lundi 1 mai 2023

"La maison", Julien Gracq

 Dans ma jeunesse, j'ai découvert Julien Gracq et son "Rivage des Syrtes". Depuis ce jour-là, dans les années 70, j'ai commencé à lire toute son œuvre, du "Château d'Argol" au "Beau Ténébreux", du "Balcon en forêt" aux "Lettrines", puis "En lisant, en écrivant" et bien d'autres essais. Je possède évidemment les Pléiades qui me permettent de voyager dans ces œuvres d'une écriture somptueuse, envoûtante. Quand j'ai appris qu'un inédit de Julien Gracq paraissait en avril, je ne pouvais que le lire au plus vite. Ce court récit d'à peine 35 pages, "La Maison", édité chez José Corti, raconte l'histoire d'un narrateur sans identité précise. Il prend régulièrement un bus pour effectuer un trajet entre V. et A. à travers de la M. en passant par le petit bourg de G. Une indication historique situe le texte pendant l'Occupation allemande. Ce sont les seuls repères spatiaux et temporels que l'écrivain donne pour entrer dans cette rêverie géographique. Julien Gracq observe la nature comme un géographe poète dans tous ses romans. Dans le car, le narrateur remarque dans ce paysage breton, une maison à l'abandon : "De la route, elle paraissait prise étroitement dans la masse des taillis, coulée à fond dans les branchages comme une barque trop lourdement chargée". Cette bâtisse l'obsède : "Semaine après semaine, sortant de la brume, ou frottée de la lumière plâtreuse d'un ciel blanc qu'elle semblait vieillir ou jaunir, l'apparition venait s'enchâsser dans le film usé et indifférent du voyage". Puis, un jour, il se décide et se met en route. Il veut voir la maison de près comme s'il souhaitait de la voir réelle et non fantasmée. Il s'aventure dans ce chemin : "La route toute entière feutrée et épiante, n'était plus qu'une oreille collée contre la lisère des bois (...) Après quelques allées et venues assez incertaines au long de la route, l'envie me vint une minute, devant cet obstacle absurde, de renoncer à mon équipée, mais la curiosité fut la plus forte". Soudain, il entend des coups de feu qui lui rappellent la guerre menaçante. Alors qu'il rebroussait chemin, il entend une voix venant de la maison : "Je demeurais là de longues minutes, envoûté, suspendu, ne respirant plus que selon le souffle de la voix ensorcelée". D'où vient cette voix féminine ? Le mystère reste complet à la fin de ce texte sur cette apparition enchantée. Julien Gracq met en scène une fascination, un désir de beauté et nous fait entrevoir "l'infini pouvoir de suggestions embusqué dans les choses". Un récit emblématique pour découvrir la prose poétique de cet écrivain discret et inoubliable.