vendredi 27 mai 2022

Atelier Littérature, 1

 Ce jeudi 19 mai, malgré quelques absentes, nous étions réunies dans la salle Liberté de la Maison de Quartier du Centre Ville autour des livres et de la littérature. Cette rencontre mensuelle de mai, l'avant-dernière de la saison 2021-2022, avait pour objectif d'évoquer quelques coups de cœur après les commentaires sur la liste donnée en avril sur le thème de la rupture dans les romans. Odile a présenté "Alexis ou le traité du vain combat" de Marguerite Yourcenar. Cette lecture l'a touchée à cause de la souffrance d'Alexis. Celui-ci, musicien, s'est marié un peu par devoir avec Monique. Il lui écrit une longue missive pour lui annoncer sa rupture. Il ne veut plus vivre dans le mensonge et choisit sa liberté pour devenir ce qu'il est, un homme qui préfère les hommes. A cette époque, l'homosexualité dans les années 30, était très mal acceptée par la société et cet acte d'émancipation le condamne aussi à la solitude. Odile a noté le style magnifique de Marguerite Yourcenar et ce roman assez court n'a pas pris de ride. Danièle a beaucoup aimé "L'agent secret" de Philippe Sollers. Un régal de lecture : "Dans la maison, tous les matins, je laisse Richter jouer Haydn, on pourrait l'écouter sans cesse, ré mineur, concert public de Mantoue, notes vives et détachées. J'aime le futur immédiat, je ne crains pas la répétition, jeu enfantin, cercle qui ne va nulle part, on écrit toujours pour une voix disait Beckett, pas de voix, pas de notes, ni de mots. Le bonheur est possible. Je répète. Le bonheur est possible". Danièle a aimé le côté solaire de Sollers, ses confidences intimes, ses amours et ses voyages, ses goûts culturels. Un homme du XVIIIe, égaré dans notre siècle mais toujours convaincu que la vie rime avec la joie. J'ai intégré, dans ma bibliographie, cet écrivain français souvent critiqué, parfois détesté mais aussi admiré car il me semblait correspondre avec le thème de la rupture : rupture avec le conformisme ambiant, rupture avec la société bien pensante. Une ode de la liberté individuelle absolue et une position unique dans le panorama littéraire contemporain, une sorte "d'agent secret" de la vie.  Annette et Odile ont lu "L'Etrangère" de Sandor Marai. Ce roman d'une finesse psychologique troublante raconte la déchéance d'un homme qui vit une rupture incompréhensible avec son épouse, sa famille et même sa maîtresse. Il va même aller jusqu'au bout de son rejet radical de son existence en tuant une femme qu'il rencontre par hasard dans l'hôtel, une "étrangère". Une forme de suicide d'un antihéros qui n'attire pas l'empathie des lecteurs et des lectrices. Annette a bien apprécié ce roman "Mitteleuropa" alors qu'Odile a préféré d'autres œuvres très attachantes de cet écrivain passionnant, un Stefan Zweig de Hongrie. 

jeudi 26 mai 2022

La Bretagne, "Composition française"

 Quand je pars dans un pays ou dans une région, je glisse dans mon sac un livre correspondant à l'ambiance de mon escapade. Pour la Bretagne, j'ai choisi "Composition française" de Mona Ozouf. Le sous-titre s'intitule "Retour sur une enfance bretonne". Paru en 2009 chez Gallimard, cet essai sur les identités bretonne et française pose le problème délicat de la cohabitation symbolique entre la religion et la république, les coutumes et la modernité, l'imaginaire celtique et la laïcité française. L'historienne se saisit de son histoire familiale pour décrire cette double culture. Sa grand-mère l'a élevée dans la langue bretonne : "L'identité bretonne, incarnée pour moi à la maison, par la personne de ma grand-mère et quotidiennement vécue à ses côtés, était aussi lue, apprise, voulue". Son père, Yann Sohier, qu'elle perd trop tôt à l'âge de quatre ans est un intellectuel militant de la cause bretonne. Mona Ozouf raconte ses lectures en breton dans la bibliothèque familiale. Elle décrit son parcours scolaire exemplaire de l'école communale de Plouha au collège de Saint-Brieuc jusqu'à l'hypokhâgne de Rennes. Sa professeur de français en troisième s'appelle Madame Guilloux, l'épouse de l'écrivain Louis Guilloux. Sa grand-mère symbolise ses racines bretonnes et sa mère, institutrice de métier, l'intègre dans la culture française. A 21 ans, elle adhère au Parti communiste comme beaucoup d'intellectuels de son époque. Mona Ozouf évoque les trois identités sur lesquelles elle a construit sa personnalité, sa vocation d'historienne : la maison, l'école et l'église. Comment cohabiter en soi avec ses trois mondes qui ne s'accordent pas toujours ? La maison parlait breton, l'école parlait français, et l'église contredisait les deux précédentes. Lire cet essai pendant mon séjour en Bretagne m'a bien fait comprendre le pays que je traversais. Tous les panneaux de signalisation comportaient la traduction en breton des villages et des villes. Les bateaux arborent le drapeau breton. Je vis cette double identité au Pays basque où langue et coutumes imprègnent le paysage de mon pays natal. Je ne me sentais pas du tout en terre étrangère mais dans un bout de France à l'identité bien ancrée dans un territoire. Conserver une langue natale d'origine celtique ou la langue basque à l'origine inconnue me semble une richesse culturelle évidente. Mona Ozouf a bénéficié de cette chance auprès de sa grand-mère, un trésor linguistique à perpétuer comme notre si belle langue, le français pour tous et pour toutes. J'ai surtout apprécié la partie de son enfance et de sa formation intellectuelle. Les commentaires sur la Révolution française sont plus difficiles à suivre. Il faut découvrir cette autobiographie dense et superbe d'une très grande historienne dont l'humilité et l'humanité ne laissent aucun doute.  

