vendredi 7 octobre 2022

"Qui sait", Pauline Delabroy-Allard

Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, "ça raconte Sarah", avait marqué les critiques pour sa qualité d'écriture et par un sujet assez audacieux sur l'amour entre deux femmes en 2019. Dans ce deuxième livre, "Qui sait", publié chez Gallimard dans cette rentrée littéraire, la jeune trentenaire, Pauline, (tiens donc) raconte avec son style très nerveux la recherche de la vérité sur les prénoms que sa mère lui a donnés : Jeanne, Jérôme, Ysé. Avant d'être enceinte, elle ne s'était jamais posée la question sur l'origine de ses prénoms car il règne au sein de sa famille le mutisme le plus total. Comme elle doit établir une carte d'identité, ses trois prénoms l'interrogent : "Les trois fantômes me sautent à la gorge, sur le parvis de la mairie (...) Pourquoi eux ? Je vais devoir prospecter, explorer, fouiller". Elle perd malheureusement son bébé avant sa naissance et ce drame la bascule dans une zone blanche où elle perd pied. Trois chapitres sur les trois prénoms relatent cette quête d'identité. Jeanne était son arrière-grand-mère, une aïeule déclarée folle. La narratrice l'imagine comme une des premières femmes préhistoriques, une artiste qui aurait laissé des traces de sa main dans une  grotte de Pech Merle dans le Lot : "La communion de nos mains de femmes génère une force tellurique plus forte que toutes les autres forces, et, là, sous terre, ensemble, nous ouvrons une trouée. La paroi se lézarde, la vie aussi". Pourquoi ce prénom de Jérôme ? Cet homme était un ami homosexuel de sa mère, mort du sida dans les années 80. Une histoire d'amour est née entre sa mère et lui. La narratrice part pour la Tunisie où ce couple atypique a séjourné. Puis, ce troisième prénom mystérieux, Ysé, vient d'un personnage de Paul Claudel dans sa pièce de théâtre, "Le partage de midi". Cette enquête introspective sur le passé de sa famille l'aide à surmonter ce chagrin après avoir perdu cet enfant. Elle démêle donc cette pelote familiale en découvrant qu'elle porte le passé de sa mère. Une fois l'enquête terminée, la narratrice éprouve un apaisement certain comme si elle avait entrepris une plongée libératrice dans ce passé troué de secrets. Pauline Delabroy-Allard rend aussi un hommage à l'écriture littéraire en citant plusieurs fois Marguerite Duras. Ecrire, c'est respirer, semble dire l'autrice : "J'écris pour donner une contenance à l'existence. (...) Mes mains creusent comme elles creusent sans fin le sable sur les plages, sans l'idée même d'une fin, dans ce geste répété à l'infini". Un beau roman lyrique, inspiré et d'une écriture  vibrante.