jeudi 1 juin 2023

"Déplacer la lune de son orbite", Andrea Marcolongo

Pour tous les amoureux et amoureuses de la Grèce antique, il faut lire "La langue géniale, 9 bonnes raisons d'aimer le grec" paru en 2018 d'Andrea Marcolongo. Cette essayiste helléniste d'origine italienne a aussi publié "L'art de résister" en 2021 sur le mythe d'Enée. Quand j'ai appris qu'elle publiait "Déplacer la lune de son orbite", chez Stock dans l'excellente collection "Ma nuit au musée", j'ai "couru" chez Garin pour l'acquérir. Quel régal de lecture ! Andrea Marcolongo a vécu un privilège inouï : passer une nuit au sein du Musée de l'Acropole à Athènes : "Nous avons tous dérobé quelque chose à la Grèce : ses idées, à partir desquelles nous avons forgé nos racines occidentales". Le récit révèle surtout le vol des marbres du Parthénon, exposés au British Museum à Londres. Ce rapt de la frise, ce pillage invraisemblable, a été organisé par un ambassadeur anglais, Lord Elgin, entamé en 1801. L'écrivaine est obsédée par cette perte irrémédiable et elle relate avec une précision historique et un esprit de révolte indignée, la démolition des fresques en marbre (plus de 17 mètres linéaires) effectuée par les "pilleurs" anglais sous la protection des Turcs, maîtres de la Grèce à cette époque. Ces Turcs n'avaient que mépris pour l'héritage patrimonial grec antique et avaient autorisé ce démontage scandaleux. Pourtant, Lord Elgin n'était pas un pirate, ni un cynique car il désirait "importer" l'art grec pour former sur le plan esthétique les artistes anglais. Mais le saccage a eu lieu : marbres découpés, morcelés, dispersés, fracassés. Des naufrages entre la Grèce et l'Angleterre ont causé aussi la disparition de ces œuvres uniques au monde. Le Lord anglais n'a pas profité de son forfait car il n'a rencontré que des échecs en se ruinant, en tombant malade et en étant abandonné par sa femme. Athéna, la déesse,  l'a puni, nous dit Andrea Marcolongo. Lord Byron a dénoncé en son temps le scandale des frises du Parthénon. L'écrivain pose l'épineuse question de la restitution des œuvres d'art, détenues par des musées d'anciennes puissances coloniales. Le récit n'évoque pas seulement l'histoire folle du Parthénon, l'autrice se confie sur son père d'origine modeste qui était très fier du parcours sans faute de sa fille. Le mot "gratitude" convient parfaitement à l'attitude d'Andrea Marcolongo : gratitude envers ses parents, gratitude envers la culture humaniste latine, gratitude envers la Grèce antique, berceau de notre civilisation occidentale. Les frises du Parthénon symbolisent aussi les idées, la philosophie, l'art, les dieux, la démocratie, la mythologie et ce patrimoine culturel sera, je l'espère, éternel. Ce beau récit pourrait se résumer ainsi avec les mots d'Andrea Marcolongo : "Alors que l'Antiquité est bien et bel ce que nous possédons de plus important. Elle est l'étoffe même de notre âme. En la bradant, nous errons à travers la vie, privés de notre capacité à articuler une pensée comme les statues sans tête du Parthénon". Comme je partage son avis !