mercredi 25 mai 2022

La Bretagne, le musée du Livre et des Lettres-Henri Pollès

 Le troisième étage des Champs-Libres m'a réservé une très bonne surprise qui ne pouvait que ravir la passionnée de livres que je suis. Ce Musée du Livre et des Lettres concerne l'écrivain-bibliophile, Henri Pollès (1909-1986), né à Tréguier. Dès l'âge de dix ans, le jeune Henri commence à écrire des poèmes. Il poursuit des études à Paris et obtient sa licence de philosophie. Son premier roman, "Sophie de Tréguier" est unanimement salué par la critique en 1933. Il s'engage dans le débat politique et le journalisme, rencontre Jean Guéhenno et André Malraux. En 1945, il devient courtier en librairie, son second métier pour gagner sa vie. Ses romans ne suffisent pas pour le nourrir et il rate à plusieurs reprises le prix Goncourt. En 1956, il raconte avec humour ses déconvenues littéraires dans "Journal d'un raté". Seul, le roman, "Sur le fleuve tranquille vient parfois un beau navire" sera primé par l'Académie française.  Mais, peut-être le plus original de son œuvre littéraire réside dans sa passion de la collection. Il possédait plus de 30 000 livres qu'il stockait dans sa maison de la région parisienne. Ce noble négoce a pris des proportions invraisemblables dans sa résidence où tous les pièces de la maison étaient littéralement envahies par le papier. Le musée d'Henri Pollès reconstitue ces bibliothèques transformées en sculptures vivantes. Il adorait "palper, caresser les livres, ces véhicules de lumière, de conscience, d'enchantement" qu'il achète "jusqu'à son dernier billet". Le libraire-collectionneur ne peut vivre qu'entouré de livres, de milliers de livres reliés car avait une folie particulière pour la reliure. En 2006, la ville de Rennes reçoit l'héritage livresque de l'écrivain et s'engage à ouvrir un musée du Livre et des Lettres pour honorer sa mémoire et son amour des livres. La reconstitution de ses bibliothèques n'est qu'un décor avec beaucoup de couvertures, d'emboîtages vides, de reliures et d'objets divers. Ce bric-à-brac m'a fascinée et chaque fois que j'avançais dans ma visite, de la salle de bain à la chambre, du bureau au couloir, j'essayais de lire chaque titre et de reconnaître les écrivains préférés d'Henri Pollès. Cette prolifération insensée des livres, des objets liés à l'écriture, des portraits d'écrivains, des citations, des meubles d'art nouveau constituent une formidable célébration de la littérature. Une œuvre d'art, ce Musée des Livres et des Lettres, un cabinet de curiosités du XXe siècle, unique en son genre. Un régal pour l'esprit et le meilleur souvenir que je retiens de Rennes ! 

mardi 24 mai 2022

La Bretagne, Rennes

 Mon escapade bretonne s'est terminée à Rennes, une ville que j'ai découvert avec plaisir. J'étais encore en bord de mer dans ma tête, de Saint-Malo à Roscoff, et je me retrouvais entre les murs d'une ville sans la mer à l'horizon. Cela manquait de charme et d'attrait. J'ai tout de même remarqué les maisons à colombage dans les rues du centre, le Parc Thabor, les places dont celle où se situent la mairie, le Parlement de Bretagne et l'Opéra. Cette métropole attire beaucoup d'étudiants (plus de 60 000) et cette présence anime et dynamise la ville. Les terrasses des bars et des restaurants débordaient de consommateurs et je ressentais une énergie qui circulait dans les veines de la ville. Sur le plan culturel, j'ai visité le Musée des Beaux Arts, installé dans l'ancienne université qui conservent les œuvres saisies provenant des confiscations révolutionnaires en 1794. J'ai apprécié de revoir un Véronèse et un Bassano. La collection des peintres français présente quelques pépites rares comme des magnifiques natures mortes de Lubin Baugin et de Chardin, une Madeleine émouvante de Philippe de Champaigne et surtout le "Nouveau Né" de Georges de La Tour. Le XIXe est aussi bien représenté avec Corot, Boudin, Jongkind, Caillebotte, les Nabis et le XXe avec Picasso, Soulages, Kupka (très rare) Aurélie Nemours et Geneviève Asse. Un cabinet de curiosités entièrement reconstitué du Marquis de Robien se visite aussi avec intérêt. J'ai découvert le secteur archéologique avec de beaux vases grecs et une collection d'objets égyptiens. Après ma déambulation de deux heures dans ce beau musée de province, j'ai passé ma fin d'après-midi dans le célèbre complexe des Champs-Libres, un lieu de vie culturel incontournable qui regroupe trois institutions remarquables : le musée de Bretagne, l'espace des sciences et la Bibliothèque métropolitaine. Ouvert en 2006, ce nouvel équipement a été conçu par Christian de Portzamparc. Dès que je suis entrée dans le hall, j'ai ressenti l'impression "Beaubourg" à Paris, un espace hybride multiculturel et diversifié. Les informations du site officiel utilisent l'écriture inclusive un peu disgracieuse à mes yeux. Rencontres, expositions temporaires, lecture, musique, planétarium, bar. Un lieu de vie essentiel pour la culture à Rennes. J'ai donc parcouru le musée de Bretagne très pédagogique. J'ai vu une exposition d'une photographe, Madeleine de Sinty, qui a observé avec tendresse une France rurale disparue dans un village où la communauté était soudée par ses rituels et ses fêtes. J'ai arpenté la Bibliothèque sur trois étages, lumineuse et chaleureuse avec sa vue sur la ville, ses secteurs multimédia dont celui des enfants particulièrement ludique. Les Rennais et Rennaises me semblent bien favorisés avec ces Champs-Libres. Et au dernier étage, le musée du livre d'Henri Pollès... J'en parlerai demain. .

