lundi 30 janvier 2023

Rubrique Cinéma : "Tar" de Todd Field

 J'ai vu cette semaine un film "renversant" et les deux heures quarante que j'ai passées dans la salle m'ont semblé durer une heure... Il faut préciser que ce long-métrage du réalisateur américain, Todd Field, se situe dans la milieu de la musique classique et dresse le portrait d'une femme chef d'orchestre, Lydia Tar, toute vouée à son art. Le charisme et la beauté de l'actrice, Cate Blanchett, sont un atout majeur dans ce film passionnant : netteté de son jeu, voix grave, présence élégante. Cette chef d'orchestre se montre exceptionnelle dans sa maitrise de la conduite d'orchestre, mais sa vie privée laisse à désirer et elle ne la gère pas avec sa baguette d'une façon magistrale. A Berlin, dans la sublime salle d'orchestre, elle s'attaque à la Cinquième symphonie de Mahler avec une fougue passionnelle qui laisse les musiciens sans voix. Mais, cette magie de l'art musical qu'elle incarne a son contrepoint. Comme elle dispose d'un pouvoir quasi absolu dans son milieu musical, elle n'hésite pas à abuser de son immense influence pour embaucher une musicienne qui l'a charmée car elle aime les femmes. Bien qu'en couple avec une violoniste reconnue, elle se permet des escapades amoureuses dont l'une s'est terminée tragiquement, car l'étudiante a mis fin à ses jours. Ce monde assez impitoyable de la musique est décrit avec réalisme et personne n'ose s'opposer aux manœuvres abusives de Lydia Tar. Elle commet donc ces erreurs de casting en embauchant des jeunes prodiges au détriment des anciens de l'orchestre alors que la hiérarchie dans ce milieu professionnel prime. Lydia Tar cumule aussi des attaques de la "cancel culture", une vague protestataire venue des Etats-Unis et s'installant en Europe à grands pas. Selon un étudiant qu'elle forme, Bach est rejeté de ses options d'interprétation car c'est un "homme blanc, hétérosexuel et misogyne"... Elle est happée dans un tourbillon permanent autour d'elle et sa secrétaire personnelle, (interprétée par Noémie Merlant), facilite longtemps sa conduite. Le wokisme, les réseaux sociaux, metoo dénoncent l'attitude de la cheffe d'orchestre qui va tomber de très haut alors qu'elle se sentait invincible dans sa mode de vie. Elle finit par démissionner de son poste prestigieux et se réfugie dans un pays asiatique pour poursuivre sa carrière. Elle a tout perdu : sa compagne, sa secrétaire, son milieu et sa gloire professionnelle. Sa conduite narcissique l'a ruinée. Le réalisateur américain a mûri son projet depuis une dizaine d'années et propose une réflexion sur le pouvoir et ses abus inévitables. Un film original, intelligent et musicalement percutant. 

jeudi 26 janvier 2023

Rubrique Cinéma : "Nostalgia"

 Un beau titre pour ce film, "Nostalgia" de Mario Martone qui passe actuellement à l'Astrée. La nostalgie vient du grec ancien "nostos" le retour et "algos" la douleur. Ce mal du pays étreint le personnage principal, Felice Lasco, qui revient dans son quartier natal de Rione Sanita, l'un des plus misérables de la ville après quarante ans d'absence. Il a fui Naples à l'âge de quinze ans. Chef d'entreprise dans le bâtiment, il a vécu au Liban et en Egypte. Il retrouve sa mère très malade dans un appartement insalubre au rez-de-chaussée alors qu'elle habitait dans un étage. Un nom surgit dans la conversation : le redoutable Oreste Spasiano, le chef de la camorra qui règne dans le quartier. Felice en fils aimant, s'occupe de sa mère, la soigne, trouve un nouvel appartement pour la loger. Felice reste discret sur sa conversion à l'islam. Il a perdu les codes de son pays natal et même son vocabulaire. Il se lie avec le prêtre de la paroisse qui lutte contre Oreste. Le rôle de la religion est très prégnant dans la ville. Ce prêtre, véritable héros, aide tous les jeunes du quartier qui choisissent plus souvent la marginalité violente qu'un chemin honnête. Le réalisateur raconte une ville gangrenée par la Mafia et ce prêtre représente l'espoir pour ce quartier abandonné par l'Etat. Felice veut revoir Oreste, son meilleur ami de l'époque pour solder un passé complexe. Au fil du récit, le secret de Felice se dévoile car on apprend que les deux adolescents ont commis un vol et Oreste a tué un homme lors de ce forfait. Alors qu'ils se retrouvent enfin, Oreste reproche à Félice de l'avoir abandonné. Il avait vécu cet abandon comme une trahison irréparable. Felice a fui Naples grâce à un oncle qui vivait au Liban. Lui a eu un destin loin du crime alors qu'Oreste n'a jamais échappé à la violence. Ce film rappelle le mythe d'Abel et de Caïn doublé d'une tragédie grecque. Alors que Felice s'imagine vivre de nouveau dans sa ville natale avec sa compagne égyptienne, il croise Oreste dans une rue obscure de Naples. Vont-ils faire la paix ou la guerre ? Il faut aller voir le film pour connaître la fin. Le héros, incarné par Pierfrancesco Favino, voit son rêve de retour impossible. Les images de Naples sont omniprésentes : son désordre urbain, sa misère sociale, sa violence endémique. Mais aussi, sa vitalité, sa folie, sa beauté. Un beau film sur une ville mythique, une tragédie italienne où les passions humaines sont exacerbées. 

