jeudi 28 octobre 2021

"Satisfaction"

 Nina Bouraoui a choisi la forme d'un journal intime dans son dernier roman, "Satisfaction", publié chez Lattès. Michèle Akli, une femme française, dévoile ses secrets et ses tourments dans une Algérie indépendante. En 1962, cette bretonne a suivi son mari algérien, Ibrahim, directeur d'une usine à papier. Sa vie quotidienne se partage entre une vie quotidienne ennuyeuse et l'éducation de son fils, Erwann. L'épouse modèle se déprend d'Ibrahim pour s'occuper exclusivement de son jeune enfant. Elle sombre dans une certaine mélancolie dépressive car elle se sent loin de chez elle et la greffe avec son nouveau pays ne prend pas. Sentiment de solitude, présence de l'ivresse, déréliction envahissent l'esprit de Michèle, "un colon de la seconde génération". Son ennui de vivre commence à s'atténuer quand elle rencontre Bruce, une amie de son fils. Cette petite fille à l'allure d'un garçon et elle a choisi son prénom à cause de Bruce Lee. Elle inquiète la traditionnelle Michèle, peu encline à la mise en question sexuelle. Bruce, la petite fille délurée, présente sa mère aux parents d'Erwann. Cette femme libre et androgyne fascine l'épouse classique et elle ressent pour elle une émotion inhabituelle, un trouble sexuel qu'elle s'empêche de vivre. Car, l'art de Nina Bouraoui se déniche dans les touches sensuelles de son écriture : la beauté de la mer, la caresse du soleil, les plats qu'elle cuisine avec amour, la nature environnante, son jardin qu'elle soigne avec passion. Michèle révèle aussi dans ses carnets la présence menaçante de police algérienne qui se méfie des couples mixtes. Ces notations sur l'atmosphère étouffante d'Alger sont distillées par touches discrètes tout au long du texte. La narratrice vit donc une crise existentielle : "Je me suis trompée de vie. Je ne veux pas y croire, mais je l'écris, ce qui est écrit est à demi écarté. Il existe une illusion des mots, du langage qui parvient à réparer, ou, quand elle n'y parvient pas, à transformer la réalité, nous consolant de nos défaites". Va-t-elle quitter Ibrahim ? Rompre la monotonie de sa vie grâce à un emploi dans un lycée français ? Il faut lire ce beau récit d'une poésie légère et délicate. L'écrivaine française décrit son pays d'origine qu'elle a quitté à l'âge de 14 ans. Sa prose, influencée par son écrivaine préférée, Marguerite Duras. envoûte son lecteur(trice) sans modération. Un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. 

mercredi 27 octobre 2021

"Où vivaient les gens heureux"

 Joyce Maynard, écrivaine américaine, vient de publier chez Philippe Rey, "Où vivaient les gens heureux". Ce grand roman familial démarre dans les années 70 et raconte l'histoire d'Eleanor, auteur de livres pour enfants, qui tombe amoureuse d'une ferme isolée dans la campagne du New Hampshire. Elle cherche à oublier la mort de ses parents dans un accident de voiture. Pourtant, elle s'est toujours sentie peu aimée par ce couple égoïste comme si cet enfant les encombrait. Quand elle rencontre dans un stand de foire, le beau Cam, sculpteur sur bois, elle s'imagine que cet homme sera un mari idéal pour fonder une grande famille. Cette orpheline veut créer un monde merveilleux au sein de cette ferme. Elle va ainsi mettre au monde trois enfants : la secrète Alison, la gentille Ursula et l'espiègle Toby. Grâce à son talent d'artiste, Eleanor nourrit sa famille car son mari ne se préoccupe jamais d'argent. Ses bols en bois se vendent très mal et il opte pour une insouciance d'une légèreté inquiétante. Cette vie familiale au cœur de la nature se passe dans une euphorie merveilleuse entre jeux et fêtes, repas et balades. Eleanor cultive sa maternité comme une fleur rare et donne à ses enfants tout le bonheur qu'elle n'a pas reçu. Cam, son mari, participe activement à l'éducation de ses petits, mais, un jour, il s'assoupit près de la mare et leur cadet, Toby, reste évanoui dans l'eau et quand il revient à lui, son cerveau s'est détérioré. Il ne sera plus comme avant et cet handicap mental va commencer à fracturer l'harmonie familiale. A partir de cet accident, la tribu se délite au fil des années. Eleanor nourrit à juste titre une rancœur sur son mari négligent. Celui-ci, pour fuir son couple, tombe amoureux de la jeune nounou. Eleanor ne pouvant pas supporter cette trahison, quitte son foyer pour préserver ces liens avec ses enfants. La famille désunie va subir les changements sociétaux comme le divorce, la recherche de partenaires sur internet, le féminisme, la transsexualité, l'individualisme libertaire, le handicap. Eleanor va souvent se retrouver isolée dans sa nouvelle maison et ses enfants choisiront leur père plutôt qu'elle. La question que pose l'écrivaine américaine semble d'une portée universelle : l'amour d'une mère peut-il provoquer autant de malentendus et de maladresses ? Eleanor en mère parfaite apprendra au fil des années que les liens affectifs ne sont pas gravés dans le marbre. Courageuse et résiliente, Eleanor incarne ces mères anonymes, piliers solides de leur famille qui se retrouvent parfois isolées et trahies. Cette saga familiale, venue d'Amérique, propose une fresque sociale haute en couleurs, un portrait d'une famille traditionnelle américaine attachante. Un bon roman étranger dans cette rentrée littéraire.  

lundi 25 octobre 2021

Rubrique cinéma : "Les Illusions perdues"