lundi 23 mai 2022

La Bretagne, du Cairn de Barnenez à Roscoff

Le Cairn de Barnenez, situé sur la commune de Plouezoc'h dans le Finistère, est un monument mégalithique du Néolithique, long de 75 mètres, constitué de pierres sèches formant onze dolmens à couloir. André Malraux le qualifiait de Parthénon des Bretons ! Ces tombes datent de 4 500 ans à 3 500 ans avant Jésus-Christ et cette datation correspond à la sédentarisation de l'homme éleveur-agriculteur. Ce site découvert en 1850 n'a été vraiment entretenu qu'en 1968 et porte le label de monument national. Les onze chambres funéraires à couloirs ne se visitent pas mais il suffit de voir cet édifice pour éprouver ce sentiment d'admiration quand une telle trace préhistorique, la première trace de notre humanité qui enterrait ses morts, se présente sous nos yeux ébahis. Ce colosse minéral a demandé des centaines de milliers d'heures de travail pour ces hommes et ces femmes (pourquoi pas ?) qui ont participé à charrier ces millions de pierres plates les associant évidemment sans l'aide de mortier. Un musée attenant explique l'importance historique du Cairn avec un talent pédagogique certain. Cette visite au sein d'une colline "enchantée" restera aussi une de mes meilleures découvertes de la semaine. J'ai terminé ma journée à Roscoff, un ancien havre de corsaires et de contrebandiers, d'où partirent les Johnnies vendre leurs oignons rosés. La cité a conservé jalousement son patrimoine architectural des XVIe et XVIIe siècles. Son port en eau profonde assure la liaison en ferry avec les îles Britanniques. En me baladant dans le centre ville ancien, j'ai remarqué la présence de la Faculté des sciences et ingénierie de Sorbonne Université car la station balnéaire possède une diversité biologique propre à des écosystèmes d'algues. La ville a aussi inventé la notion de thalassothérapie en 1899. Face à Roscoff, l'île de Batz se profile nettement mais je n'ai pas eu le temps de la visiter. J'avais loué une chambre en bord de mer pour profiter de ma dernière journée avant de partir à Rennes pour terminer ma semaine bretonne. J'ai savouré dans la soirée un coucher de soleil fabuleux en me baladant sur l'estran et au matin, j'ai ramassé quelques coquillages pour rapporter ces merveilleux objets marins à Chambéry. Dans ma pause marine à Roscoff, j'ai pratiqué le mode de vie de l'écureuil : mes provisions ressemblaient à des paysages de l'estran, d'un soleil rougeoyant, de rochers, de bateaux de pêche, de sable et d'algues avec, en toile de fond, un calme appréciable. Une belle brassée d'images, d'odeurs, de sensations à la mode bretonne. Un grand bol d'air dans une ambiance sereine et tranquille... Roscoff, une étape incontournable. J'avais envie de rester quelques jours dans ce coin de France protégé et sauvegardé. Certaines populations résistent à la bétonisation, fait remarquable et rassurant. Pourvu que cela dure...  

vendredi 20 mai 2022

La Bretagne, de l'archipel des Sept îles au Cairn de Barnenez

 En face de Perros-Guirec, l'archipel des 7 îles se visite en bateau pendant deux bonnes heures : île Rouzic, île Malban, île Bono, île aux Moines, île Plate, les Costans, les Cerfs. Site naturel protégé depuis 1912, il a été classé Réserve Naturelle en 1976. J'ai découvert sur le tard mon amitié pour les oiseaux marins. Les mouettes me plaisent beaucoup et heureusement je les vois au lac du Bourget régulièrement. Elles ont un effet d'allégement en moi quand j'observe leur vol planant. Quand le bateau s'est approché de la première île, j'étais ébahie d'assister à un spectacle inouï : des milliers de fous de Bassan, des centaines de macareux-moines, des cormorans huppés, des goélands marins dans un chahut de cris perçants ! Une guide ornithologue racontait l'épopée de cette faune qui cohabitait sans se faire la guerre. La jeune femme très passionnée par son sujet dénombrait plus de 25 000 couples de fous de Bassan sur cet îlot taché de blanc et d'ocre. Autour de moi, un fou de Bassan transportait dans son bec une algue pour rendre son nid plus confortable. Cette valse de volatiles dans l'air procurait à tous les passagers dont pas mal d'enfants une euphorie naturelle venue de notre enfance profonde. Quand la guide nous a montré des phoques sur un rocher, je n'arrivais pas à les distinguer du rocher sur lequel ils paressaient. Un de ces animaux marins a plongé et je les ai enfin reconnus. Je me croyais au fin fond de la Patagonie... Je n'ai pas du tout l'habitude de visiter de tels lieux, étant plus habituée aux musées qu'aux espaces naturels. Mais en Bretagne, une dénommée Mère Nature,  se surpasse dans l'archipel des 7 îles ! Une balade dans ce parc ornithologique, un des plus grands d'Europe, demeurera un de mes meilleurs souvenirs du séjour. En revenant vers le débarcadère, j'ai longé avec le bateau la célébrissime Côte de Granit rose avec ses rochers monumentaux qui s'entassent les uns sur les autres comme un jeu de cubes. En observant ces pierres, j'ai remarqué des silhouettes amusantes comme une tortue, un visage renfrogné, une casquette, un requin, etc. La lumière du matin éclairait d'une lueur douce ces fabuleux rochers caméléons. J'ai quitté avec une nostalgie certaine ce décor naturel somptueux pour découvrir dans l'après-midi le Cairn de Barnenez sur ma route pour Roscoff. 

