mardi 27 décembre 2022

"L'insoutenable légèreté de l'être", Milan Kundera, 2

Le roman se termine par la mort accidentelle de Teresa et de Tomas alors qu'ils avaient retrouvé une harmonie dans leur couple quelque peu asymétrique. Ce destin absurde confirme bien le pessimisme existentiel de Milan Kundera. Ils avaient décidé de s'installer loin de Prague dans un village à taille humaine. Cette parenthèse heureuse n'aura, hélas, pas duré longtemps. Seule, Sabina, poursuit sa carrière d'artiste en Amérique et ressent un sentiment de liberté qu'elle place au-dessus de tout. Ayant fui son pays tôt, elle symbolise cette légèreté d'être, (qui n'est pas un bonheur d'être), se mettant en marge de la société et s'adonnant totalement à l'art. Le roman traite plusieurs thèmes philosophiques comme l'éternel retour de Nietzsche et surtout la notion de kitsch qu'il définit ainsi : "Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable". Pour Milan Kundera, ce concept ressemble à "un voile de pudeur que l'on jette sur la réalité", déguisée par les grandes idéologies de toutes sortes surtout les totalitarismes, du fascisme au nazisme, du communisme à l'impérialisme. Réalité manipulée, artificialité des faits, mensonges généralisées. Pour combattre cet esprit du kitsch, seul, celui ou celle qui interroge peut démonter les clichés, mettre en doute cette mascarade du réel. Milan Kundera évoque surtout ce concept central dans son pays natal, façonné par le communisme bolchévique. Il a vu des chars russes à Prague, s'est fait espionner, épier, surveiller et a fui pour vivre sa vie d'intellectuel libre en France. Quand Milan Kundera dénonce l'horreur de l'idéologie totalitaire, il sait de quoi il parle. Les pages sur l'invasion russe ont un écho encore plus intense aujourd'hui quand on pense au drame des Ukrainiens. J'aime aussi dans l'œuvre kunderienne un amour passionné de la musique. Son père était musicien et l'écrivain intègre cette dimension dans la vie même : "L'être humain, guidé par le sens de la beauté, transforme l'événement fortuit (une musique de Beethoven, un mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans la partition de sa vie". La vie, une partition musicale où chacun s'approprie chaque concept, événement, objet pour les intégrer dans l'expérience vitale. Pour Kundera, la partition amoureuse est bien complexe à exécuter et il montre à travers ses personnages son ironie à cet égard. Lire Milan Kundera, le relire sans cesse est une garantie de réflexion. Je suis entrée dans un roman "qui pense" et qui fait aussi rêver sur une histoire d'amour émouvante et nostalgique. Et presque cinquante ans après, cet écrivain "dissident" conserve un intérêt majeur pour l'Histoire européenne et les dégâts du communisme, et aussi pour l'histoire de la littérature française. "L'insoutenable légèreté de l'être" : une lecture mémorable alors que d'autres romans disparaissent assez vite de notre mémoire profonde. 

lundi 26 décembre 2022

"L'insoutenable légèreté de l'être", Milan Kundera, 1

En 2022, j'ai réalisé que certains grands romans du XXe, qui ont jalonné et marqué ma vie intense de lectrice depuis des décennies, méritaient de nouveau mon attention. J'avoue aussi que la littérature d'aujourd'hui ne nourrit pas amplement ma faim inassouvie de grands moments de lecture (un effet de l'âge ?). Alors, cette année, j'ai repris mes pléiades en les revisitant surtout celles de ma sublime Virginia Woolf avec un plaisir toujours renouvelé sans oublier Marguerite Yourcenar, deux écrivaines indispensables chez lesquelles je trouve toujours des réflexions, des pensées, des attitudes qui m'apparaissent d'une modernité intemporelle. Je n'oublie par Georges Perec, Stefan Zweig, Colette, Balzac et d'autres compagnons d'écriture. Je songe à mon programme de lectures en 2023 et je vais essayer de redécouvrir surtout Stendhal avec lequel je partage un destin commun : l'amour de l'Italie ! Récemment, j'ai relu un roman incroyablement actuel, "L'insoutenable légèreté de l'être", paru en 1984 chez Gallimard. L'intrigue se passe à Prague en 1968 dans le contexte de la Tchécoslovaquie du Printemps de Prague, puis de l'invasion du pays par l'URSS. Tomas, neurochirurgien brillant, collectionne les conquêtes féminines. Ce libertin assumé entretient une liaison régulière avec Sabina, une artiste à l'esprit libre. De passage en province, il remarque Tereza, une serveuse qui tombe sous son charme car elle aime les livres et elle le voit lisant un ouvrage. Un beau jour, elle débarque à Prague chez lui car elle avait remarqué sa gentillesse et sa "bonne éducation" alors qu'elle ne connaissait que des clients un peu rudes. Ils décident de se marier mais Tomas ne cesse de la tromper dans des rencontres hasardeuses. Ils partent à Zurich pour changer de vie mais Tereza ne supporte plus le donjuanisme absurde de son mari. Elle prend une décision irrévocable : retourner à Prague. Tomas, prenant conscience de son attachement affectif envers elle et surtout de l'amour inconditionnel que sa femme éprouve pour lui, quitte Zurich et la rejoint à Prague. Choix fatal pour Tomas. Car, le destin s'acharne sur eux. Tomas a écrit dans une revue un article anticommuniste mais il refuse de le retirer. Son directeur d'hôpital le licencie. Il vit alors un déclassement et devient laveur de vitres. Teresa perd son travail de photographe. Entre temps, Sabina s'est expatriée en Suisse et devient une artiste reconnue. Ces trois personnages emblématiques rassemblent à eux trois les idées philosophiques de Milan Kundera. Tomas partage avec Sabina cette légèreté de l'être. Ils sont complices dans leur soif de liberté et d'expériences : "Ne pouvoir vivre qu'une vie, c'est comme ne pas vivre du tout". Mais Tomas dans son indécision permanente semble plus ambigu. Ses infidélités le culpabilisent et le poussent à revenir toujours vers Teresa. Il passe de la légèreté à la pesanteur, deux notions essentielles dans ce roman métaphysique. Mais ce roman ne se lit pas avec une "pesanteur" certaine. Bien au contraire, la légèreté se situe dans l'ironie, l'humour, la distanciation que Milan Kundera affectionnent même si certaines scènes révèlent une grande tendresse envers ses trois personnages à la recherche d'une vie meilleure. (La suite, demain)