mercredi 25 janvier 2023

Le 25 janvier 1882 : naissance de Virginia Woolf

 Aujourd'hui, ma sublime Virginia Woolf aurait 141 ans ! J'ai mentionné dans ce blog la naissance de Colette il y a 150 ans que nous allons lire dans l'Atelier Littérature de février. Ces deux génies de la littérature, l'une anglaise, l'autre française ont partagé le même siècle et ont grandi dans une Europe déchirée par les guerres. Virginia est née dans un milieu bourgeois fort cultivé car son père, sir Leslie Stephen, écrivain lui-même, était chargé d'une lourde tâche, l'élaboration d'une encyclopédie sur les gloires de son pays. La jeune fille grandit dans une famille recomposée puisque ses parents, veufs tous les deux, étaient père et mère et ont fondé une nouvelle fratrie de quatre enfants. Alors que les frères de Virginia fréquentent l'université, sa sœur et elle se contentent avec dépit de poursuivre leurs études à la maison, l'université leur étant interdite. Une injustice inacceptable ! Virginia devient orpheline à treize ans car sa mère meurt. A vingt deux ans, elle perd aussi son père. La vie de Virginia va changer quand elle s'installe à Bloomsbury où elle vit avec un groupe d'intellectuels, des écrivains, des philosophes et des économistes. Ce mot "Bloomsbury" s'apparente à celui de "Saint-Germain des Près", un foyer où les idées nouvelles foisonnent. En 1912, elle rencontre son mari, Léonard Woolf, dans ce microcosme londonien et fonde avec lui une maison d'édition, la Hogart Press où ils publient Katherine Mansfield, Eliot, Joyce, Freud en particulier. Elle édite aussi ses propres livres et en vingt-six années, elle écrit neuf romans, cinq essais, des nouvelles et son fameux "Journal". Critique littéraire d'excellence et conférencière militante, elle exprime ses idées sur le féminisme en commentant quelques figures féminines oubliées. Pourquoi cette écrivaine anglaise suscite autant d'émotion ? Sur le plan littéraire, elle abandonne l'intrigue conventionnelle dans ses romans et propose des portraits psychologiques comme celui de "Mrs Dalloway". En 1927, elle pose dans son roman magnifique, "La promenade au phare", la question de la réalité de l'existence. Comment appréhender le réel alors qu'il est sans cesse modifié par le flux de la vie intérieure ? Ses influences littéraires se situent du côté de Bergson, de Proust et de Joyce. Son roman, "Orlando", est une allégorie sur le genre. Un héros masculin devient une femme. Quelle prémonition ! Elle revendique un androgynat heureux, à la fois homme et femme en chacun de nous. L'identité fragmentée de Virginia Woolf se résume ainsi : qui suis-je ? "Des pièces, des morceaux, des fragments". Pour raconter ce "moi" freudien, elle utilise le monologue intérieur, "sonde de notre inconscient". Elle appréhende la vie comme son frère en littérature, Marcel Proust dans un souci d'une forme d'art pour sublimer la vie. Victime de dépressions graves et de tentatives de suicide, elle supporte très mal la période de la guerre. Elle met fin à ses jours le 28 mars 1941 à Lewes dans le Sussex. Je voulais rendre hommage à Virginia Woolf en ce jour du 25 janvier. Pour la découvrir et avant de rentrer dans ses romans, il faut lire des biographies comme celle de Geneviève Brisac, "La double vie de Virginia Woolf" et celle d'Henriette Levillain, "Virginia Woolf, carte d'identité". Depuis mes trente ans, je lis et je relis régulièrement cette grande dame des lettres anglaises pour mon plus grand bonheur de lectrice.   

mardi 24 janvier 2023

Atelier Littérature, 3

 Après les commentaires sur les livres de la liste, "Prénoms", nous avons évoqué en deuxième partie de l'atelier, les coups de cœur. Régine a démarré avec un roman fascinant selon elle, "La femme oiseau" d'Isabelle Sorrente, publié en Folio. Vina, une élève surdouée, est exclue du lycée après avoir menacé un camarade avec un cutter : "Depuis que je suis née, on dirait que les malentendus s'accumulent autour de moi. Parfois, je me dis que c'est parce que je n'ai jamais demandé à naître". Sa mère l'emmène dans les Vosges chez son grand-oncle. La jeune fille est très vite intriguée par cet homme mystérieux qui communique avec les rapaces. Et se retrouver en pleine nature l'apaise. A mesure que les liens s'installent entre eux, un secret familial se dénoue pour se libérer des fantômes et pour affronter leur culpabilité. Ce roman traite des "Malgré-nous", ces Alsaciens enrôlés de force dans l'armée allemande. A lire sans modération. Danièle a beaucoup apprécié le dernier récit de René Fregni, "Minuit dans la ville des songes", paru en 2022 chez Gallimard. Cette autobiographie se lit comme un roman car la vie de cet écrivain ressemble à un roman : une adolescence et une jeunesse mouvementées, un séjour en prison, la découverte de l'écriture, des livres et de la culture. Son refus du conformisme, sa recherche de l'amour et de l'amitié ont façonné un homme libre et passionné par la vie. Un récit solaire à découvrir pour se réchauffer le cœur en cette période hivernale. Odile a lu et aimé un roman d'Emmanuel Dongala, "Photo de groupe au bord du fleuve", paru chez Actes Sud en 2012. Confrontées à une terrible injustice sociale, des femmes, concasseuses de pierres, se mobilisent pour faire valoir leurs droits. Commence alors une lutte exemplaire, politique et sociale, qui va rendre la dignité à toutes ces femmes exploitées. Ce roman dénonce la précarité des femmes africaines, la misère et la violence dont elles sont l'objet. Un écrivain à découvrir. Odile a préféré un coup de griffe plutôt qu'un coup de cœur concernant le livre de Yasmina Khadra, "Les vertueux", publié en août 2022. Yacine quitte son village pour la France où il se bat contre les "Boches". De retour au pays, d'incroyables aventures l'attendent. Traqué, malmené par le sort, il tente de survivre malgré tout. Pour Odile, l'écrivain en fait "trop", trop de malheurs, trop de misère, trop. Voilà pour les coups de cœur de janvier. Prochain rendez-vous pour le jeudi 23 février avec la grande, l'immense Colette, à lire, à relire et à savourer. 