jeudi 19 mai 2022

La Bretagne, de l'île de Bréhat à Perros-Guirec

 Après l'Abbaye de Beauport, j'ai pris la direction de la pointe de l'Arcouest pour visiter l'île de Bréhat. Tout est bien organisé pour prendre le bateau-navette (parking pour les voitures) et j'ai opté pour un tour de l'île et une pause dans le petit port. La traversée ne dure que dix minutes mais contourner l'île permet une vision quasi paradisiaque de cet îlot préservé où Colette et Max Jacob passaient leurs vacances ! Un pont, édifié par Vauban en 1694, relie le Nord et le Sud et Bréhat se visite en vélo et à pied. Le phare du Paon au Nord de l'île se voyait bien du bateau. Longue de 3,5 kilomètres et large de 1,5 kilomètres, la flore (hortensias, camélias, aloès, mimosas, agapanthes) bénéficie d'un climat favorable favorisé par le Gulf Stream. Comme j'avais un programme trop gourmand, je n'ai pas loué un vélo pour découvrir l'île mais le tour en bateau m'a bien montrée son charme suranné, le calme palpable sans les voitures, l'authenticité de l'esprit breton même si quelques boutiques assez discrètes pour touristes, proches du débarcadère, semblent inévitables. Il vaut mieux fuir Bréhat l'été car elle est victime de son succès. J'ai poursuivi mon périple en m'arrêtant à Tréguier, une "cité de caractère" selon les guides où est né Ernest Renan (1823-1892), philosophe, écrivain, philologue et historien. Je voulais visiter sa maison natale mais en arrivant devant la porte, je suis tombée sur un panneau me signifiant sa fermeture pour travaux ! Sa maison en pans de bois du XVIe se distingue des autres par sa dénomination "maison des illustres". Cette petite ville à ruelles pentues, à manoirs de granit, possède une belle cathédrale avec un cloître et a été marquée par une empreinte religieuse très forte. Arrivée à Perros-Guirec, ma chambre d'hôtel donnait sur le port de plaisance. La vocation touristique de la station balnéaire remonte à 1890 et s'étale sur quinze kilomètres. De belles propriétés du début du XXe se situent sur les collines environnantes dominant la mer. Je me suis baladée sur la plage de Trestraou où j'ai remarqué l'absence totale de baigneurs... Il vaut mieux ramasser des coquillages que de mettre un doigt de pied dans l'eau. Le soir, j'ai admiré un coucher de soleil qui illuminait le port de plaisance. 

mercredi 18 mai 2022

La Bretagne, l'Abbaye de Beauport à Paimpol

 Du côté de Paimpol en Côtes-d'Armor, existe un lieu merveilleux, un vestige romantique complètement envoûtant : l'abbaye de Beauport. Dès le matin, j'ai pénétré dans un monde enchanté. Cette abbaye sur la commune de Kérity, a été fondée au début du XIIIe par le comte Alain d'Avaugour. Les chanoines prémontrés venus de l'abbaye de la Lucerne en Normandie avaient la responsabilité d'une quinzaine de paroisses de l'île-de-Bréhat à Saint-Brieuc. Ils possédaient aussi une seigneurie maritime avec des droits sur la mer. Du XIIIe au XVe siècle, ses chanoines dépendaient directement du pape et s'occupaient de justice sur leurs vassaux. Ils ont aussi construit des digues, des talus, des aménagements hydrauliques et ont exploité le sel. Sur le plan économique, ils ont participé au développement économique de la région accordant des prêts. Au cours des siècles suivants, l'abbaye continuera de rayonner sur les plans intellectuel et spirituel. Quand la Révolution éclate, l'abbaye est vendue et demeure en mains privées jusqu'à 1995. Heureusement, le Conservatoire du littoral met en œuvre des mesures de protection. J'ai remarqué au premier regard le caractère éminemment nostalgique de ces ruines poétiques, traces magnifiques d'une architecture gothique normande, importée en Bretagne. Construite sur un site de 70 hectares descendant vers la mer,  l'abbaye avait été signalée par Prosper Mérimée en 1836 qui voulait sauver l'édifice médiéval. J'ai visité le réfectoire, la salle capitulaire, l'église avec ses pans existants d'une beauté étrange. Une atmosphère de Grand Meaulnes, un lieu d'esprit, un esprit du lieu. J'ai entrepris une belle balade dans les environs proches : roselière, lagune, monticules de grès rose, marais et estran. A ma grande joie, j'ai vu des aigrettes garzettes et des bernaches. La flore abondante, la présence d'oiseaux divers comme des fauvettes, des chardonnerets, et bien d'autres cohabitent dans une paix royalement religieuse. Cette alliance, espace naturel et espace culturel, m'a plongée dans une contemplation heureuse et teintée d'une sérénité rare. La solitude et le silence amplifiaient la beauté de l'abbaye. Très peu de visiteurs du matin mais chacun d'entre nous admirait l'édifice gothique et éprouvait vraiment un respect quasi religieux qui affleurait les pierres sculptés et la mer proche. Je ne m'attendais pas à rencontrer dans ce coin assez isolé des Côtes d'Armor une telle merveille. Ces moines marins méritaient toute ma reconnaissance car j'ai eu l'impression fugace de sentir leurs fantômes près de moi. Ces moments de balade autour et dans l'abbaye resteront un des plus beaux souvenirs de la Bretagne du Nord. L'abbaye de Beauport, une des abbayes les plus belles de Bretagne et de France ! Incontournable. 