jeudi 22 décembre 2022

"Le Magicien", Colm Toibin

 Un roman étranger, venu d'Irlande et écrit par Colm Toibin, "Le Magicien", a été fort remarqué dans la rentrée littéraire de septembre. J'ai lu avec beaucoup de plaisir ce pavé de 600 pages consacré à la vie de Thomas Mann (1875-1955). L'écrivain irlandais avait déjà succombé à la passion biographique en brossant un portrait d'Henry James dans "Le Maître", publié en 2004. Les dix-huit chapitres racontent les étapes essentiels dans la vie de Thomas Mann. Issu d'une famille aisée de Lübeck, il se consacre très jeune à la littérature. Il obtient le Prix Nobel de littérature en 1929. Il traversera le XXe siècle avec une conscience européenne salutaire face au nazisme et à l'antisémitisme. Sa femme, Katia, est d'origine juive. Il affrontera aussi de nombreux drames familiaux dont le suicide de son fils, Klaus. Colm Toibin s'intéresse aux faits mais s'attache surtout à percer le secret de la création littéraire. Chaque roman de Mann est disséqué pour trouver des indices comme les "Buddenbrook" (1901), l'histoire de sa propre famille : "Il entrerait dans l'esprit de son père, de sa mère, de sa grand-mère et de sa tante. Il les verrait tous et il tiendrait la chronique du déclin de leurs fortunes". Sa femme, atteinte de tuberculose, se soigne à Davos dans un sanatorium et il écrira "La montagne magique" (1924). Un séjour à Venise et il composera la très belle histoire de "Mort à Venise" (1913). Un tour de magie, selon le biographe. Pour stimuler l'imagination de l'écrivain allemand, il lui faut une "cellule de moine" et sa Katia, une présence féminine bienfaisante. La vie familiale du grand écrivain est aussi présentée avec un talent romanesque où le réel et la fiction se mélangent avec une subtilité profonde. Il évoque avec délicatesse l'homosexualité de plusieurs membres de la famille et révèle au fil du récit les désirs tourmentés de Thomas Mann. Le biographe ne crée pas un personnage héroïque, ni un anti-héros mais un homme dans toutes ses dimensions avec ses grandeurs et ses petitesses. Le biographe évoque souvent ses démêlés avec son frère, célèbre comme lui, Heinrich Mann, écrivain beaucoup plus engagé dans le communisme. Son fils, Klaus, et sa fille, Erika deviennent aussi des écrivains antifascistes, turbulents et sulfureux dans la Bohème de l'époque. Il s'exilera aux Etats-Unis dans les années 30 avant le triomphe d'Hitler. Pour ceux et celles qui aiment l'histoire de la littérature, cette biographie romanesque ne cerne pas seulement un grand écrivain allemand, mais relate avec une érudition remarquable et non pesante un pan entier du XXe siècle avec ses tragédies totalitaires. Pourtant, face à la grande Histoire, Thomas Mann représente la liberté absolue de l'individu dans toute son ambiguïté, loin des certitudes paralysantes. Cette biographie somptueuse et vibrante se lit comme un roman ample et puissant. J'ai repris "Tonio Kröger" et "Mort à Venise" dans ma bibliothèque et cette relecture m'a semblé bien plus passionnante après avoir lu Colm Toibin... 

mercredi 21 décembre 2022

"La gloire des petites choses"

 J'avais choisi le dernier essai de Denis Grozdanovitch, "La gloire des petites choses" pour l'Atelier Littérature de décembre. Comme aucune lectrice ne l'a lu, j'ai quand même eu envie d'en parler dans mon blog. Cet écrivain peu connu a pourtant quelques prix littéraires pour son "Petit traité de la désinvolture" en 2002 et pour "Dandys et excentriques" en 2019. Il a aussi une double particularité assez rare dans le milieu littéraire : un passé d'ancien joueur professionnel de tennis et de champion d'échecs. Dès les premières pages, il formule ainsi sa démarche  : "Il me semble qu'elle s'inscrit tout naturellement dans la suite des petites merveilles que je cherche à assembler dans ce recueil pour tenter de témoigner de l'essence poétique lovée au cœur des événements en apparence insignifiants". Commence alors dans ce texte éclectique un festival de citations, de poèmes, de références littéraires. Depuis des décennies, il remplit des carnets, ses compagnons fidèles,  afin de noter les "petites choses" de la journée. En s'appuyant sur ses préférences, il évoque Valery Larbaud, André Dhôtel, Julien Gracq, Georges Haldas, et tant d'autres que je ne peux citer. Ce texte se compose de variations infiniment littéraires pour un seul objectif : débusquer ce sentiment poétique de la vie, un équivalent du sentiment océanique, celui qui vous saisit face à la mer et à l'océan. Le poète grec, Yannis Ritsos traquait cette perception dans "la continuité merveilleuse des mouvements infimes". En lisant ses impressions sur la vie qui passe, l'auteur s'inspire d'un Montaigne qui avançait son texte par "sauts et gambades". Il pense à un grand poète comme Hölderlin, puis revient à lui-même et repart dans une anecdote littéraire. Comme un arbre qui déploie ses branches dans de nombreuses ramifications, son récit autobiographique prend aussi des chemins de traverse, des contournements, des raccourcis, des voies cachées. La poésie reste le thème majeur de son livre et chaque anecdote littéraire s'avère d'un grand intérêt. Grand lecteur, immense lecteur même, il aime fouiner chez les bouquinistes à qui il rend un hommage touchant : "C'est là, me semble-t-il, la vraie république des lettres, car l'on se place ainsi dans la longue chaîne de consciences fraternelles reliées par des affinités". Quel plaisir de découvrir un amoureux de la vie et de la littérature ! Il côtoie par la pensée les écrivains profonds, discrets, authentiques comme Simon Leys, hélas disparu. Il évoque aussi les écrivains tombés en "désuétude" tels Claude Roy, Paul Gadenne, Georges Duhamel et d'autres encore plus ensevelis sous l'oubli. Denis Grozdanovitch choisit ses admirations mais ose quand même critiquer un des poètes les plus célébrés d'aujourd'hui : René Char à l'absconse pensée et à l'imagination hermétique. L'essayiste donne ses propres recettes pour saupoudrer sa vie de quelques pépites poétiques et le moral s'améliorera sans pharmacopée nuisible pour la santé. Un hommage à la poésie du quotidien, un quotidien ré-enchanté. 