lundi 23 janvier 2023

Atelier Littérature, 2

 Pascale et Odile ont lu avec une émotion certaine le récit de Patrick Modiano, "Dora Bruder", publié en 1999, chez Gallimard. Le narrateur mène une enquête quasi policière sur la disparition d'une jeune adolescente, Dora Bruder. Il tente de reconstituer toutes les traces que la jeune fille juive a laissées au sein de sa famille et dans sa vie scolaire. Elle demeure tellement insaisissable que cette recherche s'avère désespérante. Dans un Paris qu'il parcourt, rue par rue, quartier par quartier, Patrick Modiano arrache au passé, un passé tragique, quelques bribes de vérité sur Dora et les siens, leur arrestation par les policiers français, leur déportation et leur mort atroce à Auschwitz. Cette lecture forte et indispensable ne peut laisser indifférent. Pascale a bien relevé l'importance historique de ce témoignage qui mêle vie personnelle de l'écrivain et vie courte de Dora, tous les deux unis par un désir de fugue. Ce récit poignant reste et restera longtemps dans la mémoire des lecteurs et des lectrices de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature en 2014. Odile a découvert avec un grand plaisir le texte de Colette, "La maison de Claudine". Il ne s'agit pas de la "Claudine" de la suite "Claudine à l'école". En 35 chapitres, chacun constituant une nouvelle, l'écrivaine décrit avec un rare bonheur son enfance heureuse, sa famille et surtout sa mère aimante, Sido. Les chats et les chiens font partie intégrante du paysage dans sa maison de famille. La Colette gourmande, heureuse, reconnaissante s'exprime admirablement dans ces textes enjoués, vibrants et souvent teintés d'humour et de nostalgie : "Quel ancêtre me légua à travers des parents si frugaux, cette sorte de religion du lapin sauté, du gigot à l'ail, de l'œuf mollet au vin rouge ?". Les végétariens devraient s'abstenir de lire Colette ! Odile, Danièle et Régine ont choisi "Frankie Adams" de Carson McCullers. Six ans après son chef d'œuvre, "Le cœur est un chasseur solitaire", publié en 1940, elle écrit "Frankie Adams" avec cette question lancinante : "Pourquoi est-il si difficile de passer de l'enfance à l'âge adulte, si compliqué aussi de conclure la paix avec soi-même ?". Frankie, à l'âge de douze ans, étouffe dans son milieu et quand son frère va se marier, elle s'imagine vivre avec le couple. Ces fantasmes traduisent son malaise, ses difficultés de vivre. Seule, la cuisinière noire, Bérénice, l'écoute et la comprend. Danièle et Odile ont beaucoup aimé ce portrait d'une adolescente en crise d'identité alors que Régine a été moins touchée par cette histoire d'adolescence malheureuse. J'ai regretté qu'aucune lectrice n'ait eu envie de lire "Pierre et Jean" de Maupassant. Pourtant, cette histoire de deux frères très différents, dont l'un hérite d'un père biologique, l'autre éprouve une jalousie destructrice, aurait pu plaire aux lectrices tellement ce roman naturaliste conserve une actualité familiale bien contemporaine. (La suite, demain)

vendredi 20 janvier 2023

Atelier Littérature, 1

 Nous nous sommes retrouvées autour de la table de l'AQCV ce jeudi 19 janvier pour évoquer les lectures de janvier autour des prénoms dans les titres de romans. Malgré un froid glacial et une journée de grève contre la réforme des retraites, il fallait une certaine détermination pour partager nos coups de cœur et je remercie beaucoup toutes les participantes présentes. Nous avons démarré par les prénoms. Mylène et Odile ont lu "Virginia" de Jens Christian Grondahl, publié en 2000. En 1943, un couple sans enfants accueille leur jeune neveu de quatorze ans dans une belle demeure en bord de mer du Nord. Ils ont aussi accepté d'héberger la fille adolescente de la couturière de Madame pour la mettre à l'abri des bombardements. Quand un avion s'écrase dans les dunes, la jeune fille aidera l'aviateur anglais et le jeune homme commettra une faute impardonnable. Mylène a apprécié ce roman dépouillé et émouvant et a profité de cette découverte pour relire avec un regard renouvelé, le dernier roman de l'écrivain danois, "Qu'elle n'est pas ma joie", publié en 2019. Elle aime tout particulièrement l'atmosphère de l'univers "grondahlien", feutré, mélancolique, discret et élégant. Geneviève et Régine ont choisi "Asta" de Jon Kalman Stefansson, publié en 2018. Ce roman particulier, extravagant, profond se lit avec un plaisir certain même si cet écrivain islandais, coutumier de cette méthode romanesque, propose un défi temporel comme le souligne Geneviève. Présent et passé s'entremêlent sans cesse entre la vie des parents d'Asta, la jeune fille et plusieurs personnages. Tout ce petit monde se retrouve dans un maelström de souvenirs, de réflexions, d'anecdotes, d'événements et de crises. Il faut tout simplement se laisser pénétrer par l'univers de Stefansson : un univers onirique mais charnel, un monde clos et pourtant ouvert, un lieu géographique à la fois fascinant et effrayant. Geneviève a aussi lu "Betty" d'un autre écrivain islandais, Amaldur Indridason, très connu pour ses romans policiers ambitieux. L'auteur raconte un triangle amoureux entre Betty, Tomas, son mari chef d'entreprise et son amant, juriste de métier. Une révélation surprenante se produit au milieu du roman mais notre amie lectrice n'a pas dévoilé l'issue de l'intrigue pour la découvrir nous-mêmes en lisant ce très bon thriller psychologique. (La suite, lundi)

