle le rôle primordial, essentiel et irremplaçable des intellectuels dans la société. Ce type de musée très pédagogique évite pourtant l'austérité et n'élude pas la période sombre du nazisme. C'était hallucinant de voir toute la documentation visuelle et audiovisuelle de 1933 à 1945 : affiches de propagande, autodafés, lois de Nuremberg, persécution des Juifs, premiers camps de concentration. La Deuxième Guerre mondiale réunissait aussi des photos inédites : bombardements de Berlin, libération des camps, la capitulation, etc. Heureusement, tous les textes étaient traduits en anglais pour m'éclairer, mais les objets et les affiches suffisaient pour appréhender cette époque terrible. Après les années 80, un bout du Mur de Berlin, couvert de graffitis, trônait dans une des dernières salles et je l'avais imaginé beaucoup plus haut.  J'avais hésité à le visiter mais, quand je suis sortie, j'étais agréablement surprise par la démarche historique, sociologique et artistique des responsables du musée. La journée s'annonçait décidément marquée par l'Histoire. J'ai revu le Mur de Berlin dans le quartier de Checkpoint Charlie, le seul lieu de passage entre Berlin Ouest et Berlin Est. Beaucoup de jeunes venaient se faire photographier pour célébrer la réconciliation. J'ai fini ma journée en longeant une partie du Mur et ma curiosité m'a attirée aussi dans un espace, baptisé gravement, "la Topographie des Terreurs", qui expose des documents relatant les actions atroces des nazis, SS, miliciens de la Gestapo. Un rappel salutaire pour que cette folie nazie ne se renouvèle plus.  La survivance du Mur dans quelques quartiers symbolise la Guerre froide, mais on se réjouit quand il est devenu un vestige en 1989 ! La suite, demain.

vendredi 6 novembre 2015

Escapade à Berlin, 2

Quand je me suis trouvée devant le Parlement (Reischtag), j'ai remarqué l'absence de grilles, de forces de l'ordre, de déploiement préventif comme à Paris. Après avoir obtenu un rendez-vous pris sur Internet, je suis rentrée après avoir montré mon passeport. J'ai tout de suite remarqué la rampe hélicoïdale qui domine l'hémicycle et une exposition sur le Parlement relatait l'installation de l'institution depuis 1999. La nuit était tombée sur Berlin et on pouvait voir la Porte de Brandebourg illuminée avec son dynamique "Quadrige de la Victoire", les tours au loin, les places et les avenues. Un grand moment pour moi de respirer la démocratie simple et sans apparat excessif. Le lendemain, un grand ciel bleu m'attendait pour admirer la Bebelplatz où je voulais découvrir la dalle de verre de Micha Ullmann. Sous cette dalle de verre, située en face de l'Université de Humboldt, se niche la bibliothèque engloutie, constituée de rayonnages blancs et vides. J'ai rencontré un Allemand d'un  âge certain qui contemplait avec moi cet ouvrage,  symbolisant le grand autodafé nazi du 10 mai 1933 où furent brûlés 20 000 livres.  Il m'a parlé en français pour me dire que "penser" était un crime sous le nazisme et nous avons énumérer ensemble les œuvres des écrivains victimes de ce massacre de l'intelligence : Thomas Mann, Stefan Zweig, Freud, Remarque pour citer les plus connus. Cette rencontre imprévue avec ce Berlinois francophile m'a plongée dans l'Histoire allemande pendant le nazisme qu'il ne faut jamais oublier. Après ce monument sous terre, célébrant avec pudeur et discrétion la folie nazie, j'ai commencé avec gourmandise mon odyssée des musées. Le lundi, beaucoup d'entre eux sont fermés mais j'ai quand même franchi les portes du "Neues Museum", du "Pergamonmuseum" dès le matin. Comme je suis passionnée par l'Antiquité, j'ai admiré dans le premier, la civilisation égyptienne avec les statues, des immenses fresques, des sarcophages et un grand nombre de pièces uniques. J'ai surtout remarqué la tête de la Néfertiti, exposée dans une vitrine. La salle des papyrus (5 000 pièces) est exceptionnelle car on peut déployer des tiroirs où sont étalés les textes les plus anciens de l'humanité. J'étais ravie de voir ces textes relatant les exploits d'Ulysse... Les bustes de Socrate et d'Homère m'attendaient dans cette salle faite pour moi. Le Pergamon comme on l'appelle en français attirait plus de touristes car il expose le monumental autel de Pergame (160 av JC), dédié à Zeus, reconstitué à l'identique mais j'ai préféré la Porte romaine du marché de Milet (2e siècle ap. JC), ville détruite en 1100 ap. JC. Des archéologues allemands ont dégagé la porte en 1903 et l'ont ramené en Allemagne... Impressionnant ouvrage d'une hauteur de 17 mètres : j'avais l'impression de faire mon marché à cette époque... Matinée dédiée à l'Antiquité pour ces deux premiers musées, mais je n'étais pas encore au bout de mes surprises. La suite, demain.

