mercredi 29 novembre 2023

Atelier Littérature, 2

Véronique a bien aimé le récit autobiographique d'Agnès Desarthe, "Le Château des Rentiers", publié chez L'Olivier. L'écrivaine se souvient de ses grands-parents, Boris et Tsila, Juifs originaires d'Europe centrale qui ont inventé une vie en communauté dans un immeuble parisien. Et elle, comment va-t-elle abordé le grand vieillissement ? Dans un Ehpad ? Ou dans un immeuble communautaire ? Dans ce récit, l'écrivaine aborde avec un humour communicatif les angoisses du troisième âge qui glisse si vite dans le quatrième. J'aurais aimé que ce livre obtienne un prix littéraire car le sujet de la vieillesse concerne toute la société dans son ensemble. Mais, il semble que ce thème dérange toujours. Régine avait sélectionné sur ma liste le roman de Serge Joncour, "Chaleur humaine", publié chez Albin Michel. Elle a bien aimé ce récit sur l'histoire d'une famille pendant le confinement en 2020. Trois sœurs, Vanessa, Caroline et Agathe, rejoignent la ferme de leurs parents dans le Lot. Alexandre, leur frère, gère la ferme à sa façon. Les sœurs, pourtant en froid avec ce frère, vont retrouver leurs racines et vivre un huis-clos intense entre règlements de compte, dérèglement climatique et épidémie du Covid. Un bon sujet de roman, agréable à lire, sans doute, une idée de cadeau pour Noël. Odile a bien apprécié le récit autobiographique de Laure Murat, "Proust, roman familial", Prix Médicis essai. Cet excellent texte ne parle pas seulement du monde aristocratique dans la "Recherche du Temps perdu". Laure Murat est issue de la noblesse d'Empire et raconte avec sincérité tous les avantages et surtout tous les inconvénients d'appartenir à une classe sociale dite "supérieure". Elle franchit le pas en avouant son homosexualité à sa mère qui l'a brutalement rejetée jusqu'à sa mort. Laure Murat s'est libérée de son milieu traditionnel en partant en Californie où elle enseigne la littérature. Un récit attachant et fascinant pour les amoureux et amoureuses de Proust. Odile s'est jurée de redécouvrir Marcel Proust surtout après avoir lu Laure Murat. Danièle a choisi une nouveauté en dehors de ma liste avec "Misericordia" de Lidia Jorge, Prix Médicis étranger. Une vieille dame enregistre sur un petit magnétophone le journal d'une année de vie dans une maison de retraite. L'écrivaine, sa fille, retranscrit les textes de sa mère qui a conservé sa mémoire intacte, son imagination et sa curiosité pour les autres. Un très beau récit, venu du Portugal, un pays si attachant et si beau. Janelou a lu "Leçons", le grand roman d'Ewan McIan. Je consacrerai un billet sur ce roman que Janelou a bien apprécié tout en le jugeant trop long. Nous étions nombreuses à avoir dévoré le dernier roman de Zeruya Shalev, "Stupeur", un grand roman magnifique sur les relations familiales, le couple, l'amour, la filiation, le deuil, sur la vie, tout court avec ses bonheurs comme avec ses malheurs. Voilà pour l'atelier Littérature du 23 novembre. Merci à toutes les lectrices de l'atelier pour leur motivation toujours aussi vive pour la littérature ! 

mardi 28 novembre 2023

Atelier Littérature, 1

 Ce jeudi 24 novembre, nous étions une bonne dizaine de lectrices à nous retrouver à l'AQCV pour le deuxième atelier de la saison. Nous avons pris tout notre temps (les deux heures de l'atelier) pour parler de la rentrée littéraire de septembre et des prix littéraires. Geneviève et Annette avaient choisi le prix Goncourt, "Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea aux éditions l'Iconoclaste. La première lectrice a été déçue par ce roman historique qui raconte l'histoire d'un sculpteur, Mimo, atteint de nanisme. Dès qu'il voit Viola, une héritière d'une famille prestigieuse, il tombe amoureux. Les deux amants traversent la période du fascisme en Italie et tentent de vivre leur amour avec des soubresauts. Annette a bien apprécié le décor italien, les paysages et s'est montrée moins catégorique que Geneviève. Ce prix Goncourt ne fait pas battre les cœurs de nos lectrices malgré son projet romanesque dans une Italie vibrante de vie, la sculpture. J'ai bien vérifié les critiques professionnels qui semblent tous "enchantés" par ce récit d'une écriture assez plate. Odile et Geneviève (notre dernière recrue) ont lu "L'enragé" de Sorj Chalandon et l'ont beaucoup apprécié. En 1934, 56 gamins se sont révoltés dans un centre d'éducation surveillée de Belle-Ile-en-Mer. Tous ont été capturés sauf un. L'écrivain va raconter la vie de cet enfant, né enragé, né sans amour, qui lui ressemble beaucoup. Geneviève a qualifié ce roman "d'âpre, de rude, d'émouvant". Odile a été emportée par le destin de ce personnage hors norme. Sorj Chalandon possède un talent certain : il n'ennuie jamais ses lecteurs et ses lectrices. Mylène a lu avec plaisir le dernier Modiano, "La danseuse", publié chez Gallimard. Elle a retrouvé les thèmes chers de l'écrivain : souvenirs flous, mémoire défaillante, personnages en marge, brouillard modianesque. Certains critiques ont constaté une fadeur dans ce récit de 90 pages, mais, il vaut mieux le lire pour se faire une opinion personnelle. Régine a présenté "Triste Tigre" de Neige Sinno, publié chez P.O.L Ce récit sur l'inceste a reçu plusieurs prix dont le Femina et percute la rentrée littéraire de septembre. Ce sujet sensible, les crimes sexuels intrafamiliaux, appartient-il à la littérature ? Neige Sinno nous répond par l'affirmative en inscrivant son récit dans un style incisif, un style au scalpel pour dénoncer son beau-père, qui, après neuf ans de prison, a refait sa vie, s'est marié et a fondé une nouvelle famille. Régine a relevé quelques phrases qu'elle a trouvées injustifiables. Odile était plus attachée à l'intérêt que représente la dénonciation des viols sur la narratrice, âgée de sept à quatorze ans. Ce récit dérangeant et difficile mérite tout de même une lecture attentive pour constater les dégâts ravageurs de ces crimes insupportables sur les enfants au sein d'une famille. (La suite, demain)