 Quand une grande œuvre littéraire comme "Les Illusions perdues" d'Honoré de Balzac, est adaptée au cinéma, ma curiosité m'incite à voir le film. J'ai donc vu cet après-midi ce long métrage de Xavier Giannoli. La distribution des rôles est particulièrement réussie : Benjamin Voisin, Salomé Dewaels, Cécile de France, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Jeanne Balibar et Gérard Depardieu. Le monde balzacien de 1814 à 1830, l'époque de la Restauration, ressuscite sous nos yeux dans un Paris flamboyant, bruyant, excentrique, corrompu et partagé politiquement entre royalistes et libéraux. Lucien de Rubempré préfère le nom de sa mère à celui trop prosaïque de son père, un dénommé Chardon. Il écrit des poèmes romantiques et travaille dans l'imprimerie familiale. Une baronne d'Angoulême, Louise de Bargeton, le prend sous son aile et le présente dans les salons de la petite noblesse de province. Malgré la différence d'âge, Lucien tombe amoureux de Louise. Comme leur liaison doit rester secrète, les deux amants quittent leur ville pour Paris. Mais, la classe sociale et la jeunesse inexpérimentée de Lucien vont décourager Louise car il ne possède pas les codes pour s'intégrer dans ce milieu. Il devient alors serveur dans un restaurant et une rencontre avec un client change son destin. Ce Lousteau en question est journaliste et il introduit le jeune provincial dans le monde des gazettes et de la presse libre. Balzac a dénoncé dans son roman les compromissions d'une certaine presse mercantile, publiciste et sans principe qui n'hésite pas à diffuser des fausses nouvelles pour faire du chiffre. Lucien va apprendre à utiliser son talent pour écrire des critiques cyniques  et méchantes sur les écrivains de son temps. L'ère des "fakes news" a donc démarré à cette époque. Des scènes fastueuses montrent la réussite mondaine de Lucien : fêtes, débats, réunions, bals, orgies, une vie parisienne ébouriffante, explosive. Le jeune poète journaliste se laisse abuser par ses confrères et par sa propre ivresse de réussir. Il rencontre une jeune comédienne, Coralie, avec laquelle il va vivre une belle histoire d'amour qui va mal se terminer. Son orgueil et sa volonté de légitimité pour son titre de noblesse le fait basculer dans le camp des royalistes. Une spirale infernale accélère la chute prévisible de ce jeune homme naïf. Mais il conserve, malgré son arrivisme, une passion secrète pour la littérature. Ce film français présente une époque historique qui annonce la délicate mission de l'information, objective souvent détournée par des intérêts financiers. Décors, ambiance, musique classique omniprésente, ce film se laisse regarder avec un grand plaisir. Même si le réalisateur n'a pas respecté à la lettre l'intrigue du roman, il a voulu raconter le désenchantement, la perte des illusions. La dernière séquence montre un Lucien se baignant dans le lac de sa province quand il retourne chez lui. Cet acte de renaissance signifie un nouveau départ. J'ai retenu cette citation de Balzac en exergue de ce film littéraire : "Je pense à ceux qui doivent trouver en eux quelque chose après le désenchantement". Un bon film français de grande qualité. 

jeudi 21 octobre 2021

Marcel Proust, 150 ans déjà...

Marcel Proust est né le 10 Juillet 1871 et si on compte bien, cet écrivain français, mort en 1922, fêterait ses 150 ans cette année. Sur France Culture, l'anniversaire de sa naissance a été marqué par une série d'émissions sur ce démiurge littéraire inimitable. J'ai écouté Matthieu Garrigou-Lagrange, "Pourquoi La Recherche est-il un roman culte" avec ses invités, Charles Dantzig, Thierry Laget et Michel Erman. Je suis une "Proustolâtre" dirait un critique littéraire concernant les amateurs inconditionnels et admiratifs de ce génie français. La photo de Proust est bien lovée dans ma bibliothèque. Dans ma jeunesse étudiante, le premier tome de sa Recherche, "Du côté de chez Swann", figurait au programme de ma troisième année de licence de Lettres. Les Pléiades de Proust en trois volumes reposent dans ma bibliothèque depuis des décennies. Leur présence matérielle m'appelle à les relire et parfois, j'ouvre une page et je parcours ces phrases avec une certaine délectation. Mais, cela ne ma satisfait plus. Ecouter ces émissions sur France Culture a stimulé mon envie de me replonger dans ces pages sublimes de beauté. Un des critiques évoquait la "Recherche du temps perdu" comme une Joconde. Le regard de la Joconde nous suit des yeux quand on la découvre au Louvre. Lire Proust, c'est se retrouver soi-même, comme une lecture de son "soi", un miroir que l'écrivain tend à son lecteur/lectrice. Quand j'ai découvert les premières pages de cette cathédrale de mots, j'ai tout de suite compris qu'il se passait un événement unique que j'ai surtout rencontré chez Virginia Woolf et chez Marguerite Yourcenar. Ce narrateur écrivant décrit un monde disparu entre bourgeoisie et noblesse en utilisant une langue française d'une richesse inouïe, composée de longues phrases, des phrases sensuelles et rêveuses. L'art proustien ressemble à un travail de mineur, un travail d'archéologue, une tâche titanesque à la recherche du passé qui surgit grâce à la mémoire involontaire. Le paradis perdu du passé se réincarne dans un réel réenchanté. Marcel Proust ressuscite son enfance, ses parents, Françoise, sa grand-mère, ses amours et tant d'autres moments de vie dans un ballet de sensations, d'émotions, d'idées et sa vision de la vie : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature". Même si Proust n'est pas aussi lu qu'on le dit, beaucoup de lecteurs et lectrices ont entendu des échos de cette œuvre : la petite madeleine, "Longtemps, je me suis couché de bonne heure", Combray, la jalousie maladive de Swann, le petit pan de mur jaune, la sonate de Vinteuil, Madame de Verdurin, la mondaine snob, Bergotte, Venise, etc. Ce monument littéraire peut intimider et parfois provoquer un certain recul mais, il suffit de s'affranchir de sa réputation mondaine pour pénétrer dans une planète tellement surprenante, celle d'un jeune homme à la recherche de son temps perdu et retrouvé grâce à l'art de la littérature. Après la tempête des prix littéraires, je range ma pile de livres à lire et je dépose sur ma table de chevet le premier volume de ma Pléiade... Je me confinerai dans son monde du début du XXe siècle avec un bonheur renouvelé et peut-être encore plus approfondi que lors de ma première lecture juvénile. 

