vendredi 29 décembre 2023

"Un chien à ma table", Claudie Hunzinger

Claudie Hunzinger, à la réputation quelque peu rebelle, plasticienne et écrivaine, a obtenu le Prix Femina en 2022 pour "Un chien à ma table". J'ai choisi ce titre pour l'Atelier Littérature de janvier qui évoquera nos amis les bêtes dans les romans. Les deux personnages "humains" de cette histoire fortement autobiographique se nomment Sophie, romancière, et Grieg, son compagnon de toujours. Ils vivent isolés dans une vieille ferme des Vosges, "Les Bois Bannis". Sophie sent la vieillesse attaquer son corps mais elle ne veut pas renoncer à ses marches quotidiennes dans la forêt pour éradiquer ses douleurs physiques. Son drôle de compagnon dort le jour et lit la nuit. Il aime passionnément la littérature et ne supporte plus la société. Un jour, une chienne errante bouscule leur quotidien en faisant une irruption intempestive. Son pelage est "mêlé de longues tiges de ronces, de feuilles de bouleau, de débris de mousses et trempé". L'animal est blessé et a dû subir des violences de son maître. Une relation merveilleuse s'installe entre l'animal et la narratrice comme une aube nouvelle. L'une veille sur l'autre tout en parcourant la nature environnante : "Si on m'avait fait passer devant des rayons X (...), on y aurait peut-être vu un être composite avec une truffe de chien, des cheveux de ronces, des yeux de mûres écrabouillées, des joues faites de lichens, une voix d'oiseau et à l'intérieur ? Oh ! A l'intérieur ! Une myriade d'existences". La petite chienne est baptisée "Yes", celle qui dit oui à la vie. Ses nouveaux "parents", et non des maîtres, adorent cette chienne remplie "d'une tendre humanité". Mais, Sophie ne cesse d'évoquer l'atmosphère inquiétante des espèces menacées, des forêts dénaturées, d'une planète bien mal en point. Le monde social semble aussi un danger surtout pour Grieg, un homme effrayé se réfugiant dans les livres comme dans une forteresse de papier. La narratrice pose aussi la question de la survie des livres, des librairies, des bibliothèques. Les deux protagonistes octogénaires vivent en huis clos dans cette ferme mais ce lieu unique devient le monde tant ils observent avec un bonheur juvénile la nature, les plantes, les champignons, les animaux, le ciel et les nuages. Sophie dresse un bilan de sa vie,  se souvient de sa jeunesse, regarde avec passion la vie autour d'elle, arpente son territoire avec fierté. Elle analyse son couple avec tendresse : "D'étranges vieillards abritant un enfant. Des vioques. J'aime beaucoup ce mot, vioque, il dit l'effarement insoluble de l'enfant qu'on est resté". Un roman revigorant, éco-poétique, Ce livre sent la forêt des Vosges, fait entendre les chants des oiseaux et les jappements de la petite chienne. Un ode à la vie et à l'amour.