mardi 20 décembre 2022

Atelier Littérature, 4

 J'avais évidemment intégré dans la liste de décembre le roman emblématique de Georges Perec, "Les Choses", publié en 1965. Odile l'a lu avec un sentiment du devoir accompli sans s'attacher à ce couple de jeunes gens qu'elle a trouvé inintéressant. J'ai pris le temps de relire ce récit original et cette entreprise romanesque relève aussi de l'analyse sociologique. Ce jeune couple, Sylvie et Jérôme, issus des classes moyennes n'a qu'un rêve : devenir riches pour acquérir un confort optimum et s'entourer de belles choses. Mais, ils ne gagnent pas beaucoup d'argent car ils travaillent en temps partiel pour préserver du temps libre en menant des enquêtes psycho-sociologiques. Dans la première partie du roman, l'écrivain emploie le conditionnel pour décrire ce bonheur matériel utopique. Ils sortent beaucoup avec des amis, vont au cinéma, dans les restaurants et surtout dans les magasins : "Ils vivaient dans un monde étrange et chatoyant, l'univers miroitant de la civilisation mercantile, les prisons de l'abondance, les pièges fascinants du bonheur". Comme ils ne parviennent pas à réaliser leur rêve de richesse, ils décident de partir en Tunisie où ils pensent améliorer leur situation. Sylvie obtient un poste de professeur alors que Jérôme refuse un poste loin de son domicile. Ce séjour tunisien s'avère encore plus décevant que leur vie à Paris. Ils finissent par revenir en France et parviennent à retrouver des postes permanents dans leur milieu professionnel d'origine. Ce roman "oulipien" explique la méthode de Perec, celle d'une distanciation face à ses personnages et à leurs rapports au monde. Car le monde se transforme en une accumulation invraisemblable et folle de choses, d'objets, de matière. "Les Choses", un roman au fond d'une portée socio-philosophique assez difficile à saisir. Il demande un effort de lecture mais les livres qui déclenchent une interrogation existentielle me semble passionnants à parcourir. Avant de terminer ce compte-rendu sur le thème de décembre, j'ai reçu de Geneviève un message enthousiasmant sur Francis Ponge et sur son recueil de poésie, "Le parti pris des choses". Elle écrit : "C'est avec un œil si particulier (de photographe) qu'il regarde les choses". Publié en 1942, le poète a tenté de restituer avec des métaphores et des comparaisons la beauté des choses banales et quotidiennes. Il veut renouveler notre vision du monde et réussit par là son pari. L'Atelier Littérature de décembre a permis de découvrir grâce aux ouvrages lus, la présence rassurante des choses dans nos vies ou leur présence envahissante. A chacune des lectrices de réfléchir à cette question, surtout dans la période des cadeaux de Noël...  

lundi 19 décembre 2022

Atelier Littérature, 3

 Le thème de l'atelier de décembre portait sur les "Choses". Danièle et Pascale ont bien apprécié "Les choses qui rendent heureux et autres notes de chevet" de la japonaise Sei Shonagon, dame d'honneur d'une princesse en l'an mille. Tous les Japonais et Japonaises considèrent ce texte comme un trésor patrimonial. Ce fleuron de la littérature ancienne se lit encore aujourd'hui avec curiosité car il raconte le cycle des saisons, le parcours du soleil, le vol d'oies sauvages, le glissement des nuages dans le ciel et tant de phénomènes fugaces de la nature. Elle décrit "la poignante mélancolie des choses" et les chapitres de ses "notes de chevet" révèlent la délicatesse et la tendresse de cette femme si chargée de siècles. Les titres parlent d'eux-mêmes : "Choses qui rendent heureux", "Choses qui ont une grâce raffinée", "Choses impatientes", "Choses qui ne font que passer" pour en citer quelques uns. Sei Shanogon a saisi l'essence poétique des êtres et des choses. Régine a beaucoup aimé le roman de l'anglaise Ruth Ogan, "Le gardien des choses perdues", publié chez Actes Sud en 2021. Anthony Peardew a égaré le médaillon de sa fiancée adorée qu'il a perdu trop tôt. Depuis, il a passé la moitié de sa vie à collecter des objets trouvés au hasard de ses promenades pour les restituer à leurs propriétaires. Le vieil homme veut léguer sa demeure et ses trésors à son assistante, Laura. Ce "gardien des choses perdues" est loin de se douter des répercussions que sa décision va entraîner. Les objets jouent un rôle majeur car ils donnent du sens à nos vies et créent des liens inattendus. Cette histoire d'amour et de rédemption très "british" a charmé Régine qui nous l'a vivement recommandée. Odile a lu trois ouvrages de la liste. Elle a surtout présenté "Ce genre de petites choses" de l'irlandaise Claire Keegan, paru en 2021. En 1985, un marchand de bois et de charbon, Bill Furlong, va livrer le couvent voisin. Une rumeur circule sur le rôle des sœurs du Bon Pasteur exploitent les "filles-mères" dans les travaux de blanchisserie et placent leurs enfants illégitimes à l'étranger. Il découvre une forme recroquevillée dans la cave. Quand il raconte cette découverte à sa femme, elle lui ordonne de ne rien dire. Mais, cet homme tranquille et généreux va écouter son cœur et retourne au couvent. Ce scandale que l'écrivain relate avec une intensité fiévreuse a bien eu lieu dans une Irlande misérable et conformiste.  Le film, "Magdalena 's sisters" s'est inspiré de ce roman percutant et d'une humanité rare. Odile a aussi évoqué "Le nom secret des choses" de Blandine Rinkel, paru en 2019. Océane, 18 ans, quitte la Vendée pour Paris afin de poursuivre ses études. Issue de la classe moyenne, elle va se confronter à un milieu inconnu aux codes établis. Un jour, elle rencontre la fascinante Elia qui lui donne le "goût des métamorphoses". Pourquoi pas changer de prénom par exemple ? Ce bon roman se lit avec un plaisir certain. (La suite, demain)