mardi 19 octobre 2021

Atelier Littérature, 4

 La deuxième partie de l'atelier était consacrée aux coups de cœur. Je voulais rectifier dans ce billet un oubli lors de l'atelier de septembre. En effet, Danièle et Mylène sont tombées sous le charme d'un livre singulier, "Odes", composé par un écrivain belge, David Van Reybrouck, publié chez Actes Sud. Cet ouvrage hybride, aborde de très nombreux thèmes sous la forme élégiaque, formant un vaste poème fervent et enthousiaste. Le narrateur évoque ses goûts et ses passions dans de nombreux domaines : musique, peinture, danse, philosophie, littérature, politique. Le sens de l'ode est défini comme une célébration d'un personnage ou d'un évènement, accompagné de musique. Humaniste engagé, l'auteur avait obtenu le prix Médicis pour son essai, "Congo, une histoire" en 2012. Les deux Odile ont partagé le même coup de cœur pour un roman formidable, "Tout sauf moi" de l'écrivaine italienne, Francesca Melandri. En 2010, à Rome, Ilaria trouve devant sa porte un jeune Ethiopien. Il raconte qu'il recherche son grand-père, Attilio Profeti, qui n'est autre que le père de la jeune femme. Troublée par ce secret de famille, Ilaria mène son enquête et découvre le parcours sombre de ce père sans scrupule. Tout un pan de l'histoire italienne se dévoile dans ce grand texte : la colonisation de l'Ethiopie sous Mussolini et ses conséquences dans l'Italie d'aujourd'hui. Cet éclairage nouveau sur cette période douloureuse s'accompagne d'une critique des années Berlusconi. Cette épopée familiale sur trois générations a vraiment enthousiasmé nos deux amies lectrices sans qu'elles se concertent sur ce choix unique, un cas rarissime dans l'atelier. Colette a présenté un premier roman, "Que sur toi se lamente le tigre" d'Emilienne Malfatto. Dans l'Irak rural, sur les rives du Tigre, une jeune fille commet l'irréparable en tombant enceinte hors mariage. Son compagnon meurt sous les bombes et le destin de la jeune femme est scellé. Plusieurs voix des membres de sa famille s'expriment dans ce beau récit poignant. Le code de l'honneur sous l'autorité masculine ne donne aucune chance à la jeune femme et à son bébé. Ce court roman aux intonations d'une tragédie grecque a obtenu le prix Goncourt du premier roman en 2021. Véronique a bien aimé un récit autobiographique de Nuala Gardner, "Le chien et l'enfant qui ne savait pas aimer", publié dans le Livre de Poche. Son fils Dale est atteint d'autisme sévère. Les institutions refusent de le prendre en charge. La vie de famille change à l'arrivée d'un chien qui va progressivement transformé Dale. Voilà pour les coups de cœur, peu nombreux, faute de temps. Le jeudi 25 novembre, nous nous retrouverons autour du thème du père dans quelques romans significatifs sur cette figure familiale centrale.  

lundi 18 octobre 2021

Atelier Littérature, 3

 Danièle a aussi apprécié "Rêver debout" de l'écrivaine Lydie Salvayre, publié au Seuil. Une femme d'aujourd'hui interroge Cervantès, le créateur de Don Quichotte, dans une suite de quinze lettres. Ironique, cinglante, tendre, elle raconte les mésaventures du Chevalier à la Triste Figure. Elle en profite pour brosser le portrait de l'homme révolté par excellence, ne supportant pas l'injustice. Ce livre-manifeste ressemble à un vibrant hommage à un héros universel. Janelou a bien aimé "La Définition du bonheur" de Catherine Cusset. Deux femmes, deux villes, deux destins, deux façons de vivre, deux définitions du bonheur. Pour Clarisse, le bonheur suppose la prise de risque, la passion amoureuse, l'instabilité, la précarité. Pour Eve, le bonheur ressemble à un long fleuve tranquille entre un mari fidèle, une situation professionnelle réussie et une vie épanouie. Un lien découvert sur le tard les unit : elles ont le même père. Entre Paris et New York, elles se rencontrent, se confient et s'apprécient jusqu'à la mort tragique de Clarisse. Ce roman contemporain aborde le traumatisme du viol, de la violence masculine jusqu'au "féminicide" final, des faits de société que Catherine Cusset exploite à sa façon romanesque. Deux lectrices absentes m'ont donné leur avis sur les deux nouveautés suivantes : "L'éternel fiancé" d'Agnès Desarthe et "Sidérations" de Richard Powers. Geneviève a donc bien apprécié le roman d'Agnès Desarthe pour sa drôlerie nostalgique, son écriture enlevée, ses thèmes sur la famille, le couple, les enfants, le temps qui passe, les regrets, la perte, la vie tout simplement. L'un des meilleurs romans de la rentrée en course pour les prix littéraires. Annette a choisi "Sidérations", le dernier opus de l'écrivain américain, Richard Powers. Un de ses romans, "L'arbre-monde", a été très remarqué en 2018. Dans une Amérique au bord du chaos, un père embarque son jeune fils souffrant de troubles psychiques dans une expérience neuroscientifique. Ce nouveau grand roman questionne notre place dans le monde et notre rapport au vivant. J'ai cité quelques nouveautés dans ces deux billets consacrés à la rentrée de septembre et surprise, les lectrices ont apprécié en majorité ces pépites littéraires. Les prix littéraires vont bientôt tomber à partir du mois de novembre. Peut-être que l'un d'entre eux en obtiendra un... 

