mardi 21 mars 2023

"La nuit des pères", Gabrielle Josse

 Gaëlle Josse vient de publier "La nuit des pères" aux Editions Noir sur Blanc. Ces précédents romans dont "Les heures silencieuses", "Le dernier gardien d'Ellis Island", "Une femme en contre-jour" ont rencontré un grand succès d'estime même si cette écrivaine d'une discrétion exemplaire n'apparait jamais dans les médias. La narratrice, Isabelle, revient dans sa Savoie natale pour retrouver son père, un père avec lequel elle n'entretient plus de relation depuis quelques années. Son frère Olivier, resté sur place, l'appelle au téléphone pour lui dévoiler qu'il souffre de la maladie d'Alzheimer dans tous ces débuts. Avant que l'oubli ne submerge ce père souffrant, Isabelle veut comprendre cet homme si peu aimant. Il était guide de montagne dans le village alpin. Mais, cet homme aussi terrorisait les siens et se refusait à toute tendresse. Le passé revient en boucle dans ce roman intimiste. Isabelle se souvient d'anecdotes déchirantes sur son comportement brutal et cynique. Sa mère colmatait les incidents familiaux avec une patience d'ange. La narratrice évoque une enfance triste et sombre quand la petite fille entendait les cris de son père dans la nuit. Qui était donc cet homme tyrannique et silencieux ? Dans ce huis clos, deux autres hommes apportent une note bien plus heureuse dans la vie d'Isabelle : le frère Olivier, kinésithérapeute, un soignant généreux, prenant toute la charge de son père et son ex-compagnon, vidéaste comme elle, disparu dans un accident de plongée sous-marine alors qu'il filmait un reportage sur les fonds marins. Pendant le séjour de sa fille, le père se met à parler avant de sombrer dans un silence irrémédiable. Il est devenu un homme souffrant, hurlant la nuit dans des cauchemars récurrents car il avait vécu une expérience horrible pendant la Guerre d'Algérie. A cette époque, on ne parlait pas de post-traumatisme. Ce poison de la guerre l'a empêché de vivre sa vie de mari et de père. Isabelle comprend alors l'attitude de ce père tant détesté et ce secret enfin révélé l'apaise. Gaëlle Josse évoque dans un article du Monde une part autobiographique dans ce roman poignant : "Le silence honteux qui entoure les guerres coloniales a laissé de traces. J'appartiens à une génération où la règle était le silence sur les histoires familiales. On se retrouve héritier d'une histoire qu'on ne connaît pas". Ce beau roman d'une sensibilité maîtrisée présente une histoire familiale bien plus complexe qu'en apparence avec un père solide mais vulnérable et une fille aimante mais impatiente. Gaëlle Josse écrit : "Nous le savons que, chaque matin, il faut se rassembler, se lever, se mettre en marche, quoi qu'il en coûte. Que la douleur est un archipel dont on n'a jamais fini d'explorer les passes et les courants. Qu'il est inépuisable. Lente, féroce et patiente comme un fauve".