jeudi 27 juillet 2023

"Un été avec Jankélévitch", Cynthia Fleury, 2

 Dans cet éloge admiratif de Cynthia Fleury envers son aîné, Vladimir Jankélévitch, j'ai retrouvé la voix saccadé et rapide du philosophe que j'ai entendue dans des émissions de France Culture. Et quand il parle, ce n'est jamais anodin, bien au contraire. Toutes ses prises de parole exprimaient une générosité intrinsèque et une vivacité allègre. La philosophie se vivait dans son corps et se diffusait dans sa voix extraordinaire. Il voulait 'parler de choses évanescentes qui sont plus fragiles que la flamme d'une allumette".  Cynthia Fleury aime le courage (un de ses livres s'intitule "La fin du courage"), une vertu éthique au dessus de toutes les autres et le philosophe n'a pas manqué de courage en s'engageant dans la Résistance. Sa relation au temps, un héritage direct de Bergson, se divise en trois expériences déterminantes : l'aventure, l'ennui et le sérieux. Cynthia Fleury définit la formule charmante, le "je-ne-sais-quoi", ainsi : "une émotion cognitive, une émotion de la connaissance et de la conscience aiguë des choses". Le philosophe a défini lui-même ce terme improbable : "On peut après tout, vivre sans le Je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie, sans amour. Mais pas si bien". Cette conception originale et audacieuse peut aussi se résumer à la façon de Cynthia Fleury : "Ce je-ne-sais-quoi représente toute la valeur de nos vies, l'impalpable qui confine au sentiment d'éternité, de suspens et qui n'existe en tant que tel que l'espace d'un instant. La fine pointe de l'instant". Pour entrer dans la pensée de Jankélévitch, il faut lire surtout "Quelque part dans l'inachevé", publié en Folio. Stimulé par les questions de Béatrice Berlowitz, notre philosophe subtil et profond révèle un homme qui cultive l'amour, l'humour, la musique, le silence, la morale et la générosité. Sur la façade de son immeuble à Paris au 1, quai aux Fleurs, est apposée une plaque avec une citation tirée de "L'irréversible et la nostalgie" : "Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été ; désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d'avoir vécu est son viatique pour l'éternité". Sa pensée parfois difficile à saisir résonne à mes oreilles comme un hymne à la vie, à l'instant pur, au présent actif, au passé nostalgique. "Un été avec Jankélévitch"  est un manifeste contre les "passions tristes qui nous menacent". Ce petit ouvrage très lisible présente le philosophe avec beaucoup de ferveur et aussi de simplicité. Et faire la connaissance de Vladimir Jankélévitch, c'est savourer encore plus la fugacité de l'été en cours !