jeudi 13 février 2020

"Jean le Bleu"

J'ai introduit dans l'atelier lectures une petite nouveauté à partir de janvier. J'ai proposé un "livre joker". La séance est rythmée depuis des années par la présentation des coups de cœur et ensuite, par un partage des impressions de lectures que je recommande. J'avais envie d'un livre éclairant sur l'actualité littéraire et sociétale (commémorations, grands événements historiques). En janvier, j'ai lancé le livre joker, que les amies lectrices peuvent saisir ou pas selon leur disponibilité. Comme j'ai toujours aimé le style panthéiste de Jean Giono, j'ai pensé à "Jean le Bleu", publié en 1932. Une écrivaine, Emmanuelle Lambert, a mis à l'honneur l'écrivain de Manosque dans une biographie très intéressante, "Giono, furioso" et lors d'une exposition à Marseille pour célébrer les cinquante ans de sa disparition. Je pense souvent à tous ces grands écrivains oubliés du XXe (et je ne parle pas de ceux et de celles des siècles passés) et le geste de les revisiter, de les réhabiliter, de les redécouvrir avec des yeux nouveaux m'a poussée à cette initiative de re-connaissance, de gratitude. Quand nous avons abordé "Jean le Bleu", deux lectures de cette œuvre se sont opposées. Janelou en particulier a lu ce récit avec enthousiasme. Elle a découvert un monde ancien mythifié et des personnages très attachants. D'autres lectrices n'ont pas succombé à la puissance évocatrice du monde gionesque où la nature est omniprésente. Un chef d'œuvre pour les unes ne provoque aucune admiration chez les autres… Chaque rencontre avec un livre ressemble à une aventure : ou c'est une réussite ou un fiasco ! Jean Giono raconte dans ce récit autobiographique son enfance sensuelle, son père cordonnier et sa mère lingère, son village et ses habitants, la vie quotidienne de tous ces gens simples et dignes. Il donne à ce texte une dimension mythique comme le fera Garcia Marquez dans "Cent ans de solitude". Jean Giono recrée un monde disparu, le réenchante grâce à son attention au monde, à son imagination, le ré-invente. Je citerai des centaines de phrases tellement son style semble unique dans l'univers littéraire français. J'ai retenu celle-ci : "Mon père avait envie d'un petit jardin. Son désir flambait au milieu de nous comme un feu. On s'y brûlait et on s'y réchauffait". Plus loin, il rend un hommage à ce père magnifique à l'esprit libertaire : "Avec une prescience d'insecte, il a donné à la petite larve que j'étais les remèdes : un jour ça, un autre jour ça ; il m'a chargé de plantes, d'arbres, de terre, d'hommes, de collines, de femmes, de douleur, de bonté, d'orgueil, tout ça en remèdes, tout ça en provisions, tout ça en prévision de ce qui aurait pu être une plaie". Il parle de son père comme "d'un immense soleil" et évoque le sentiment "allégresse cosmique". Giono a vraiment lu Homère et pour moi, sa œuvre entière nous réconcilie avec ce qu'un philosophe allemand, Hartmut Rosa, nomme "résonance". Giono ou la résonance, son œuvre résonne en moi… Et je vais revenir régulièrement vers lui, comme une potion magique !