samedi 17 décembre 2022

Atelier Littérature, 2

Régine a évoqué un deuxième coup de cœur pour un documentaire très instructif, "La voix des Pôles" de Lydie Lescarmontier. La jeune femme est docteure en glaciologie et elle s'embarque à bord de l'Astrolabe pour étudier l'évolution des glaciers de l'Antarctique. Dans cet ouvrage d'aventure polaire, elle raconte son mal de mer, les espaces réduits, les risques du froid, mais elle éprouve une passion dévorante pour la banquise et ses phénomènes naturels. Lire ce livre, à la fois carnet intime et essai, c'est suivre le périple de cette scientifique qui nous alerte sur le changement climatique. Mylène a présenté le dernier roman de Louise Erdrich, "Celui qui veille", paru en janvier 2022. En 1953, Thomas, chef de la tribu Chippewas, est veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie, proche de la réserve de Turtle Mountain. Il est déterminé à lutter contre un projet du gouvernement fédéral qui veut soi-disant "libérer" les Indiens. Sa nièce, Pixie, veut partir à Minneapolis pour retrouver sa sœur aînée dont elle n'a plus de nouvelles. Le héros, "Celui qui veille", commence alors un long combat pour arrêter ce funeste projet. L'écrivaine s'est inspirée de son propre grand-père maternel qui s'est battu pour conserver l'accord solennel pris entre les nations américaine et indienne, accordant aux indiens la possibilité de préserver la souveraineté de leur territoire. Ce roman a reçu le prix Pulitzer et relate une belle histoire de justice et défend le respect d'une culture ethnique différente qu'il faut à tout prix conserver. Odile a présenté un roman américain, "My absolute darling" de Gabriel Tallent, paru en 2018. A 14 ans, Turtle vit dans les bois sur la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet. Elle fuit un père autoritaire et abusif et sa vie sociale se résume au collège. Un jour, elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu'elle intrigue. Poussée par cette amitié naissante, elle prend une décision irrévocable pour échapper à son père. Ce roman sur le combat d'une jeune fille pour devenir elle-même a vraiment enthousiasmé Odile. Annette m'a envoyé un message pour son coup de cœur, "La légende des filles rouges" de Kazuka Sakuraba, publié en Folio. Je reprends les mots d'Annette : "enlevé, coloré, passionnant. Quatre générations de femmes, l'évolution sociale et économique du Japon depuis les mythes visionnaires liés à la nature jusqu'au temps des jeunes actuels". Un choix original car la littérature japonaise mérite d'être mieux connue. 

vendredi 16 décembre 2022

Atelier Littérature, 1

Jeudi après-midi, j'ai enregistré un nombre de défections pour une raison essentielle : la santé ! C'est évident que l'hiver apporte son lot d'ennuis et avec cette météo pluvieuse et froide, les ennuis de santé frappent certaines participantes à qui je souhaite un bon rétablissement. J'ai évoqué la prochaine liste sur les prénoms dans les titres de romans et de récits, un jeu quelque peu oulipien avec un choix éclectique allant de deux classiques à des ouvrages contemporains. En janvier, nous évoquerons Claudine, Asta, Pierre et Jean, Jeanne, Dora, et bien d'autres. Pour démarrer la séance, nous avons parlé des coups de cœur. Danièle a beaucoup aimé un roman, venu de la lointaine Russie, "Zouleikha ouvre les yeux" de Gouzel Iakhina du Tatarstan. Ce premier roman, paru en 2015, a reçu de nombreux prix littéraires. Dans les années 30, l'héroïne est mariée à quinze ans à un homme bien plus âgé qu'elle. Ses quatre filles sont mortes en bas-âge. Staline veut "dékoulakiser" les paysans propriétaires (les Koulaks). Le mari de Zouleikha est assassiné et la famille déportée en Sibérie. La jeune femme entreprend ce périple pendant des mois alors qu'elle attend un enfant. Elle va revivre dorénavant dans une colonie avec ses compagnons d'infortune, loin de toute civilisation. Une nouvelle vie pleine d'espoir.  La grande Ludmila Oulitskaïa a écrit la préface de ce roman historique qui nous fait connaître un pan de l'histoire russe. Agnès a présenté un récit court et percutant, "Voyage au bout de l'enfance" de Rachid Benzine. Un petit garçon, Fabien, qui aime le foot et ses copains, part en Syrie avec ses parents, convertis à l'Islam. Il raconte avec son langage d'enfant l'horreur du camp des djihadistes et l'illusion aveugle des parents sur ce monde de fanatiques religieux. Un roman à découvrir sur une tragédie historique. Régine a partagé son grand coup de cœur, "La forêt des violons" de Cyril Gely, publié chez Albin Michel. Au XVIIe siècle, Antonio Stradivari, jeune luthier de Crémone, va chercher le bois des violons dans la région des "Montagnes roses" d'Italie. Il raconte ses voyages pour trouver des arbres parfaits (des épicéas) qui permettront la création d'un violon d'excellence. Il rencontre aussi l'amour dans sa quête d'un instrument parfait. N'oublions pas comme l'a souligné Régine que l'inspiration du jeune luthier est née aussi de son observation d'un corps féminin. Les amateurs de musique et aussi de l'Italie ne pourront qu'apprécier ce beau roman rempli de poésie et de... violons ! A découvrir sans tarder. (La suite, demain)

