lundi 3 octobre 2011

"Rien ne s'oppose à la nuit"

Le roman de Delphine de Vigan a obtenu dès la rentrée de septembre le prix Fnac qui réguliérement choisit, pour ce prix délivré très tôt, un roman de très grande qualité. J'ai lu son roman, édité en 2009, "Les heures souterraines" que j'avais apprécié à l'époque. Delphine de Vigan possède un talent certain pour retenir l'attention. Son style limpide, clair et efficace convient parfaitement à l'histoire qu'elle raconte. Elle cite d'ailleurs comme modèle le très beau livre "autobiographique" de Lionel Duroy, "Le chagrin" que j'avais analysé dans ce blog. Je pensais que cette histoire de famille, traitée mille et mille fois dans la littérature, serait trop traditionnelle, voire ennuyeuse... Rien de tout ça : Delphine de Vigan a écrit un roman, mieux, un récit de vie émouvant sans miévrerie du début à la fin. Le portrait fragmenté de sa propre mère que l'on devine très vite condammée au malheur, devient une prouesse littéraire très juste et très forte. Les premières lignes livrent la fin de l'aventure terrestre de cette "mère-courage" : "Ma mère était bleue, d'un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l'ai trouvée chez elle, ce matin de janvier." On apprend la mort de sa mère dans cette première ligne. S'en suit une biographie fouillée, "archéologique" de cette femme meurtrie par la vie : son enfance, son adolescence, sa vie de femme et de mère de famille. Le lecteur ou lectrice apprend tout des amours, des amitiés, des joies et des peines, des réussites et des échecs, de sa folie passagère de ce personnage emblématique des années 7O. Delphine de Vigan se mue en détective privé pour rendre compte du destin tragique de sa mère au sein de sa famille en recherchant auprès des frères et des soeurs, des indices, des traces, des souvenirs déformés par le temps. Ce lien indéfectible entre une mère fragile et une fille forte renverse le lien parental originel qui supposerait une protection permanente des parents vis à vis de leurs enfants... Je propose au jury du Goncourt de délivrer ce prix à Delphine de Vigan... Une récompense méritée enfin pour une femme écrivain qui a capté dans son roman-témoignage la difficulté d'être femme dans ce monde d'hommes...