lundi 27 novembre 2023

Escapade parisienne, les jardins, la BNF Richelieu, l'Orangerie, les librairies

 La journée de vendredi s'est avérée moins pluvieuse que la veille. Cette météo favorable m'a permis de me balader dans le jardin du Palais Royal où j'ai senti la présence de Colette. J'étais sous sa fenêtre et je m'attendais à la voir derrière sa fenêtre. Plus loin, j'ai traversé le passage Colbert, abritant des institutions artistiques et je me suis dirigée vers la rue Richelieu pour revoir la Bibliothèque Nationale et ses deux salles magnifiques : la salle Ovale et la salle Labrouste. J'aime cette atmosphère feutrée, silencieuse que l'on constate alors que toutes les tables sont occupées par des chercheurs et chercheuses. L'architecture de ces salles est époustouflante et ces lieux de savoir me ravissent le cœur. Je sens une communauté de curieux et de curieuses, des "gens du livre", des lecteurs et des lectrices comme des sentinelles d'une civilisation raffinée qui perdure et durera des siècles encore. J'ai fait un tour dans la librairie de la BNF et j'ai acheté un agenda très élégant pour l'année prochaine. Après Richelieu, j'ai traversé à nouveau les Tuileries car j'avais une réservation pour l'Orangerie à midi à l'occasion d'une exposition sur Modigliani. On peut voir une vingtaine de tableaux et quelques sculptures du peintre. Toutes les expositions parisiennes attirent de nombreux, très nombreux visiteurs et visiteuses et j'avais du mal à me concentrer pour admirer ces portraits aux yeux vides de Modigliani, mort à 35 ans de la tuberculose. Dans ce musée à taille humaine, j'ai surtout revu avec un grand plaisir la salle Cézanne que j'aime vraiment beaucoup d'autant plus que je lisais l'ouvrage de Marie-Hélène Lafon sur lui. Je suis restée aussi assise sur la banquette devant les "Nymphéas" de Claude Monet pour plonger mon regard sur ces toiles bleues offertes à la France par le peintre en 1918 comme symbole de la paix. Cette "Sixtine de l'impressionnisme" est l'une des plus vastes réalisations monumentales de la peinture de la première moitié du XXe siècle. Je ne quitte jamais Paris sans me rendre dans mes deux librairies de prédilection : le Dilettante, place de l'Odéon et la librairie Delamain, place Colette. Musique, littérature, art, architecture, la capitale française regorge de trésors à trois heures de Chambéry ! Ce serait dommage de se priver de ce bain culturel si proche de la Savoie... 

vendredi 24 novembre 2023

Escapade parisienne, Le Louvre

 En voyage et hors du quotidien, le temps se dilate et en trois jours, l'escapade parisienne a semblé duré le double. Mes intentions restent toujours les mêmes : visiter des musées, se balader dans les Tuileries ou au Luxembourg, aller au restaurant, profiter des concerts, voir des monuments, rentrer dans les librairies, faire un tour à la Bibliothèque nationale de Richelieu, s'installer sur une terrasse, arpenter les Champs Elysées, revoir l'Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, la Place de la Concorde et la Seine, et l'Ile Saint Louis, et le Palais Royal, et les Passages. Voir aussi la misère des SDF, les chauffeurs de taxi très énervés, les serveurs affables et polis, les femmes élégantes, les touristes de tous les pays, les livreurs, les brasseries pleines à craquer, les pâtisseries superbes, l'art de vivre à la française, les queues devant les musées, des vélos, des embouteillages, des ambulances... La vie d'une capitale harassante et fascinante. J'ai donc effectué mon pèlerinage annuel au Louvre le jeudi après-midi pour revoir mes tableaux préférés. La foule des touristes était au rendez-vous comme au temps de l'avant-covid. Devant la Joconde, des dizaines de visiteurs s'admiraient avec leurs selfies ridiculement narcissiques. Et pendant qu'ils étaient tous aimantés par Léonard de Vinci, le tableau extraordinaire de Véronèse, "Les noces de Cana", n'attirait aucun regard dans la même salle... Je me trouvais dans la galerie de la peinture italienne au milieu d'une foule compacte et passante. Les touristes passaient devant des chefs d'œuvre sans les regarder, même deux merveilleux Botticelli sans parler des Raphaël, du Caravage et des Bellini. Je me suis réfugiée chez mes chers Etrusques et dans la collection Campana aux magnifiques vases grecs. Et là, j'ai respiré ! Chic, les badauds du Louvre ne semblaient pas apprécier l'Antiquité (sauf les Egyptiens) ! Pourquoi donc viennent-ils au Louvre ? Mystère... Cette fréquentation intensive ressemble à celle de la Tour Eiffel et des Champs Elysées. Après deux heures de visite, je suis repartie me reposer avant de revenir au Louvre vers 20h pour assister à un concert, un opéra de Scarlatti. Le décor de la Pyramide était magique dans la nuit et je me suis retrouvée sous la Pyramide sans la cohue mais hélas, les salles étaient bien fermées et j'imaginais ces milliers d'œuvres dans le noir sans le regard des humains. Enfin, les sculptures et les tableaux devaient soupirer d'aise : enfin la tranquillité !  Comme j'aurais aimé me balader seule dans la galerie de la peinture italienne ou hollandaise ! J'ai compris qu'il vaut mieux visiter le musée en nocturne le vendredi soir jusqu'à 21h45 mais ce soir là, j'étais dans le TGV... 