vendredi 15 octobre 2021

Atelier Littérature, 2

 Véronique a bien aimé le dernier ouvrage de l'écrivain italien, Paolo Cogneti, "La félicité du loup". Fausto, écrivain, et Silvia, artiste-peintre, se rencontrent dans le restaurant d'altitude de la station de Fontana Fredda dans le Val d'Aoste. Fausto fait office de cuisinier et Silvia de serveuse dans leur nouvelle vie. Mais quand l'hiver se termine, ils se séparent. Lui redescend en ville alors qu'elle décide de grimper sur un glacier. Vont-ils se retrouver ? Ce roman d'amour se situe dans un décor magnifique et cet écrivain, fou amoureux de la montagne, sait communiquer sa propre ferveur. Danièle a choisi le récit autobiographique d'Amélie Nothomb, "Premier sang". L'écrivaine toujours espiègle a endossé l'identité de son père pour relater sa vie quelque peu rocambolesque. Son père a grandi dans une famille folklorique où les enfants ne mangeaient pas toujours à leur faim. Consul en Afrique, Patrick Nothomb a sauvé plus de mille cinq cents otages en palabrant avec des rebelles pour régler cette affaire délicate. L'écrivaine belge rend un hommage vibrant à la grande humanité et la générosité de son père et conserve dans ce récit toute sa verve et son humour habituels. Son trentième roman a déjà conquis à juste raison un vaste public. Janelou a sélectionné "Un tesson d'éternité" de Valérie Tong Cuong, publié chez Lattès. Anna, pharmacienne, mène une existence heureuse et tranquille avec sa famille soudée. Elle s'est battue pour atteindre cet objectif. Mais, un jour, son fils est arrêté par la police dans une manifestation pour violence à l'égard des forces de l'ordre. Le monde harmonieux d'Anna s'écroule alors qu'elle le croyait solide et invulnérable. Ce beau roman évoque un destin contrarié, celui d'Anna, qui se sent culpabilisée par la conduite inexplicable de son fils égaré. Le "tesson d'éternité" symbolise-t-il cette fissure dans le cœur de cette famille ? L'écriture incisive, précise, aux phrases courtes se met au service d'une histoire familiale où tout peut basculer d'un jour à l'autre. Régine a donné un coup de griffe à une nouveauté de la rentrée, soutenue par la presse, "Mon mari" de Maud Ventura. Une épouse se plaint de l'attitude trop sage de son mari qu'elle aime à la passion... Ce roman léger et drôle n'a pas convaincue une lectrice exigeante comme Régine. Elle a préféré de loin le roman de Natasha Trethewey, "Memorial drive", publié chez L'Olivier. Natascha se penche sur le destin de sa mère, assassinée par son ex-mari, un homme blanc, un vétéran du Vietnam. Sa mère est une femme noire, subissant la violence déjà dans son premier mariage. Dans ce récit autobiographique émouvant, l'écrivaine américaine entremêle la trajectoire des femmes de sa famille avec celle d'un pays meurtri par le racisme. (La suite, lundi)

jeudi 14 octobre 2021

Atelier Littérature, 1

 J'ai rebaptisé l'Atelier Lectures en Atelier Littérature car je veux mettre à l'honneur la littérature, la française comme les étrangères, la fiction comme le réel, les classiques comme les contemporains, une planète fabuleuse où les écrivains et les écrivaines enchantent le monde. Ce jeudi 14 octobre, nous étions une bonne dizaine de lectrices à nous retrouver pour évoquer la rentrée littéraire de septembre. J'ai présenté les deux nouvelles participantes, Odile et Colette et nous avons démarré sur les nouveautés. Régine a présenté "L'enfant de salaud" de Sorj Chalandon. Depuis l'enfance, une question taraude le narrateur sur l'attitude de son père pendant l'Occupation. Ce père violent, fantasque et mythomane, a bercé son fils avec ses exploits de Résistant jusqu'au jour où le grand-père lui a avoué que son père portait l'uniforme allemand : "Tu es un enfant de salaud". En mai 1987, le procès du nazi Klaus Barbie a lieu à Lyon et le fils apprend que le dossier de son père sommeille aux archives départementales du Nord. C'était un "collabo". Régine a beaucoup aimé ce roman autobiographique très bien écrit et qui pose un dilemme au narrateur : "De quel droit puis-je juger mon père ?".  Culpabilité du fils, séisme psychologique : comment vivre avec cet image d'un père imposteur ?. Ce roman puissant mérite un grand prix littéraire. Agnès a eu le courage de lire les 512 pages d'Anne Berest, "La carte postale". La narratrice reçoit une carte postale étrange où l'auteur, resté anonyme, a tracé les prénoms des grands-parents de sa mère, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Vingt ans plus tard, elle décide de mener une enquête pour découvrir la vérité sur sa famille. Cette recherche l'a menée cent ans en arrière en Russie, en Lettonie et en Palestine. Les Rabinovitch arrivent à Paris avec la guerre et suit le désastre de leur déportation. Seule, la grand-mère Myriam fut la seule qui échappa au camp de concentration. Ce grand roman familial rend hommage aux victimes de la Shoah, à tous ces disparus qui vivent à nouveau dans les pages de ce livre. Odile a choisi "Bellessima" de Simonetta Greggio, publié chez Stock. L'écrivaine italo-française poursuit son autobiographie après "Dolce vita" et "Les nouveaux monstres". Elle raconte, dans son beau récit, son pays, ses parents, la violence de son père : "Cela s'appelle Italie, ma douleur, mon amour, ma patrie. Un pays comme une famille, plein de secrets, bruyants, destructeurs, meurtriers". Ce récit vif, passionnant a vraiment enthousiasmé Odile. Notre première Odile de l'Atelier a choisi "Le fils de l'homme" de Jean-Baptiste Del Amo, publié chez Gallimard. Après plusieurs années d'absence, un homme resurgit dans la vie de sa compagne et de son fils. Il les entraîne dans une vieille maison dans la montagne où il a grandi. Entourés par une nature sauvage, la mère et le fils subissent l'emprise de cet homme qui bascule dans la folie. Dans ce roman sombre et tragique, l'auteur explore la transmission de la violence de génération en génération. Odile a apprécié ce retour au tragique dans ce conte contemporain singulier où ce huis clos familial crée une tension permanente. Le talent de ce jeune écrivain se confirme avec "Le fils de l'homme". (La suite, demain)

mercredi 13 octobre 2021

"Les Enfants de Cadillac"