mercredi 18 janvier 2023

"La naissance du jour", Colette

 Cette année, Colette (1873-1954) fêterait ses 150 ans ! La dame la plus âgée du monde était française et elle vient de s'éteindre à 118 ans... Notre grande écrivaine s'est éteint à l'âge de 81 ans dans son appartement du Palais Royal à Paris. J'aurais bien imaginé une très longue vie pour cette femme exceptionnelle qui n'avait qu'une obsession : la célébration du monde. Cela faisait bien des années que je n'avais pas ouvert un de ces textes. J'avais hérité des Pléiades de ma mère qui vouait un culte particulier à Colette et elle m'avait transmis ce patrimoine littéraire comme un cadeau unique et  précieux. Ma passion de lire a, par ailleurs, démarré avec les "Claudine", écrits comme une série d'aujourd'hui. Suivre ce personnage était un enchantement de mots et une plongée dans une France mythologique. J'avais pourtant une quinzaine d'années et même dans ces années 60, Colette se lisait dans toutes les couches de la population comme François Mauriac, Jean Giono, Roger Martin du Gard, Marcel Aymé. Quelle époque ! La naissance du Livre de Poche a permis ces lectures totémiques. J'ai donc relu "La naissance du jour", publié en 1928 dans la Revue de Paris. Ecrit à la première personne, la narratrice évoque sa mère, Sido, lumineuse et généreuse : "Je suis la fille d'une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d'un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d'éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle". Colette décrit sa maison de Saint-Tropez, "La Treille Muscate", son ancrage dans un pays de cocagne et se demande si elle sera sa dernière demeure. Elle songe à son âge (55 ans à peine) mais elle ressent la nostalgie de ses jeunes années : "C'en est donc fini, cette vie de militante, dont je pensais ne jamais voir la fin ? Il n'y a plus que mes songes pour ressusciter, de temps à autre, un amour défunt". Au fil de ce récit, des menus événements, des repas amicaux, des observations sur la nature, des réflexions sur les lettres de Sido s'enchâssent et forment un "livre-arlequin". Une intrigue triangulaire amoureuse parvient à se nouer entre un jeune voisin, Vial, une jeune peintre, Hélène et la narratrice, Madame Colette. L'écrivaine rejette l'attirance de Vial pour elle car ils ont une grande différence d'âge. Elle se retire de ce jeu amoureux en souhaitant que les deux protagonistes se rapprochent. La Provence charnelle et savoureuse enchante Colette et la console de la venue inéluctable de l'âge. Ce récit hybride à la fois fictionnel et autobiographique se lit avec un plaisir intense : somptuosité du style et besoin de réfléchir sur elle, en profondeur. L'écriture la maintient dans une acceptation du réel tel qu'il est avec un retour aux sources de son identité, déposées par sa mère, Sido, un modèle de vie. Ce texte d'une grande sensualité se transforme sans cesse en une ode à la vie. En redécouvrant notre immense Colette, je songeais à Marcel Proust, un frère d'adoption dans ce génie de la langue française, une langue d'une beauté inégalée. Il faut absolument relire Colette et considérer ces heures de lecture comme un bain de jouvence. Adoptons son slogan qu'elle écrit à la fin de son récit : "Ce n'est pas trop que de naître et de créer chaque jour". A méditer. 

lundi 16 janvier 2023

"Dora Bruder", Patrick Modiano

 Dans le cadre de l'Atelier Littérature, j'ai relu récemment le récit de Patrick Modiano, "Dora Bruder", publié chez Gallimard en 1997. Le narrateur mène une enquête sur une jeune fille juive, Dora Bruder, disparue à Paris un jour de 1941. En lisant le journal "Paris-Soir", il tombe sur une petite annonce formulée de cette façon : "Paris. On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux gris marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris". L'écrivain évoque ses recherches administratives sur la jeune fille, des traces de sa vie parisienne et en même temps, il met en miroir sa propre jeunesse indécise et fuyante. Il définit sa démarche ainsi : "Il faut longtemps pour que ressurgisse à la lumière ce qui a été effacé". La jeune fille vivait avec ses parents dans un hôtel. Il réussit après quatre ans de recherche à trouver sa date de naissance, le 25 février 1926. Son père était autrichien et sa mère, hongroise. Quelques notations biographiques sur les parents de Dora montrent leur situation d'exilés dans une France des années 30. Il s'attache à décrire ces existences muettes : "Ce sont des personnes qui laissent peu de traces derrière elles. Presque des anonymes. (...) Ce que l'on sait d'elles se résume en une simple adresse. Et cette précision topographique contraste avec ce que l'on ignorera pour toujours de leur vie - ce blanc, ce bloc d'inconnu et de silence". Patrick Modiano est obsédé par les lieux qui, seuls, gardent une "légère empreinte des personnes qui les ont habités". Il recense ainsi une topographie des rues parisiennes qui donne un parfum nostalgique dans toutes les lignes de ce récit. En 1940, la petite Dora est inscrite dans un internat religieux pour calmer son état d'esprit rebelle. Car elle a déjà fugué à plusieurs reprises sans donner d'explication. Le narrateur traque les moindres indices de la vie courte et tragique de Dora : des élèves de ce pensionnat et des adultes qui l'ont côtoyée. Il imagine sa vie difficile dans les circonstances de la guerre et tente de retracer des bribes insaisissables de son passage dans ce pensionnat. Parallèlement, il relate ses mauvaises relations avec son père, un homme secret sur ses "affaires" illicites. La fugue de Dora fascine le narrateur car lui-même a vécu cette expérience de rupture, l'analysant comme un appel au secours. Ce récit dénonce les centaines de disparitions de jeunes adolescents raflés par les policiers français de Vichy. Dora et son père ont quitté Drancy le 18 septembre 1942 pour Auschwitz. Sa mère aussi a été déportée en 1943 pour la même tragique destination. La fugue inexpliquée de Dora restera son secret que "les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'Occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps, - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler". Ce récit de mémoire, un classique à lire et à relire surtout pour combattre l'antisémitisme, un poison intolérable à éradiquer sans cesse. 