mardi 21 novembre 2023

Escapade parisienne, Picasso et Gertrude Stein au Musée du Luxembourg

 Journée pluvieuse en continu, ce jeudi à Paris et pour s'abriter, je n'ai vu que les musées pour me réfugier avec plaisir. Au Musée du Luxembourg, une exposition originale, organisée par Cécile Debray, commissaire générale, célèbre le 50e anniversaire de la mort du Picasso (1881-1973) en invitant l'amie célèbre du peintre en la personne de l'écrivaine américaine, Gertrude Stein (1874-1946). L'écrivaine s'installe à Paris en 1903 peu après l'arrivée du jeune Picasso. Ils partagent une position d'étrangers un peu marginalisés par leur appartenance à la bohème de l'époque. Mais, ils se ressemblent aussi par leur travail respectif d'une liberté artistique avant-gardiste : le cubisme. Intitulé, "L'Invention du langage", l'exposition rappelle la relation essentielle entre l'art et la littérature. Quand j'ai pénétré dans la première salle (avec une réservation obligatoire), j'ai vu des Picasso, un Cézanne et des Juan Gris. Des vitrines présentent les éditions originales de l'écrivaine. Issue d'une famille juive émigrée d'Allemagne, elle rejoint son frère Théo, collectionneur des Matisse et des Picasso que personne ne veut. Elle se met à écrire de drôles de phrases dont la plus emblématique : "Une rose est une rose, est une rose, est une rose", symbole de la répétition où elle semble dire que "Les choses ne sont que des choses". Picasso invente aussi le cubisme où il ne voit que des formes dans les images. Ce mouvement pictural et littéraire renouvelle les codes esthétiques traditionnels pour saisir plus complètement le réel. L'écrivaine a vécu à Paris avec sa compagne, Alice Toklas, jusqu'en 1939, avant de se cacher dans l'Ain durant l'Occupation. Elle connaît le succès en Amérique grâce à son "Autobiographie d'Alice Toklas" et la postérité de son œuvre novatrice perdure encore aujourd'hui. La deuxième partie de l'exposition concerne Gertrude Stein et son influence dans l'art contemporain avec Warhol, Duchamp et d'autres artistes moins connus. J'ai trouvé cette présentation très originale et cette visite m'a donné envie de lire Gertrude Stein que j'ai mieux compris en l'approchant dans ce cadre. Je suis repartie avec une documentation sur cet événement et j'ai même acheté une microfibre pour nettoyer mes lunettes avec cette citation gertrudienne : "Et l'identité c'est drôle d'être toi-même c'est drôle car tu n'es jamais toi-même pour toi-même sauf quand tu te rappelles toi-même et alors bien sûr tu ne te crois pas toi-même". A méditer pour bousculer nos neurones ! 

