vendredi 1 décembre 2023

"Cézanne, des toits rouges sur la mer bleue", Marie-Hélène Lafon

 Quand un écrivain ou une écrivaine s'empare d'un artiste, d'un peintre, d'un sculpteur, le destin de ces hommes et de ces femmes s'inscrit dans la littérature et ce geste donne à tous les créateurs une dimension mythique. D'un côté leurs tableaux, leurs sculptures, leurs œuvres et de l'autre, des mots pour dire les émotions que l'on éprouve quand on se retrouve dans un musée, devant les chefs d'œuvre. Marie-Hélène Lafon avait déjà écrit sur son "dieu", Gustave Flaubert et ces exercices d'admiration se prolongent avec Paul Cézanne dans ce beau récit, "Cézanne, des toits rouges sur la mer bleue", publié chez Flammarion. Comme dans ses romans, l'écrivaine raconte les effets "Cézanne", une "nécessité" dans sa relation à la vie : "Mon chantier violent était donc un chantier de famille, intestin, carabiné, et la plongée en pays cézannien s'accompagne d'une roborative sensation d'allègement après cette rugueuse remontée aux sources". Pourtant, des grands spécialistes du peintre ont déjà raconté toute la mythologie cézannienne comme Philippe Sollers, Ramuz, Rilke, etc. Ce texte ressemble à des "variations" sur la famille de Cézanne. Comment devient-on ce peintre sublime ? Son ancrage à Aix en Provence révèle son goût de l'enracinement même s'il a vécu à Paris. Le père, Louis-Auguste, banquier, ne comprend pas son fils artiste. Il aimerait tellement qu'il s'intéresse à son monde si pragmatique. La mère, Anne-Elizabeth, aimante et rassurante pour le jeune Paul, une complice indispensable. Les sœurs, Marie et Rose, piliers de la famille. Le terrain familial est un terreau fertile pour Paul Cézanne, fou de dessin et d'art. Des scènes cézaniennes alternent avec des moments biographiques de la narratrice comme cette visite au Louvre devant le tableau des "Sous bois". Elle se saisit des pensées d'un père déçu, d'une mère admirative et des amis du peintre. Un chapitre évoque les paysages de Cézanne et lui-même annonçait à son entourage : "Je vais au paysage tous les jours". Et Cézanne voulait recréer ce qu'il voyait : "Perdre, trouver, chercher, on est à l'épicentre, on cherche la peinture, dans la lumière et dans le vent, dans le chatoiement des choses". Cet essai sur l'art de Cézanne prend des couleurs et de la chair tellement Marie-Hélène Lafon plante son personnage principal dans un décor familial, artistique et géographique d'où émerge un homme ermite voué à sa vocation artistique. Ce texte se lit comme un roman avec la griffe inimitable de l'écrivaine. Un très bon moment de lecture qui donne envie de lire d'autres essais sur Cézanne et des beaux livres sur lui.