mercredi 5 février 2020

George Steiner, hommage

Critique littéraire, linguiste, écrivain et philosophe, George Steiner est mort le 3 février à Cambridge à l'âge de 90 ans. Il a écrit de nombreux essais sur la théorie du langage et de la traduction. La presse a peu parlé de sa disparition mais elle salue en lui l'archétype de l'intellectuel européen tellement cet homme était pétri de plusieurs cultures, en particulier, par son éducation trilingue en allemand, français et anglais. Et il ne faut pas oublier sa connaissance parfaite du grec ancien et du latin, cela va sans dire… Ses parents, des Juifs viennois, sentant monter l'antisémitisme, ont quitté l'Autriche pour Paris. En 1940, ils s'installent à New York avant l'arrivée des Nazis dans la capitale française. George Steiner s'est forgé une mémoire de survivant qui a influencé profondément son œuvre. Il disait : "Ma vie entière a été hantée par la mort, le souvenir et la Shoah". Il devient citoyen américain en 1944. Après des études de littérature, de mathématiques et de physique, il passe une thèse de doctorat à Cambridge. Sa carrière universitaire brillante se termine à Genève jusqu'en 1994 comme professeur de littérature comparée. Pierre Assouline dresse un portrait du philosophe dans son blog, "La République des Livres" : "Chaque matin, il traduisait un poème dans les quatre langues qu'il pratiquait naturellement et selon lui, ce rituel avait le don de faire entrer un rayon de soleil dans sa vie quotidienne". Pour ma part, j'avais acquis en décembre un ouvrage de George Steiner, "Les chemins de la culture". J'ai souvent écouté les messages de cet homme cultivé, érudit et ses livres ont touché ma fibre de bibliothécaire car c'était un ardent défenseur des livres, de la pensée, de la culture, de la littérature. Une des questions fondamentales qu'il se posait me taraude toujours l'esprit : "Je mourrais en ayant conscience de n'avoir pas eu assez de toute une vie pour résoudre un mystère insoluble : pourquoi, lorsque le commandant d'un camp d'extermination nazi, une fois rentré chez lui le soir pour jouer une sonate de Schubert au piano à ses enfants, puis lire des poèmes d'Hölderlin à sa femme avant le dîner, après avoir passé sa journée à superviser des tortures, des exécutions et des massacres de milliers d'êtres humains de tous les âges en raison de leur seul crime d'être nés, pourquoi la musique n'a pas dit non, pourquoi la poésie n'a pas dit non ?". Il pensait que la culture n'est pas un rempart contre la barbarie... Ce constat pessimiste ne l'a pas empêché d'écrire de grands livres comme "Les Antigone", "Passions impunies", "Le silence des livres" et d'autres essais parfois complexes à lire. Il faut découvrir ce penseur polyglotte exceptionnel parfois ardu et si l'on veut connaître des bribes autobiographiques, son ouvrage "Errata" peut combler le lecteur(trice) curieux(se)…  Heureusement, son œuvre prend le relais et son éternité est lovée dans ses milliers de pages.