lundi 20 novembre 2023

Escapade parisienne, Balzac, l'art moderne et Brahms

 Avant le grand hiver, j'ai fait quelques provisions culturelles à Paris. Ce pèlerinage concerne aussi les paysages urbains gravés dans ma mémoire depuis des décennies. Première sortie après le dépôt des bagages dans mon petit hôtel près de la Place Colette, la traversée du Jardin des Tuileries avec ses bassins, ses sculptures, ses mouettes et ses touristes ! L'automne habille Paris avec ses arbres encore feuillus d'un jaune cuivré. Quel plaisir de savourer ce soleil tout parisien dans un ciel souvent habité de gros nuages. Des chantiers de travaux défigurent quelque peu l'horizon pour les Jeux olympiques de 2024 dont l'Arc de Triomphe du Carrousel, complètement bâché. J'aime beaucoup la perspective du Louvre à la Place de la Concorde et au loin, l'inévitable Tour Eiffel, toujours aussi flamboyante. Je suis allée visiter dans le 16e, la Maison de Balzac, un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps. Quand j'ai découvert cette maison à volets verts dans un parc intimiste, j'imaginais l'écrivain génial de la Comédie humaine se balader entre les arbres de son jardin en pensant à ces sacrés personnages. Je le voyais prendre son thé sur la table de jardin avant d'attaquer l'écriture de son roman. Les pièces de la maison m'ont semblé bien modestes, de la cuisine sommaire à son bureau, son fauteuil et sa bibliothèque vitrée. Notre "Honoré" s'asseyait là, tenait sa plume et consultait ses dictionnaires. Dans d'autres pièces, sont présentés des objets dont sa canne, ses bustes, des ouvrages publiés à son époque, des textes sur son œuvre gigantesque. En quittant ce nid de verdure, entouré aujourd'hui d'immeubles cossus, une boutique attenante à ce lien propose tous les livres de poche de Balzac et quelques gadgets. La ville de Paris préserve avec respect ce lieu fondateur de la littérature française du XIXe. J'ai redécouvert le charme et la modernité de Balzac en le relisant régulièrement. J'ai repris le chemin vers le Musée d'Art moderne où se tenait l'exposition sur Nicolas de Staël. Hélas, je n'avais pas pu obtenir une place à cause d'une trop forte influence. Mais, j'ai revu avec plaisir la collection permanente avec des Zao-Wou-Ki magnifiques, des Braque, des Picasso, etc. J'ai terminé ma journée avec un concert magique au Théâtre des Champs Elysées ! Hélène Grimaud a interprété magistralement le concerto pour piano numéro 1 de Brahms : un enchantement assuré en compagnie de l'Orchestre philarmonique de Londres. La salle était pleine et je me réjouis toujours de constater qu'il reste encore un public fidèle pour écouter de la musique dite classique même si beaucoup d'entre nous ont dépassé la soixantaine !  

mardi 14 novembre 2023

"Les Heures heureuses", Pascal Quignard, 2

La Nature tient un rôle majeur dans l'univers de Pascal Quignard : "La Nature est la plus belle forme du Temps, plus profonde que la Langue et plus vaste que l'Etre". Dans ce douzième tome, l'écrivain utilise les chiffres et les dates pour mesurer le Temps, "aux commencements et aux départs". L'écrivain possède une "religion" particulière dans le sens d'un sacré laïque, celle des livres (d'où mon engouement pour son œuvre globale) : "On se cache dans l'angle des rideaux, près de la fenêtre, dans la compagnie des livres, c'est à dire, on se cache dans les souvenirs du monde". Il se souvient de sa collègue écrivaine, Emmanuelle Bernheim à qui il rend hommage qui se passionnait pour la nage en mer en songeant à un de ses personnages emblématiques, le marin Boutès qui plonge dans la mer tyrrhénienne pour rejoindre un infini éternel. Il écrit sur la fascination de l'eau : "Moi, je regarde la mer et plus rien. Je regarde la mer. L'Immense. L'immense force d'origine. Joie. Vague. Marée. Wogue. Wellen. Tempête". Pascal Quignard ressemble à un moine copiste d'esprit et de corps qui vivrait dans une abbaye italienne, fou de manuscrits et d'enluminures. Sa culture universelle traverse les siècles et les continents. Il évoque des anecdotes sur les temps antiques et Marc Aurèle devient notre contemporain. Il parle de la civilisation chinoise qu'il rend proche de nous. Dans la littérature actuelle, son univers de grand lettré me ravit tout particulièrement. L'écrivain cite ses confrères en pensée et en toute amitié, de Montaigne à La Fontaine, de Bergson à Freud, les moralistes du XVIIe, des compositeurs, des peintres. Ces références parfois peuvent donner un certain vertige mais, dans sa suite du "Dernier Royaume" aux douze étapes, Pascal Quignard ne cesse de revivifier la sève culturelle de la littérature. Un hommage aux Anciens, un retour aux Antiques sans oublier les Modernes. Nature et Culture, deux sujets étroitement mêlés dans ce texte profond, complexe et quasi "testamentaire". Je cite une des phrases les plus vraies sur la mer que j'aime tant : "La mer est la chose perdue qui sans cesse revient. Sans cesse elle se tient à l'amont de la vie. C'est du ressac pur". Le "Bon-heur" et le "Mal-heur", une somme d'heures au fond heureuses, nous confie l'écrivain, un écrivain "anachronique", obsédé par le Temps, comme Marcel Proust et Marguerite Yourcenar, des influences heureuses... 