mercredi 14 décembre 2022

"Un exil à domicile", Régis Debray

 Le facétieux Régis Debray vieillit avec un humour irrésistible. Il déclare dans son nouvel opus, "Un exil à domicile", publié chez Gallimard : "Un vieux con né en 1940 a un avantage sur les plus jeunes : avoir eu deux vies pour le prix d'une. (...) L'éclat de rire s'impose alors comme une nécessité. Passé un certain cap, nos ratages deviennent rigolos". Alors qu'il utilise son vélo, un piéton octogénaire le harangue en lui disant que ce n'est plus de leur âge de pratiquer ce style de locomotion. L'écrivain comprend avec une ironie lucide et blagueuse que sa jeunesse s'est diluée définitivement sans trop s'en rendre compte. Dans cet ouvrage-souvenir, il relate ses missions auprès de François Mitterrand, en particulier le rôle qu'il a joué dans les essais nucléaires en Polynésie française. Les interrogations de Régis Debray semblent d'une pertinence vive quand il analyse ce sentiment de décalage dans ce millefeuille temporel. Il se sent un "survivant" dans ce siècle de "digital natives, followers, netflixers". Il avoue sa perte de repères : "Changer de civilisation à mi-course et au pied levé force à marcher non sur les œufs mais sur les mains. Cul par-dessus tête". Il évoque le phénomène de "dysphorie" ou changement de sexe qu'il compare avec son sentiment de "dysphorie des temps". Il écrit avec son humour espiègle : "Le transgénérationnel est bien moins loti, sachons le, que le transsexuel, pour le triple saut périlleux du cahier à petits carreaux à l'écran multifenêtres". Sa critique de notre époque est portée par un style brillant et ironique : "Quand on a commencé sa randonnée ici-bas par rosa la rose, les petits classiques Larousse, Sydney Bechet et Jean Vilar, on n'embraye pas sans difficulté sur Johnny et Lady Gaga, le business globalisé, les moteurs de recherche et les corrélations statistiques". Il définit sa vie en plusieurs étapes : jeunesse fiévreuse et militante, maturité conquérante, retraite dorée et reconnue. Et aujourd'hui ? "Mais le meilleur, en fait, ne le disons pas trop, c'est le hochement de tête terminal et presque bienveillant". Il s'imagine aussi qu'en parlant de sauvegarde des espèces, il faudrait le conserver lui-même en tant "qu'archéo-jacobin, socialiste d'antan" et autres dénominations farfelues. L'auteur pose la question cruciale qui est au cœur du récit : "Qu'est-ce que vieillir ?". Il nous donne des réponses rassurantes et réconfortantes : "Les majuscules rétrécissent sournoisement, (...) Gauche, Droite, Progrès, Devoir, etc." Il se concentre sur "un Château-Margaux velouté, (...) un mohair moelleux autour du cou. Sans parler du bœuf miroton et de l'andouillette purée". La vieillesse n'est pas un "naufrage sans compensation". Ce récit autobiographique, brillant d'intelligence, bluffant de culture se lit avec un plaisir certain et je me souhaite de pratiquer cet art de vieillir avec maestria sans plainte et sans regrets. Régis Debray nous offre une belle confidence : n'ayez pas peur de collectionner les années  et cultivez l'humour ! Cet "exilé à domicile" offre à ses lecteurs et lectrices un beau message d'espoir.   

mardi 13 décembre 2022

"Un philosophe sans qualités", Frédéric Schiffter

J'ai donc suivi une conférence de Frédéric Schiffter à la Médiathèque de Biarritz le samedi en fin d'après-midi. La salle de l'auditorium s'est remplie peu à peu mais j'avoue que les amateurs du philosophe avaient largement dépassé la soixantaine. Ce public de "retraités éclairés et curieux" a écouté avec un silence religieux les deux heures de la conférence sur "les aventures de l'âme". Depuis les Grecs anciens jusqu'aux Pères de l'Eglise, de Descartes à Freud, le professeur philosophe a développé avec une clarté pédagogique et un humour élégant ses idées sur l'âme, une notion abstraite et complexe. Sans lire ses notes, cette présentation de l'âme s'est terminée par un hommage qui m'a particulièrement touchée. Car, sa conclusion évoquait le simple geste d'ouvrir un livre, un classique en particulier. La lecture devenait alors une rencontre avec une "âme". Pour le philosophe, un grand écrivain, un artiste, un peintre, un musicien, un penseur livrent leur âme et c'est la culture qui nous offre cette relation permanente. Pas de paradis céleste, pas de purgatoire, mais une terre fertile, celle des créateurs qui, seuls, nous donnent ce supplément d'âme si nécessaire pour habiter "poétiquement" le monde. Frédéric Schiffter appartient à la catégorie des penseurs sceptiques et pessimistes, se réclamant en particulier d'Arthur Schopenhauer et de Cioran. Pour lui, la philosophie ne se confond pas avec un épanouissement de soi ou une spiritualité assumée. Il ne se fait aucune illusion et évoque la condition tragique de la finitude humaine. Il a écrit un ouvrage sur le "chichi", le "blabla" et le "gnangnan", trois concepts clés pour comprendre sa propre philosophie. Le "chichi" s'apparente à la négation du réel, du temps, du hasard, de la mort selon Clément Rosset.  Le "blabla" concerne les concepts abstraits comme le "Bonheur", la "Justice",  la "Nature", basés sur des discours formatés. Le "gnangnan" s'identifie sur l'altruisme, la sensiblerie, l'esprit compassionnel, la "moraline", l'éthique. Pour découvrir ce philosophe iconoclaste, il faut lire "Philosophie sentimentale", "On ne meurt pas de chagrin", "Le charme des penseurs tristes" et son dernier ouvrage, "Lassitudes". Frédéric Schiffter aime la mélancolie, le spleen baudelairien, l'extrême lucidité et un humour ravageur. Il raconte dans son blog ses balades à Anglet et à Biarritz au bord de l'océan et tel un philosophe poète, il célèbre à sa façon la douceur de vivre dans un tél décor. Sa musique intime en sourdine me charme particulièrement car elle est aussi mêlée du fracas des vagues océaniques. J'ai eu de la chance de rencontrer ce philosophe biarrot avec lequel j'ai un peu discuté après la conférence. Il m'a dédicacé son dernier ouvrage en se souciant de ne pas me "plomber" le moral avec son texte. Charmante préoccupation de sa part... 

