lundi 7 février 2022

"L'après-midi de Monsieur Andesmas"

 Je n'avais jamais lu "L'après-midi de Monsieur Andesmas" de Marguerite Duras, publié chez Gallimard en 1962. J'aime lire l'ensemble d'une œuvre et ce titre m'avait échappé. J'aime me replonger dans la prose durassienne, unique, originale de cette musicienne des mots et cette modéliste du style. Depuis deux ans, j'ai décidé de retourner à mes premières amours : mon quatuor de génie, les deux Marguerite, Duras et Yourcenar, Simone de Beauvoir, mon intellectuelle préférée et Virginia Woolf, ma sublime anglaise. J'ai aussi un programme pour les génies masculins dont le premier de tous, Marcel Proust. Dans ce texte court, Monsieur Andesmas vient d'acquérir une maison en Provence pour sa fille Valérie. Autour de la maison, une forêt, un chemin vers un étang, le village en contrebas et la mer à l'horizon. Il est quatre heures de l'après-midi et Monsieur Andesmas attend un entrepreneur qui se chargera de construire une terrasse. Il espère aussi la visite de sa fille, qu'il aime par dessus tout. Dans cette attente infinie, le vieux homme voit passer un chien, puis une petite fille, celle de l'entrepreneur, Michel Arc, qui l'informe du retard de son père. Un bal a lieu dans le village et sa rumeur musicale parvient aux oreilles de Monsieur Andesmas, La petite fille semble sauvage et bizarre. Plus tard, la femme de l'entrepreneur arrive aussi pour confirmer l'absence de son mari et dans ce face à face particulier, elle se confie sur son doute. Elle imagine que Valérie et son mari dansent ensemble à la fête du village et vont s'aimer. La même angoisse étreint les deux personnages qui vivent le même abandon. A la question de Madame Arc : "Valérie sait-elle ce qu'elle est, ce qu'elle veut, ce qui va devenir par elle ?", Monsieur Andesmas murmure : "Elle le sait, elle le sait". Comme dans beaucoup de romans de Marguerite Duras, l'intrigue romanesque n'a pas une grande importance. L'ambiance de solitude, le style impressionniste, l'attente vaine, la trahison, la perte de l'amour composent un texte fluide sur ce vieil homme désemparé, abandonné et déçu par sa fille qu'il pensait bien connaître : "Je crois que je mourrai avec tout le poids de l'amour de Valérie sur mon cœur. Je crois que ce sera ainsi". Au-delà de cette attente, Monsieur Andesmas appréhende sa propre finitude car il est fatigué et malade. La femme de Monsieur Arc partage le même destin que ce vieil homme, celui sentiment de trahison de la part de son mari. A la fin de la journée, surgit le nouveau couple devant Monsieur Andesmas, une scène d'une insolence inouïe. J'avais choisi ce roman dans le cadre de l'atelier littérature sur le thème du temps, de l'attente. J'ai retrouvé toute la magie durassienne sur le sujet qu'elle traite dans toute son œuvre : l'amour et le désamour...