 François Noudelmann part en quête de ses origines familiales dans son nouveau livre, "Les Enfants de Cadillac", publié chez Gallimard en septembre. Ce récit autobiographique tente de répondre à cette question existentielle : "D'où venons-nous ? Nos ascendants influencent-ils notre vie ? Nos racines ont-elles joué un rôle dans nos choix ? ". Le narrateur raconte l'histoire de son grand-père, Chaïm, celle de son père, Albert et termine son récit par la sienne. Sa parenté appartient à la catégorie des "nomades, des errants, des migrants, fuyant l'invivable pour atteindre une Terre promise", elle aussi, parfois, invivable. Il se demande : "A quelles expériences familiales doit-on ce que l'on est devenu ? Comment les désirs des parents, leur volonté d'acquérir une identité, une place, une réputation se répercutent-ils sur les êtres qui leur succèdent". Le narrateur raconte Chaïm, son grand-père, colporteur juif, illettré, échappant aux pogroms en Lituanie. Cet homme immigre en France et s'engage comme soldat pendant la Première Guerre mondiale. Il est gravement blessé et gazé. Il ne s'en remettra jamais. Son épouse le place dans un asile psychiatrique et il finira par mourir à Cadillac, dans les années 40, abandonné par les siens et par sa nouvelle patrie ingrate et indifférente face à ces soldats malades. Ce grand-père sacrifié a été enterré dans une fosse commune. Ce destin poignant et tragique restera une énigme pour l'écrivain. Son père, Albert, lui révèlera sa propre guerre pendant six ans entre captivités et fugues. L'épopée de son père, représentant en tissus, taisait son passé qui ressemblait à une aventure picaresque. Ce père, "titi parisien, avec l'accent et la gouaille d'un poulbot de Montmartre", change son patronyme pour sauver sa peau et choisit un prénom et un nom bien français, "Philippe Garnier", pour échapper au camp de concentration. Le sujet de l'assimilation se pose dans ce roman autobiographique qui explore aussi les méandres de l'identité française en trois générations : "Entre Chaïm et Albert, un récit a bégayé, celui de l'assimilation des Juifs, le fils oubliant son père et poursuivant un même désir de fuit ses origines et de s'incorporer à la France, quitte à recevoir son passé en pleine face". Le narrateur,  professeur de philosophie, spécialiste de Sartre, s'est installé aux Etats-Unis, une distance bénéfique pour interroger sa propre identité, la mémoire familiale escamotée et l'interrogation de sa judéité. Il rappelle sans pathos la souffrance de son grand-père, héros de guerre,  mort dans l'indifférence et la non reconnaissance de sa nouvelle patrie. Son père, Albert, français assimilé rejetant ses racines, a peut-être trahi ses origines. Et lui, François Noudelmann, dénonce à la fin de ce roman autobiographique, les soubresauts de l'antisémitisme dans la société française. Ce livre déploie un bel hommage à sa lignée patrilinéaire (dommage pour sa mère et sa grand-mère) et figure dans les listes des prix littéraires. Un des meilleurs romans de la rentrée littéraire. 

lundi 11 octobre 2021

"L'après littérature"

 Je sais que ce philosophe français crispe une grande partie de l'opinion. Cet homme malheureux et inquiet sur l'avenir de notre pays se nomme Alain Finkielkraut, le fâcheux Alain, insulté souvent dans les médias et par tous les intolérants de tous genres. Il anime pourtant une émission, "Répliques" sur France Culture, il appartient à l'Académie française et il écrit depuis des décennies un éloge de la littérature, de l'identité européenne et de l'héritage culturel de tous ceux et de toutes celles qui nous ont précédés. Cet homme désespéré de la perte de certaines valeurs, d'une France littéraire en voie de disparition, peut agacer évidemment les avides de changement compulsif à tout prix. Son cri d'alarme concerne la disparition de la littérature, devenue une pratique minoritaire. Il constate l'émergence d'un ordre moral qui commence à s'imposer, nommé le "wokisme", une expression américaine signifiant l'éveil. Tout doit être revu à l'aune des inégalités, des discriminations, des victimes. Ce chantage victimaire déforme l'idéal républicain et "annexe le passé sous prétexte de le dépoussiérer". Cette tentative de réécrire l'Histoire dans ses noirceurs évidentes laisse le philosophe dans un pessimisme inéluctable. Le mouvement néo féministe est dénoncé pour sa radicalité et son esprit généralisateur. Il critique la marchandisation des corps, les dénonciations outrancières de Metoo. Alain Finkielkraut déteste la guerre des sexes et souhaiterait une harmonie entre les hommes toujours taxés de "prédateurs, de bourreaux" et les femmes, toujours "victimes éternelles". Le réel lui semble plus subtil et plus nuancé. Et pour lui, le patriarcat a disparu en Occident, les femmes ayant conquis des droits légitimes irréversibles. Le philosophe met aussi en avant l'antisémitisme rampant, l'indigénisme et l'intersectionnalité, ce carrefour de toutes les dénonciations des "dominations" : celles de classe, de sexe, de race. Il évoque des romans qui ont traité ce domaine "wokiste" comme le chef d'œuvre de Philip Roth, "La Tâche".  Alain Finkielkraut plaide pour la singularité de chacun, pour l'art et pour la beauté du monde alors qu'il ne voit souvent que laideur dans les paysages saccagés par les éoliennes et par les panneaux publicitaires... Je comprends le chagrin de ce philosophe si cultivé et si perdu dans ce nouveau monde où la littérature n'a plus son aura d'origine et sa force symbolique. Pour lui, la littérature propose une traversée de la vie sous le signe du tragique, de l'incertitude, du doute mais aussi de l'humour, de l'ironie, de la distance, "une maîtresse des nuances". Le philosophe inconsolable, parfois maladroit dans sa défense du monde ancien, mérite l'écoute et le respect et surtout pas l'intolérance et la haine qu'il subit depuis des années. Soucieux d'un héritage des Lumières, amoureux de la culture littéraire classique, courageux dans ses critiques envers un monde vide de sens, Alain Finkielkraut approfondit sa pensée dans cet essai clairvoyant et intelligent. Un des meilleurs essais de la rentrée. 