jeudi 5 novembre 2015

Escapade à Berlin, 1

Je viens de visiter Berlin en cinq jours et même si, évidemment, on ne peut pas "tout" voir, je suis arrivée à concrétiser mon projet de voyage. J'avoue que je n'avais jamais mis les pieds en Allemagne, préférant les pays européens situés au Sud, mes "pays-racines" : l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la Grèce... Un sentiment de bien être héliotropique, un envie de lumière bleue, de soleil et d'amour partagé pour... l'huile d'olive, la mer et le ciel toujours au beau fixe. Pourtant, le Nord commence à m'attirer. L'année dernière, j'ai découvert Amsterdam et son merveilleux centre historique avec ses maisons bordées de canaux. En mars de cette année, j'ai fait un saut à Londres, centre d'un monde cosmopolite et combinant une extrême modernité à une tradition royale quelque peu décalée. Berlin ne possède pas un charme particulier comme Rome, Venise, Lisbonne et Paris. Mais, je connaissais la réputation de l'île aux musées (cinq institutions incontournables pour l'art) et je voulais arpenter ces lieux mythiques. Je me suis décidée pour le début du mois de novembre car les touristes se font plus rares quand l'hiver montre son bout de nez et raccourcit les jours. Ma première impression (un dimanche après-midi) m'a étonnée : un calme serein et provincial régnait dans une des plus belles places de Berlin, la Gendarmenmarkt (Gendarmerie) où deux églises du XVIIIe se font face : celle des Français Huguenots, chassés de France et celle des Allemands calvinistes, encadrant le Konzerthaus.  Les arbres roux de la place apportaient une touche nostalgique et un duo de musiciens (violon et violoncelle) jouaient du Schubert. Quelle émotion en entendant ces airs tant de fois écoutés chez moi ! J'ai senti tout de suite l'engouement des Berlinois pour la musique classique. Berlin organise, tous les jours, des concerts de musique de chambre, d'orchestre symphonique. Quand j'ai visité la cathédrale Sainte-Edwige, des flots sonores provenant de l'orgue m'ont submergée avec bonheur. J'aime cet instrument qui me rappelle le souffle de l'océan à l'époque des grandes marées. De place en place, je suis arrivée à la Porte de Brandebourg, entourée d'ambassades et dominant l'avenue Unter Den Linden. Comme cet endroit historique attire la foule de touristes, souvent des jeunes de toute l'Europe, un air de fête imprégnait les têtes comme une exultation de la liberté sous un soleil délicieux de fin de journée. J'ai même été surprise de cette lumière qui donnait aux immeubles une teinte dorée et rousse. Ma première journée s'est terminée au sein du Reichstag dans le Dôme de Norman Foster, dont la transparence correspondrait au symbole politique de la démocratie allemande... La suite, demain.