mardi 17 mai 2022

La Bretagne, de Dinard au Cap Fréhel

 Après Saint-Malo, j'ai pris la direction de Dinard, belle cité balnéaire cossue, chic, réputée pour son calme et son élégance que l'on surnomme la Nice du Nord. Mais, je n'avais qu'une hâte : découvrir la côte bretonne loin des villes. J'ai vu défiler devant mes yeux des noms nouveaux : Saint Lunaire, Saint Briac sur Mer, Saint Cast Le Guido, Matignon jusqu'au Cap Fréhel. Baptisé la Côte d'Emeraude, ce coin de Bretagne mérite amplement sa réputation. Le Cap Fréhel est un univers minéral suspendu à 70 mètres au-dessus de la mer, balayé par les vents où se déploie une vue exceptionnelle. J'ai admiré ce paysage dès ma visite au Fort La Latte, dressé sur sa pointe rocheuse. On l'appelle aussi le château de la Roche Guyon, érigé au XIVe. Il a servi de maillon dans la défense de Saint-Malo. J'ai franchi le pont-levis en me croyant au Moyen Age et j'ai visité l'intérieur du donjon où est reconstituée la vie austère et pauvre des seigneurs de l'époque. Cet édifice a été utilisé comme décor dans le film "Vikings" avec Kirk Douglas ! Classé monument historique depuis 1931, il attire pas mal de visiteurs, surtout des familles et des classes, enchantées de se retrouver dans cet atmosphère moyenâgeuse. A la sortie, j'ai entendu deux visiteurs se plaindre du prix pourtant modique de l'entrée (6 euros) comparant cette dépense à l'achat d'une bouteille de whisky... Leurs épouses silencieuses semblaient regretter de ne pas visiter le Fort... Je me pose souvent la question de la motivation des touristes dans des lieux aussi chargés d'histoire. Plus loin, le Cap Fréhel se démarque avec son phare, l'un des plus puissants de France avec sa portée de 53 kilomètres. Cet espace préservé de plus de 400 hectares englobe un vaste plateau de grès rose avec une lande fleurie. Quand je me suis avancée sur le sentier, je suis tombée sur la réserve ornithologique de la Fauconnière où l'on peut suivre du regard des cormorans, des mouettes et d'autres volatiles marins. Quel beau spectacle ! Je retrouvais mon âme d'enfance face à cette nature sauvage originelle. J'ai eu une certaine chance de ne pas trop croiser la "foule" car les guides touristiques évoquent la saturation des sentiers en période de vacances. Lette semaine de mai s'annonçait au mieux avec un soleil permanent et avec des paysages épargnés par le béton et par la présence humaine. Enfin, les oiseaux possédaient leur propre paradis... 

lundi 16 mai 2022

La Bretagne, Saint-Malo

 En mai, fais ce qu'il te plaît... Je suis partie une semaine pour découvrir la Bretagne du Nord. J'avoue que je ne connaissais pas du tout cette région et pourtant, elle bénéficie d'une réputation élogieuse depuis des décennies. J'ai préféré partir à "l'étranger" pendant des années car je rêvais de découvrir les capitales européennes que j'ai adoré : Rome, Londres, Berlin, Prague, Naples, Amsterdam, Madrid, Copenhague, Stockholm et tant d'autres. Tous ces lieux de culture ont nécessité toute mon attention et ont recueilli toute mon admiration. J'ai délaissé notre France, nos régions et nos campagnes à part mon belle Côte basque avec ses vagues montagneuses et ma Savoie d'adoption avec ses montagnes en forme de vagues. J'ai traversé la France en voiture et je connais bien les diagonales de Paris à Biarritz ou de Chambéry à Besançon. J'ai donc décidé de consacrer au minimum deux escapades annuelles pour découvrir quelques coins de France. En février, j'étais à Antibes et à Nice, à Paris en mars pour déguster un grand bol de culture. Et en mai, la Bretagne du Nord de Saint-Malo à Roscoff. Dès que je suis arrivée à Saint-Malo où j'avais réservé une chambre avec vue sur la mer, autrement dit sur la Manche, j'ai tout de suite remarqué la très belle plage du Sillon de quatre kilomètres de long. Les marées de la baie sont les plus importantes en Europe. Le marnage (amplitude entre marée basse et marée haute) peut atteindre quatorze mètres. Je voulais me recueillir sur la tombe de Chateaubriand, (né à Saint-Malo), installée sur le promontoire du Grand Bé mais, hélas, la marée était haute ! Je l'ai quand même bien aperçue des remparts, devant le large, un lieu où souffle l'esprit du grand écrivain. La plaque devant la tombe porte ces inscriptions : "Un roc battu par la tempête, vaut mieux qu'un Panthéon, quand le mort est un poète et que ce poète est breton". J'ai découvert la cité en me baladant le nez en l'air tant l'architecture dénote une grande harmonie de tons de gris foncé au gris clair. Toits d'ardoise, murs en granit, fenêtres anciennes, portes sur les remparts, plages et port, Saint-Malo ne peut qu'enchanter les touristes. Sur la plage du Sillon, des troncs d'arbres servent de brise-lames et se transforment presque en sculptures marines d'une beauté étonnante. J'ai trempé mes pieds dans l'eau quelque peu glaçante et qui ne m'encourageait pas à aller plus loin. Quelle belle cité corsaire ! En remontant la Grande Rue, j'ai visité la Cathédrale Saint-Vincent, mêlant les styles roman et gothique, édifiée dès le XIIe siècle. Dans ce bel édifice, repose Jacques Cartier. Une immense orgue mécanique de Koenig et l'autel de l'artiste Arcabas baignent dans une atmosphère hautement spirituelle. J'ai quitté trop tôt Saint-Malo qui méritait plus de temps pour savourer son air marin et sa quiétude palpable. Peut-être que la présence des plages, de la mer, de la marée, de l'histoire héroïque de la cité, du courage intrinsèque d'une cité corsaire influencent la vision charmante et poétique que j'ai subie en me baladant en toute tranquillité sereine sur le sable blond du Sillon, inondé de soleil en ce jour de mai. Mon périple breton commençait au mieux.  