jeudi 12 janvier 2023

"Pierre et Jean", Guy de Maupassant

 Sur ma liste bibliographique du mois de janvier concernant l'Atelier Littérature, j'ai intégré un Maupassant, "Pierre et Jean", publié en 1887. Cela fait des années que je n'ai pas lu cet écrivain naturaliste et j'ai lu avec un grand plaisir ce texte qui n'a pas pris une ride. Les Roland, une famille du Havre, vont vivre une crise sans précédent alors qu'ils menaient une vie oisive et bien tranquille. Monsieur Roland, retraité et ancien bijoutier, s'est installé au Havre par amour de la mer. Le couple a donné naissance à deux garçons bien différents : l'un, Jean, très pondéré, a fait des études de droit et l'autre, Pierre, plus instable a terminé ses études médicales. Un jour, alors que la famille est réunie, un notaire les informe qu'un ami, perdu de vue, laisse tout son héritage à Jean. Cette nouvelle fracassante va rompre les liens entre les deux frères. Pierre découvre peu à peu le lien qui unissait sa mère à cet ami de la famille. Un secret familial se dévoile car sa mère a une liaison avec cet homme de passage. La rivalité entre les deux frères finit par éclater. D'autant plus que Jean, le préféré de sa mère, va se marier avec une veuve, Madame Rosémilly. Pierre est dévasté par cette découverte : "Il avait mal quelque part, sans savoir où ; il portait en lui un petit point douloureux, une de ces presque insensibles meurtrissures dont on ne trouve pas la place, mais qui gênent, fatiguent, attristent, irritent, une souffrance inconnue et légère, quelque chose comme une graine de chagrin". Lors d'une violente dispute fraternelle, Pierre lui révèle la raison de cet héritage : son frère est bien le fils de l'amant de sa mère. Jean ne rejette pas sa mère et prend même son parti. Pierre, fou de rage et de jalousie, renie sa mère et s'embarque comme médecin sur le transatlantique Le Lorraine. Le père n'apprendra jamais l'adultère de son épouse. Ce roman appartient donc au naturalisme par les sujets traités : l'hérédité, la petite bourgeoisie, les problèmes financiers. Guy de Maupassant dénonce aussi l'illusion familiale bâtie sur un mensonge, l'hypocrisie sociale, le rôle corrupteur de l'argent. Pierre est habité par le sentiment destructeur de la jalousie. Jean, le seul personnage positif du roman, ne juge pas sa mère et pense à son propre bonheur. J'étais assez captivée par l'intrigue, cet héritage imprévu et par la rivalité de ces deux frères, si dissemblables. Lire aussi un texte de la fin du XIXe siècle apporte un éclairage rassurant sur la beauté de la langue française. Evidemment, de nos jours, ce secret de famille n'aurait aucune importance mais, à l'époque de Maupassant, l'adultère et la "bâtardise" étaient jugés scandaleux. Lire ce roman m'a donné envie de poursuivre ma lecture des classiques. 

