lundi 3 juin 2019

Michel Houellebecq

La semaine dernière, j'ai assisté à une conférence donnée par un professeur émérite de l'Université de Savoie, Michael Kohlhauer. Je connaissais la réputation excellente de ce spécialiste de la littérature comparée, du XIXe siècle au XXe. Il a introduit sa conférence avec une présentation de l'écrivain dans la sphère des "réacs", honnis de la gauche bien pensante et fière de ses valeurs humanistes et progressistes. Evidemment, le public (une petite trentaine de seniors, pas un seul jeune...) s'était déplacé pour comprendre cet écrivain "sulfureux", dérangeant mais pourtant adulé par ailleurs par des millions de lecteurs à travers le monde entier. J'ai savouré la conférence car je considère Michel Houellebecq comme l'un des meilleurs écrivains français du siècle. Son esprit antimoderne malheureux, sa méfiance délectable du monde, son humour ironique, sa critique sociale constituent son identité littéraire, un "mécontemporain" selon une expression de Finkielkraut. Car, il ne faut pas nier la détestation qu'Houellebecq provoque. Certains le qualifient de raciste, d'islamophobe, de misogyne et j'en passe. Tous les traits négatifs de ce "réactionnaire" infréquentable alimentent les scandales récurrents que l'on peut lire dans la presse. Le conférencier a abordé cette identité médiatique mouvementée et a replacé ses œuvres dans le domaine strictement littéraire. Sinon, on ne lirait plus George Sand (anti-Communarde), Céline (antisémite), Camus (qui préfère sa mère à l'Algérie indépendante) et bien d'autres écrivains politiquement incorrects. Pour apprécier les romans de Houellebecq, il faut donc se débarrasser d'un certain moralisme prudent, renoncer à vivre dans un monde de bisounours bienveillants et naïfs. Les scènes de misère sexuelle peuvent lasser le lecteur, il suffit de les zapper… La prose houellebecquienne frappe fort, bouscule le politiquement correct. Pourtant, il suffit de s'appuyer sur la tradition littéraire qu'il revendique : le naturalisme social, la critique sociétale, le constat des faits, la réalité crue, le réel non maquillé. En fait, notre écrivain visionnaire peut revendiquer l'héritage de Balzac, de Zola, de Maupassant. Dans chaque roman, il développe une problématique sensible comme dans son "Extension du domaine de la lutte" où il dénonce les méfaits catastrophiques d'un libéralisme effréné. "Soumission" abordait la très délicate question de l'islamisation de la société française où la religion prend la place de la démocratie laïque. Quel écrivain français provoque des discussions passionnées ? Aucun… Monsieur Houellebecq est unique dans le panorama de la littérature. Certains détracteurs attaquent aussi son style soi-disant pauvre, banal, sans charme. Michael Kolhauer a prouvé le contraire en lisant des passages significatifs de son style hybride, original, élaboré. Le conférencier a bien rappelé que cet écrivain passait son temps à tout simplement lire, lire et lire encore. Quand je suis sortie de la conférence, j'avais envie de découvrir "La possibilité d'une île" et de relire "Extension du domaine de la lutte"... Michael Kohlhauer a réussi son pari : le public présent est peut-être reparti avec un peu moins de préjugés négatifs sur Michel Houellebecq.