vendredi 6 mai 2022

"Alexis ou le traité du vain combat"

 26 ans ! Marguerite Yourcenar n'avait que ce âge-là quand elle a publié ce roman, "Alexis ou le traité du vain combat" en 1929. Maturité, profondeur de l'analyse psychologique, réflexions sur la vie, toutes ces qualités se retrouvent dans cette longue lettre d'Alexis à Monique, sa femme. Cette confession émouvante tente d'expliquer la rupture qu'il déclare un peu tardivement à son épouse. Son mariage décevant a été un échec et il s'attribue totalement ce naufrage. Alexis a-t-il commis une faute grave, un acte délictueux ? Cet homme est issu d'une grande famille autrichienne quasiment ruinée. Il a été élevé dans un monde féminin, un monde aimant qui calme ses angoisses : "Il en était de leur présence comme de ces lampes basses, très douces, qui éclairent à peine, mais dont le rayonnement égal empêche qu'il ne fasse pas trop noir et qu'on ne soit vraiment seul". Son sentiment de solitude s'exacerbe dans sa jeunesse et Alexis s'interroge sur le sens de sa vie malgré sa passion de la musique et son catholicisme sincère  : "Sa vie n'est qu'à lui-même, qui ne sera pas deux fois, et qu'il n'est pas toujours sûr de comprendre tout à fait".  Peu à peu, sa confidence s'étoffe au fil des pages et il avoue son mensonge à Monique. Ce mariage devenait un piège et une erreur. Le personnage central analyse sa différence sexuelle sans jamais citer le mot tabou et malgré un "vain combat", il ne peut lutter contre ses instincts. Dans les années 30, le sujet de l'homosexualité n'était pas traité comme aujourd'hui. La culpabilité d'Alexis s'étale dans cette longue lettre car il s'accuse d'avoir trahi son épouse sur ce mensonge entre eux. La société lui a ordonné de se conformer à la norme : "Je n'étais pas heureux". Marguerite Yourcenar avec son style unique d'un classicisme somptueux décrit le carcan social d'une société bien-pensante. Alexis finit par reconnaître sa différence "des sens" pour enfin s'accepter afin d'atteindre sa propre liberté et devenir ce qu'il est comme aurait dit Nietzsche. Sa longue confession se termine ainsi : "La vie m'a fait ce que je suis, prisonnier (si l'on veut) d'instincts que je n'ai pas choisis, mais auxquels je me résigne, et cet acquiescement, je l'espère, à défaut du bonheur, me procurera la sérénité".  Un très beau récit subtil, profond et toujours d'actualité malgré la centaine d'années qui nous sépare de cette confession bouleversante d'humanité. 

jeudi 5 mai 2022

"La femme rompue"