lundi 12 décembre 2022

Biarritz, escapade hivernale, 2

Biarritz et l'océan, Biarritz et le surf, Biarritz et l'identité basque mais pas seulement. La cité propose aussi une vie culturelle remarquable avec la danse, le théâtre, le cinéma, la musique. En me promenant du côté de la Côte des Basques, je suis tombée sur une phrase de Marguerite Duras, peinte sur un muret : "S'il n'y avait ni l'amour, ni la mer, personne n'écrirait des livres". Je ne sais pas où cet artiste des rues a trouvé cette citation, mais je l'ai beaucoup appréciée. Dès ma première matinée, j'ai poussé la porte d'une librairie culte, le Bookstore, (dommage pour l'anglicisme), qui possède un fonds particulièrement riche en littérature de qualité. Ce temple des "bons" livres se reconnait facilement par sa devanture en bois vert foncé et ses vitrines toujours attirantes. Le décor intérieur en bois vieilli et en velours donne une ambiance "cosy" très anglaise. Ce confort douillet prédispose le visiteur à farfouiller dans les étagères et à s'installer dans le divan en cuir du premier étage. J'aime moi-même fouiller ses rayonnages où je débusque toujours des ouvrages originaux. J'ai trouvé un opuscule de Paul Valery, "L'homme et la coquille", édité chez Marguerite Waknine. Puis, je suis repartie avec "La gloire des petites choses" de Denis Grozdanovitch et "Le parti pris des choses" de Francis Ponge. Cette librairie possède un charme certain et j'aurais aimé y travailler quand je vivais au Pays basque. Un deuxième édifice marquant joue un rôle majeur dans la vie culturelle biarrote : la nouvelle Médiathèque municipale. En forme de navire, la bibliothèque s'est posée sur une colline dans un quartier à trois cents mètres du centre. Comme dans toutes les médiathèques, chaque lecteur et chaque lectrice peuvent emprunter des livres, des CD, des DVD, suivre des cours de langues (le basque est très utilisé), voir une exposition. Ce très beau bâtiment propose aussi des conférences et des rencontres avec des écrivains. J'ai assisté le samedi soir à une conférence de philosophie de Frédéric Schiffter sur "les aventures de l'âme". Librairie, médiathèque, salle de spectacles dans la Gare de Midi, Musée de l'histoire, Cité de l'océan, salles de cinéma, les Biarrots ont une qualité de vie culturelle appréciable. J'ai même vu un film au Royal sur le MLAC, "Annie colère"... J'ai retrouvé dans ce séjour une alliance nature et culture qui me réjouit. Il ne manque qu'une institution : un musée d'art moderne. Il faut aller à Bilbao à deux heures de voiture pour vivre le choc culturel du monde de l'art moderne et contemporain. Pour compenser ce manque, j'ai revisité le Musée de la Mer que je n'avais pas vu depuis vingt ans ! Cette visite m'a montré la splendeur de la nature et des océans. J'ai vu des tableaux multicolores magnifiques avec des poissons exotiques flamboyants dont j'ai oublié les noms ! Je me souviens des minuscules hippocampes, les bécasses de mer, des terribles murènes, des requins menaçants, des phoques et des méduses, un festival de couleurs vives et de formes étranges. Un esprit d'enfance retrouvé devant ce monde marin fascinant. Ce Musée raconte la vie maritime dans le Golfe de Gascogne, la pêche à la baleine des valeureux Basques et montre aussi des squelettes de cétacés. Une visite incontournable à Biarritz. 