lundi 13 novembre 2023

"Les Heures heureuses", Pascal Quignard, 1

 "Les heures heureuses" de Pascal Quignard représente la quintessence de la démarche de cet écrivain  si particulier, si singulier et si unique dans le panorama littéraire d'aujourd'hui. Ce douzième tome du "Dernier Royaume", entamé il y a plus de vingt ans, se lit avec une délectation joyeuse. Le vaste cycle de l'écrivain explore le Temps sans "fond", nommé le "Jadis", temps de l'origine du monde. Résumer un ouvrage de Pascal Quignard tient de la gageure mais je vais essayer de rendre compte à ma façon de la lecture des "Heures heureuses". A quoi ressemblent ces "heures heureuses" ? Chaque vie individuelle compte malgré tout des moments de bonheur souvent indicibles. La méthode littéraire de Pascal Quignard demeure la même depuis la naissance du "Dernier Royaume" : réflexions, aphorismes, souvenirs, anecdotes, citations, récits, poèmes, légendes, mythes. Des fragments de vie, du passé comme du présent, insérés dans des chapitres courts, donnent un rythme musical au texte. Un critique du "Monde des Livres" analyse ainsi la posture du lecteur : "On entre dans l'écriture comme on entre dans l'eau : d'abord le saisissement sensible, puis l'abandon, puis le retour au lieu de la naissance". Des rares bribes biographiques surgissent parfois comme un souvenir d'Ischia où le narrateur a vécu des "heures heureuses, infiniment heureuses".  L'auteur chante les paysages, les heures naissantes, les fleurs, le matin et le soir, les changements infimes des instants de vie. Tous ces mots, crépuscule, aube, le soleil, l'ombre, le jour, la nuit, prennent une valeur poétique dans le texte quignardien. Et la mer symbolise la vie du "Jadis" : "Le bruit en bordure de mer est un tonnerre. Tout assourdit l'âme. Le passé revient sans cesse sous la forme d'étranges vagues qui ne sont jamais semblables". Une ode aux "rares" résume la pensée de Pascal Quignard qui apprécie la solitude, la marge, le retrait, tous ceux et toutes celles qui ne sont pas assujettis au temps social  : "Rares les hommes qui ne sont pas pris en otage par le temps métrique et pour ainsi dire pulsatile des portables". (La suite, demain)

vendredi 10 novembre 2023

Palmarès des Prix Littéraires 2023

 Les jeux sont faits ! Les prix littéraires ont donc été décernés et ce palmarès était plus ou moins prévisible. Le prix Goncourt n'a pas été donné à Eric Reinhardt qui, pourtant, devait l'emporter. Le jury a choisi un roman-conte, plus grand public de Jean-Baptiste Andrea, "Veiller sur elle" aux Editions L'Iconoclaste. En lisant les critiques sur ce livre, il est qualifié de "roman plein de fougue et d'éclats, habité par la grâce et la beauté". Rien que cela. Entre le sculpteur de génie, Mimo, et la belle Viola d'une famille noble génoise, mille péripéties traversent le texte dans une Italie fasciste. Un succès garanti. Pour le Fémina, Neige Sinno a emporté la mise avec son récit sur l'inceste, "Triste Tigre", publié chez P.O.L. J'ai lu ce récit glaçant et pourtant utile pour comprendre la prédation sexuelle. Un livre important qui laissera une trace durable dans la dénonciation des crimes sexuels intrafamiliaux. Ce texte appartient à la catégorie des livres à portée sociologique et anthropologique comme "Le consentement" de Vanessa Springora. Le Femina étranger a récompensé Louise Erdrich avec "La sentence", un roman passionnant sur le racisme et l'intolérance aux Etats-Unis. Le prix Renaudot a distingué Ann Scott avec "Les Insolents", publié chez Calmann-Lévy. J'avoue que je ne connais pas cette écrivaine et son roman très intime semble intéressant. A 45 ans, Alex, compositrice de musique de films, quitte Paris pour la Bretagne pour se réinventer. Toute une démarche qui tend à poindre pour de nombreux citadins, lassés du "bruit et de la fureur" des métropoles. Une écrivaine à découvrir. L'Académie française a décerné son prix à Dominique Barbéris pour son roman, "Une façon d'aimer", publié chez Gallimard. Madeleine quitte sa Bretagne natale pour suivre son mari au Cameroun. Elle rencontre dans un bal à Douala, un aventurier. Commence alors une histoire d'amour dans une Afrique rêvée dans les années 50. Gaspard Koenig a obtenu le prix Interallié, un prix de consolation car son livre a failli décrocher le Goncourt. Deux étudiants en agronomie, angoissés par la crise écologique, se mettent en tête de changer de monde. Ils vont entreprendre des actions écolos en montant une start-up de "vermicompostage" et tentent de régénérer un champ familial abîmé par des pesticides. Les deux amis vont se heurter à la rude réalité de la vie rurale. Il existe d'autres prix littéraires mais la liste serait trop longue. Il est temps de découvrir ces nouveautés distinguées de la rentrée littéraire. Que garderons-nous en mémoire dans un an ou dans dix ans ? Mystère... 