 Depuis quelque temps, je m'adonne à la relecture, un plaisir que je découvre avec une curiosité de plus en plus renouvelée. Comme je collectionne les années (une expérience chanceuse du vieillir), j'accumule aussi les moments de lecture. Etant une dévoreuse de livres depuis mes dix ans, je ne compte plus les heures passées un livre à la main. Dans ma trentaine, j'ai vraiment admiré notre grande Simone de Beauvoir, écrivaine d'un féminisme classique et bien sage quand je pense aux dérives des militantes intersectionnelles d'aujourd'hui. L'été dernier, j'ai relu les deux premiers tomes de ses mémoires, "Mémoires d'une jeune fille rangée" et "La force de l'âge". Je poursuivrai la lecture des deux autres tomes l'été prochain. Me replonger dans une France du XXe siècle avec ses préoccupations politiques et philosophiques de l'époque me ravit toujours car je rajeunis au fil des pages. Ce bain de jouvence bienfaisante me rafraîchit la mémoire et m'indique aussi parfois à regret que le temps passe bien vite.  Récemment, j'ai relu "La femme rompue", publiée en 1967. Ce texte se compose de trois nouvelles, "L'âge de discrétion", "Monologue" et "La femme rompue". Dans la première nouvelle, une femme dans la soixantaine, très sûre d'elle et de ses convictions politiques, commence peu à peu à douter d'elle et de son entourage familial. Elle connaît un succès mitigé pour son dernier livre paru. Son mariage bat de l'aile et elle ne tolère pas le changement de carrière de son fils qui préfère travailler au Ministère de la Culture au lieu d'être enseignant. Cette coupure avec son fils m'a semblé bien datée tellement le clivage politique droite et gauche a bien vieilli de nos jours. Cette mère intransigeante préfère son idéal politique à son propre enfant. Dans la deuxième nouvelle, "Le monologue", l'écrivaine fait parler une femme plus que malheureuse où tout est tragique dans sa vie : suicide de sa fille, perte de la garde de son fils, mère décevante, etc. Elle se révolte contre le sort qui s'acharne contre elle. Un monologue outrancier et dérangeant. J'étais étonnée de ce ton véhément et halluciné. C'était peut-être la période rageuse et militante de Simone de Beauvoir... "La femme rompue" me semble être la meilleure nouvelle du recueil, la plus convaincante d'équilibre. Sous la forme d'un journal intime, Monique, femme au foyer, a tout misé sur son couple et sur sa maternité. Quand ses filles quittent le foyer, son mari s'éloigne aussi d'elle. Double rupture pour cette femme traditionnelle. Elle apprend que son mari la trompe avec une femme plus jeune. Elle accepte cette situation qui va devenir invivable. Il faudra réinventer sa vie et la dernière phrase du texte souligne l'optimisme volontariste de Simone de Beauvoir, une adepte de la liberté à tout prix : "Mais je sais que je bougerai. La porte s'ouvrira lentement et je verrai ce qu'il y a derrière la porte. C'est l'avenir".  Le féminisme de l'écrivaine se manifeste dans ces trois textes : elle remet en question le rôle traditionnel des femmes au foyer, sans aucune autonomie financière, ni liberté individuelle. Le message beauvoirien a bien été transmis au fil des générations et cet héritage via la littérature s'inscrit avec bonheur dans notre culture occidentale. Ces textes ont peut-être vieilli un peu mais se lisent toujours avec beaucoup d'intérêt. Ah, ces belles années 70 !  

mercredi 4 mai 2022

"L'Etrangère"

 Je n'avais jamais lu cet écrivain hongrois, emblématique du XXe siècle européen, Sandor Marai. J'ai donc découvert récemment son roman, "L'étrangère", publié en 1934. Je l'ai conseillé dans ma liste sur les ruptures dans le cadre de l'Atelier Littérature. Le personnage central, Viktor Askenazi, 48 ans, professeur de grec et de latin, quitte sa maîtresse après avoir rompu avec son épouse et son enfant. Il travaille à Paris mais, il part se refugier dans un hôtel de la côte dalmate, l'actuelle Dubrovnik,  pour faire le point sur sa vie. Pendant quatre jours, il va retracer son existence insatisfaisante car dénuée de sens et de fantaisie. Ce professeur traverse une dépression "souterraine" et se définit ainsi : "Vit à Paris. Quarante-huit ans. Catholique romain. Professeur à l'Ecole des langues orientales en littérature grecque et langues d'Asie mineure. Marié. un enfant". Qui est-il vraiment en dehors de cette constatation plate et objective ? Il se le demande lui-même et sa descente en enfer va démarrer dans cet hôtel de vacances. Une vacance en fait dans sa tête. Un vide existentiel qui s'opère en lui de manière inexorable. Seuls, les objets qu'il possède le rassurent, lui apportent un ancrage dans un réel prosaïque. Ses questions sur le mariage, sur l'adultère l'amènent dans une impasse qui relativisent les conventions sociales et le conformisme ambiant (surtout au début du XXe siècle). Il s'éprend d'une "étrangère" dans l'hôtel, discrète et mystérieuse, une relation plus fantasmée que vécue. Ses interrogations sur les femmes de sa vie semblent dominées par l'incompréhension, une incommunicabilité pathologique.  A force de se torturer l'esprit, il va commettre une faute irréparable pour mettre fin à ses propres tourments. Ce personnage peu empathique rappelle les héros négatifs d'Albert Camus dans "L'étranger", une coïncidence pour le titre du roman. Le thème de l'absurde dans la condition humaine semblerait assez juste pour comprendre le roman de Sandor Marai. A quoi bon toute cette agitation autour de la société quand tout semble faux et inauthentique ? Ce professeur avec sa lucidité suicidaire, submergé par l'angoisse, ne peut s'en libérer qu'avec la pulsion de mort. Ce roman sombre et quasi freudien se lit avec intérêt même si ce n'est pas le meilleur de l'écrivain. L'ambiance de cette époque des années 20 dans la Mitteleuropa est omniprésente et l'on songe à Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Ernst Lothar ou Franz Werfel. Des écrivains d'une modernité redoutable. 

mardi 3 mai 2022

"Un coup de hache dans la tête"

