mardi 9 février 2021

"Serge"

 Le dernier roman de Yasmina Reza, "Serge", se lit avec un plaisir gourmand tellement il est imprégné d'un humour ironique et d'une délicatesse toute féminine. Serge, le personnage principal, appartient à une fratrie, les Popper, composée du narrateur, Jean, et de sa sœur, Nana. Dès les premières pages, le ton de la comédie est donné. Le narrateur raconte une scène désopilante quand leur mère, à la veille de sa mort, se voit changer son lit pour un lit médicalisé. Elle formule le souhait de voir LCI avant de mourir mais ce sera son dernier mot : "Elle est morte le soir même, sans avoir profité des avantages du nouvel équipement. Elle avait supporté beaucoup de vicissitudes de la maladie tant que les choses gardaient leur allure de toujours. Le lit médicalisé lui a bouclé le bec. Le lit médicalisé, ce monstre au milieu de la chambre, l'a propulsée dans la mort". A partir de cette disparition, "les choses se sont déréglées". La fratrie décide de visiter le camp de concentration d'Auschwitz pour se retrouver après la mort de leur mère. Cette expédition mémorielle tourne au fiasco loufoque. Serge manifestement s'ennuie, refuse de visiter ce décor tragique. Sa fille s'agite de tous les côtés pour tout voir comme si elle "profitait" d'un lieu touristique. Yasmina Reza relève le comportement léger des visiteurs entre les selfies, le manque de gravité, l'esprit de consommation d'une planète devenue avide des réseaux sociaux où déposer une photo du camp sur un site semble plus important que la tragédie de l'Holocauste. Jean, au fil du récit, raconte des souvenirs de famille, une famille agitée et solidaire avec des caractères bien affirmés. Serge vieillit, lui, le flambeur, frimeur, fumeur. Sa sœur subit un mariage avec un ancien gauchiste ringard. Jean, le narrateur, semble le plus lucide et le plus réaliste des trois. Yasmina Reza note, avec son scalpel de chirurgienne des âmes, une comédie familiale "au bord de la crise de nerfs" pour reprendre le titre d'un film célèbre. Cocasse, touchant, le texte séduit le lecteur(trice) qui se voit dans ce miroir. Cette famille parodique ne cesse de se quereller avec amour, de se déchirer pour se sentir vivre intensément. Les personnages sont hantés par l'angoisse de la maladie, de la fin de vie et surtout par la solitude :"La solitude, c'est le lit et l'attitude rompue. C'est l'attente de rien. L'homme n'est vu de personne. Le corps inobservé consent à l'abattement. C'est cette particularité de n'être vu de personne qui renvoie à l'enfance, au possible vide de l'avenir". Le style de Yasmina Reza ensorcelle le lecteur(trice) et quand on finit le récit, on a envie de lui donner un nouveau rendez-vous. Un roman de la rentrée de janvier incontournable.