dimanche 3 novembre 2019

"La panthère des neiges"

Le dernier récit de Sylvain Tesson, paru chez Gallimard, n'est pas seulement un livre animalier sur la mythique panthère des neiges que l'on rencontre aux confins du Tibet.  L'écrivain voyageur, géographe et poète, délivre un message à ses lecteurs(trices) fidèles : essayez donc l'affût, l'affût de la beauté du monde. La panthère symbolise cette vision d'une beauté qu'il faut absolument protéger, conserver, préserver, sauver. Notre arpenteur des espaces part en plein hiver sur des sommets enneigés à cinq mille mètres d'altitude avec le photographe Vincent Munier, sur les traces de la panthère. Déjà, le texte prend une certaine hauteur, une dimension indéniable, un air rare, une appréhension palpable. Sylvain Tesson réalise qu'il vit une expérience unique avec son équipe. Lui, l'agité, le fou de vitesse, l'illuminé des toits (il fera une chute qui le blessera gravement), se rend compte que la frénésie, dans laquelle il traversait l'existence, semble dépassée par l'aventure du moment. Pour photographier un animal si furtif, il faut apprendre des vertus qui paraissent démodées, décalées, obsolètes : la lenteur, la patience, le silence, l'attente, l'affût. Ces vertus si exceptionnelles dans nos modes de vie transforment chaque individu quand il les pratique. Il confesse son état d'âme : "L'affût vous mène à une forme de modestie : vous pensiez que la nature vous était donnée et elle recèle de chatoiements dont vous n'aviez pas idée. La patience est la vertu de l'affût. On s'installe dans la géographie au lieu de la parcourir. J'ai été amené à repenser mon usage du monde". Dans ce texte inspiré, Sylvain évoque les paysages du Tibet, le froid pénétrant, les yacks, les loups, les chèvres sauvages, les rapaces, les relations dans le groupe, les contacts avec les habitants. Le moment le plus magique se déroule dans le dernier tiers du récit quand le narrateur aperçoit sa panthère des neiges : "Ce fut une apparition religieuse. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt en moi un caractère sacré". L'écrivain évoque comme à son habitude des poètes, des écrivains et des philosophes qui viennent illustrer ses pensées personnelles. Dans ce cadre naturel originel, Sylvain Tesson n'oublie jamais de parsemer des mots d'humour, d'ironie pour mettre à distance ses chagrins nostalgiques. Il reverra sa panthère une deuxième fois avec la même émotion émerveillée. Un très beau récit à la tonalité nouvelle, teinté de maturité, de gravité joyeuse, un appel pour vivre une vie plus intense dans une sérénité retrouvée. L'agitation du voyageur compulsif se termine et commence pour Sylvain Tesson l'ère d'une certaine contemplation du monde…