jeudi 9 novembre 2023

"Mon Paris littéraire", François Busnel

 Je picore parfois dans ma bibliothèque quelques livres que je n'ai pas feuilletés depuis des années. Hier, en vérifiant mes guides sur Paris afin de préparer mon séjour prochain, j'ai relu le guide de François Busnel, "Mon Paris littéraire", publié chez Flammarion en 2016. Paris représente à mes yeux la patrie de la littérature et quand je me retrouve dans certaines rues de la capitale surtout vers le 5e et le 6e arrondissements, j'ai l'impression de croiser tous les fantômes littéraires de la cité. Ardent défenseur de la librairie indépendante, François Busnel les recense dans chaque quartier en mettant à l'honneur certaines d'entre elles pour leur caractère exceptionnel. J'aime surtout ce Paris des musées, des monuments, des concerts de musique classique et évidemment le Paris des livres, des librairies et des bibliothèques. Si ces lieux culturels disparaissent, la ville perdra son âme. Déjà que les caisses vertes des bouquinistes sur les quais seront fermées pendant les Jeux olympiques de 2024 ! Dans sa préface, l'auteur du guide écrit : "Pas de démocratie sans grandes librairies" . Comment procède l'ex-animateur de la Grande Librairie ? Il explique sa démarche subjective, "faite d'itinéraires en zigzag" en découvrant les librairies et il ajoute qu'il a recherché les traces des écrivains et de leurs personnages dans les immeubles qui les ont abrités. Une carte des arrondissements sert de guide géographique. Chaque librairie choisie est définie avec un commentaire de quelques lignes pour les plus importantes. Ensuite, la rubrique "à voir" concerne les immeubles où ont vécu les grandes figues de la littérature. Et pour compléter toutes ces informations, François Busnel évoque les lieux où bouquiner et ceux où l'on peut boire. Je fais toujours mon pèlerinage livresque lors de mes séjours parisiens : les librairies Delamain, Galignani, Jousseaume, Compagnie, La Dilettante, Gallimard, Les Cahiers de Colette, Shakespeare and Compagny, Gibert et tant d'autres. Quand je marche dans les rues, j'observe les plaques qui indiquent que tel écrivain a vécu dans cet immeuble comme Jankélévitch, Quai aux Fleurs, Albert Camus, rue Madame,  Chateaubriand et Romain Gary, rue du Bac, etc. Les bars et les restaurants fréquentés par le monde des lettres sont aussi signalés comme les 2 Magots, le Flore, le Procope, la brasserie Lipp. Ce guide pratique et agréable à feuilleter est une mine d'or pour découvrir le charme incommensurable de la capitale... Je vais le glisser dans mes bagages dès mercredi prochain. 

mardi 7 novembre 2023

"L'enlèvement", film de Marco Bellocchio

 Marco Bellocchio porte à merveille ses 83 ans. J'avais vu sa série "Esterno notte" sur l'assassinat d'Aldo Moro, une série historique s'attaquant à "l'inconscient collectif" de son pays et à son rapport au terrorisme des Brigades rouges pendant les Années noires. Ce dernier long métrage, "L'enlèvement", se passe dans les rangs de l'Eglise catholique au XIXe siècle (1850-1870). Le réalisateur dénonce l'autorité abusive du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. L'intégrisme régnait de ce côté là en Italie. L'histoire démarre à Bologne en 1858 dans une famille de confession juive, les Mortara. Le petit Edgardo, âgé de 7 ans, est arrêté par la police sur l'ordre d'un prêtre inquisiteur. Ce personnage sinistre a appris que l'enfant a été baptisé et il est hors de question qu'un chrétien vive dans une famille juive. Il est conduit à Rome dans un collège de catéchumènes attaché au Saint-Siège, près du Pape Pie IX. Les parents d'Edgardo sont atterrés par ce rapt et mobilisent leur communauté pour récupérer leur fils. La loi pontificale rejette toutes les demandes répétées. Le pape répond "non possumus". Le père, Momolo, comprend qu'une nounou a baptisé son nourrisson six ans plus tôt et ce geste a changé radicalement la vie du petit garçon. Les parents obtiennent la permission de visiter leur petit garçon mais ils se rendent compte de l'influence que l'Eglise a imposée à Edgardo. Des scènes entières portent sur cette imprégnation méthodique du dogme catholique que les prêtres imposent aux pensionnaires. L'arrière plan historique est bien reconstitué par le réalisateur concernant le Risorgimento, le mouvement d'unification politique de l'Italie qui fera chuter le pouvoir papal. L'Histoire a broyé cet enfant juif en l'arrachant à sa famille et en le forçant à une éducation catholique qui ressemble à un lavage de cerveau. Le pape remplace la mère et le père et il est particulièrement grotesque ainsi que l'aéropage de tous ses serviteurs. Devenu adulte, Edgardo rejette son identité d'origine et ne reverra pas sa famille pendant des années. Quand sa fratrie l'invite à dire adieu à sa mère mourante, il tente de la convertir au catholicisme. La musique expressionniste de Fabio Massimo accompagne une mise en scène dramatisée à outrance comme dans un opéra tragique. Ce film somptueux explore l'aspect ignoble de l'antisémitisme provenant du dogme catholique au XIXe et résonne d'autant plus fortement en ces temps sombres que traverse notre pays.