vendredi 8 octobre 2021

Atelier "Les Idées en partage"

 Je préfère nommer cet atelier tout simplement, "atelier philo". Agnès a redémarré son activité en fin septembre en proposant deux rendez-vous par mois. La saison dernière, j'ai suivi ses cours en distanciel au temps de la crise sanitaire. Ce n'était pas très réjouissant de se parler à travers des écrans mais cette initiative a eu le mérite de conserver le lien entre nous, un lien stable et enrichissant pour tous les amateurs et amatrices de cette discipline passionnante, la philosophie. Cette année, Agnès a proposé que l'on démarre par l'Art, un sujet passionnant. Jeudi dernier, nous nous sommes retrouvés une bonne vingtaine de participant(e)s, portant le masque et respectant la distance d'un mètre entre nous. C'était un plaisir de se rencontrer tous et toutes ensemble autour des idées. Agnès a punaisé des reproductions d'œuvres d'art de Raphaël à Brancusi, de Michel Ange à Marcel Duchamp et elle a démarré son cours en posant des questions à son public curieux et attentif. Chacun peut intervenir pour une explication sur un concept, une idée. Des noms de philosophes traversent notre cerveau stimulé : Kant, Merleau-Ponty, Platon, Hegel, etc. Mes 18 ans s'engouffrent dans ma "vieille" mémoire et me rajeunissent. Cet atelier me rappelle ma préparation au baccalauréat littéraire où la philosophie avait une grande place. J'écoutais pour la première fois un professeur parler d'une matière extraordinaire qui m'aidait à penser, à m'interroger, à me poser des questions. Cet atelier a le mérite de me replonger dans cette belle culture philosophique qui donne parfois des réponses à des questions fondamentales. Comme j'aime particulièrement les origines grecques de la discipline, mon esprit s'évade et j'ai l'impression de partir en vacances quand Agnès évoque un des grands philosophes, venus d'Athènes. Aborder la notion de l'art constitue une remise à plat de ce concept si vaste. Pour compléter les séances de l'atelier, je me nourris de lectures diverses. J'ai emprunté "L'art de Platon à Deleuze" des éditions Eyrolles où j'ai trouvé cette citation de Nietzsche : "L'art et rien que l'art ! C'est lui seul qui rend possible la vie, c'est la grande tentation qui entraîne à vivre, le grand stimulant qui pousse à vivre". Et j'ai aussi acquis un essai de Nicolas Grimaldi, "L'Art ou la Feinte Passion", chez Agora-Pocket. Assister aux séances m'apporte un stimulant intellectuel, très important pour mes neurones. J'éprouve aussi le besoin de me documenter, de compléter par la lecture d'essais, mes références en philosophie. Cette envie d'apprendre, d'approfondir des connaissances constitue un bain de jouvence. Montaigne disait que "la philosophie, c'est d'apprendre à mourir". J'inverse la formule en proclamant que la philosophie, c'est apprendre à mieux vivre.  Nicolas Grimaldi écrit : "L'expérience de l'art est un voyage métaphysique". Je m'en suis rendue compte devant un temple grec, une statue de kouros, une toile de Goya, une peinture de Morandi, une nature morte de Metsu, une silhouette de Giacometti ! Deux jeudis par mois, je serai au rendez-vous et je reviendrai chez moi avec une curiosité toujours plus vive... 

jeudi 7 octobre 2021

"Le premier exil"

