lundi 5 août 2019

"Album"

Marie-Hélène Lafon vit à Paris et exerce le beau métier de professeur de lettres, agrégée de grammaire, latiniste et helléniste. Mais, son vrai métier, l'un des plus beaux du monde selon moi, c'est écrivain, écrivaine, si je veux respecter la déclinaison au féminin. Ses œuvres sentent le terroir du Cantal, l'air pur des Causses, où elle est née dans une famille de paysans, selon ses propres mots : "Quand j'écris, je rejoins mon vrai pays, c'est très intestin, très organique, comme malaxer la viande". Elle a commencé à écrire à 34 ans en 2001 et son premier ouvrage, "Le soir du chien" a été récompensé par le Renaudot des Lycéens. J'avais relaté dans ce blog son dernier roman, "Nos vies", paru en 2017 que j'avais bien apprécié. J'ai lu récemment son petit "Album", édité en 2012. J'aime beaucoup les abécédaires, une contrainte littéraire qui permet de définir tout un univers en s'appuyant sur les lettres de l'alphabet. Marie-Hélène Lafon a choisi vingt-six mots qu'elle présente à sa façon, se fondant sur des textes brefs, poétiques et prosaïques en même temps. L'album commence par Arbres : "Les arbres sont. Dans le ciel et contre lui. Epandus, écartelés en dentelles savantes. La terre les porte, ils dessinent sur elle, sur sa peau ancienne, des signes, des architectures". L'automne "sent aussi le feu des fanes, l'herbe froide, le bois mouillé, l'air cru, le cahier neuf et le plastique transparent qui sert à couvrir les livres. Il sent la nuit". Elle choisit des animaux (bêtes, cochons, vaches), des saisons, des éléments naturels (chemins, herbe, jardins, pierres, rivières), des objets de la campagne (couteau, tracteurs, journal). Je cite particulièrement ce passage très "lafonien" : "Ma rivière d'enfance a nom Santoire. Elle borna le monde, c'est définitif, elle fut l'été, la plage d'ardoise, et l'immobile après-midi d'août, le temps arrêté dans le babil lumineux de son lit de cailloux". J'ai remarqué son texte sur les nuages, un poème total : "Ils passent. Et l'ombre duveteuse du ventre des nuages s'étire en caresse ronde sur les terres déployées. Ils passent". Marie-Hélène Lafon chante son pays, son terroir, sa campagne et je pensais à Jean Giono évoquant sa Provence avec son style charnel et poétique. Cette écrivaine appartient à la tradition littéraire de Pierre Michon et de Pierre Bergounioux en décrivant ce monde paysan, modeste, réel, terrien, terrestre, un monde disparu, réincarné dans une nouvelle mythologie virgilienne.