jeudi 11 février 2021

"L'homme qui tremble"

 Tous les lecteurs et lectrices qui ont aimé les romans autofictionnels de Lionel Duroy, "Le chagrin", "Vertiges", "Nous étions nés pour être heureux" peuvent se précipiter en librairie pour acquérir son dernier opus, "L'homme qui tremble", publié chez Mialet-Barrault. La lecture d'un roman de Nathalie Léger, "Supplément à la vie de Barbara Loden", a déclenché son projet littéraire : écrire sa vérité sans porter de masque dans une autobiographie analytique. Cette citation de Barbara Loden le frappe particulièrement : "J'ai traversé la vie comme une autiste, persuadée que je ne valais rien, incapable de savoir qui j'étais, allant de-ci, de-là, sans dignité". Plus loin, l'écrivain se pose l'éternelle question de sa propre identité mouvante, changeante et flottante : "Qui je suis, moi, Lionel Duroy ?". Il s'attache à nous décrire ses sept décennies de vie, de son enfance à aujourd'hui. Il se nomme Lionel Duroy de Suduiraut, né en 1949 à Bizerte (Tunisie). Quatrième enfant d'une fratrie de onze, il a souvent raconté les traumatismes irréparables de son enfance entre une mère fragile, rêvant d'appartement luxueux et un père irresponsable, incapable de nourrir sa famille. Les huissiers harcelaient cette famille aux abois et le narrateur rappelle ces faits sans colère, ni amertume. Il ressent déjà l'expérience de la dépression à l'âge de onze ans, du "tremblement intérieur" quand sa famille chaotique traverse des épreuves pénibles provoquées par le manque d'argent. Il dit ses effrois, ses douleurs, devant une mère malade et un père dépassé. A plusieurs reprises, il s'interroge sur le mystère du couple parental entre amour et haine. Son père au surnom ridicule, "Toto", était sous l'emprise de sa femme. A l'âge adulte, Lionel Duroy se lance dans l'écriture : "Sans l'écriture, je ne me sens aucune légitimité à exister, sans l'écriture, j'ai conscience de n'être rien". Un éditeur lui fait confiance et deviendra un de ses repères, le soutenant dans sa carrière d'auteur. Il analyse ses ruptures avec ses compagnes, sa façon d'aimer et de fuir, donnant l'impression "d'être là sans être là". Il évoque aussi son métier de biographe en écrivant les mémoires de nombreuses célébrités comme Ingrid Betancourt, Gérard Depardieu, etc. Sa franchise sur ses multiples identités, fils, père, mari, amant, écrivain, journaliste, relève d'une analyse lucide et impitoyable sur sa fragilité intrinsèque, sur ses manques, sur ses erreurs répétées. A 70 ans, il parvient à un équilibre serein en vivant dans le Ventoux et en prenant un peu de distance avec son passé. L'écriture de ce récit ressemble à un bilan de vie, une thérapie consolatrice, un témoignage attachant sur une famille atypique et pathologique. Lionel Duroy, en homme tremblant devant les épreuves de l'existence, exploite, creuse, défriche et déchiffre la mine profonde de ses souvenirs intimes, d'une intimité rare en se maintenant sur une ligne de crête délicate. Ce projet autobiographique ne nous présente pas un homme exceptionnel, mais au contraire, un homme ordinaire, obsessionnel avec toutes ses failles, ses faiblesses et ses doutes. Seule, la littérature peut réparer, peut-être sauver ce petit garçon maltraité qui n'a pas eu la chance d'avoir des parents sécurisants. Aurait-il composé ses romans sans cette enfance traumatique ? Mystère de la création littéraire...