 Né à Buenos Aires en 1962, Santiago H. Amigorena vient de publier chez P.O.L., "Le premier exil". Ce récit autofictionnel, pourtant baptisé "roman" sur la page de titre, peut déconcerter ou au contraire susciter une admiration véritable sur le plan littéraire. Cet écrivain singulier construit avec une patience toute proustienne, son grand modèle, une saga autobiographique hors norme, commencé en 1998 avec "Une enfance laconique". Un de ses précédents livres, "Le ghetto intérieur" parlait de la vie de son grand-père. Le jeune Santiago quitte l'Argentine en 1966, après un nouveau coup d'état militaire. Ses parents, qui sont psychanalystes, s'expatrient en Uruguay, un des rares pays à ne pas subir une dictature. La famille restera dans ce havre de paix jusqu'en 1973, date de leur exil à Paris. L'écrivain, devenu français, raconte dans "Le premier exil", ces années uruguayennes en recréant une enfance particulièrement intense où il va découvrir sa vocation très précoce pour le langage et pour l'écriture. Il se prénomme le "tétard-scriptor" et se transforme plus tard en "gros crapaud graphomane". Scénariste de métier, le narrateur livre quelques éléments autobiographiques. Il est père de deux enfants d'une femme (Julie Gayet) qui vit avec un ancien président de la république. Il a partagé aussi sa vie avec Juliette Binoche. Mais le sujet essentiel de ce texte repose sur cette enfance fabuleuse en Uruguay. Ses camarades de classe le surnommaient le muet (el mudo) : "J'ai appris à donner à mon silence la forme qu'il a aujourd'hui, une forme littéraire". Il choisit l'écriture entre ses 6 à 12 ans et rédige ses premiers poèmes qu'il intègre dans son livre. Ce petit garçon, déjà fou de mots, décrit son paradis en mettant au centre de l'imaginaire enfantin, un arbre, un immense "gomero" où il creusait des entailles avec un canif pour recueillir la sève laiteuse. Ce roman complexe et audacieux sur le plan littéraire propose une introspection douloureuse sur le deuil, le déracinement, la folie de l'Histoire, la Shoah tout en relatant les moments lumineux d'une enfance en gestation. Dans une démarche de psychanalyste, il décrypte tous les événements qui refont surface dans sa mémoire : ses amitiés, ses premières amours, ses relations avec ses parents, sa langue maternelle. Ce récit halluciné se compose de ses sensations enfantines, de ses obsessions littéraires et philosophiques avec un fil conducteur sur le rôle de la mémoire, de la perte et de la transmission. Ce livre-enquête sur les traces de sa naissance d'écrivain n'est pas toujours facile à suivre mais il faut nager dans ses pages avec lenteur et attention. Je citerai cette phrase emblématique de sa démarche : "Pour faire revivre un être, souvent, il faut ressusciter un monde - un monde qui dira à quel point, cet être était unique, exceptionnel, et, en même temps, semblable à chaque être qui vivait en ces contrées lointaines ou en cet âge évanoui". Un des meilleurs romans de la rentrée littéraire. 

mardi 5 octobre 2021

B. T. au Panthéon

 Dès que les médias ont annoncé le décès de B. T., un parisien modeste et un marseillais d'adoption, l'émotion a débordé dans les commentaires que j'ai plus ou moins suivis. Cet homme volontaire, audacieux, transfuge de classe a donc attiré l'admiration d'une majorité de mes concitoyens. Je me suis sentie dans une marge ultra minoritaire ne ressentant pas une admiration sans bornes pour cet homme d'affaires dont l'idéal, comme le disait Pierre Rosanvallon dans un entretien sur France Culture, portait sur l'argent, sur la fortune. Les médias célèbrent ce culte de l'aventure individuelle et sur sa passion du football. La "coupe de la ligue des champions", un événement pour moi très anodin,  ressemble à la guerre de Troie ou à une conquête du Graal.  B. T., l'Achille du XXe siècle, le héros mythique des humbles, des vaincus, des modestes est compagnon des dieux, petit-fils de Zeus, et frère d'Athéna. L'exagération des médias est inquiétante. L'outrance des témoignages frôle le fanatisme religieux. On sait bien que, pour certains amateurs de ce sport universel, l'esprit religieux tient une place importante. Cet homme au demeurant fort sympathique voulait surtout réaliser son propre destin en devenant riche, une revanche sur ses origines. Notre Président, nos élus, le peuple français, pleurent la disparition de B. T. dans un concert unanime de louanges dithyrambiques. Je ne veux pas égratigner la stature incontestable d'un homme charismatique, un battant joyeux et indestructible. Sa dernière victoire et son ultime défaite contre le cancer lui donne une dimension humaine, la plus compassionnelle possible. Je salue vraiment les messages qu'il a envoyés à tous les malades du cancer et je préfère cet homme héroïque dans les dernières années de sa vie que celui de repreneur d'affaires, de gourou footballistique de Marseille et de ministre précaire de la gauche mitterrandienne. Les médias m'ont donné une indigestion ce week-end et heureusement, il reste encore un choix aux téléspectateurs, celui de fermer son écran et de s'adonner à d'autres loisirs. Je suis peut-être isolée dans mes réactions mais je me demande si une pétition surgira un de ces jours prochains pour lui donner une place au Panthéon, comme l'a demandée les passionnés de Johnny Hallyday... Pourquoi pas, cela nous changerait de Victor Hugo, Voltaire, Jean Moulin, Simone Veil, les vrais héros de notre France. Mon blog reflète aussi mes humeurs du moment et comme j'ai une préférence pour la nuance, la modération, la sobriété, cette déferlante médiatique m'a bien interpellée sur les passions d'une société que je ne partage pas toujours...  

lundi 4 octobre 2021

"Un vrai roman, Mémoires"