lundi 6 novembre 2023

"Triste tigre", Neige Sinno

Neige Sinno a reçu le prix littéraire du journal Le Monde et le prix Femina, aujourd'hui. Si le moral de celle et de celui qui la lit n'est pas au beau fixe, (surtout avec tout ce qui se passe en Israël et en France), il vaut mieux éviter la lecture de "Triste tigre", un récit autobiographique d'une noirceur dérangeante. Le sujet sensible, évoqué par la narratrice, concerne les viols répétés qu'elle a subis longtemps dans son enfance jusqu'à son adolescence, soit sept ans d'enfer sexuel. Et le violeur ignoble en question n'est autre que son beau-père : "Il disait qu'il m'aimait. Il disait que c'est pour pouvoir exprimer cet amour qu'il me faisait ce qu'il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l'aime en retour". Dans quel environnement familial vit cette petite fille ? Sa mère, devenue veuve, s'est remariée avec un guide de montagne dans les années 90. Ils mènent une vie de bohême dans les Hautes Alpes et ce beau-père charismatique s'intègre parfaitement dans le village. Pendant sept ans, sa mère n'a rien vu, son entourage n'a rien vu, les amis de la famille recomposée n'ont rien vu. Une cécité totale. Ce récit assez difficile à lire pose le problème de "dévoiler" ces crimes sexuels intrafamiliaux, de témoigner à froid et de dénoncer ces actes odieux que la narratrice assimile au Mal absolu. Cette confession douloureuse explore aussi la littérature sur ce sujet plus que délicat. Que peut l'écriture ? Elle évoque le roman de Nabokov, "Lolita", les textes de Virginia Woolf, de Toni Morrison, de Christine Angot. Le viol, ce sujet universel et traumatique pour les victimes traverse le texte de Neige Sinno avec une urgence : il faut en parler pour qu'il ne soit plus invisibilisé afin de protéger les enfants. En 2000, elle décide de porter plainte avec l'aide de sa mère et son beau-père est condamné à 9 ans de prison. Va-t-elle enfin oublier ou pardonner son beau-père ? Il a soi-disant réglé sa dette à la société, a fondé une nouvelle famille (!) mais Neige Sinno refuse la résilience. Elle vivra désormais avec cette blessure irréversible et n'oubliera jamais le mal que cet homme ignoble lui a fait. Le titre du récit, "Triste tigre", rappelle selon une critique du journal Le Monde, "l'énigme du mal, celle du monstre, centres secrets de notre monde, qui produisent l'attirance non assumée pour ces sujets. L'enfant devenue adulte comprend que la prédation sexuelle touche au plus vif de la domination". Ce récit révèle des abîmes : le pardon n'existe pas pour des êtres aussi dépourvus d'humanité comme l'écrivait le philosophe Vladimir Jankélévitch concernant les nazis. "Triste tigre", un devoir de lecture, pour partager avec empathie la colère, la rage légitime d'une femme blessée à vie. 

vendredi 3 novembre 2023

"Proust, roman familial", Laure Murat

 Dans cette rentrée littéraire de septembre, un essai sur Marcel Proust de Laure Murat, m'a évidemment attirée tant j'aime l'univers proustien que j'ai étudié à l'université (quand j'étais jeune). J'ai redécouvert "La Recherche du Temps perdu" en relisant la moitié de cette œuvre magistrale et monumentale avec un intérêt mille fois plus vif que dans ma jeunesse. D'ailleurs, il faut lire "La Recherche" après cinquante ans, quand on a cumulé en soi des souvenirs, des expériences, des joies et des tristesses, des amours et des amitiés souvent perdus. Les personnages nous suivent sans cesse comme le narrateur omniscient, sa mère, sa grand-mère, Françoise, le dilettante Swann, Madame de Verdurin, la "patronne", Saint-Loup, le Baron Charlus, Odette, Elstir et tant d'autres inoubliables figures. Je vis avec eux comme dans une vieille famille familière, miraculeusement préservée par la magie de la littérature. Beaucoup d'essais ont été écrits lors du centenaire de sa mort l'année dernière et celui de Laure Murat ne concerne pas seulement l'écrivain. Le "grand monde" de Proust est aussi celui des parents et des grands-parents de la narratrice. Née Princesse Murat, fille de Napoléon Murat et d'Inès d'Albert de Luynes, ses ancêtres illustres peuvent intimider tant cette écrivaine est liée à la noblesse depuis de nombreuses générations. Marcel Proust a fréquenté le salon parisien de ses arrière-grands-parents et certains de ses descendants apparaissent dans "La Recherche". Ce récit décrit le monde aristocratique où elle est née mais elle prend le parti de dénoncer durement l'hypocrisie de sa propre classe sociale ne lui trouvant que des travers irréversibles : le vide intégral de leurs pensées, "un monde de formes vides, un théâtre". Le roman proustien révèle cet univers d'oisiveté, de vacuité et de snobisme, en représentation à travers leurs réceptions, leurs châteaux, leurs hôtels particuliers. Laure Murat raconte de l'intérieur son milieu même si elle dresse un portrait très positif de son père, grand lettré et producteur de cinéma. Sa mère a aussi écrit des ouvrages historiques. Elle se confie sur sa rupture familiale quand elle a fait son "coming-out", refusant de se marier dans sa caste, fonder une famille traditionnelle. Laure Murat s'est exilée aux Etats-Unis où elle enseigne, vit avec une femme, a tourné le dos à ce passé glorieux et étouffant. La lecture de "La Recherche" l'a libérée, l'a émancipée de tout déterminisme de son milieu social. Ce roman d'éducation proustienne se lit avec un intérêt certain, surtout pour les "proustophiles". Je regrette un peu ses prises de position un peu trop "wokistes" à mon goût surtout sur l'écriture inclusive car son texte est émaillé de points "e" qui le rendent un peu dérangeant. Si on le lit à voix haute, cela devient impossible. Dommage... 