mardi 10 janvier 2023

"La mort d'un père", Karl Ove Knausgaard

Je connaissais de réputation cet écrivain norvégien, Karl Ove Knausgaard, le nouveau "Proust" contemporain. Né à Oslo en 1968, il a étudié l'art et la littérature à l'Université de Bergen. A vingt ans, il publie son premier roman et démarre sa carrière d'écrivain, saluée par la critique littéraire de son pays. Entre 2009 et 2011, il écrit sa grande saga personnelle, "Mon combat", constituée de six tomes de "La mort du père" à "Fin de combat". A l'origine de ce cycle autobiographique, l'écrivain voulait surtout évoquer la figure paternelle : "Depuis des années, je voulais écrire sur la mort de mon père. J'ai tout essayé. Rien ne fonctionnait. C'était comme si je n'y croyais pas. Et puis, j'ai commencé à écrire quelque chose de totalement différent, une sorte de confession, où je disais tous les secrets que je n'avais jamais racontés". Plus loin, il ajoute : "C'était exactement cela, le point de départ du roman. Je voulais dépeindre le quotidien, tout ce qui, d'habitude, n'est pas littéraire. De la sorte, le livre tente d'exorciser le monde réel". Ma curiosité de lectrice passionnée m'a convaincue que je devais prendre le chemin vers cet écrivain. Quand j'ai vu l'exposition sur Munch à Paris, j'avais remarqué un ouvrage sur le peintre, signé de Karl Ove Knausgaard, "Tant de désir pour si peu d'espace". L'auteur a aussi reçu le prix Médicis du meilleur livre étranger pour "Fin de combat" en 2020. J'ai donc acheté le premier tome du cycle, "La mort du père" et dès les premières pages, j'ai adhéré à ce projet ambitieux de tout dire. Il a pris des risques personnels en évoquant l'alcoolisme de son père, ce qui a fracassé les membres de sa famille. Il a été traité de "Judas" et de "violence morale" en relatant la mort de son père, tuée par l'abus d'alcool. Son réalisme pointilliste dérange les critiques qui parlent de son "nombrilisme". Dans ce premier tome, il raconte son enfance à l'ombre d'un frère solaire, d'une mère absente qui finira par demander le divorce. Son père assez froid assume son rôle avec le sens du devoir mais il se met très souvent en colère. Il décrit son adolescence, les rencontres amicales et amoureuses, la passion du rock, le clan familial. Ce voyage ultra affectif de son passé et de son "moi" tourmenté d'adolescent montre aussi la lente maturation de sa personnalité. La description clinique de sa vie quotidienne ne suffirait pas à maintenir l'intérêt d'une telle démarche. Le texte est traversé de méditations sur la vie, sur la mort, sur les relations familiales et sur l'amour. Je m'apprête donc à lire les cinq tomes pour vivre une certaine lecture expérimentale, ce qui est loin de me déplaire... 

lundi 9 janvier 2023

Rubrique cinéma : "Caravage"

 J'ai pris une résolution pour la nouvelle année : aller au cinéma deux fois par mois car j'avoue que la période du Covid m'a un peu éloignée de ce loisir culturel. A Chambéry, nous avons la chance de disposer d'un cinéma d'art et d'essai : "L'Astrée" qui propose souvent des films de qualité en version originale. J'ai donc vu en ce début de moi, "Caravage", du réalisateur italien, Michele Placido. J'aime beaucoup ce peintre "maudit" comme l'on dit des poètes et ses toiles que j'ai vues dans mes escapades nombreuses en Italie me plongent dans une admiration extatique. Dès que je suis allée à Rome, je prenais rendez-vous avec Le Caravage. Ce pèlerinage artistique me passionne toujours autant. Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610) est né à Milan mais le film n'aborde pas sa jeunesse et ses succès immédiats dans le monde de l'art. Il était adulé et protégé par des cardinaux mécènes. Pourtant, ce peintre rebelle, impliqué dans de nombreuses rixes, n'apprécie guère les règles de l'Eglise. Il ose prendre pour modèles les prostituées de la rue, les mendiants et les vagabonds. Le pape Paul V charge un émissaire, appelé l'Ombre, de mener une enquête sur la vie dissolue du Caravage. Le peintre lui demande une grâce car il a tué dans un combat à l'épée un jeune noble. Il a fui à Naples et le film raconte cette période entre 1600 et 1610 où il échappe à plusieurs complots. Il est protégé par la Comtesse Colonna, interprétée par Isabelle Huppert dans un rôle inhabituel pour elle. Il part aussi à Malte où il devient Chevalier de l'Ordre. L'artiste à la vie mouvementée ne pense qu'à son art, la peinture. Le réalisateur met en scène les tableaux célèbres comme "La conversion de Saint-Paul", "Marie-Madeleine". Les décors du film sont évidemment splendides dans une Italie baroque où la beauté et la misère se côtoyaient sans cesse. Le peintre vivait dans une époque, troublée par l'Inquisition et par la violence, et ses tableaux malgré les sujets religieux exposés, révèlent sa noirceur et sa violence. Dans le chaos de sa vie, Le Caravage en extrait des pépites artistiques immortelles. Ce film raconte cette aventure humaine et artistique sur un rythme infernal d'un baroque époustouflant. Pour tous les amateurs et amatrices du Caravage, il ne faut pas rater ce long métrage flamboyant qui met en perspective un artiste de génie ! Décors, musique, costumes, lieux, ambiance, j'étais en Italie de Rome à Naples et je me souvenais de tous les tableaux de ce peintre fabuleux que j'ai vus à Rome, à Paris, à Naples, à Florence, à Milan. Il faut lire aussi le très beau livre de Yannick Haenel, "La solitude Caravage" pour mieux comprendre l'art du Caravage. 