vendredi 9 décembre 2022

Biarritz, escapade hivernale, 1

 Souvent, les villes balnéaires comme Biarritz étouffent l'été à cause des touristes. Pourtant, la cité basque n'est qu'une petite ville moyenne de 25 000 habitants en hors-saison. L'été arrive et nous voilà à 120 000 touristes de plus ! Imaginez la Grande Plage inondée de serviettes multicolores qui se touchent formant un immense tapis sans que l'on devine le sable blond. J'évite dorénavant cette si belle cité de mai à octobre car elle devient difficilement vivable pendant six mois. Quand l'hiver arrive, je pars à Biarritz pour fêter mes retrouvailles avec l'océan. Petite fille, j'ai vécu dans une petite ville nommée Le Boucau, signifiant "embouchure" de l'Adour. Les paysages marins se sont gravés dans mon "inconscient" enfantin et dans ma mémoire vive. Ma passion de la mer est née dans ces instants de mon enfance. J'aime me ressourcer dans le pays de mes parents et de ma fratrie tel un pèlerinage où mes souvenirs intimes se revitalisent. Cette année, j'ai inauguré une nouvelle formule en louant un studio au neuvième étage d'un ensemble bien connu à Biarritz. J'étais presque dans une position de gardien de phare car je dominais le panorama si connu de l'Hôtel du Palais au Rocher de la Vierge avec ses superbes rochers roux qui ponctuent le paysage, un paysage en forme de coquille. Je me suis donc transformée en vigie et j'ai observé, dès le matin, les surfeurs. Ces valeureux nageurs se glissaient dans les vagues et se positionnaient dans une attente extatique pour se redresser au plus vite afin de chevaucher pendant quelques secondes un rouleau de deux à trois mètres de haut. Des promeneurs solitaires arpentaient le bord de mer avec leur chien. Les services municipaux s'activaient pour nettoyer les déchets (du bois surtout et du plastique) qui envahissent les plages lors des marées hautes. Observer l'océan du matin au soir donne une dimension différente dans la journée : tout change d'heure en heure comme un livre d'images en couleurs que l'on tourne avec sa main. Du gris et du bleu, du blanc et du rouge. Le ciel épousait l'océan avec des nuages dont les formes bougeaient sans cesse. Les vagues s'enflaient ou s'affaissaient, les mouettes passaient et filaient à vive allure. Un goéland est venu se poser sur le balcon pour me souhaiter la bienvenue, appâté tout de même par des miettes de pain. Je me tenais sur le balcon et je me réjouissais d'embrasser ce paysage qui n'avait pas changé depuis l'origine du monde. Je marchais des heures dans la ville océane de la Grande Plage à la Côte des basques, de la Place Eugénie à la place Clemenceau. Je déambulais dans le centre ville et je remarquais la présence des vagues au bout des rues. Je pensais à l'ouvrage de Cynthia Fleury, "Ce qui ne peut être volé", paru dans la collection "Tracts" de Gallimard. Cinq conditions sont nécessaires pour une "vie bonne" dont en priorité, le silence, l'horizon, la santé, l'harmonie architecturale. Biarritz l'hiver correspond à une ville "bonne" : un calme providentiel, un horizon sur l'infini, l'iode pour la santé, la beauté du lieu. Un sondage plaçait la ville dans une position enviable sur les villes préférés des Français où il fait bon vivre ! Je l'ai vérifié en novembre où la pluie est restée très discrète (elle avait prévu de s'arrêter pendant mon séjour). (La suite, demain)  

jeudi 8 décembre 2022

Atelier Littérature, 3

 Après les commentaires sur l'influence d'Internet dans la littérature, nous avons consacré la dernière demi-heure aux coups de cœur. Geneviève a démarré avec l'un des plus grands succès de la rentrée littéraire, "Le mage de Kremlin" de Giuliano da Empoli, publié chez Gallimard. Prix de l'Académie française, ce premier roman détone par sa qualité d'écriture et surtout par son sujet éminemment politique d'une actualité brûlante. Un metteur en scène, Vadim Baranov, devient l'éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Le narrateur reçoit les confidences de cet homme énigmatique qui lui relate les coulisses effrayantes du pouvoir poutinien : "Ce sont des bêtes féroces. Ils viennent du néant, ils se sont faits un chemin à coups de massue, sans règles, sans limites". Courtisans et oligarques se livrent un combat incessant et Vadim, le stratège de Poutine, organise son plan communication comme un théâtre politique où le Tsar règne sur ce monde avec un cynisme sans pareil. Un roman instructif sur ce personnage historique paranoïaque et sociopathe. Et pourtant, il mène son propre pays dans un abîme sans fond. Il faut absolument lire ce livre pour comprendre la mentalité "KGB" du pouvoir russe. Odile a présenté le récit de Sonia Devillers,  "Les exportés", paru en août. La famille maternelle de l'autrice a quitté la Roumanie communiste en 1961. Ils ont été "exportés" tels des marchandises vendues à l'étranger. Comment des êtres humains ont-ils pu faire l'objet d'un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l'invraisemblable. Sonia Devillers mène l'enquête et découvre les agissements sordides du pouvoir communiste échangeant des citoyens d'origine juive contre des animaux d'élevage pour nourrir la population. Ce récit autobiographique dépasse la fiction. Odile nous a donné l'opportunité de découvrir un aspect méconnu et scandaleux de la Roumanie communiste. Odile, la plus récente des lectrices, a beaucoup aimé un ouvrage du psychiatre, Emmanuel Venet, "Marcher droit, tourner en rond". Le narrateur, atteint du syndrome d'Asperger, aime la vérité, le scrabble, la logique et Sophie, une camarade de lycée, jamais revue depuis 30 ans. L'auteur entre dans le monde intérieur de l'autisme mais sans pathologisation. Parsemé de touches d'humour, ce texte original et bien écrit a vraiment "emballé" Odile. A nous de le découvrir. Régine a lu avec beaucoup d'intérêt le roman de Laura Imai Messina, "Ce que nous confions au vent", publié chez Albin Michel. Sur les pentes du mont Kujira-yama, se dresse une cabine téléphonique qui ne fonctionne plus. Pourtant des milliers de personnes décrochent le combiné pour confier des messages à leurs proches disparus. Yui a perdu sa mère et sa fille lors du tsunami de 2011 et elle se rend au sommet de la colline. Elle rencontre Takeshi, qui élève seul sa petite fille. L'écrivaine italienne a écrit un ode à la délicatesse des sentiments et à la résilience autour de la perte. Un beau roman plein de finesse et de poésie. Voilà pour livres préférés de novembre. L'hiver s'est bien installé et la lecture de très bons romans réchauffent le cœur... 

