mardi 27 décembre 2022

"L'insoutenable légèreté de l'être", Milan Kundera, 2

Le roman se termine par la mort accidentelle de Teresa et de Tomas alors qu'ils avaient retrouvé une harmonie dans leur couple quelque peu asymétrique. Ce destin absurde confirme bien le pessimisme existentiel de Milan Kundera. Ils avaient décidé de s'installer loin de Prague dans un village à taille humaine. Cette parenthèse heureuse n'aura, hélas, pas duré longtemps. Seule, Sabina, poursuit sa carrière d'artiste en Amérique et ressent un sentiment de liberté qu'elle place au-dessus de tout. Ayant fui son pays tôt, elle symbolise cette légèreté d'être, (qui n'est pas un bonheur d'être), se mettant en marge de la société et s'adonnant totalement à l'art. Le roman traite plusieurs thèmes philosophiques comme l'éternel retour de Nietzsche et surtout la notion de kitsch qu'il définit ainsi : "Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable". Pour Milan Kundera, ce concept ressemble à "un voile de pudeur que l'on jette sur la réalité", déguisée par les grandes idéologies de toutes sortes surtout les totalitarismes, du fascisme au nazisme, du communisme à l'impérialisme. Réalité manipulée, artificialité des faits, mensonges généralisées. Pour combattre cet esprit du kitsch, seul, celui ou celle qui interroge peut démonter les clichés, mettre en doute cette mascarade du réel. Milan Kundera évoque surtout ce concept central dans son pays natal, façonné par le communisme bolchévique. Il a vu des chars russes à Prague, s'est fait espionner, épier, surveiller et a fui pour vivre sa vie d'intellectuel libre en France. Quand Milan Kundera dénonce l'horreur de l'idéologie totalitaire, il sait de quoi il parle. Les pages sur l'invasion russe ont un écho encore plus intense aujourd'hui quand on pense au drame des Ukrainiens. J'aime aussi dans l'œuvre kunderienne un amour passionné de la musique. Son père était musicien et l'écrivain intègre cette dimension dans la vie même : "L'être humain, guidé par le sens de la beauté, transforme l'événement fortuit (une musique de Beethoven, un mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans la partition de sa vie". La vie, une partition musicale où chacun s'approprie chaque concept, événement, objet pour les intégrer dans l'expérience vitale. Pour Kundera, la partition amoureuse est bien complexe à exécuter et il montre à travers ses personnages son ironie à cet égard. Lire Milan Kundera, le relire sans cesse est une garantie de réflexion. Je suis entrée dans un roman "qui pense" et qui fait aussi rêver sur une histoire d'amour émouvante et nostalgique. Et presque cinquante ans après, cet écrivain "dissident" conserve un intérêt majeur pour l'Histoire européenne et les dégâts du communisme, et aussi pour l'histoire de la littérature française. "L'insoutenable légèreté de l'être" : une lecture mémorable alors que d'autres romans disparaissent assez vite de notre mémoire profonde.