jeudi 5 janvier 2023

Les classiques de retour en 2022

 J'ai évoqué dans mes billets précédents mes douze romans préférés de l'année et j'ai ajouté quelques essais qui m'ont marquée. Je constate aussi que j'ai une nouvelle appétence pour les classiques que je ne lis plus depuis des années et pour la relecture de chefs d'œuvre. L'année dernière, j'ai redécouvert Balzac avec "Le père Goriot" ( lu en 2021) et "La peau de chagrin". Tous les ans, je me promets de lire au moins un Balzac comme une résolution de début d'année. L'univers balzacien conserve un attrait intemporel. Le père Goriot nous fend le cœur dans sa passion paternelle sacrificielle. Dans la "Peau de chagrin", roman plus difficile, Balzac, à travers son personnage principal, Raphaël de Valentin, dénonce la poursuite des satisfactions matérielles, des désirs vains et son existence rétrécit à chaque souhait exaucé. Un roman philosophique à découvrir. Je ne passe pas une année aussi sans revenir vers mes écrivains préférés. J'ai relu Virginia Woolf et son texte complexe, "Les vagues" et à la deuxième lecture, j'ai mieux compris ce roman symphonique à plusieurs voix. Marguerite Yourcenar me donne aussi rendez-vous une fois par an et j'ai savouré avec une délectation toute littéraire le magique "Mémoires d'Hadrien", un roman historique majeur où l'empereur raconte sa vie dans une Rome antique réincarnée alors que je me trouvais à Rome en septembre. Je poursuivrais ma rencontre avec cette grande dame qui me tient compagnie depuis longtemps. J'ai aussi réouvert les pages de "L'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera et cette lecture a enchanté ma fin de l'année 2022. Je retrouve régulièrement mon cher Pascal Quignard que je redécouvre sans cesse avec une admiration toujours vivace. Son "Dernier royaume" en plusieurs tomes est un de mes objectifs de l'année 2023. J'ai relu "Les Ombres errantes" et le "Sur le Jadis" est sur ma table de chevet. Ma grande "idole" de l'année précédente que j'ai redécouvert avec une fascination admirative s'appelle Marcel Proust. J'étais quasi hypnotisée par "Du côté de chez Swann", "A l'ombre des jeunes filles en fleurs" et "Du côté de Guermantes". Cette année, je me réjouis de relire la suite de cette "saga" sublime, "A la recherche du temps perdu", une "Montagne magique" en reprenant le titre d'un roman de Thomas Mann. A Paris, j'ai vu avec émotion la très belle exposition sur Marcel Proust au Musée Carnavalet. Des émissions ont évoqué l'écrivain dont La Grande Librairie pour mieux le connaître. Le lire, c'est entrer dans une langue française de toute beauté, plonger dans un passé retrouvé,  apprendre à ouvrir les yeux sur la beauté des choses et savoir que l'art et la littérature apportent une consolation réparatrice. Cette année, une amie m'a offert les souvenirs de Céleste Albaret dans une belle édition illustrée, "Monsieur Proust" et je m'en délecte d'avance ! En 2023, je vais revisiter Stendhal, l'écrivain français le plus italien et Flaubert, le réaliste au style parfait. Un beau programme pour l'année 2023, plus les nouveautés, les essais, la philosophie, etc. J'aimerais que ma journée dure quarante-huit heures ! 

mercredi 4 janvier 2023

Mes essais et récits préférés en 2022

 Comme je lis beaucoup plus de romans que de récits et d'essais, je présenterai mes coups de cœur sans respecter l'ordre chronologique. Je veux mettre à l'honneur quelques titres qui m'ont vraiment frappée dans l'année 2022. J'ai lu l'émouvant récit de Joan Didion, "l'année de la pensée magique", publié en 2009 en livre de poche. Le mari de l'écrivaine américaine meurt subitement d'une crise cardiaque. Dans la même année, elle doit s'occuper de leur fille, gravement malade. Ce récit sobre et pudique évoque la période du deuil, une expérience indicible. Ce récit autobiographique est considéré comme un classique aux Etats-Unis. Pour tous les amoureux et amoureuses de Venise, je recommande vivement le récit de voyage du néerlandais Cees Nooteboom, "Venise, le lion, la ville et l'eau", publié chez Actes Sud. Toute personne qui connaît et aime cette ville va savourer cet ouvrage merveilleux. Récit de voyage, anecdotes diverses, flâneries, images, histoires, chaque ligne est un enchantement de culture et Venise, ce joyau en péril, a trouvé son Homère d'aujourd'hui ! Un essai très bien écrit sur la folie, "Un coup de hache sur la tête" de Raphaël Gaillard m'a beaucoup intéressée. A partir de récentes études scientifiques, le psychiatre écrivain révèle le lien entre folie et créativité : notre ADN nous rend vulnérables aux troubles psychiques mais nous permet en même temps de créer. Cette particularité de se représenter le monde en pensée s'apparente à un acte de création. Cet essai complexe mais très lisible mérite une lecture attentive. J'ai aussi redécouvert le talent d'écriture d'Olivier Rolin dans son dernier opus, "Vider les lieux", une réflexion décapante sur sa mésaventure de locataire. Il doit quitter son petit appartement, envahi de livres et de souvenirs car le propriétaire le met en vente. Comment vivre ce départ involontaire ? Que faire des objets et des livres ? Comment faire le deuil de son nid ? Ce récit passionnant rappelle des moments douloureux de nostalgie que tout le monde a vécus lors de déménagements inévitables dans toute existence. Après le récit autobiographique d'Olivier Rolin, j'ai beaucoup aimé le "Journal de nage" de Chantal Thomas, un éloge de la mer, de la liberté et de la légèreté. Pour terminer ces coups de cœur concernant les essais et les récits, j'ai lu en décembre "La gloire des petites choses" de Denis Grozdanovitch.  Un ouvrage charmant et serein sur la beauté des petites choses que l'on ne voit plus : un beau ciel, un coucher de soleil, des objets familiers, des lieux aimés, un regard attentif et la passion de la littérature... Voilà ma sélection des essais et récits de l'année 2022. 

