jeudi 15 juin 2017

"Une bobine de fil bleu"

J'ai retrouvé avec un très grand plaisir la romancière américaine, Anne Tyler. Elle vient d'écrire son vingtième roman, "Une bobine de fil bleu", chez Phébus. L'histoire se passe à Baltimore en 1994. Les Whitshank habitent depuis deux générations une belle maison d'un quartier chic. Abby, la mère, assistante sociale, et Red, le père, chef d'entreprise, vivent au rythme des réunions familiales heureuses. Cette tribu formidable " semblait ignorer les déceptions. C’était une autre de leurs singularités : ils avaient le don de faire comme si tout allait bien. Ou peut-être cela n’avait-il rien de singulier, justement. C’était peut-être la preuve supplémentaire que les Whitshank étaient une famille comme les autres ». Cette culture de l'optimisme et de la convivialité cache bien des contrariétés douloureuses. Leur fils, Denny, se comporte "bizarrement" avec eux. Il ne supporte aucune réflexion et aucun conseil de ses parents et n'en fait qu'à sa tête. Il quitte Baltimore et se rend à New York. Il ne donne pas de nouvelles et un jour, il apprend à ses parents son mariage et la naissance de sa fille. Le rapprochement est de courte durée. Lors d'une visite, son père (qui s'inquiète de son avenir professionnel)  lui demande s'il va reprendre ses études, son fils rompt toutes relations pendant trois ans... Abby vit très mal ce problème avec ce fils difficile et tente souvent l'impossible pour renouer un lien avec lui. Mais les parents vieillissent dans cette grande maison, et Abby commence à souffrir de la maladie d'Alzheimer. Stem et sa femme avec leurs trois garçons décident de vivre avec eux pour les aider. Quand Denny apprend que son frère (adoptif) prend possession de la maison, il décide de rejoindre Baltimore et s'installe chez ses parents. Anne Tyler tisse une toile complexe, quasi freudienne entre tous les membres de la famille : jalousies, rancœurs,  colères, non-dits, mensonges, secrets. La maison de famille acquise malhonnêtement par le père de Red constitue un personnage central dans le livre. La dernière partie du livre concerne la vie de cet aïeul, qui, au fond, a réparé une erreur de jeunesse en se mariant sans amour. Anne Tyler dénonce le conformisme ambiant d'une Amérique trop figée dans ses certitudes. Abby est elle-même victime de ce carcan et elle commence à douter :  "A bien des égards, elle avait aujourd’hui moins de certitudes que lorsqu’elle était jeune. Et souvent, quand elle s’entendait parler, elle était consternée par le ton niais qu’elle prenait – elle paraissait écervelée et superficielle, comme si, d’une certaine manière, elle avait endossé le rôle de la mère dans une sitcom stupide". Chaque personnage possède une zone d'ombre et quand Abby meurt dans un accident de la route, la famille affronte une crise ultime... La romancière américaine capte notre attention de la première page à la dernière et cette saga "généalogiste" nous raconte  les crises que vivent beaucoup de familles...