jeudi 16 février 2023

"Claudine à l'école", Colette

 Depuis le début de l'année, je me suis fortement attachée à notre Colette nationale, génie littéraire de la première moitié du XXe siècle. Plus je lis ces textes, plus je savoure son style et son univers. J'écoute des podcasts sur elle en marchant, je m'informe sur sa biographie grâce à des revues et à des critiques. Mon début d'année s'est "colettisé" et quand je saisis un roman du jour, je suis étonnée par la fadeur de l'écriture contemporaine. Je reviens vite boire dans ma source littéraire de prédilection et je me délecte, à travers ses mots, des émotions et des émois que cette parisienne bourguignonne insuffle dans ses œuvres. Cette gourmande de la vie s'est mise à écrire à vingt ans, une vocation audacieuse bien prématurée sous l'égide de son premier mari, Willy, l'éditeur, le signataire usurpateur des Claudine. J'ai donc ouvert la saga en démarrant par "Claudine à l'école", publié en 1900. Le personnage principal, Claudine, 15 ans, vit à Montigny dans un petit village. Son père, homme distrait et distant, préfère l'élevage des limaces à l'éducation de sa fille. L'école devient vite le cadre des aventures décrites dans ce livre pas du tout sage, et même sulfureux pour l'époque. La jeune fille, espiègle et rebelle, raconte sous la forme d'un journal intime, ses amitiés avec ses camarades filles. Des personnages campés avec une ironie drolatique hantent le décor comme le docteur Dutertre, l'homme politique du coin avec ses mains baladeuses, Antonin, le professeur de musique qui fait la cour à Claudine. L'intrigue romanesque repose aussi sur la relation amoureuse des deux institutrices, Aimée Lanthenay et Mademoiselle Sergent. Il fallait une audace folle à Colette pour raconter cette histoire scandaleuse en 1900. Les grandes de l'école vont passer le brevet élémentaire et des passages sur les dictées et les mathématiques révèlent une Colette d'une drôlerie irrésistible. Elle pose aussi un regard critique acéré sur les liens amoureux et sur la société. La scène finale sur la venue du ministre provoque un sourire permanent.  Le roman largement autobiographique possède un parfum d'une France littéraire peut-être disparue aujourd'hui. Ce texte sur l'adolescence, sur les premiers émois de jeunes filles, sur la recherche de l'amour et de l'amitié déborde de truculence et de malice. Ce premier roman autofictionnel annonce l'immense écrivain qu'elle va devenir. Et Claudine alors ? Effrontée, espiègle, intelligente, séduisante, cette jeune fille de la campagne bourguignonne déclare avec défi : "Je sais très bien, depuis longtemps, que j'ai un cœur déraisonnable, mais de le savoir, cela ne m'arrête pas du tout". Claudine, la meilleure élève de son cours en composition française, en musique, en couture, en calligraphie et pourtant dotée d'un esprit de liberté assez rare à cette époque. J'ai relu ce récit des décennies plus tard et il a conservé toute sa verve, toute sa fraîcheur. J'ai connu moi-même la corvée du charbon pour le poêle à bois dans l'école et nous passions le coup de balai dans la classe à tour de rôle dans les années 50 ! Retrouver cette atmosphère "folklorique" d'une école républicaine dans une France rurale profondément ancrée dans ses traditions relève d'un miracle proustien. Relire Colette et ses Claudine, c'est revivre la quintessence de notre enfance. La littérature, selon Marcel Proust, l'autre géant du XXe siècle et frère jumeau de Colette pourrait se rebaptiser avec ce titre  : "A la recherche du Temps retrouvé". Sacrée Colette !