jeudi 23 juillet 2015

"Vaterland"

Je n'avais jamais lu Anne Weber et j'ai découvert avec "Vaterland", une approche sensible d'une filiation lourde à porter. Ce récit autobiographique, sorti en mars 2015 au Seuil, est un voyage dans le passé troublant d'une famille allemande. Anne Weber possède la double identité française et allemande. Elle écrit dans les deux langues. En souhaitant évoquer son arrière-grand-père, "Sanderling", le philosophe Florens Christian Rang, ami de Walter Benjamin, l'auteur mène une enquête sérieuse et approfondie sur la vie de cet aïeul lointain, mais si proche pour elle. Cet intellectuel allemand a vécu dans la Prusse d'avant la guerre de 14-18, fut pasteur dans un village près de Poznan. Son arrière-petite-fille le décrit avec une empathie totale, soulignant sa personnalité tourmentée et passionnée. Il est mort en 1924. Il avait perdu un de ses fils pendant la guerre et son deuxième fils, le grand-père de la narratrice, devient l'ancêtre "honteux". Ce grand-père s'est engagé dans les S.A. nazis, occupait des postes administratifs dans les bibliothèques, n'a jamais renié son passé calamiteux. Ce secret familial mine évidemment Anne Weber et elle ne cesse de s'interroger sur cet encombrant héritage : être allemand, naître allemand, cela peut-il se vivre sans penser à cette période horrible du nazisme ? Son enquête concernant l'élimination de milliers d'handicapés mentaux et physiques dans un hôpital psychiatrique en Pologne rappelle la phrase prémonitoire énoncée par cet arrière-grand-père, pourtant un homme de culture, quand il se demandait pour quelles raisons on n'éliminait pas les malades... Ces ancêtres obsèdent Anne Weber et elle finit par accepter cette filiation en s'avouant que ces hommes forment une énigme qui ne sera jamais résolue. Elle écrit : "Les vivants sont-ils donc à tout jamais un miroir des morts ? Se séparent-ils, comme leurs ancêtres, en deux moitiés : ceux qui ont manigancé et commis le crime, ou qui l'ont laissé faire, et les autres qui l'ont subi ? Est-ce mon héritage, ma malédiction éternelle ?"  Ce récit d'une sincérité poignante révèle le sentiment de culpabilité que peuvent éprouver les héritiers involontaires d'une Histoire qu'ils n'ont pas vécue.