jeudi 18 février 2021

"Alegria"

Manuel Vilas revient sur le devant de la scène littéraire avec son "Alégria". Son premier récit, "Ordesa", publié en 2018 m'avait déjà beaucoup intéressée et l'écrivain espagnol, aragonais d'origine, avait conquis un public inhabituel. Le mot "alégria" résume à merveille ce récit autobiographique : la joie, une attitude qu'il revendique tout au fil des phrases, scandées par cet impératif débordant d'optimisme. Mais ce volontarisme ressemble plus à un mantra qu'à une réalité vécue. L'écrivain reprend les sujets de son premier opus : ses parents disparus, ses liens familiaux, ses fils oublieux, ses voyages, sa vie, en somme. Une vie dans le présent et surtout dans le passé, un passé qu'il vénère, dont il veut témoigner. Il s'adresse à son père, à sa mère comme des témoins imaginaires et les souvenirs surgissent pour raconter cette Espagne unique, un pays de pauvreté mais aussi de dignité. Le narrateur mène une vie nomade entre Iowa City où sa compagne, professeur d'université, travaille. Il baptise ses parents de Bach et Wagner, Mozart pour sa compagne, et il surnomme sa "déprime", Arnold Schoenberg. Cet Arnold le taraude souvent jusqu'à lui donner des idées suicidaires. Cette manie d'emprunter des surnoms se poursuivra avec des noms d'acteurs. Beaucoup d'anecdotes sur ses parents révèlent une piété filiale assez exceptionnelle et souvent très émouvante : "Le plus grand voyage est celui qui permet d'atteindre le royaume de ceux que nous avons aimés et qui sont partis en nous laissant à jamais angoissés". Quelques écrivains l'ont inspiré dans sa quête du passé comme Marcel Proust, son maître des songes et des réminiscences. Ce récit ressemble à cette "recherche du temps perdu" qu'il retrouve grâce à l'écriture et à la littérature. Le narrateur rappelle souvent qu'il faut aimer, se réjouir d'être vivant, d'être fidèle à la mémoire familiale. Il rend hommage à Federico Garcia Lorca, le plus grand des poètes selon lui. Il consacre aussi de belles pages à ses voyages fréquents : Zurich, Venise, New York, Chicago, Madrid, Barcelone, etc. Ce journal intime, né sur les routes de la tournée de promotion d'Ordesa, son premier récit, se compose de bribes mémorielles, de fragments poétiques, de réflexions morales. Ses deux fils prennent une place essentielle dans le fil du récit comme un fil généalogique permanent. Il raconte ses attentes interminables pour les voir, ses rencontres rares et denses avec eux comme cette nuit de Noël à Saragosse dans un hôtel. Il ne cache pas non plus ses épreuves comme la dépression, l'alcoolisme, l'infidélité, son divorce, la précarité matérielle.  Manuel Vilas a déclaré dans la presse qu'il avait clos la séquence familiale dans ce deuxième volume. Je m'étais presque habituée à retrouver ses parents aragonais si simples, si espagnols, ses deux fils qui ressemblent à beaucoup de garçons d'aujourd'hui, un peu proches, un peu lointains, et son portrait d'une Espagne complexe et complexée. Un livre attachant, original, atypique, un ode à ce beau mot hispanique, l'alegria...