vendredi 17 avril 2015

"Et tu n'es pas revenu"

Marceline Loridan-Ivens est née en 1928 et pour commémorer la libération des camps, 70 ans après, elle compose une élégie à son père qui, lui, n'est pas revenu de l'enfer nazi. Ce témoignage très fort sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau en 1944, relate son arrestation et celle de son père pour Drancy et la vie horrible qu'ils vont subir. Ce texte prend la forme d'une lettre bouleversante qu'elle adresse à ce père adoré. Il faut lire ce document et le relire car Marceline Loridan-Ivens s'inquiète des relents délétères de l'antisémitisme qui polluent le mental de certains de nos concitoyens et empoisonnent la société française. Ce petit livre intense, avec ses cent pages, est une piqûre de rappel historique, pour ne jamais oublier la souffrance insupportable des victimes du nazisme. Dans le camp, son père lui transmet un message écrit par l'intermédiaire d'un électricien, envoyé dans le bloc de la jeune fille de quinze ans.  Ils s'étaient croisés à deux reprises et il lui avait mis dans sa poche, une tomate et un oignon, produits rarissimes dans cet endroit inhumain. Marceline est mutée dans le triage des vêtements de "ceux qui étaient partis en fumée et dont l'odeur de chair brûlé planait sur le camp, pénétrait nos narines, nos os, nos pensées de jour comme de nuit, en nous promettant le même sort". Elle décrit avec un réalisme frappant, les travaux du camp, les humiliations, les assassinats glaçants, perpétrés par les nazis. Ce billet reçu, elle l'oublie tout de suite pour survivre dans cette jungle humaine. Elle écrit : "Il fallait que la mémoire se brise, sans cela, je n'aurais pas pu vivre". En 1945, les Russes libèrent le camp. Elle se retrouve à Paris, seule, sans les siens. Elle se reconstitue au Lutetia, "Nous étions des miracles". Elle retourne à Bollène chez sa mère et ne pense qu'à son père disparu. L'Etat français "décide de la disparition de Rosenberg Szlama" en 1948. La suite du récit relate sa survie à Paris, ses liens de famille éclatée, ses rencontres, mais, surtout, son désespoir et sa rage d'avoir vécu cette expérience indicible, inimaginable. Elle évoque la présence lumineuse de Simone Weil qui se trouvait dans le même convoi à Drancy pour l'Allemagne. Il lui a fallu du temps pour se remettre à vivre, à aimer, à respirer... Elle confie dans la dernière phrase de son texte, que, "Oui, ça valait le coup", de survivre... pour témoigner.