mardi 3 janvier 2023

Mes douze romans préférés en 2022, 2

En juillet, j'ai lu avec plaisir le dernier roman de Javier Cercas, "Indépendance", publié chez Actes Sud. Melchior, un inspecteur de police intègre, a déjà fait parler de lui dans "Terra Alta", le premier tome de ce cycle romanesque sur le monde politique espagnol. Ancien délinquant lui-même et fils d'une prostituée assassinée, l'inspecteur a une passion excentrique : le roman, "Les Misérables" de Victor Hugo. Il traque la corruption chez les élites et ne supporte pas les injustices. Une lecture d'été parfaite, distrayante et aussi intelligente. Et en prime, l'Espagne sans prendre la peine d'y aller. Bilan carbone négatif grâce à la littérature. En août, j'ai découvert un deuxième roman de Jon Kalman Stefansson, "Lumière d'été, puis vient la nuit". Quand je découvre (un peu trop tard) un écrivain fabuleux, j'aime parcourir ses œuvres et je m'en réjouis d'avance. J'ai retrouvé dans ce texte sa prose poétique, son imagination de conteur d'un petit village islandais. Un petit univers qui raconte tout l'univers. En septembre, lors de la rentrée littéraire, j'ai choisi le grand roman de Yannick Haenel, "Le trésorier-payeur", publié chez Gallimard. Un roman ambitieux, ultra littéraire, philosophique et déroutant. L'écrivain aime les grands défis comme avec son livre magnifique, "La solitude Caravage". Il est question du rôle de l'argent, de l'amour passion, de la charité, de la littérature, et de tant d'autres sujets. Un roman mosaïque qui aurait mérité un grand prix littéraire cet automne. En octobre, un livre fleuve fascinant a retenu mon attention admirative, "La part des cendres", d'Emmanuelle Favier. Le thème du livre peut sembler austère car l'écrivaine évoque la spoliation des œuvres d'art durant la Seconde Guerre mondiale. Un roman historique ambitieux avec un style somptueux. Un OVNI littéraire qui n'a pas, hélas, décroché de prix. En novembre, j'ai choisi un des romans les plus appréciés de la rentrée littéraire : "Le Mage de Kremlin" d'un écrivain italo-suisse francophone, Guiliano di Empoli, publié chez Gallimard. Ce récit nous plonge au cœur du pouvoir russe où courtisans et oligarques se livrent une guerre incessante. Et le Tsar organise grâce à Vadim, devenu l'influenceur essentiel, une mise en scène politique à son unique profit. Un premier roman percutant, d'une actualité brûlante et éclairant sur la folie d'un homme, un certain Poutine, indigne héritier de l'empire russe. En décembre, un grand texte, un immense roman, "L'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera. A lire, à relire, à rerelire ! L'amour, la vie, la mort, le destin, la pesanteur ou la légèreté, la prison ou la liberté, le sérieux ou l'humour, le kitsch ou l'authenticité. Un roman essentiel pour comprendre le XXe siècle... Voilà mon palmarès de l'année 2022 ! 

lundi 2 janvier 2023

Mes douze romans préférés en 2022, 1

 Encore une belle récolte de lectures en 2022 avec plus d'une centaine de livres appréciés, aimés, dévorés. Dans mon propre palmarès annuel, j'aime bien retenir un livre choc, un coup de cœur, un élu, un "chouchou" comme on disait avant pour marquer une préférence. Douze romans ont retenu toute mon attention. Je reprends la chronologie mensuelle, très pratique dans ce jeu de piste traditionnel. En janvier, paraissait, avec pas mal de tapage médiatique, le dernier roman de Michel Houellebecq, "Anéantir". Je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt car ce drôle de texte évoque la fin de vie, l'euthanasie, la maladie, la famille, le couple, la société. Bref, c'est un Houellebecq nouveau, humain, moins sombre et plus compatissant. Même pour ceux et celles qui n'aiment pas du tout (car sa réputation quelque peu sulfureuse empêche sa découverte) cet écrivain français, il faut lui reconnaître un talent certain de romancier philosophico-social où son regard dérange, bouscule et intrigue notre curiosité. Le monde de Houellebecq ne respire pas le bonheur mais, révèle un malaise existentiel, influencé par le pessimisme de Schopenhauer. La lecture de telles œuvres demande un certain effort  En février, je ne pouvais choisir que mon cher Pascal Quignard avec son "L'amour, la mer", un titre éloquent et rêveur. L'écrivain propose un parcours sur les personnages qu'il a créés dans ses précédents récits. Un livre exigeant, fascinant et secret. Je ne manque jamais un nouveau Pascal Quignard depuis plus de vingt ans, comme une tradition annuelle, ma bûche de Noël à base de mots essentiels et d'images oniriques. En mars, j'ai savouré la prose élégante et poétique de Jeanne Benameur avec "La patience des traces", publié chez Actes Sud. Le Japon, la recherche d'une sagesse et la délicatesse des sentiments. En avril, j'ai découvert le talent de Nathalie Azoulai, "La fille parfaite" ou l'histoire d'une amitié entre une littéraire et une scientifique. Un roman sur une amie disparue qui a choisi le suicide, un geste inacceptable et inexplicable pour la narratrice. En mai, une surprise merveilleuse avec "Corps et âme" qu'une amie lectrice m'a offert si gentiment. Ludmila Oulistkaia, écrivaine russe extraordinaire, écrit un "atlas de l'âme". Ce recueil de nouvelles nous emporte dans un univers étrange où l'âme joue un rôle majeur dans l'existence souvent pathétique des personnages. Inoubliable récit ! En juin, évidemment, un des romans les plus puissants, les plus émouvants, les plus amples que je relirai sans aucun doute. Je veux parler de Jon Kalman Stefansson, "Ton absence n'est que ténèbres", publié chez Gallimard. Cette saga islandaise avec de multiples personnages séduit et hypnotise : une prose poétique, un sentiment océanique avec la nature, un univers en miniature sur une île fascinante, l'Islande. Une intensité romanesque, une réflexion sur le destin, sur l'amour, sur la condition humaine. Un roman planète, un chef d'œuvre dans le panorama de la littérature européenne. (La suite, demain)