jeudi 2 novembre 2023

"Le Grand Feu", Leonor de Recondo

J'ai vu récemment l'écrivaine, Léonor de Recondo, dans la Grande Librairie sur France 5. Musicienne talentueuse, elle a interprété une sonate de Bach. Dans son dixième livre, "Le Grand Feu", elle met à l'honneur ses deux passions : la musique baroque et la littérature. Je n'ai pas toujours été convaincue par ses romans précédents même si j'ai détecté des qualités évidentes d'écriture. Comment résister au charme de ce dernier opus avec deux personnages que j'apprécie beaucoup : Venise et Vivaldi ? J'ai donc succombé devant la musique de ce roman aérien, aquatique et amoureux. Au XVIIIe siècle, la Pieta, un établissement de charité, accueille les orphelines et les éduque sur le plan musical. La réputation de la Pieta se répand à travers l'Europe car le chœur des jeunes filles, vêtues de blanc, chantaient dans une grande discrétion, derrière des grilles. Le public adorait cette "voix des anges". Dans cette ville magique, Francesca et Giacomo mettent au monde une petite Ilaria, la sixième fillette de la fratrie. Le couple décide de se séparer d'elle pour qu'elle vive une meilleure existence en la confiant à la Pieta où une cousine, Bianca, en est la gardienne. Pendant seize ans, la petite Ilaria ne sort jamais de l'orphelinat mais entend les rumeurs de Venise : "On entend le silence et la nuit". La jeune fille découvre la musique avec son "maestro", le prêtre roux, le génial Vivaldi qui offre à son élève douée, un petit violon. Ce cadeau change sa vie tellement elle communie avec les sons qui s'échappent de la boîte en bois. Ce "Grand Feu" de la musique l'habite et cette expérience sensorielle ne la quittera jamais : "C'est dans le son qu'elle déclare son amour, qu'elle le déclame ; une exaltation du corps qu'elle ne trouve nulle part ailleurs que dans l'archet sur la corde. La vibration ondulante. Point de poèmes, point de mots pour exprimer cette intensité-là". Le Maestro lui confie l'écriture de ses partitions. Ilaria rencontre une jeune fille de la haute société, Prudenza, qui vient apprendre le chant. Cette amitié précieuse et fusionnelle illumine la vie austère de la jeune violoniste. Celle-ci lui présente son frère qui tombe amoureux fou d'Ilaria. Lui rêve d'horizons nouveaux, elle, ne songe qu'au violon. Pourtant, ils s'aiment éperdument mais leur amour finira dans le drame. Ce roman se transforme en scénario d'opéra avec l'irruption de cet amour impossible à vivre. Un roman-opéra incandescent sur la musique et sur la magie de Venise, qui permet, pour un instant même bref, de s'échapper hors de notre siècle chaotique. 

mercredi 1 novembre 2023

"Anselm, le bruit du temps", Win Wenders

 Chaque fois que je me trouve devant un tableau, une sculpture, une œuvre d'Anselm Kiefer, je suis subjuguée par cet artiste. J'ai vu sa scénographie au Panthéon où il dénonçait les horreurs de la Guerre 14-18. A Bilbao, une salle lui est consacrée dans les collections permanentes et cet homme couché au sol qui observe le ciel étoilé vous saisit d'émotion. Au Louvre, trois œuvres de l'artiste sont exposées dans une aile du musée qu'il faut parfois chercher comme un trésor. A Venise, j'ai eu une chance inouïe de voir son exposition au Palais des Doges, une exposition tellement grandiose que je l'ai gravée dans ma mémoire émerveillée. Quand j'ai appris que le documentaire de Win Wenders, "Anselm, le bruit du temps", passait à l'Astrée, je suis allée le voir. Un choc esthétique, ce film sur l'un des grands artistes plasticiens contemporains ! Pour entrer dans l'univers de Kiefer, le réalisateur propose une déambulation poétique qui nous offre des clés de compréhension. L'art monumental de l'artiste allemand se compose de différents supports : peinture, sculpture, photographie, gravure sur bois, livres d'artiste, installation, architecture. Anselm Kiefer est filmé dans son décor colossal et il se déplace en bicyclette pour traverser son hangar qui ressemble plus à un entrepôt industriel qu'à un atelier de peintre. Il pioche dans des bacs les différents matériaux, les objets, qu'il incruste dans ses tableaux. Le réalisateur a filmé ce géant de l'art dans ses ateliers successifs, Barjac dans le Lot, Croissy en Seine et Marne. Des hangars gigantesques où on le voit dans son processus de création. Il manie le couteau à grands traits sur la toile et utilise même un lance-flammes pour donner à ses tableaux leur texture si caractéristique. Anselm Kiefer a été influencé par la pensée poétique de Paul Celan, un poète exceptionnel qui s'est suicidé en 1970 à Paris. Quelques scènes fictionnelles reconstituent son enfance pour mieux comprendre sa vocation artistique. Anselm Kiefer est né en 1945 à Allemagne et cette naissance dans les ruines du pays l'a marqué à tout jamais. Sa démarche artistique revisite l'Histoire, la littérature, la philosophie. Le thème des ruines traverse ses créations et pose la question suivante : "Comment, après l'Holocauste, être un artiste qui s'inscrit dans la tradition allemande ?". Ce film sensible, beau et poétique apporte une réponse lumineuse sur l'art d'Anselm Kiefer, un art d'un cheminement mémoriel indispensable pour appréhender les noirceurs de notre Histoire.