mercredi 7 décembre 2022

Atelier Littérature, 2

 Odile, la plus récente lectrice du groupe, a présenté le roman de Delphine de Vigan, "Les enfants sont rois", publié en Folio. La mère de famille, Mélanie, n'avait qu'une obsession dans sa jeunesse : devenir célèbre ! Quelques années plus tard, mariée et mère de deux enfants, elle décide de mettre en scène leur quotidien sur Youtube. Les vidéos diffusées sont suivies par des centaines de "followers", comme on dit maintenant. Mais, un jour, sa fille disparaît. L'écrivaine dénonce dans son roman percutant et perturbant les dérives des réseaux sociaux, la marchandisation des enfants, l'exhibitionnisme médiatique. Au fond, cette mère, inconsciente des dangers qu'elle fait courir à ses propres enfants, fait preuve d'immaturité et de stupidité. Ce roman évoque le voyeurisme via Internet et le danger de montrer sa vie privée à la portée de tous. Cette transparence morbide et malsaine peut provoquer des conséquences irréversibles sur les enfants. Le côté sombre et menaçant a été bien décrit par l'écrivaine. Régine a choisi le roman le plus "sympathique" de la liste avec Jonathan Coe, "La vie privée de Mr Sim", publié en Folio. Maxwell Sim, âgé de 48 ans, est un "loser", un perdant catastrophique. Sa mère ne l'a pas désiré, sa femme le quitte et sa fille se moque de lui. Trop, c'est trop. Il va traverser l'Angleterre dans le cadre de son travail et dans sa Toyota, il écoute la voix de son GPS. Mais cette voix féminine a un charme particulier et il en tombe amoureux tellement il se sent seul. Un jour, il part en Australie et en apercevant une femme chinoise avec sa fille,  leur entente le fascine. Il veut les retrouver. Ce projet se réalisera-t-il ? Régine nous a conseillé très fortement la lecture de ce roman en qualifiant ce livre de "jubilatoire". L'humour britannique de Jonathan Coe enchante toujours ses lecteurs et ses lectrices. Odile a bien aimé "Le voyageur d'Etampes" d'Abel Quentin. Le personnage central s'appelle Jean Roscoff. Universitaire, retraité, alcoolique et divorcé, il est revenu de toutes ses illusions. Il veut se lancer dans l'écriture d'une biographie, "Le voyant d'Etampes" concernant un poète américain mort accidentellement en 1960. Ce livre n'est pas remarqué par la critique mais Jean Roscoff ne mentionne pas que son poète était noir... Ce détail va lui attirer une chasse aux sorcières qu'il n'avait pas prévue. Abel Quentin dénonce avec un humour féroce la "cancel culture", l'esprit "woke", l'hystérie des réseaux sociaux. Un excellent roman à découvrir. Véronique m'a envoyé un message pour signaler sa lecture de Camille Laurens, "Celle que vous croyez". Une femme quadragénaire, Claire, se fait passer pour une jeunette de vingt ans sur un site de rencontre. Son ancien petit ami l'a quittée et elle veut le suivre sur Internet en contactant son meilleur ami, Jo. Une relation amoureuse virtuelle s'installe entre eux. Mais, ce mensonge l'embarque dans une série de malentendus et de quiproquos. Ce roman quelque peu machiavélique montre les égarements de ces pratiques virtuelles. Jeux de dupes, jeux de miroirs, relations hommes-femmes complexes, ce livre ironique correspond bien au sujet de l'atelier : l'influence électrique des réseaux sociaux dans la vie amoureuse de la jeunesse d'aujourd'hui...

mardi 6 décembre 2022

Atelier Littérature, 1

 Malgré quelques amies lectrices absentes, l'Atelier Littérature du mois de novembre s'est déroulé dans une bonne ambiance conviviale et chaleureuse en ce début d'hiver. Nous avons vécu avec plaisir ce moment de partage autour des livres qui atténue provisoirement le caractère solitaire de la lecture. J'ai proposé pour l'Atelier du 15 décembre le thème des Choses. L'exposition du Louvre sur les Natures Mortes m'a inspirée car les choses sont peintes dans leur unicité et nous parlent. Les Vanités, par exemple, nous rappellent notre finitude inéluctable. J'ai pensé aussi au roman de Georges Perec, "Les choses", où l'écrivain décrit la société de consommation des années 70. Nous avons ensuite commenté les prix littéraires de la saison automnale en s'étonnant que "Le mage de Kremin" n'ait pas obtenu le Goncourt. Ce premier roman remarquable a tout de même reçu celui de l'Académie française. Le sujet de novembre concernait l'influence des nouvelles technologies, d'Internet dans la littérature. Odile a présenté un roman de l'écrivain américain, Dave Eggers, "Le Cercle", disponible en Folio. Cette dystopie raconte l'histoire d'une jeune femme, Maé, embauchée par un géant d'Internet, qui propose un système universel prônant la civilité et la transparence. Maé se fait engloutir dans cette firme : plus de vie privée et des heures de travail de plus en plus prenantes. Le "Cercle" dénonce les travers d'un internet intrusif, totalitaire et redoutable pour la liberté individuelle. Odile avait choisi un roman difficile et quelque peu technocratique sur les dérives d'Internet. Elle a eu le mérite de nous donner envie de le découvrir malgré le pessimisme de l'écrivain américain. Geneviève a lu l'essai de Bruno Patino, "La civilisation du poisson rouge" et ce document sur les conséquences d'Internet l'a littéralement terrifiée ! Anxiété, troubles mentaux, perte de l'attention, nous devenons des poissons rouges qui tournons en rond avec huit secondes d'attention. Au-delà de cette période, nous subissons la captation de l'esprit et la société peut nous transformer en marionnettes manipulables. Ce constat lucide et nécessaire a effrayé Geneviève pourtant téméraire la plupart du temps ! Cette nouvelle servitude volontaire avec Internet pose le problème de cette civilisation "numérique". Colette a choisi un roman policier, "S'adapter ou mourir" d'Antoine Renand. Ambre a 17 ans et fuit sa famille avec son petit ami pour retrouver un homme, rencontré sur Internet. Mais, cet ambulancier soit disant banal n'est pas l'homme qu'il prétend. Le deuxième personnage a 40 ans et travaille sur un site comme modérateur. Il doit supprimer les vidéos sexuelles, violentes, choquantes, interdites par la loi. Ces deux protagonistes, pris au piège des réseaux sociaux, finiront par se rencontrer. Colette a signalé à plusieurs reprises la difficulté de lire ce type de thriller qui évoque la violence insoutenable d'une société marginale en perdition. Après les commentaires de Colette, personne n'avait vraiment envie de découvrir ce milieu sans âme et sans morale, un monde parallèle irréel. (La suite, demain)