mercredi 6 septembre 2023

"Leçon d'anatomie", Philip Roth

Un critique littéraire définissait la saga Zuckerman de "Recherche du temps perdu canularesque, écartelée entre la tradition yankee et la tradition juive". Le troisième volet de la série romanesque s'appelle "La leçon d'anatomie", publié en 1985, après "L'écrivain des ombres" et "Zuckerman délivré". Le double de Philip Roth, Nathan, auteur d'un livre fameux, "Carnovsky", a reçu autant de louanges que de messages haineux. Il a perdu son père, se sent même libéré par cette perte car il désapprouvait les romans de son fils écrivain. Dans ce récit, on le voit cloué sur le tapis de son bureau par une douleur du dos qui l'empêche de mener une vie normale. Il consulte beaucoup de médecins qui ne trouvent aucun remède à ce mal mystérieux, une douleur insupportable sur la nuque et sur l'épaule. Il décrit ses consultations avec un humour féroce. Ses liaisons éphémères se succèdent sans enthousiasme de sa part : Diana, Gloria, Jaga, Jenny qu'ils alternent selon ses états d'âme. Cette situation quasi donjuanesque ne le rend pas du tout heureux. Ecriture en panne, amours en panne, vie en panne, Nathan Zuckerman écrit : "Il n'avait jamais eu autant de femmes à la fois, ni tant de médecins, ni d'ailleurs autant de vodka, abattu si peu de travail, ou connu un désespoir de proportions aussi cruelles". En plus, il a des problèmes avec un critique connu, Milton Appel, qui n'apprécie pas son meilleur roman. Celui-ci lui demande d'écrire une tribune à propos d'Israël. A cette époque, en 1973, la guerre du Kipour a eu lieu et l'écrivain ne désire pas se mêler de ce conflit : "Je ne suis pas un expert à propos d'Israël. Ma spécialité, c'est Newark. Et encore, pas même Newark. Le quartier de Weequaehic".  Un de ses amantes lui conseille de se consacrer à un autre livre qui ne soit pas "sur les Juifs". Une autre catastrophe surgit dans sa vie car sa mère meurt en quelques semaines d'une tumeur foudroyante. Comme il manque d'imagination, il décide, dans un délire maladif, de se reconvertir en médecin obstétricien et de commencer des études dans un hôpital où il retrouve un ancien camarade, chirurgien de métier. Celui-ci aura un rôle majeur dans sa décision d'abandonner son projet irréaliste. Le ton constamment ironique de Philip Roth se manifeste dans ce personnage convulsif et pathologiquement malheureux. Ce portrait loufoque et ubuesque d'un écrivain raté constitue une prouesse littéraire unique dans la littérature américaine. Nathan Zuckerman, le double fictif et négatif de Philip Roth révèle la question essentielle de l'identité : qui sommes-nous au fond ? La littérature tente souvent d'apporter une réponse à ce doute existentiel.