 Un bulletin scolaire qualifiait Philippe Sollers ainsi : "d'esprit frondeur. Passe son temps sur les rebords des fenêtres à faire le chimpanzé pour amuser les filles". Cette sentence justifiée réjouissait notre écrivain, à la réputation sulfureuse dans le milieu des lettres françaises. Je viens de terminer un de ses ouvrages, "Un vrai roman, Mémoires", publié en 2007 et disponible en Folio. Cet écrivain considère sa vie comme un vrai roman. La fiction et le réel fusionnent allégrement : "Toute ma vie, on m'a reproché d'écrire des romans qui n'étaient pas de vrais romans. En voici enfin un. Mais c'est de votre existence qu'il s'agit, me dira-t-on. Sans doute, mais où est la différence ?". Sollers est un pseudonyme (soleil en latin) et se cache sous ce masque, Philippe Joyaux, né en 1936 à Bordeaux. Son père, issu de la bourgeoisie locale, possédait une grande entreprise d'ustensiles ménagers. L'écrivain raconte l'histoire de sa famille avec deux frères (dont son père) mariés avec les deux sœurs, vivant dans des maisons similaires, situées dans un grand parc. L'atmosphère semble rétrécie pour notre écrivain dans cette tribu élargie : "Je me souviens de mon enfance à Bordeaux, de la formation lente, inexplicable, constante d'un silence de fond".  Dès sa jeunesse, il comprend qu'il ne veut pas de cette existence réglée, conforme et étouffante : "Impossible. C'est décidé, je ne ferai rien. En réalité, je m'en rends compte aujourd'hui : je n'ai jamais travaillé. Ecrire, lire, et puis, encore écrire et lire ce qu'on veut, s'occuper de pensée, de poésie, de littérature n'est pas travailler". Philippe Sollers se raconte enfant, adolescent, sa première aventure sexuelle avec une nounou espagnole. Il évitera la Guerre d'Algérie en se faisant passer pour fou. Le narrateur se jette dans les bras de la littérature avec son premier roman, "Une curieuse solitude", publié en 1958. Il est reconnu par Mauriac en particulier et s'annonce pour lui un chemin pavé de succès littéraires. En évoquant sa "carrière" d'écrivain, il livre aussi toutes ses admirations "spirituelles" : Bach, Nietzsche, Casanova, Mozart. Sa vie intime amoureuse est dévoilée avec les deux femmes les plus importantes de sa vie : l'écrivaine belge, Dominique Rolin, rencontrée quand il avait 22 ans alors qu'elle avait 46 ans. Leur amour secret se cachera à Venise, ville fétiche pour ces deux amants. Car, il se marie avec Julia Kristeva, une éminente psychanalyste venue de Bulgarie pour parachever ses études à Paris. Sa vie littéraire est largement décrite avec la création de la revue  d'avant-garde, "Tel Quel", ses romans et ses essais, ses rapports amicaux avec certains écrivains et ses relations tumultueuses avec ses nombreux détracteurs. Ses positions politiques sont décryptées avec sincérité : son maoïsme naïf, son soutien au pape expliqué par le décorum de la religion catholique. Ses contradictions comme ses adhésions lui appartiennent et son tempérament "libertaire" le protège de tout sectarisme et de tout dogmatisme. Ce texte foisonnant, désordonné, ironique ressemble à une bouteille de champagne qui pétille sans cesse. Evidemment, il vaut mieux avoir lu quelques romans de Philippe Sollers pour apprécier cette autobiographie iconoclaste. Je laisse la parole à cet écrivain inclassable et devenu aujourd'hui un contemporain classique : "Je n'ai rien à cacher, rien à me reprocher, rien dont je doive m'excuser ou rougir, aucun regret, aucune repentir, aucune bassesse". Il représente à mes yeux un homme du XVIII un peu égaré au XXe siècle, un Diderot espiègle et ironique.. Son "vrai roman", sa vraie vie, et pour ses lecteurs et ses lectrices fidèles, une vrai bonheur de lecture. 

vendredi 1 octobre 2021

"L'Eternel Fiancé"

 Enfin, un bon roman de la rentrée ! Il s'agit de "L'Eternel fiancé" d'Agnès Desarthe, publié aux Editions de l'Olivier. Cette écrivaine, passionnée par la musique et par Virginia Woolf, raconte à travers une narratrice qui lui ressemble, le destin contrarié de son "Eternel Fiancé". Quand elle avait quatre ans, la narratrice a rejeté la déclaration d'amour d'un petit garçon de son âge à l'école maternelle pendant un concert de Noël. Elle lui trouvait les "cheveux de travers". Mais ce premier amour va dorénavant la poursuivre toute sa vie. Ce garçon fascinant s'appelle Etienne Charvet et elle va le croiser à plusieurs reprises. Au lycée, il devient l'idole des jeunes car il forme un couple extravagant avec Antonia, une fille originale, marginale et artiste. Il rejoint l'orchestre du lycée alors qu'il ne connaît pas le solfège. Plus tard, elle assiste à une performance artistique, exécutée par le couple. Un jour, elle le rencontre sur le pont des Arts à Paris alors qu'il erre avec un bébé dans ses bras. La narratrice le recueille et apprend qu'il a perdu sa compagne quand elle a donné naissance à son enfant. Elle est toujours amoureuse de cet Etienne qui ne devine jamais ce lien qu'elle tisse avec lui depuis son enfance comme un retour dans un temps d'innocence. Entretemps, elle vit sa propre vie avec son compagnon, son travail, ses loisirs. Ce tourbillon de vie est scandé par les rencontres hasardeuses avec son petit fiancé d'enfance. Les années passent, les protagonistes changent, la métamorphose s'impose dans une acceptation sereine. Agnès Desarthe emporte le lecteur-lectrice dans une prose endiablée, vivifiante, drôle et, parfois, le désordre règne un peu dans l'intégration de personnages sans lien avec l'intrigue centrale : un compositeur sans mémoire longue, un mariage factice, une journée d'été à la campagne. Etienne, ce vaincu magnifique, a trouvé une issue pour survivre : il devient gigolo... Dans un article du Monde des Livres, la journaliste a manifestement beaucoup aimé ce roman sur les effets du temps dans chaque existence : "Que reste-t-il en chacun du petit garçon ou de la petite fille qu'il fut ? Que garde-t-on des métamorphoses qui ont suivi, des personnages que l'on s'est inventés à l'adolescence, des déguisements successifs de l'âge adulte ? Quelles traces laissent en nous ceux que l'on a aimés, et ceux qui nous ont aimés ?". Ce roman tente de répondre à ces questions subtiles et profondes sur la mémoire, sur l'amour, sur le deuil. Agnès Desarthe décrypte les sensations, les expériences multiples, la beauté nostalgique du passé, l'intensité du présent et les promesses du futur. Pour conclure, je cite cette phrase : "Le courage, me dis-je, le courage qu'il faut à chacun pour accomplir cette expérience brève et dénuée de signification, sans la possibilité de reprendre pour corriger, de faire mieux ou autrement". Un beau roman à lire en priorité dans cette rentrée littéraire. Un régal de lecture.