 Normalien et psychiatre, Raphaël Gaillard dirige le pôle hospitalo-universitaire de l'hôpital Sainte- Anne à Paris. Dans son ouvrage savant mais très abordable par des lecteurs (et des lectrices) curieux des troubles mentaux, il s'inspire de la citation de Diderot qui a écrit : "Les grands artistes ont un petit coup de hache sur la tête". L'essayiste reprend cette formule pour analyser les liens étroits entre la folie et la créativité. Cette idée a traversé les civilisations depuis les Grecs anciens qui reconnaissaient cette maladie, la bile noire ou la mélancolie, selon Aristote. Les Romantiques allemands privilégiaient les états d'âme, le déséquilibre, les passions amoureuses et même le suicide. Les surréalistes s'intéressaient à l'inconscient, à l'écriture automatique et considéraient la folie comme une manifestation du génie. Ce constat sur le monde de l'art dans ces mouvements se lit avec beaucoup d'intérêt. Ensuite, le psychiatre se lance dans une démonstration médicale et scientifique sur les troubles mentaux d'un point de vue biologique. La lecture devient alors plus ardue, voire austère quand il évoque les études génétiques, menées sur la population islandaise, démontrant une parenté entre la créativité et la présence des troubles mentaux dans une filiation familiale. Ce détour par les neurosciences mériterait une explication plus approfondie. Je me suis inspirée d'un commentaire sérieux sur cet essai passionnant. Quand l'homo sapiens apparaît dans le chainon humain, son cerveau réalise une révolution cognitive tout en se fragilisant, en intégrant la notion de vulnérabilité aux troubles mentaux. Notre condition humaine serait donc imprégnée d'une fragilité psychique. Il présente les grandes maladies psychiatriques comme la psychose, la bipolarité, la schizophrénie en proposant des portraits de patients dont la souffrance est décrite de manière touchante. Raphaël Gaillard explique aussi le processus de créativité artistique quand un patient est atteint de troubles mentaux graves : "L'absence de continuité de soi, l'équilibre psychique instable peuvent être chez le patient bipolaire, un frein ou un moteur à la créativité". Son admiration des artistes s'intensifie dans la conclusion de cet ouvrage remarquable : "Soigner, c'est ouvrir le champ des possibles". Je n'ai certainement pas tout compris dans ce texte dense et savant mais j'ai retenu des concepts détonants sur le psychisme humain. Cet essai rend un hommage fraternel à tous les artistes et surtout aux patients dont la souffrance semble inhumaine. Il évoque aussi le rôle de la littérature comme une ouverture essentielle pour comprendre l'esprit humain, si fragile, si vulnérable. Un document rare et précieux sur la maladie mentale et sur la création artistique. 

lundi 2 mai 2022

"Ellis Island"

 Je reviens de temps en temps à Georges Perec et je me garde "La vie, mode d'emploi" pour cet été. J'ai pris ma Pléiade et j'ai lu récemment "Ellis Island", un récit que j'ai intégré dans ma liste bibliographique sur le thème de la rupture dans le cadre de l'atelier Littérature du jeudi 19 mai. Georges Perec, (1936-1982) se comparait à "un paysan qui cultiverait plusieurs champs" : le sociologique avec "Les Choses", l'autobiographique avec "W ou le souvenir d'enfance", le ludique avec le mouvement littéraire, l'Oulipo. En 1980, il collabore avec Robert Bober dans un film documentaire en deux volets, "Récits d'Ellis Island. Histoires d'errance et d'espoir". Cette île située à deux kilomètres de Manhattan  a accueilli des millions d'immigrants venus principalement d'Europe. Georges Perec écrit : "Ce que moi, Georges Perec, je suis venu questionner ici, c'est l'errance, la dispersion, la diaspora. Ellis Island est pour moi le lieu même de l'exil, c'est-à-dire le lieu de l'absence de lieu, le non-lieu, le nulle part. (...) Ce qui pour moi se trouve ici ce ne sont en rien des repères, des racines ou des traces, mais le contraire : quelque chose d'informe, à la limite du dicible, quelque chose que je peux nommer clôture, ou scission, ou coupure, et qui est pour moi très intimement et très confusément lié au fait d'être juif".  L'île des larmes devint en 1892 le point de passage obligé pour rentrer en Amérique. Ce lieu symbolique et matériel a donc géré les flux migratoires de masse jusqu'à 10 000 personnes par jour. Seize millions d'immigrés sont donc passés par Ellis Island à raison de quelques heures sur ce petit bout de terre. Ils subissaient un rude examen médical et un questionnaire rapide sur leurs motivations. En 1924, les conditions d'admission deviennent plus restrictives et cette île se transforme en 1970 en musée. Le texte de Georges Perec commence par une présentation documentée de l'île et se poursuit par un inventaire quasi mathématique sur les immigrants, leurs origines géographiques, les noms des bateaux sur lesquels ils voyageaient. Ces énonciations matérielles montrent le caractère banal de ce lieu chargé d'histoire et derrière ces faits objectifs, le drame humain se déploie devant ces chiffres psalmodiés sur la page. Puis, la réflexion se déplace sur les motivations subjectives de Georges Perec : pourquoi est-il venu dans cette île avec son ami Robert Bober ? Ces "touristes de la mémoire" cherchent des traces à Ellis Island, des traces de la souffrance et de l'humiliation subies par ces hommes et ces femmes qui ont cru au rêve américain, à une vie meilleure et plus belle que dans leurs contrées de misère. L'écrivain rappelle son propre sort : "Quelque part, je suis étranger à quelque chose de moi-même". Il a perdu la culture des siens, il n'a reçu aucun héritage moral à cause de la Shoah à l'inverse de son ami qui a conservé son identité juive. Ce beau texte se termine par cette phrase qui résonne encore aujourd'hui : "Ces deux mots mous, irréparables, instables et fuyants, qui se renvoient sans cesse leurs lumières tremblotantes, et qui s'appellent l'errance et l'espoir". Il faut lire ce grand texte de Georges Perec et voir le film documentaire de Robert Bober, si possible.